Archiver pour mars 2016
Posté le 23 mars 2016 - par dbclosc
1997 : Lille se fait justice en éliminant Marseille
Le 4 février 1997, Marseille reçoit Lille, à moins que Lille ne reçoive Marseille, à Valence, dans la Drôme. À l’origine de ce match de coupe de France, un imbroglio judiciaire et, finalement, une victoire lilloise sur le terrain.
Tout commence le 3 janvier 1997 : le tirage au sort des 32e de finale de la coupe de France 1996/1997 fait entrer en lice les clubs de Division 1. Il accouche de deux affiches entre clubs de l’élite, dont Marseille/Lille, deux équipes proches au classement dont la confrontation en championnat s’était achevée par un nul à Lille en septembre (1-1, Boutoille contre Letchkov). Les Marseillais ayant été tirés les premiers, le match doit logiquement se jouer à Marseille, au stade Vélodrome, comme une revanche du quart de finale joué la saison précédente, dont on t’a dit un mot dans le résumé de la saison 1995/1996.
Le Vélodrome en travaux
Construit pour la coupe du monde 1938, rénové pour l’Euro 84, le stade Vélodrome est en 1996 dans sa configuration issue de 1985, lorsque Bernard Tapie décide de supprimer la piste cycliste – d’où le stade tire son nom – portant la capacité du stade à 48 000 places. À partir de 1996 et jusque fin 1997, pour répondre aux exigences de la FIFA, le vétuste stade de Marseille est en réfection en vue de la coupe du monde, l’objectif étant de porter sa capacité à 60 000 places pour accueillir une demi-finale de coupe du monde (ce sera Pays-Bas/Brésil, avec un but de Kluivert). Le Vélodrome subit donc les retouches qui en feront ce stade dégueulasse, sans résonance, sans acoustique, et ouvert aux quatre vents1 – dans les faits, surtout le mistral – nécessitant de nouveaux travaux pour l’Euro 2016 avec, notamment, la présence de toits. Le 25 février 1998, le stade version Mondial 98 est terminé avec l’ouverture de la dernière tribune, et un match amical entre la France et la Norvège, au cours duquel Zidane marque son plus beau but avec l’équipe nationale.
Les travaux du Vélodrome n’empêchent pas l’Olympique de Marseille (OM) d’y jouer ses matches de championnat : les travaux ayant été calés sur le calendrier du club, Marseille joue donc en championnat à domicile. Mais d’autres compétitions n’ont pas été intégrées à la réflexion : les coupes nationales. Si, le 10 décembre 1996, le Vélodrome est disponible pour accueillir l’OM qui y élimine Auxerre (3-2) en coupe de la Ligue, avant que l’équipe ne se fasse sortir à Bordeaux au tour suivant, le stade ne peut accueillir que 1 500 spectateurs au moment de recevoir le LOSC, le 18 janvier 1997. Selon les statuts de la Fédération Française de Football (FFF), organisatrice de la coupe de France, les conditions techniques d’une part, de sécurité d’autre part, ne sont pas réunies pour organiser un 1/32e de finale de coupe de France.
Inversion du match : on jouera à Grimonprez-Jooris
Les dirigeants de l’OM ont alors 48 heures, à partir du tirage au sort, pour proposer un autre terrain à la commission d’organisation de la FFF, qui le validera. Mais personne ne bouge, hormis dans la presse, où les dirigeants marseillais font savoir qu’ils aimeraient que la rencontre se joue « dans le sud ». Mais le 9 janvier, en l’absence de requête officielle des marseillais, pour qui le délai de 48 heures est largement dépassé, la commission centrale de la coupe de France, conformément à ses statuts, inverse l’ordre du match et le fixe à Lille, même joue et même heure, soit le 18 janvier à 17 heures. Avec l’argument suivant : « l’OM n’a pas respecté le délai de 48 heures, après le tirage au sort, pour se manifester et demander que son match ait lieu sur un autre terrain« , en ajoutant : « s’il l’avait fait, il aurait obtenu satisfaction« . Cette décision est confirmée le lendemain, le 10 janvier, par le bureau du conseil fédéral.
C’est le début d’une bataille juridique entre les dirigeants des deux clubs. D’un côté, le président lillois, Bernard Lecomte, demande l’application du règlement de la FFF, l’instance sportive et organisatrice de la compétition ; de l’autre, le président-délégué de Marseille, Jean-Michel Roussier, fait appel devant le comité national olympique et sportif français (CNOSF), association qui chapeaute les fédérations nationales sportives, et devant la commission fédérale d’appel.
Le 15 janvier, le conciliateur nommé par le CNOSF donne raison à la FFF et propose (sans capacité exécutoire, donc) à l’OM de se conformer à sa décision, c’est-à-dire de se rendre à Lille. Le droit semble donc en faveur des Lillois.
Mais, parallèlement, Roussier amène l’affaire devant la justice civile : et le 16 janvier, le tribunal administratif de Marseille propose de jouer en ligue de Méditerranée ! La semaine est marquée par l’intransigeance des dirigeants marseillais, qui menacent de ne pas se déplacer à Lille. Claude Simonet leur brandit la menace d’une défaite par forfait, et précise que la FFF peut passer outre la décision du tribunal administratif.
Vendredi 17 janvier, la commission d’organisation de la FFF maintient le match à Lille. L’OM fait de nouveau appel auprès du CNOSF et réactive sa requête auprès du tribunal administratif de Marseille qui ne réagit pas à cette réactivation ; alors l’OM fait une autre requête. Nous sommes à 24h du match.
Jour J : le LOSC attend donc l’OM, à 17h.
Il n’y a qu’une seule équipe sur le terrain
Ce samedi après-midi, Grimonprez se remplit très lentement : seuls 4 000 billets ont été vendus. Il faut dire qu’une grande incertitude demeure : jusqu’au bout, certains de l’emporter sur le terrain judiciaire, les dirigeants marseillais ont affirmé qu’ils ne se déplaceraient pas, et ont indiqué à leurs supporters de ne pas se déplacer pour rien. Vont-ils mettre leur menace à exécution ? La presse locale relaie des rumeurs indiquant que l’OM a réservé un hôtel à proximité de Lesquin… Dans la matinée de samedi, un avion en provenance de Marseille atterrit à Lesquin. Les journalistes sont à l’affût et aperçoivent… Hamada Jambay, arrière droit de l’OM ! Alors, voilà l’OM ? Hé bien non, Jambay est seul et déclare, devant un auditoire captivé : « Je viens rendre visite à mon frère à Dunkerque ».
Dans le vestiaire lillois, en attendant Marseille : Miladin Becanovic (blessé), Jean-Noël Dusé, Jean-Michel Cavalli, Marc Cuvelier et Djezon Boutoille.
En fait, les Marseillais ne sont pas venus. Et ils ont pris cette décision la veille. La deuxième requête auprès du tribunal administratif est acceptée une heure et demie avant le début du match. Le tribunal estime que l’OM « présentait, dans sa requête en annulation, des motifs sérieux et que son exécution risquait d’entraîner des conséquences irréversibles ». En clair, le tribunal estime que la requête de Marseille est fondée : la décision d’inverser le match est suspendue un mois ! Le texte condamne en outre la FFF à verser 8 000 francs à l’OM « au titre de frais exposés ». Encore un peu et l’OM gagnait sur tapis vert ! Anne-Sophie Roquette annonce, sus les sifflets, la décision du tribunal, tandis que descendent des tribunes des « Simonnet, démission !« .
Juste avant 17h, heure théorique du coup d’envoi du match, un commissaire de police lillois notifie à Bernard Lecomte l’ordonnance du tribunal administratif de Marseille qui suspend pour une durée d’un mois la décision prise la veille par la commission centrale de la coupe de France.
Alain Sars, l’arbitre, constate l’absence des joueurs marseillais au coup d’envoi. Il n’y a donc qu’une seule équipe sur le terrain : une habitude à Lille, mais là c’est au sens littéral.
Frédéric Dindeleux, Jean-Marie Aubry, Djezon Boutoille et Franck Renou
saluent les spectateurs qui se sont déplacés
La non-venue des Marseillais suscite une cascades de réactions outrées, à commencer par celle de… Gervais Martel, qui parle en tant que président de l’Union des Clubs Professionnels de Football : « si on commence à sortir du cadre des terrains de football pour régler les problèmes, où va-t-on ? ». La décision du tribunal donne des idées au président lensois, dont l’équipe se déplace à Bourges pour son 32e. Pas de chance : de mauvaises conditions météo ont annulé le vol des Lensois, qui ont dû, en catastrophe, prendre le train : « on aurait pu faire constater par un huissier qu’on ne pouvait pas décoller, puis saisir le tribunal administratif… et on aurait joué dans un mois (…) Le comportement des dirigeants marseillais est lamentable, déplorable. Et le public est floué ».
Une ola pour Gervais et sa belle déclaration
Le président de la FFF, Claude Simonet, déplore « qu’une juridiction civile prenne le pas sur une juridiction sportive pour un problème uniquement sportif. Les règlements doivent être les mêmes pour tous. Si un club estime qu’ils ne sont pas bons, qu’il ne s’engage pas dans la compétition ».
Une décision qui aura permis à Gilles Hampartzoumian de fouler la pelouse de Grimonprez-Jooris
Dans la Voix des Sports, Patrick Delahaye et Guy Delhaye stigmatisent les Marseillais : « prendre la décision de ne pas venir à Lille le vendredi soir mais ne l’annoncer que le samedi midi, c’est proprement se moquer du monde » ; « Si Marseille n’était pas Marseille, l’OM aurait été rayé de la carte du football pour longtemps. Mais Marseille sera toujours Marseille. La capitale de tous les excès » ; « les méthodes détestables de Bernard Tapie ne sont pas toutes noyées au fond du Vieux-Port » ; « Nous ne sommes pas des ânes » disait Jean-Michel Roussier au téléphone samedi après-midi. Tout bien réfléchi… »
Épilogue judiciaire : le 21 janvier, les présidents des deux clubs participent à une « réunion de médiation » au siège de la FFF, en présence de Claude Simonet. Bonne poire, Bernard Lecomte, qui ne cherche pas la guerre et de dit « légaliste », n’insiste pas davantage mais souhaite « un terrain neutre qui soit vraiment neutre », c’est-à-dire non situé en Ligue de Méditerranée. Il faut dire que, de son côté, Jean-Michel Roussier souhaite revenir au Vélodrome, qui est dispo ! Un accord est trouvé pour jouer le match sur terrain neutre, à Valence2, le mardi 4 février à 17h.
La Drôme adhère
Dans le sympathique stade Georges Pompidou et devant près de 10 000 personnes contentes d’être là (cette précision ne vaut que pour justifier mon intertitre), le match entre Marseille et Lille va enfin commencer. Avec l’enfance footballistique qu’on a eue chez DBC, je ne te dis pas l’événement que constitue la retransmission d’un match du LOSC en direct sur TF1, avec au commentaire Thierry Roland et Jean-Michel Larqué. C’est Choco pops à volonté en rentrant du collège ! TF1 prend l’antenne avec pour générique la reprise de Go West par les Pet Shop Boys, et c’est parti : Lille joue en rouge et Marseille en blanc, signe que, finalement, c’est bien Marseille qui reçoit.
Voici la composition lilloise, dont les principaux absents, blessés, sont Becanovic et Hitoto, ce dernier pour un bon moment.
Aubry;
Duncker, Leclercq, Carrez, Levenard ;
Rabat, Collot, Garcion, Garcia ;
Boutoille, Renou
Côté marseillais : la star est dans les buts, avec le gardien allemand champion d’Europe Andreas Köpke, et le danger numéro est Xavier Gravelaine.
Dernier coup d’éclat avant la descente
Le match commence tambour battant avec deux occasions d’entrée de jeu, une pour chaque équipe : Ben Slimane, l’attaquant tunisien de l’OM, frappe à côté dès la première minute alors qu’il était seul face à Aubry. Quelques secondes plus tard, Garcion, en position similaire, malheureusement sur son pied droit, frappe sur Köpke.
Le match est équilibré et les Lillois prennent l’avantage à la demi-heure de jeu. À l’origine, un une-deux assez quelconque entre Boutoille et Garcia ; ce dernier semble bien repris par la défense marseillaise, mais l’italien Alberto Malusci commet une faute, offrant un excellent coup-franc à une vingtaine de mètres pour le LOSC. Garcia et Garcion se placent à proximité du ballon. Le gaucher Garcion enroule superbement par-dessus le mur.
Coup-franc de Garcion : Droit au but
Le poing droit de Köpke parvient à détourner le ballon sur la barre transversale mais Franck Renou, plus rapide que Chris Makin, pousse le ballon de la tête au fond des filets. Un but à voir en vidéo :
Juste avant la mi-temps, le LOSC rate le break : sur un centre contré d’Arnaud Duncker, côté droit, Thierry Rabat place une tête qui passe juste au-dessus du but marseillais (45e). À la pause, le LOSC propose une excellente prestation, et Jean-Michel Larqué se dit « impressionné par la solidarité de cette équipe lilloise ». La deuxième période est plus délicate : Lille subit, mais sans vraiment concéder d’occasion. Et, problème de taille : Jean-Marie Aubry s’est blessé et termine la rencontre avec une déchirure qui ne fait que s’aggraver. Les dernières minutes sont épiques : pour les deux derniers corners du match, sur lesquels Köpke est monté, Leclercq repousse dans un premier temps sur la ligne une reprise de Victor Agali, avant que Marc Libbra ne place une tête sur la transversale d’un Jean-Marie Aubry qui ne saute même plus. A revivre ici en vidéo :
Frédéric Machado, entré à la 64e à la place de Boutoille
« Lille noie l’OM dans la coupe » titre L’Équipe en Une le lendemain. Le LOSC a donc remporté sur le terrain le match qu’il avait à moitié perdu devant les tribunaux, et ce n’est que justice tant le comportement des Marseillais avait suscité l’indignation du monde footballistique. Il est cependant remporté au prix fort : Jean-Marie Aubry s’est blessé, ce qui le prive de 3 matches. Dans un premier temps, cette victoire est suivie, 4 jours plus tard, d’une victoire à Grimonprez face à Lyon en 16e, que nous évoquons dans le bilan de la saison, avec notamment une très belle performance de sa doublure Pegguy Arphexad… La seule, puisqu’il encaissera ensuite 9 buts sur les deux matches de championnat qu’il joua comme titulaire, dont le retour à Marseille, où l’OM se venge en nous mettant 5-1 10 jours plus tard. Cette semaine à deux victoires a été le dernier coup d’éclat et la consolation bien trop maigre d’une triste fin de saison, où le LOSC s’est montré incapable de reproduire en championnat ses performances en coupe.
Franck Renou (avec la victoire)
Notes :
1 Rolland Courbis, quand il entraînait l’OM, désignait le Vélodrome comme « l’enrhumeur ».
2 Valence est tout de même bien plus proche de Marseille que de Lille. Les coordonnées géographiques du Vélodrome sont 43° 16′ 11″ N 5° 23′ 45″ E ; celles de Grimonprez-Jooris 50° 38’ 40” N 3° 2’ 49” E. L’idéal eut donc été de jouer à équidistance, de ces deux points, quelque part au sud de la Bourgogne.