Posté le 3 avril 2016 - par dbclosc
Merci, Derrien
Le 9 décembre 2001, Lille recevait Sochaux pour le compte de la 17e journée de Division 1. Ce jour-là, sur un terrain gelé, Sochaux s’est imposé 2-1. Mais là ne réside pas l’essentiel des commentaires sur le match, du moins côté lillois, puisque cette rencontre a surtout été marquée par les 3 buts que l’arbitre, Bruno Derrien, a refusés au LOSC. Bien que nous soyons ici d’une grande mansuétude avec les arbitres, ce match reste un cas bien compliqué à traiter raisonnablement.
[Edit du 5 janvier 2017 : cet article a été relancé par un twitto à la fin de l'année 2016, avec copie à Bruno Derrien. Celui-ci s'est alors manifesté auprès de nous, et nous avons eu un échange très cordial par téléphone le 30 décembre 2016. Bruno Derrien nous a autorisé à apporter quelques précisions sur les décisions qu'il a prises ce jour-là. Elles se trouvent en fin d'article, et nous le remercions pour ses précisions, qui ne changent malheureusement pas grand chose au souvenir très amer que nous gardons de ce match et de sa prestation].
Avant ce match contre Sochaux, le LOSC est troisième, avec 30 points ; les Dogues se situent à 5 points du leader lensois. Sochaux est quant à lui un séduisant promu : huitième avec 23 points ; les jeunes Frau, Santos, Pedretti, Monsoreau et Meriem s’allient fort bien avec des joueurs plus expérimentés comme Raschke, Flachez ou Saveljic.
Jusqu’alors, en championnat, Lille a pris 21 points en 7 matches à domicile : autrement dit, il a tout gagné. En plus du championnat, le club est engagé en coupe d’Europe : après avoir terminé 3e de son groupe de Ligue des champions, il est reversé en UEFA, et vient d’éliminer la Fiorentina : victoire 1-0 en Italie, et 2-0 à Grimonprez, 3 jours avant.
Terrain gelé sur un tiers, pas de doute : DBC était là
Davantage que l’aspect sportif, ce sont donc les péripéties arbitrales que l’on retient du match. Parmi elles, notamment, trois buts refusés au LOSC. L’événement est rare mais, après tout, pas impossible. Comme le dit l’arbitre à l’issue du match, « pour qu’un but soit valable, il faut qu’il soit marqué correctement », juste avant de penser très fort : « et je vous emmerde bande de tocards ». Mais, justement, ces buts lillois n’ont-ils pas été marqués correctement ?
Revenons sur chacun d’eux :
À la 54e minute, N’Diaye expédie une frappe puissante dans la lucarne, en récupérant un ballon mal dégagé par Saveljic, sur qui Bakari aurait fait une charge irrégulière selon l’arbitre. Pas évident. Notons que le coup de sifflet a lieu juste avant la frappe de N’Diaye, mais pas suffisamment tôt pour que le sjoueurs ne s’arrêtent.
À la 64e minute, Bakari est en position de hors-jeu au moment où il s’emmène de la tête un ballon relâché par Fernandez. Il conclut du droit dans le but.
À la 92e minute, Beck récupère un ballon dans la surface, contrôle de la poitrine et conclut d’un tir rageur du gauche. L’arbitre voit une faute de main, annule le but et adresse un carton jaune à l’attaquant danois.
La confusion de l’après-match illustre la colère des Lillois, à une période où ils nous ont peu habitués à s’emporter ou à contester les décisions arbitrales. Voici un résumé du match :
Chez Drogue, Bière et Complot contre le LOSC, nous ne sommes pas du genre à céder à l’appel au lynchage envers les arbitres, dont nous reconnaissons la tâche bien difficile, et on est plutôt prompts à souligner l’aveuglement des supporters, la méconnaissance des règles de la part des journalistes, ainsi que l’incompétence et l’inconséquence des commentateurs de tous bords. Par exemple, nous avons défendu M. Jochem, qui avait soi-disant « volé » le LOSC en septembre 2015 à Rennes. Du coup, on est bien emmerdés quand on doit reparler de ce match : en tant que jeunes supporters, on a dû faire partie de ceux qui ont été indignés ce jour-là. D’autant qu’en regardant à nouveau les images aujourd’hui, on reste circonspects sur l’invalidité des buts litigieux.
Même en ayant toute la mansuétude et la compréhension possibles pour le rôle d’arbitre, ce match laisse un goût amer, et le sentiment d’injustice reste fort. Très honnêtement, le but de N’Diaye et de Beck nous paraissent entièrement valables. Quant au but de Bakari, il est en effet marqué en position de hors-jeu. Cependant, c’est celui qui, sur le coup, a suscité la plus grande colère de Vahid Halilhodzic, qui s’est alors précipité sur l’assistant pour lui expliquer que le premier but sochalien avait été marqué alors que Frau revenait d’une position de hors-jeu.
Les Lillois contestent également deux autres points : selon eux, ils auraient dû bénéficier d’un pénalty ; et Pagis, après une main volontaire, aurait dû recevoir un deuxième avertissement. La Voix du Nord résume : « trois buts refusés à une même équipe en un seul match, l’un des buts accordés à Sochaux entaché d’un hors-jeu de position, un pénalty non sifflé en faveur des Lillois… à chaud comme à froid, difficile à comprendre et à supporter » (11 décembre 2001).
Carton rouge, Monsieur Derrien1 !
Pour le quotidien, l’arbitre « peu inspiré » a été « incontestablement dépassé par les événements, et [est] auteur de décisions pour le moins litigieuses ». à l’issue du match, ils sont quelques dizaines de supporters à proximité du vestiaire en scandant « Derrien, on t’attend ! ».
Vahid Halilhodzic, qui a brisé une partie du plexiglas de son banc de touche, puis a piqué un sprint vers l’arbitre au coup de sifflet final après avoir écarté deux stadiers, ne comprend pas : « on est surpris, on n’a pas compris ce qu’il se passait. Les joueurs, le staff technique, tout le monde était abattu. C’est facile quand on perd de rejeter la faute sur l’arbitrage mais, là, c’était trop ». C’est à Bruno Derrien que les Lillois en veulent, et pas à l’équipe de Sochaux « qui a fait son match, sans jeu dur ».
Au nom du groupe, Grégory Wimbée, que l’on ne peut pas soupçonner d’être un dangereux radical, prend la parole :
« En un match, on a eu la totale. Quand il y a un ras-le-bol, il faut l’exprimer. Ce n’est pas le style de Lille, mais il faut faire quelque chose. Il y a eu de l’acharnement.
Pendant le match, vu les événements, on a eu l’impression que l’arbitre nous faisait comprendre que Lille ne gagnerait pas, que Lille ne marquerait pas. Tout être humain a ses faiblesses, peut connaître des moments difficiles et se tromper, mais là c’est limite. Pour gagner, il aurait fallu qu’on marque six buts.
Lille n’est pas une équipe qui râle, qui réclame, qui met la pression. L’arbitre a moins peur de se tromper face à nous. Nous sommes tellement gentils que nous ne mettons jamais la pression sur les arbitres. S’il y a une équipe qui les respecte, c’est bien nous ! Mais quand on est trop gentils, on se fait marcher dessus ! C’est pourquoi on veut réagir publiquement et dire : c’est terminé, on arrête d’être gentils ! Si c’est ce qu’il faut faire simplement pour qu’un arbitre soit juste, nous le ferons. Il faut que nous soyons respectés. Hier, nous ne l’avons pas été.
À Lyon, on a pris une gifle ; dimanche, on a tendu l’autre joue. Cette fois, ça suffit »
À notre connaissance, Bruno Derrien n’a jamais exprimé le moindre propos venant relativiser sa performance ou amorçant un début de mea culpa, ce qui aurait a minima amoindri notre peine, et si je veux je place encore une locution latine en italique hic et nunc. Comme le suggère même l’extrait vidéo au-dessus, on est plutôt dans un modèle « droit dans ses bottes » sûr de son fait, petite mimique de mépris qui va avec. Or, il n’est pas interdit de reconnaître ses torts, ou au moins de dire qu’il peut comprendre la frustration des Lillois, les faits étant diversement interprétables. Là, M. Derrien se retrouve curieusement avec une rhétorique laissant penser qu’il n’y aurait que des actions claires, et donc que des décisions justes. En se tournant vers ses écrits, puisque, dans ses diverses reconversions, il a commis quelques ouvrages, on peut lire dans l’un d’eux, quand il revient sur ce match :
« Halilhodzic bouscule le délégué. Les stewards chargés de la sécurité à Lille me protègent. Halilhodzic est hors de lui [...]. De ma sortie du terrain, il me reste une image : celle de Martine Aubry, ministre et maire de Lille, qui hurle après mon arbitrage »1.
On comprend aisément que ça ne lui ait pas plu. Mais rien de plus. En revanche, des pages et des pages à revenir sur les prétendues « erreurs » de ses collègues, apparemment plus facile à pointer que les siennes. Quand on cède à l’air du temps en voulant jouer la transparence, il semble qu’un peu de modestie eut été bienvenue, au lieu de se retrancher derrière des réactions qui servent de cache-sexe à ses coups de sifflets. Depuis sa retraite (et après l’arbitrage, en janvier 2006 de… Lille-Sochaux), Bruno Derrien s’est reconverti en justicier distribuant les bons et les mauvais points aux arbitres, ce qui n’est sans doute pas d’un grand confort pour eux (qu’aurait dit son équivalent de l’époque après son Lille/Sochaux ?). On l’a trouvé aussi parfois ces dernières années, à côté d’émissions modérées sur Europe 1 puis RTL, dans des programmes de commentaires et des talk-show racoleurs dans lesquels c’est la prime à qui gueule le plus fort et trouve la polémique la plus con, style 20h foot. Les titres de ses bouquins sont d’ailleurs assez éloquents quant à la volonté manifeste de brasser le public le plus large et d’aller vers des solutions orientées par le sens du vent. Bien sûr, il fait ce qu’il veut, investit les médias du niveau qu’il veut, et joue les Zorro d’après-match si ça lui chante, mais c’est sans doute révélateur d’un personnage très particulier, arrogant et pas forcément en odeur de sainteté dans le milieu de l’arbitrage.
En dehors de la performance de M. Derrien, on voudrait signaler que la réaction très hostile à l’égard de l’arbitrage, de la part du public, de l’entraîneur, ou des joueurs, a certainement été amplifiée par un contexte qui dépassait la seule défaite du soir.
Ce sont les premiers points perdus en championnat à Grimonprez, et on avait un peu perdu l’habitude de perdre à la maison. Dans les semaines précédentes, le LOSC a connu ses deux premières défaites en championnat ; il a été éliminé de la coupe de la Ligue par Nancy, club de D2, et s’apprête à se faire éliminer par Libourne (CFA) en coupe de France. Sportivement, ça va donc moins bien. Hors du terrain, quelques joueurs rechignent à prolonger, et Vahid menace alors Johnny Ecker de le placer sur la liste des transferts en janvier. D’autres, désormais exposés à l’échelle européenne, sont très sollicités, et il ne fait guère de doute qu’ils quitteront Lille en mai (Cheyrou, Bakari). Sylvain N’Diaye a annoncé tardivement qu’il ralliait l’équipe du Sénégal pour la CAN en janvier, alors qu’il avait garanti le contraire à Vahid, furieux. Le nouveau statut juridique du club (une Société Anonyme Sportive Professionnelle) entraîne quelques problèmes de transition d’avec l’ancien modèle (des litiges financiers avec l’association amateur). En décembre 2001, on se rend compte aussi que le délai initial de livraison du nouveau stade (1er janvier 2003 !) ne pourra pas être respecté. Enfin, Vahid Halilhodzic clame que le club manque de moyens, et que sa capacité à grandir reste en l’état très limitée. Bref, la défaite contre Sochaux s’inscrit à la fois dans un contexte sportif ponctuellement défavorable, et aussi dans de profondes transformations structurelles que connaît le club. Après trois années d’une exceptionnelle progression devait arriver l’inéluctable stagnation voire régression… et il semble bien que ce soit en cette fin 2001. Ce paragraphe visait juste à tenter de comprendre ce que la défaite contre Sochaux comportait de frustrations et d’inquiétudes.
Bruno Derrien, si tu nous lis : le temps a passé, ce Lille-Sochaux nous a tous laissé une sale impression, malgré toutes les circonstances atténuantes et les explications contextuelles que nous avons essayé de te trouver. 15 ans après, on va cesser de te reprocher tes décisions et de te rappeler ce qu’elles suscitent, même chez les spectateurs modérés et bienveillants envers les arbitres que nous estimons être. Au même titre qu’un but pourrave du Havre ou qu’une défaite contre Amiens, tu fais partie de ces moments de Grimonprez qui nous ont désespérés mais qu’on aime à se remémorer. Donc merci Derrien, c’est aussi dans ce sens là. N’empêche que si un jour te vient l’envie, en toute amitié, de reconnaître qu’au moins le but de Beck était valable, on pourrait enfin refermer cette plaie et arrêter de penser que tu t’es foutu de notre gueule.
Addendum : la réaction de Bruno Derrien à notre article
« Je ne change pas de position sur les deux premiers buts : sur le premier, je maintiens qu’il y a une charge de l’attaquant qui se désintéresse complètement du ballon et qui charge le défenseur. Je siffle la charge avant que le but ne soit marqué : à partir du moment où j’ai sifflé, le jeu est arrêté, donc il n’y a pas but. Je siffle, et c’est ensuite que le joueur tire et marque. Je n’ai pas hésité un seul instant.
Le deuxième but, c’est mon assistant qui lève son drapeau, à juste titre, pour hors-jeu.
Quant au troisième but, j’admets que le doute est permis. J’accepte complètement le désaccord. Je suis derrière l’attaquant, j’ai le sentiment qu’il contrôle le ballon par un mouvement du bras, et qu’ensuite il frappe. Mais seule une caméra face à l’attaquant, derrière le but, aurait pu valider ou pas ma décision. Quel intérêt aurais-je à refuser un but marqué correctement ?»
A lire, deux articles que nous avons écrits spécifiquement sur des questions d’arbitrage : tout d’abord, le « cas » Rennes/Lille, avec le pénalty accordé à Rennes et l’expulsion de Vincent Enyeama : « Le LOSC a-t-il été volé à Rennes ?, et la polémique liée au but de Pastore lors de la finale de la coupe de la Ligue : « Pastore et à travers ».
FC Notes :
1 SOS Arbitre, SOS Vidéo, éditions du Rocher, 2010. Crédits photos: Isabelle Simon/Sipa
2 À bas l’arbitre, éditions du Rocher, 2009.
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