Posté le 25 avril 2016 - par dbclosc
Pastore à travers
Alors, valable ou pas, le premier but parisien ? Le débat a agité les commentateurs de la finale de coupe de la Ligue PSG-Lille (mais particulièrement les supporters lillois – il est vrai que les décisions arbitrales font davantage polémique quand elles vous sont défavorables). L’arbitrage étant aussi question d’interprétation, voilà typiquement le genre d’action où chacun trouvera des raisons légitimes de défendre son camp.
PSG/Lille, 23 avril 2016, 40e minute de jeu : corner pour le PSG frappé par Di Maria. Vincent Enyeama dégage du poing à l’entrée de la surface de but où se trouve, seul, Javier Pastore. L’Argentin reprend instantanément : le ballon, légèrement dévié par Mavuba, finit au fond des filets, permettant aux Parisiens de mener 1-0. Point litigieux de l’action : Kurzawa est hors-jeu au moment de la frappe de Pastore : a-t-il gêné le gardien du LOSC ? Les avis divergent et offrent un mélange d’avis définitifs et de supputations à l’infini débouchant sur un flou que seul le football et les éditoriaux de Christophe Barbier peuvent nous offrir. Chacun donne son avis, et il semble y avoir autant de définitions des notions utilisées (« passif », « gêne », « action de jeu », « influence », « avantage ») que de personnes qui s’expriment. De L’équipe à 20minutes, en passant par foot01 ou RTL, tout le monde a son mot à dire, ici de façon assez neutre. Même la Belgique s’interroge. En revanche, la presse régionale se montre plus catégorique (tiens donc !) et estime que le but aurait dû être refusé (France 3 Nord-Pas-de-Calais, La Voix du Nord).
Si t’es perplexe, aie le bon réflexe
À l’arrivée, comment analyser sereinement l’action ? « Quand tu sais pas ou quand t’as un doute sur un mot, tu vas voir dans le dictionnaire », me disaient mes parents quand j’étais gosse. On devrait conseiller à peu près la même chose aux fans de foot : quand tu sais pas ou quand t’as un doute sur une action, tu vas voir les règles. Le seul problème est d’avoir l’honnêteté de douter. Ou juste d’être curieux. Tiens, en ouvrant un dico par curiosité, j’ai découvert par exemple que la distinction chameau/dromadaire n’a rien à voir avec ce que je croyais savoir, et qu’un dromadaire n’est rien d’autre qu’un chameau à une bosse dit « chameau d’Arabie ». De quoi ébranler ses certitudes les plus solidement établies. Un bon réflexe, somme toute basique, est donc de se tourner vers les lois du jeu. On peut facilement trouver sur Internet ce document constitué de deux parties : on trouve d’abord, en une soixantaine de pages, les 17 lois du jeu proprement dites ; et, ensuite, une partie plus longue, intitulée « Interprétation des Lois du Jeu et directives pour arbitres ». Rien qu’à partir de la structure du document, on peut donc rapidement deviner une difficulté inhérente à l’arbitrage en football : il y a la règle d’un côté, et des interprétations de l’autre. Cette seule information semble toutefois ignorée de beaucoup de commentateurs – à commencer par les professionnels – qui assènent parfois avec une assurance inversement proportionnelle à leur connaissance des lois du jeu des approximations voire, parfois, de totales inventions (par exemple, sur les notions de « dernier défenseur », de « main décollée du corps », inexistantes dans les textes).
Layvin Kurzawa est hors-jeu…
Première information : un concert de Maître Gims en préambule n’est nullement prévu dans les lois du jeu. Ensuite, est considéré hors-jeu un joueur qui est « plus près de la ligne de but adverse que le ballon et l’avant-dernier adversaire ». Rappelons que ce n’est pas une infraction en soi : il n’est pas interdit de se promener sur le terrain dans cette position. Elle ne pose problème que dans des cas très précisément définis par les lois du jeu. Il faut en l’occurrence se tourner vers la loi XI. Celle-ci énonce que le hors-jeu n’est sanctionnable qu’à deux conditions, et dans 3 cas de figure : la première condition est que l’attaquant se trouve dans la moitié de terrain adverse ; la deuxième condition est que le ballon soit joué par un de ses coéquipiers, vers l’avant. Une définition assez compliquée sur le papier, mais qu’on visualise tous. Par exemple :
Nous sommes dans le camp lillois. Le parisien Javier Pastore joue le ballon vers l’avant. Layvin Kurzawa, son coéquipier, est hors-jeu : il est positionné derrière la ligne virtuelle parallèle à la ligne de but et passant par l’avant-dernier défenseur (Vincent Enyeama). S’il faut en croire le « révélateur », Adrien Rabiot est également hors-jeu. Cependant, écrivais-je, le hors-jeu n’est pas systématiquement sanctionné : il existe différents cas de figure, explicités dans la partie énoncée plus haut, « Interprétation des Lois du Jeu et directives pour arbitres ». La polémique ne porte pas sur la position de Kurzawa qui, tout le monde est d’accord, est hors-jeu. C’est là qu’il faut creuser pour comprendre la décision arbitrale.
…mais est-il sanctionnable pour autant ?
Les lois du jeu précisent trois cas pour pénaliser une position de hors-jeu : « au moment où le ballon est touché ou joué par un coéquipier, le joueur prend, de l’avis de l’arbitre, une part active au jeu en
• intervenant dans le jeu, ou
• interférant avec un adversaire, ou
• tirant un avantage de cette position ».
Premier élément crucial : la subjectivité de l’arbitre. Comme pour nombre d’autres cas, il n’existe pas nécessairement de « vérité » intrinsèque ou d’ « objectivité » d’une décision.
Dans la seconde partie des lois du jeu, sont précisés les termes utilisés :
• « « Intervenir dans le jeu » signifie jouer ou toucher le ballon passé ou touché par un coéquipier.
• « Interférer avec un adversaire » signifie empêcher un adversaire de jouer ou d’être en position de jouer le ballon en entravant clairement sa vision du jeu ou en lui disputant le ballon.
• « Tirer un avantage » d’une position de hors-jeu signifie jouer un ballon
_qui a rebondi sur un poteau ou la transversale dans sa direction ou jouer un ballon qui a rebondi sur ou a été dévié par un adversaire dans sa direction alors qu’il était en position de hors-jeu
_qui a rebondi sur, a été dévié par un joueur ou repoussé par le gardien – ou tout joueur le suppléant –, alors qu’il était en position de hors-jeu.
Un joueur en position de hors-jeu qui reçoit un ballon joué délibérément par un adversaire (à l’exclusion d’un ballon repoussé par le gardien ou par tout joueur le suppléant), n’est pas considéré comme tirant un quelconque avantage de sa position ».
Dans notre cas, nous sommes dans la deuxième configuration : Kurzawa n’a pas touché ni joué le ballon, les options 1 et 3 sont donc écartées ; la question qui se pose est : Kurzawa a-t-il interféré avec un adversaire, en l’occurrence Vincent Enyeama, ce dont a l’air de se plaindre notre gardien ? À l’arbitre donc de décider si le hors-jeu du parisien a empêché Enyeama de jouer ou d’être en position de jouer le ballon en entravant clairement sa vision du jeu ou en lui disputant le ballon. Tâche bien difficile.
On peut se référer à deux schémas de la FIFA sur la question du hors jeu : les schémas 2 et 13, les plus proche du cas présent.
Voici le commentaire (p. 114) : « Un attaquant en position de hors-jeu (A), n’interférant pas avec un adversaire, ne touche pas le ballon. Le joueur ne peut être pénalisé car il n’a pas touché le ballon ». Ce schéma illustre donc le principe de la Loi XI, sans toutefois nous éclairer sur le cas Kurzawa (qui serait ici représenté par la lettre A, et Enyeama par GB, gardien de but), car il est assez peu complexe et ne laisse donc guère de doute sur l’interprétation que l’arbitre doit donner à l’ « interférence ».
Le schéma 13 est plus complexe, car il concerne un cas où l’attaquant « joue ou touche » le ballon, ce qui n’est pas le cas de Kurzawa. Notons toutefois le commentaire car, hormis ce point précédent, l’action est similaire : « Le tir d’un coéquipier (A) rebondit sur ou est dévié par un adversaire et arrive sur l’attaquant (B) qui doit alors être pénalisé pour avoir joué ou touché le ballon alors qu’il était auparavant en position de hors-jeu ». Cela correspond en fait davantage au cas de Samuel Umititi, quelques heures plus tôt à Toulouse.
Voici donc les deux illustrations les plus proches de ce qu’on a connu lors de cette finale : ce sont des modèles-types, donc ça ne colle jamais complètement mais, dans un cas, le hors-jeu est sanctionnable, dans l’autre non. D’où la place de l’interprétation de l’arbitre. Que peut-on relever comme autres éléments ? Revoyons, plus haut, la première capture d’écran : Kurzawa est derrière Enyeama. Il est donc difficile de soutenir que le gardien a été gêné au moment de la frappe. Mais, un rien plus tard, Enyeama et Kurzawa sont au même niveau que le ballon : le parisien empêche t-il Enyeama de faire une intervention, ou entrave-t-il celle-ci ?
Il faut pour cela un autre angle : impossible, évidemment, de se faire un avis précis avec ces captures d’écran, mais le ballon arrive vite. Enyeama est-il battu ?
Sur les images, on n’a pas le sentiment qu’Enyeama regarde Kurzawa ; si ce dernier gêne le gardien, ça serait alors parce qu’il « sent » un joueur qu’il pense être un coéquipier, et auquel cas la gêne est manifeste. Mais on n’a pas non plus l’impression qu’Enyeama retienne son plongeon : parce qu’il sait que c’est un Parisien à côté, et que l’arbitre va siffler, ou parce qu’il est en retard…? Là encore, on ne peut pas le savoir.
Bien sûr, Vincent Enyeama a tout intérêt à dire qu’il a été gêné et, sait-on jamais, durant le faible laps de temps durant lequel l’arbitre doit se décider et, sans doute, a un moment d’hésitation car il a parfaitement saisi les informations de cette action, il peut inciter M. Buquet à siffler en faveur du LOSC, donc refuser le but. On l’aurait compris. L’arbitre l’a validé : on le comprend aussi.
Un plaidoyer pour la vidéo, vraiment ?
Sur les réseaux sociaux (et dans l’article de la Voix du Nord en lien au début de cet article), d’aucuns ont vu dans cette situation un argument pour le recours à l’arbitrage vidéo. Honnêtement, on se demande plutôt comme cette action n’est pas davantage l’illustration que la vidéo, en de nombreux cas, ne peut que déplacer les problèmes, voire en créera de nouveaux : il n’existe ici pas de « bonne » ni de « mauvaise » décision, mais deux interprétations aux conséquences très différentes (but ou pas but), mais également défendables. L’arbitre a quelques secondes pour prendre sa décision : à DBC, 2 jours après, on n’est toujours pas sûrs de ce qu’on aurait fait si on avait été dans un hypothétique comité de visionnage en direct : combien de temps pour décider ? Pour, de toute façon, une décision qui, quelle qu’elle soit, serait tout autant polémique… Alors, on fera le procès des visionneurs ?
L’action est à ce point litigieuse que même deux arbitres internationaux ne parviennent pas à se mettre d’accord ! Interrogé par RTL, Bruno Derrien considère que le but est valable au motif que « Kurzawa ne masque pas la frappe au départ. Pour ma part, j’ai plutôt tendance à penser que l’arbitre a eu raison de ne pas siffler ». À l’inverse, Joël Quiniou, questionné par RMC, pense que « Kurzawa est trop proche du gardien et il gêne son action. Il ne peut pas intervenir complètement normalement ». Même M. Derrien, un vieux défenseur de l’arbitrage vidéo, lâche : « cette action est une preuve que la vidéo ne trancherait pas tout ».
Comme on en avait parlé pour le match à Rennes, ne masquons pas non plus les errements de notre équipe : quand on concède un corner, on peut éviter de laisser l’adversaire le plus technique seul aux 18 mètres. Plutôt que de se rallier à l’interprétation qui arrange notre camp, pour mieux faire de celle de l’arbitre une « erreur », écrivons clairement que, de notre point de vue, M. Buquet a parfaitement tenu cette finale, a pris une décision qui, en tant que supporters lillois, nous est défavorable, mais qu’elle est parfaitement légitime et compréhensible.
N’oublions pas que si l’arbitre avait estimé qu’Enyeama a été gêné, il aurait été tout autant impossible de le prouver, et il est probable que les Parisiens auraient contesté de la même manière, sans que l’on puisse leur donner complètement tort, ni complètement raison. L’essentiel, samedi soir, est bien d’avoir vu une solide et combative équipe lilloise, à des années-lumière de son niveau d’il y a quelques mois, mais sûrement pas à celui d’un adversaire aussi redoutable.
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