Posté le 22 décembre 2015 - par dbclosc
Corrélations, prévisions, et probabilités : le cas des différences de performance du LOSC à l’aller et au retour
Le journalisme sportif regorge aujourd’hui de statistiques sur tout et sur rien et interprétées un peu n’importe comment. On voit par exemple les chances de qualification d’une équipe évaluées à l’aune de corrélations – du type : 34 % des équipes qui ont perdu 2-1 à l’aller se qualifient – alors même que les réelles « chances » de qualification d’une équipe devraient impliquer la prise en compte de facteurs beaucoup plus complexes.
En bref, corrélations, probabilités et prévisions sont des notions mal maîtrisées et dont le sens est souvent implicitement présenté comme vaguement équivalent. Pour autant, ces « stats » omniprésentes constituent bel et bien des informations pouvant servir à l’analyse et, pour ainsi dire, toute micro-statistique peut être honnêtement utilisée pour peu que celui qui la mobilise le fasse avec la prudence interprétative nécessaire.
Parmi les statistiques qui m’agacent, il y a celles de l’ensemble du bilan historique des confrontations entre deux équipes présentées comme un indicateur des chances respectives de chaque équipe de l’emporter. Un peu comme si je vous disais que, dans une confrontation entre Roubaix et Lille, Roubaix a des réelles chances de l’emporter au regard du fait que cela leur est régulièrement arrivé lors de leurs oppositions au cours des années 40 et 50 : en réalité – et je crois qu’il n’est pas utile de développer plus largement cet argument – il est évident que si le Roubaix d’aujourd’hui affrontait le Lille d’aujourd’hui dix fois, il perdrait 10 fois.
Illustrons ce que l’on pourrait dire ou ne pas dire sur ces statistiques à travers les classements du LOSC lors des matches aller et lors des matches retour depuis 1978. Première remarque : peu importe que Lille ait tendu à être meilleur lors des matches aller ou au contraire lors des matches retour sur la période 1978-2015, cela ne nous dit rien sur les chances pour le LOSC d’aujourd’hui de mieux ou moins bien réussir sa phase retour, sauf à postuler une très improbable continuité en la matière sur une aussi longue période. Pour autant, l’hypothèse selon laquelle il y aurait des équipes « faites pour le début de championnat » ou au contraire « faites pour les fins de championnat » n’a en elle-même rien d’absurde. En effet, il y a des modes de préparation plus adaptés que d’autres à des « montées en puissance », des caractéristiques des joueurs qui en font des individus davantage capables de gérer les fins de championnat à suspens, bref, un très grand nombre de variables qui peuvent expliquer qu’une inégale distribution des performances selon le moment de la compétition n’est pas le seul produit du « hasard ».
On peut l’illustrer à travers les différences en la matière selon l’entraîneur : prendre ici l’entraîneur comme variable ne vise à faire d’eux les uniques causes de tels phénomènes, mais plutôt à faire l’hypothèse qu’ils en sont des acteurs essentiels (par la préparation et le système tactique qu’ils mettent en place) et qu’ils pèsent également sur d’autres facteurs (le recrutement des joueurs. En outre, l’arrivée d’un nouvel entraineur est souvent associée à un nouveau projet impliquant la reconstruction d’une équipe, et donc souvent à un bouleversement de l’effectif puis sa stabilisation). Voici les classements moyens par entraîneur du LOSC ayant officié au moins trois saisons en D1/L1.
On voit sur ce graphique que le LOSC de José Arribas réussit nettement mieux lors des matches aller que lors des matches retour (ils sont 6 places au-dessus en moyenne sur 4 ans), que celui de Georges Heylens est à l’inverse meilleur lors de la phase retour (4,6 places de mieux sur cinq ans), tandis qu’il y a relativement peu de différences pour les autres entraîneurs. Je porte ici une attention particulière à trois entraîneurs pour présenter les maigres interprétations que l’on peut en sortir.
Le LOSC de José Arribas tout d’abord. La très forte de différence de classement moyenne entre matches aller et retour, et surtout la régularité de ces écarts, traduisent qu’il y a « quelque chose » qui explique cette différence, qu’elle n’est pas le fruit du hasard. Avec lui, le LOSC est systématiquement mieux classé lors des phases aller que lors des phases retour. Le fait que cette même différence se constate également l’année suivant son départ indique que cette différence n’est pas le seul produit de Arribas lui-même mais de l’équipe qu’il a contribué à construire et qui demeure assez proche l’année suivant son départ. Entre 1979 et 1983, le LOSC oscille toujours entre la 9ème et la 11ème place lors des matches aller, et finissent toujours 17ème ou 18ème sur les matches retour : une très forte régularité donc.
Pourquoi donc ? Tu seras prié de prendre mes assertions avec prudence, car elles visent plus à indiquer la démarche interprétative qu’il faut avoir, plutôt qu’à affirmer que mon interprétation est juste : en l’état, je dispose de trop peu d’infos pour affirmer avoir la juste interprétation. Bref, quand on a cette relation, il faut réfléchir aux spécificités de cette équipe qui pourraient logiquement expliquer la tendance. Le LOSC de José Arribas développait une conception du football valorisant le « beau jeu » et assumait alors explicitement en faire une priorité sur les « résultats ». Une telle conception philosophique incite peu au calcul, et il n’apparaît donc pas improbable qu’elle pénalise d’autant plus au niveau des résultats que l’on avance dans le championnat quand chaque point apparaît de plus en plus potentiellement décisif. Que cette interprétation soit exacte ou non, elle apparaît tout au moins plausible.
Georges Heylens, arrivé en 1984, présente un profil différent. Lorsqu’il signe au LOSC, son engagement est motivé par les belles performances qu’il a réussi à obtenir avec un club aux moyens limités, Seraing. On remarque notamment que la politique de recrutement du LOSC se caractérise alors par une recherche d’ambition. Cette philosophie incite davantage – relativement à Arribas – sur le classement final et est alors cohérente avec des systèmes favorisant les montées en puissance progressives.
Deuxième élément d’explication : quand Georges Heylens prend le LOSC, c’est une équipe très jeune. Parmi les 16 joueurs qui jouent le plus en 1984-1985, on trouve ainsi Éric Péan (21 ans), Éric Prissette (21 ans), Dominique Thomas (22 ans), Thierry Froger (22 ans), Pascal Plancque (20 ans), Philippe Périlleux (20 ans), Rudi Garcia (20 ans), Pascal Guion (20 ans), Jean-Pierre Meudic (20 ans), Claude Robin (23 ans) et Stéphane Planque (23 ans); seuls Nourredine Kourichi (30 ans), Boro Primorac (29 ans), Dusan Savic (29 ans), Nanard Bureau (25 ans) et Jean-Pierre Mottet (25 ans) apportant un peu d’expérience.
Le dernier cas sur lequel je voudrais m’attarder est celui de Claude Puel. Avec lui, les classements moyens lors des matches aller et retour sont très proches. Pourtant, cette similitude de classement cache de profonde différences d’une année sur l’autre et celles-ci nous semblent tout à fait révélatrices de ce qu’a été le « LOSC de Puel ». Quand il arrive en 2002, il assume de s’inscrire dans un projet ambitieux impliquant une reconstruction en profondeur. Autrement dit, on va être très balèzes, mais au départ, ça risque d’être chaud. Les classements aller et retour du LOSC de l’époque traduit ceci : 13ème de la phase aller 2002-2003, 18ème de la phase retour, puis 14ème de la phase aller 2003-2004. Les débuts sont difficiles : la seconde partie de cette saison traduit une nette progression : 7ème sur cette demi-saison. S’ensuit une forte stabilité du LOSC par demi-saison : 2ème de la phase aller en 2004-2005, puis 4ème sur la phase retour ; 8ème de la phase aller 2005-2006, puis 5ème de la phase retour et 5ème également de la phase aller 2006-2007. On assiste alors à une « fin de cycle » : 18ème lors de la phase retour, 14ème de la phase aller de la sixième saison de Puel. La 5ème place de la phase retour laisse entendre que le déclin de l’année précédente n’a pas servi à rien et que la reconstruction n’a pas attendu l’intronisation de Rudi Garcia.
Les variations aller-retour avec Claude Puel semblent alors moins s’expliquer par des cycles réguliers sur une année donnée -comme avec Arribas et Heylens – que par des cycles de longs termes, impliquant de partir de loin, une montée en puissance sur le relativement long terme, jusqu’à la fin de la dynamique, ici entamée lors de la cinquième année de Claude Puel.
Plusieurs LOSC. Il est donc illusoire de pouvoir prévoir ce que va être la seconde partie de saison du LOSC à partir de son passé : ce qui a été avec Puel, Heylens et Arribas n’a plus rien à voir avec ce qu’est le LOSC aujourd’hui et ne nous aide donc en rien pour savoir ce qu’il en sera demain.
Laisser un commentaire
Vous pouvez vous exprimer.
0 commentaire
Nous aimerions connaître la vôtre!