Posté le 12 mai 2016 - par dbclosc
On ne prête qu’aux bourges. Retour sur une évolution du foot français au profit de quelques clubs
A Drogue, Bière & Complot contre le LOSC on a souvent insisté sur une évolution caractéristique du football contemporain, à savoir la concentration des ressources entre les mains de certains gros clubs ce qui aboutit à une réduction du nombre des concurrents pouvant réellement espérer réaliser des performances et donc à créer des surprises.
L’existence d’une hiérarchie entre les clubs n’a en elle-même rien de nouveau. Chaque époque a connu ses « gros » et l’existence de certains clubs phare ayant toujours occupé une position plus ou moins dominante traduit cette constante. Comme on l’a déjà dit, un ensemble complexe de raisons font que seule une poignée de clubs dominants peuvent aujourd’hui raisonnablement espérer gagner la C1 quand la compétition était autrefois ouverte à quelques belles surprises, comme par exemple la victoire de l’Étoile Rouge de Belgrade en 1991 ou celle du Steaua Bucarest en 1986.
Au niveau des championnats nationaux, la tendance est similaire et en partie le produit de l’évolution au niveau européen. Bref, en C1 comme dans les championnats nationaux, on va de plus en plus vers un modèle de « Ligues fermées », si ce n’est officiellement au moins de fait.
D’abord, qu’est-ce qu’une Ligue fermée ? Un exemple concret se trouve dans les compétitions nord-américaines comme, en basket-ball, la NBA : il n’y a ni système de montées-descentes, ni de qualifications à ces compétitions et ce sont toujours les mêmes équipes qui participent à cette ligue, même s’il peut être décidé d’intégrer de nouvelles équipes.
En théorie, on n’est pas dans ce modèle, puisque la participation aux compétitions européennes exige de gagner sa participation grâce à ses performances en compétition nationale et que la participation à l’élite nationale se gagne également sur le terrain, en montant en première division ou en s’y maintenant. En pratique, ces compétitions ressemblent de plus en plus à des ligues fermées, au moins pour les places les plus valorisées puisque les chances des outsiders sont aujourd’hui réduites à la portion congrue.
Une incertitude très limitée pour les dominants mais forte pour les autres
Prenons l’exemple français qui s’est pourtant longtemps caractérisé par son homogénéité mais dont l’évolution va de plus en plus vers un modèle fermé en ce sens où les premiers rôles sont de plus en plus inaccessibles aux clubs qui ne font pas partie du cercle de l’élite footballistique hexagonale.
Notre étude porte sur 22 clubs français qui se caractérisent par leur stabilité au niveau du professionnalisme depuis au moins une vingtaine d’années. Le graphique suivant montre pour 2011-2016 le différentiel de classement moyen dans la hiérarchie nationale d’une année sur l’autre pour chacun de ces 22 clubs selon le classement en championnat. Plus un club a une moyenne élevée, plus ses résultats sont variables d’une année sur l’autre. Une moyenne faible est donc la marque d’une stabilité importante, mais non nécessairement de bonnes performances.
Ce graphique montre pourtant une relation très nette entre la stabilité dans la hiérarchie nationale et un haut niveau de performance. Les « gros » (en rouge sur le graphique) connaissent des variations de classement très modérées et donc pas de mauvaises surprises. Seuls Marseille et Monaco présentent une tendance inverse. Pourtant, le cas de Monaco ne contredit en aucun cas l’analyse : si Monaco connaît un différentiel moyen élevé, c’est notamment la conséquence à une progression très forte grâce aux investissements réalisés : depuis sa remontée, l’ASM termine invariablement à la 2ème ou à la 3ème place du classement, soit une très forte stabilité.
Les exemples de clubs très irréguliers sont également très intéressants pour comprendre cette évolution contemporaines. Parmi eux, Montpellier et Nice traduisent des cas de figure d’équipes aux moyens relativement limités mais qui ont été les seuls à réaliser « malgré tout » des coups d’éclats ces dernières années. En somme, s’ils connaissent de fortes variations, c’est moins parce qu’ils ont raté certaines saisons que parce qu’ils ont parfois réussi des performances exceptionnelles qui tranchent avec leur « niveau réel ». Ou plutôt avec la place qu’on veut bien leur accorder.
Or, le constat que l’on fait pour 2011-2016 contraste singulièrement avec la période passée. Observons ainsi le même graphique pour la période 1996-2001.
Ainsi, sur ce second graphique, on observe que certains clubs modestes s’intercalent parmi les plus réguliers au sein des « gros » de l’époque. Surtout, si ce sont globalement les clubs dominants qui connaissent la plus grande régularité, celle-ci est d’ampleur plus modérée : hormis Lyon, dont le classement ne varie que 1,8 places par an, les clubs les plus réguliers comme Metz, Monaco et Bastia ont un différentiel de classement d’environ 3,5 places par an en moyenne. Entre 2011 et 2016, six clubs – tous parmi les dominants – ont un différentiel de classement moyen égal ou inférieur à 3.
Les principaux clubs bénéficient donc de l’évolution d’un système qui leur autorise une forte prévisibilité de leurs performances. Inversement, les autres clubs ne gagnent pas davantage en régularité et donc en prévisibilité : les graphiques montrent ainsi que seuls 5 clubs avaient un différentiel moyen de classement d’une année sur l’autre supérieur à 6 sur la période 1996-2001 alors qu’ils sont désormais 10 depuis 2011.
En résumé, les clubs dominants ont davantage de prévisibilité et squattent de plus en plus les premiers rôles, quand leurs suivants connaissent une instabilité croissante et des chances toujours plus réduites de faire une performance remarquée.
Mais quoi d’étonnant ? N’est-ce pas ce que notre cher Fredo Thiriez appelle de ses vœux ?
« Sécuriser les investisseurs » au profit des dominants
Rappeler la politique de Thiriez est intéressant pour comprendre le lien entre la posture des élites footballistiques et l’évolution contemporaine. Il a donc été question un certain temps de réduire le nombre de relégations de L1 à L2 de 3 à 2 et, parallèlement, de réduire le nombre de montées de L2 en L1 de manière équivalente (ben oui, sinon, ça voudrait dire qu’on aurait un club de plus en L1 chaque année pour en avoir 40 dans vingt ans). Finalement, suite aux protestations, notamment des dirigeants des « petits » clubs, cette réforme a été remplacée par celle d’un barrage entre le 18ème de L1 et le 3ème de L2. Plus soft, cette seconde mouture de la réforme reste défavorable aux petits clubs, si l’on considère comme « petits » ceux qui se situent entre la 10ème et la 30ème place dans la hiérarchie nationale. Pour Frédéric Thiriez, cette réforme se serait justifiée par le fait que cela « sécuriserait les investisseurs », lesquels seraient plus enclins à investir quand les risques de relégation sont plus faibles.
L’interprétation de Fredo Thiriez reste largement sujette à discussion, de nombreux économistes du sport la contestant, considérant au contraire qu’un niveau plus élevé de risque de relégation (et donc parallèlement de chances de monter) favorise ces investissements. Ainsi, pour beaucoup d’études, un risque élevé pousserait à mettre davantage de moyens pour éviter une relégation qui a en effet plus ou moins nécessairement d’importantes répercussions économiques.
Ce qui est sûr, c’est que l’argumentation thiriezienne est bien foireuse et qu’on y sent bien une grosse pointe de mauvaise foi : on a du mal à se dire qu’il y croit le Fredo quand il affirme qu’un système à faible risque de relégation favoriserait le spectacle parce que les clubs subiraient bien moins les effets de « l’obsession de la relégation » (si, si, il l’a dit) : en gros, moins de risques de descendre, donc les joueurs se sentiraient plus libres et ce serait le show permanent. Vu qu’on pense que Thiriez est quand même un peu plus intelligent qu’un poulpe, on se dit que, par déduction, il se fout bien de nos gueules. A ce petit jeu, autant décider par avance du classement, le risque serait réduit à zéro et donc le spectacle serait entièrement gagnant : bon, maintenant tu l’admets, Fredo, que c’est du foutage de gueule ?
Les raisons qui nous poussent à voir de l’entubage
A la base de ce projet de réformes, un rapport avait été commandé à Frédéric de Saint-Sernin et à notre cher Pierre Dréossi, lesquels ont rendu pour ce faire un travail de 17 pages (l’équivalent d’un gros article de Drogue, Bière en somme) pour quatre préconisations. Bref, c’est aussi à la lecture des autres préconisations du rapport que l’on saisit mieux les intentions de leurs auteurs au-delà de celle qui porte précisément sur la question des promotions-relégations.
Passons sur la question des terrains synthétiques, l’une des préconisations consiste à fixer un salary cap pour les clubs de L2. Bonne idée ? Oui, pourquoi pas au regard du fait que des débordements ont été observés en la matière. On est en revanche un peu dubitatif sur le fait que cette suggestion ne concerne que les clubs de L2 alors même que ceux de L1 font encore pire.
Une autre proposition consiste à pondérer l’aide à la relégation (gérée par la LFP) selon l’ancienneté en L1. Les clubs qui descendent reçoivent en effet une aide destinée à compenser les difficultés économiques engendrées par la relégation. Ici, la proposition du rapport considère que les clubs en L1 depuis longtemps doivent bénéficier de davantage de financement que ceux qui, habitués de la L2, ont fait un court séjour dans l’élite.
On ne prête qu’aux gros bourges
Bref, en résumé, que des propositions à l’avantage des « gros ». La réforme des relégations avantage nécessairement les clubs de l’élite ; celle du salary cap en L2 vise à encadrer les masses salariales des clubs de cette division – soit, en gros, à les réduire – tandis que celles des clubs de L1 resteraient intactes ; celle de l’aide à la relégation consiste à avantager ceux qui sont depuis longtemps en L1, soit les gros clubs qui ont déjà plus de facilités à obtenir des financements conséquents.
Ce rapport illustre clairement la tendance actuelle de nos chères élites tant aimées. Et, clairement, tout évolue en faveur d’une dizaine de clubs de l’élites, les plus puissants d’entre eux. Le bon côté, c’est que, malgré le complot, notre bon vieux LOSC en fait partie. Le mauvais, c’est tout le reste.
Car il ne faudrait pas trop que les clubs « moyens » de L1 se réjouissent de cette tendance : elle n’est pas pensée pour eux, mais bien pour les Lyon et autres Marseille, ces clubs qui paraissent à certains tellement plus indispensables que les Angers, Caen et Nantes d’aujourd’hui.
Bref, ceci n’est peut-être qu’une (grosse) paille au regard des multiples évolutions qui ont mené au football professionnel qu’on connaît aujourd’hui. On a déjà souvent parlé de ces évolutions – en France et ailleurs – qui ont fait que l’incertitude est toujours plus limitée.
On n’est certes pas dans un régime de certitude parfaite, mais l’évolution contemporaine traduit le fait que la place est toujours plus réduite pour les bonnes surprises. Ce qu’ont fait Caen et Angers cette année, c’est à peu près tout ce que peuvent espérer les clubs ayant ce statut, là où Sedan et Lille arrivaient à jouer l’Europe au début des années 2000.
De Saint-Sernin et Dréossi consolident la 8ème place rennaise dans la hiérarchie nationale
Ironie du sort, le fameux rapport a été pondu par deux gars qui étaient Rennais jusqu’à très récemment. Or, finalement, vu le positionnement de Rennes dans la hiérarchie depuis une dizaine d’années, on aurait pu croire à une prise de position différente : clairement ancré en L1, plutôt dans la première partie de tableau, Rennes n’atteint jamais le podium. Gros parmi les petits ou petits parmi les gros ? Le positionnement des deux Rennais traduit en tout cas une stratégie fidèle à ce qu’ils ont montré sur le terrain : une stratégie molle, où il vaut mieux sécuriser le peu qu’on a plutôt que de renverser la table pour espérer mieux plus tard.
Lisons en effet les trois propositions de réforme exposés plus haut au prisme de la position rennaise. Limiter les relégations : « on sait jamais, même si on oscille plutôt entre la 8ème et la 10ème place, ça m’étonnerait pas que nos buses de joueurs puissent finir 18ème » ; un salary cap en L2 : « Mettons une limite aux clubs de L2 qu’on n’a pas : ça limite les risques qu’ils nous passent devant » ; une indemnisation plus forte pour les clubs relégués qui ont passé beaucoup d’années en L1 : « Vu que ça fait un paquet d’années qu’on stagne en milieu de tableau en L1, autant s’assurer davantage de moyens si nos buses de joueurs nous envoient en L2 ».
Pas mal. Rester dans la médiocrité au profit des dominants, mais s’assurer une place bien au chaud au milieu de tableau.
2 commentaires
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12 mai 2016
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Mich a dit:
Bonjour BDC
Pour compléter ton propos, un coup d’oeil à la répartition des droits TV.
1. En 2014-2015, 468 M€ ont été distribués aux 20 clubs de L1.
2. La part uniformément répartie entre les 20 clubs s’élève à 218 M€, soit 47% de la manne.
3. La part correspondant au classement de la saison est de 110 M€, soit 23% seulement.
4. Les 30% restants (soit le modique somme de 140 M€) est distribué sur des critères de notoriété, et de lissage des accidents de parcours en regardant les droits TV sur 5 ans. En regardant de plus près, le fameux « PLM » se voit distribuer 40% du total de ces « 30% restants » !
Ce qui aboutit à des situations comme celles-ci : l’an dernier, Monaco 3ème a touché 26,5 M€, quand Marseille 4ème a reçu un chèque de près de 43 M€.
Je partage ton analyse qui pointe du doigt la stratégie de la Ligue, mais la prépondérance du critère notoriété dans la distribution des droits TV (vitale pour l’économie de la L1, environ la moitié des ressources des clubs) impose de pointer également la responsabilité des médias ayant droits, qui ne vendent plus de la L1 comme le faisait C+ à ses débuts, mais qui font simplement la promotion de quelques clubs.
Le système tel qu’il est conçu profite clairement à 3 clubs : PSG, OM, OL, les autres « bourges » se partageant les miettes.
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12 mai 2016
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dbclosc a dit:
Bonjour Mich,
merci pour ce commentaire ! En effet, tu fais bien de le préciser et je partage cette appréciation : d’ailleurs quand je dis que le système est fait de telle manière à favoriser certains gros, il est clair que certains d’entre eux sont privilégiés parmi les privilégiés. Le critère de notoriété est en effet un critère hautement discutable qui, là encore, confirme le proverbe et le titre « on ne prête qu’aux bourges ». La répartition selon le classement me parait également sujette à discussion : là encore, elle récompense en priorité ceux qui ont déjà des moyens disproportionnés.
Bref, rien de bien réjouissant : mais bon, parait-il, il faudrait des « stars » pour la L1. Ce n’est pas ma conception …