Posté le 15 novembre 2015 - par dbclosc
« Primes au mérite » : la fausse bonne idée vraiment pourrie
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les individus qui gagnent énormément d’argent, ont tendance à trouver cela tout à fait normal et à trouver de bonnes raisons à ça. Plus inquiétant, c’est la tendance qu’ont beaucoup d’autres qui gagnent beaucoup moins à légitimer ces salaires exorbitants.
Chez les supporters, les critiques des gros salaires sont certes légions. Pour autant, elles ne sont rarement « révolutionnaires ». Les critiques portent ainsi généralement moins sur l’illégitimité de l’inégalité salariale que sur la critique de salaires disproportionnés par rapport à ses performances sur le terrain. Une fausse bonne idée que l’on entend souvent chez les critiques des gros salaires consiste à rehausser la part des primes à la performance dans le salaire total : le joueur aurait une part fixe modeste et serait ensuite rémunéré en fonction des matches joués, des victoires remportées par son équipe, des buts inscrits, etc.
Or, une telle évolution ne résoudrait aucun des problèmes que je vois dans l’existence de salaires exorbitants, et en générerait à l’inverse d’autres. Si l’on est payé aux matches joués, est-il juste de « sanctionner » le joueur blessé ? Est-il également juste de « sanctionner » le joueur qui doit sa place sur le banc des remplaçants non à son propre niveau, mais à une concurrence particulièrement forte à son poste ?
Et puis, outre ces considérations relatives aux primes aux matches joués, que penser des primes à la victoire ? Un tel système pose comme principal problème l’instauration d’une logique de « rendement au mérite » dont la mesure du « mérite » repose sur des critères qui tiennent justement à bien d’autres choses que le « mérite » si tant est qu’il existe. Puisque le football est un sport collectif, la prime à la victoire (de match, de championnat, etc.) récompense avant tout ceux qui jouent avec des bons joueurs avant de récompenser ceux qui jouent le mieux : si Messi signe au Gazélec, il ne fait guère de doutes que sa nouvelle équipe obtiendra de bien meilleurs résultats. Mais il ne fait pas non plus de doutes que si le Gazélec-avec-Messi joue contre le Barça-sans-Messi, les premiers seront battus.
Et l’exemple de Messi au Gazélec permet aussi de montrer autre chose : si Messi était au Gazélec avec un système de primes « au mérite », si même il transformait le jeu des ajacciens au point d’en faire une équipe dominante, les primes de victoires qu’ils toucheraient à Ajaccio ne seraient pas du même niveau que celles auxquelles il pourrait prétendre à Barcelone, au moins à moyen terme, tant qu’il n’aurait pas réussi à faire d’Ajaccio un « grand d’Europe ». Et avant qu’Ajaccio puisse prétendre devenir un grand d’Europe, tout un tas d’embûches se présenteraient à eux : le prestige, générateur indirect de revenus, ne se construit pas comme cela ; les « règles du jeu » des compétitions européennes sont défavorables aux « petits », etc.
Bref, la solution des primes « au mérite » ne montre pas grand-chose du problème des salaires et masque l’essentiel. Les porteurs de la « prime au mérite » tendent à considérer que cette solution « motiverait » les joueurs, qui seraient incités à « mouiller le maillot ». Ceci repose sur un postulat fort : les joueurs manqueraient de motivation. Or, cette conception masque le fait que les joueurs professionnels ne souffrent pas de problème de motivation. Pire, elle instille dans la tête de tous, et des joueurs les mieux payés en premier lieu, qu’un gros salaire doit être l’une de leurs principales motivations, qu’ils ne seraient pas incités à faire bien dans le cas contraire, et masque, donc à leurs propres yeux, qu’ils sont en réalité motivés par bien d’autres choses.
Je n’entends pas par là que tous ces joueurs d’ « excellence » accepteraient, dans le contexte actuel, des salaires bien inférieurs à ceux qu’ils touchent pour une autre motivation, d’ordre « sociale » ou « sportive ». Mais ce qui les empêcherait de prendre une telle décision, c’est moins eux-mêmes, que le fait qu’ils vivent dans un monde où tout le monde viendra leur rappeler qu’en faisant ainsi, ils ne seront pas récompensés « à leur juste valeur » ou leur énoncer toute une série d’arguments justifiant qu’il ne serait en quelque sorte pas « moral » d’accepter un tel sacrifice salarial.
Il n’y a d’ailleurs pas à aller très loin pour montrer qu’un système économique footballistique qui récompenserait les joueurs selon quelque chose qui pourrait s’apparenter un peu plus à du « mérite » serait totalement différent et loin d’être aussi capitaliste qu’il ne l’est. Et il faudrait ainsi tenir compte de tous les handicaps qui limitent les possibilités pour un joueur de « bien jouer ». L’équivalence selon laquelle le joueur qui a un haut niveau de compétitivité est l’exact équivalent du joueur méritant constitue tout ce qui, dans l’idéologie libérale dominante, me paraît devoir être sujet à débat. Le joueur qui doit s’entraîner deux à trois fois par semaine après le travail n’a-t-il pas à bien des égards plus de « mérite » que ces professionnels choyés dont on dispense de toutes les contrariétés du quotidien ? Parmi les professionnels, celui qui a persévéré dans le monde amateur après avoir raté le wagon du professionnalisme pour enfin le raccrocher n’a-t-il pas aussi sur certains aspects plus de « mérites » que celui qui a toujours été cocooné depuis le centre de formation ?
On pourrait multiplier à l’envi les exemples qui montrent la très grande relativité de ce qu’est le « mérite » et surtout l’inanité de la définition associant au mérite celui qui réussit. Et les quelques exemples de joueurs « méritants » que je cite montre également que le modèle économique sur lequel s’appuie le football professionnel actuellement ne peut pas récompenser ce mérite, sauf à changer radicalement de nature.
Je commenterai très prochainement dans un autre article les fausses bonnes justifications données aux énormes salaires. Il ne faut pas s’étonner de la variété de celles-ci. Face à l’indigence de chacune d’entre elles, on se doute que les « grands » joueurs ont besoin d’en aligner beaucoup pour se convaincre qu’ils sont dans le vrai.
Car le football aujurd’hui est extrêmement inégalitaire et on fait tout ce qu’il faut pour qu’il le reste. Inégalités entre les footballeurs professionnels bien sûr, mais surtout entre ces professionnels et ceux qui sont « à la limite », ceux dont les trajectoires font qu’ils sont assez bons pour jouer au haut niveau, sans pour autant parvenir à gagner plus que sympathiquement leur vie. Et, au moins pour eux, la question des « carrières courtes » se pose.
Et inégalités entre ces millionnaires du football et tous ceux, guichetiers, agents d’entretien divers, agents de sécurité, etc. sont nécessaires à l’accumulation de leurs millions. Les « gros salaires » répondent souvent avec mépris aux critiques sur leurs salaires que c’est eux qui sont sur le terrain, que c’est eux qui génèrent ces millions. Oui, ils sont sur le terrain. Mais pas moins que tous les milliers d’anonymes qui s’esquintent et sont nécessaires pour faire vivre ce juteux business qui ne bénéficie qu’à peu. Pas sur le même terrain, c’est sûr.
Ah, pendant que j’y suis. je remets mon sondage pour le vote pour une compétition alternative :

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17 novembre 2015
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Groumpf a dit:
Bravo pour cette élucubratio très intellectualisée