Posté le 1 juin 2016 - par dbclosc
Aux origines du LOSC (2/4) : Le LOSC prend des couleurs
Août 1999, deuxième journée de D2, et premier match de la saison à Grimonprez-Jooris : le LOSC reçoit Nîmes. Surprise : à la place du traditionnel maillot blanc, les Lillois revêtent une tunique rouge, une habitude qui perdure à domicile jusqu’à aujourd’hui. Comment comprendre ce choix ? Pourquoi avoir joué en blanc auparavant ? Et pourquoi avoir joué en jaune à Milan ?
« Nos joueurs, qui ont du cœur, portent haut nos couleurs » ; « Ah les rouge et blanc » ; « Tu portes nos couleurs comme on porte un enfant »… À Lille comme ailleurs, les chants de supporters faisant référence aux couleurs du club ne manquent pas. Si elles font partie de l’identité du club, les couleurs rouges et blanches ne sont pourtant pas spécifiquement liées au LOSC, dans la mesure où de nombreuses équipes revêtent aussi ces mêmes couleurs. Les rouge et blanc ne renvoient alors pas spontanément aux Dogues, là où les Sang et or, les Verts, les Reds, les Rossoneri et les Blauw en zwart renvoient d’emblée à Lens, Saint-Étienne, Liverpool, Milan et au FC Bruges. Plus spécifiquement, un détail vestimentaire peut aussi contribuer à identifier une équipe, telle que Bordeaux, l’équipe au scapulaire, ou l’équipe nationale de Croatie et son maillot à damiers. Plus qu’un simple élément de tissu pour distinguer les adversaires des coéquipiers, le maillot et ses couleurs sont porteurs d’une symbolique qui dépasse le seul cadre sportif, symbolique qui se retrouve dans le langage courant : c’est ce que véhiculent inconsciemment les joueurs qui prétendent « défendre leurs couleurs », ou les supporters qui exigent de leurs joueurs qu’ils « mouillent le maillot ». Les tenues sont donc souvent chargées d’histoire, illustrent la culture d’un club et d’une ville, et cristallisent des passions plus ou moins rationnelles. Cette dimension historique et identitaire est toutefois concurrencée depuis une quinzaine d’années par des logiques marchandes auxquelles le LOSC, bien entendu, n’échappe pas (et en est même plutôt à l’avant-garde) mais, dans le cas des Dogues, cette double logique identitaire et marketing n’entre pas en confrontation dans la mesure où la seconde parvient encore à s’ancrer dans le moule de la première.
Un maillot couleurs locales
Comme on l’a vu dans le premier volet de notre dossier, le LOSC est né de la fusion de l’Olympique lillois et du Sporting Club Fives ; il est dès lors assez logique qu’il en ait repris les couleurs, à savoir : le rouge et le blanc de l’OL, et le bleu du SCF. Mais d’où viennent ces couleurs, et que signifient-elles ? Il faut toujours être prudent quant à l’origine des couleurs d’une ville, qui se perdent souvent dans des légendes ou des récits à peine vraisemblables, et dont on ne trouve que rarement des traces matérielles. Mais c’est ce qui contribue précisément à leur donner un sentiment d’éternité et d’intemporalité. Faisons donc un peu d’héraldique (« Salonique », répondent les fans de foot. Non, l’héraldique, c’est la science des blasons). Si l’OL a joué en rouge et blanc, c’est parce que ces couleurs sont celles de la ville de Lille, bien sûr. Les spécialistes parlent davantage « de gueules » pour le rouge et « d’argent » pour le blanc. Ces couleurs sont enregistrées pour la première fois par un acte de 1698. Précédemment, vers 1199 apparaît sur le sceau d’une charte de Lille un emblème commun à l’époque, une fleur de lys à 5 feuilles ou pétales : la ressemblance avec l’emblème de la Ville de Florence en Italie, le Lys rouge, est assez forte. Les interprétations sont à prendre avec précaution, mais le rouge rappellerait Mars, la symbolique de l’amour et le désir de servir la patrie ; le blanc serait lié à la Lune et symboliserait la sagesse et la richesse. L’architecte Etienne Poncelet souligne que lorsque Lille a été reprise par Louis XIV aux Espagnols, un style « franco-lillois » s’est créé dans ce qui correspond aujourd’hui aux alentours de la Grand-place, avec des constructions faites de « tapisseries de briques et [de] cadres de pierre blanche revêtus d’une teinte rouge et blanche1 ». Ensuite, un plan-relief de Lille réalisé en 1743 présente une ville « alignant ses rangs de façades colorées de rouge et de blanc ».
Les couleurs du Sporting Club Fivois reprennent quant à elles les couleurs de Fives « d’azur semé de fleurs de lis d’or, et un buste de saint Nicaise au naturel, mitré d’argent, brochant sur le tout ». Dans la symbolique des couleurs, l’azur représente le ciel, et renvoie à la justice et à la loyauté. Comme on enquête sérieusement, on a appelé la mairie de Fives, et la personne chargée du patrimoine nous a gentiment indiqué que Fives était aussi associée au bleu en raison de la présence de la faïencerie Gustave De Bruyn (aucun lien) qui, située rue Malakoff puis rue Sainte Aldegonde, faisait des poteries de couleur « bleu de Fives », reprenant les couleurs originelles des armes de Fives (ci-contre). Concernant plus spécifiquement le SCF, il semble que la couleur bleue ait aussi bien arrangé son principal soutien financier, la Société Anonyme des automobiles Peugeot. Dans les années 1930, les joueurs du SC Fives sont d’ailleurs surnommés les Diables bleus.
C’est pourquoi le premier maillot du LOSC à domicile, au début de la saison 1944-1945, est bleu à parements rouges ou, blanc avec un scapulaire rouge et bleu. Très vite, les maillots sont à dominante blanche avec un scapulaire rouge : sont ainsi reprises les couleurs de l’OL, et le scapulaire du SCF. Et le bleu alors ? On le retrouve sur les shorts et les chaussettes. Ci-dessous en 1947:
Ce modèle reste sensiblement le même durant les décennies qui suivent, jusqu’à l’abandon du statut professionnel en 1969. À partir de cette année, le scapulaire disparaît (seul un col de couleur rouge, parfois élargi est apparent), et on voit apparaître un short oscillant entre le bleu foncé et le noir, particulièrement en vogue durant la décennie 1980. Cette dernière couleur ne renvoie à rien de spécifique dans l’histoire du LOSC, et ne répond probablement qu’à un souci esthétique, autorisé pour les shorts bien que les arbitres soient vêtus de cette couleur. Au début des années 1990, le LOSC joue entièrement en blanc, avant que le short et les chaussettes noirs ne réapparaissent en 1996. Jusque là, durant cette époque, le maillot extérieur du LOSC, comme celui de la grande majorité des équipes, est le même, mais à dominante rouge, c’est-à-dire que l’on se contente d’inverser les couleurs : le LOSC joue donc en rouge à l’extérieur (parfois en bleu, notamment pour des matches de coupe, en reprenant donc les couleurs historiques de Fives). Une petite fantaisie fin 1996 : le LOSC se rend à Nancy puis à Paris en vert.
Depuis 1999 : un peu de tenue dans le marketing
Depuis 1999 et l’arrivée de l’équipementier Nike, on en parlait dans l’intro, le LOSC a inversé la couleur principale de ses maillots. Ce changement opéré par Nike peut difficilement être vu comme autre chose qu’un coup marketing, une volonté de marquer visuellement son investissement, même si, dans les couleurs de la ville de Lille, rien ne dit finalement que le blanc ne doive dominer le rouge. Le LOSC évolue désormais avec un maillot rouge à domicile, short et bas noirs, tandis que le bleu est privilégié à l’extérieur, même si on retrouve encore du blanc. Autrement dit, la perte totale des repères fivois à domicile est compensée par un bleu davantage présent à l’extérieur. Le modèle maillot domicile/maillot extérieur inversé se retrouve donc de moins en moins, mais le marketing lié au maillot ne reste toutefois pas sans lien avec l’histoire du LOSC2, qui a toujours affiché 3 couleurs ; l’innovation réside dans l’importance qu’on donne aux unes et aux autres. C’est pourquoi le changement est passé quasiment inaperçu.
En revanche, la saison 2002/2003 voit apparaître un maillot gris qui, pour le coup, n’a absolument rien à voir avec les couleurs traditionnelles du LOSC ni avec une quelconque référence régionale, à moins que la cellule marketing du LOSC n’ait voulu faire un clin d’oeil au ciel du Nord, ce qui semble assez peu probable. Le maillot bleu apparaît de moins en moins à partir de 2003, et revient le maillot blanc. En 2003-2004, un short et des chaussettes franchement bleus sont réhabilités ; ceux des années ultérieures sont plus foncés.
Enfin, le LOSC n’a pas échappé à l’introduction d’un troisième maillot, maillot « third » (mais qui est plutôt un quatrième maillot, après les rouge, blanc et bleu). Si certains clubs ont rivalisé dans l’horreur en allant voir ce que le fluo et les bandes affreuses donnaient (Lyon, Marseille, Bordeaux…), le LOSC est encore allé puiser dans son patrimoine local. Utilisé généralement pour les coupes d’Europe (notamment à Milan) mais aussi pour certains matches de championnat, la maillot « Third » s’inspire du blason des Flandres, aux couleurs jaune et noir (la première image d’un lion de Flandre, datant du XIIIe siècle, montre un lion noir – « de sable » – sur un champ jaune – « d’or »). Le jaune a été principalement utilisé pour la Ligue des Champions 2006-2007, et le noir, pour les Ligues Europa et le championnat 2009-2010 et 2010-2011. Lille revendique ainsi un ancrage régional plus large et réactive son appellation de « capitale des Flandres3 », ce qui peut se justifier. À l’inverse, quand Marseille joue à Dortmund en orange, quand Lyon reçoit Barcelone en jaune fluo, ou que Bordeaux reçoit le Bayern en rouge, ces clubs se détachent de leur histoire et de leur identité, au moment précis où ils ont l’occasion d’être vus sur la scène européenne.
En 2012-2013, pour marquer l’entrée dans le Grand Stade et pour signifier le lien entre « passé » et « futur », le club a opté pour un maillot rouge avec un scapulaire plein bleu, mettant en valeur, sur la vareuse même, la paternité fivoise ; le maillot extérieur, quant à lui, ressemblait fort au maillot de 1947 dont on a mis la photo au-dessus.
Tradition vs marketing ?
Ne soyons pas naïfs : si nous soulignons que le maillot des Flandres s’inscrit dans le patrimoine local, c’est avant tout la volonté de multiplier les produits dérivés qui est ensuite justifiée par l’ancrage local, le marketing trouvant souvent des justifications morales ou identitaires a posteriori pour masquer ses objectifs de profit. Cette accélération de la gamme de maillots proposée n’est pas sans lien avec le changement de statut du LOSC au tournant des années 2000 : avec des dirigeants davantage rompus au commerce, et dans un contexte économique dans lequel les clubs de foot sont devenus des entreprises « comme les autres », et où les produits dérivés ont une part prépondérante, le LOSC devient aussi une marque qu’il convient de décliner sous diverses formes. S’il demeure évidemment des enjeux sportifs, l’économie est aussi prépondérante ; la difficulté consiste alors à ne pas sacrifier les repères traditionnels d’un club sur l’autel de stratégies commerciales. Mais l’inscription dans le patrimoine local n’est pas toujours une réussite : l’exemple récent de Bordeaux l’illustre bien. Ainsi, les innovations relatives aux tenues sont parfois attendues avec un mélange d’impatience et d’appréhension, tant elles apportent parfois leur lot de mauvaises surprises qui, en s’attaquant aux maillots, s’attaquent aux repères du public et à ce à quoi il est attaché. Ainsi, la définition de la couleur des maillots tend de plus en plus à une marketisation au sujet de laquelle nous reviendrons plus spécifiquement dans le quatrième volet de notre dossier, même si cette logique commerciale liée à la tenue, dans le cas du LOSC, fait assez bon ménage avec une tradition historique liée à la fois à la ville et à la région, mais aussi aux deux clubs dont est issu le LOSC. Depuis quelques années, si le maillot bleu a disparu (hormis chez les gardiens), les couleurs traditionnelles de l’OL et du SCF restent à l’honneur.
Si, finalement, de nombreux supporters ignorent les origines précises des couleurs de leur maillot, de leurs significations, il n’est pas nécessaire de se plonger dans les livres d’histoires pour y adhérer à partir du moment où elles font sens au moment présent. Du féru d’histoire au « fan » des dribbles inutiles, un continuum de prototypes de supporters se dessinent, et ce qui les rassemble et bel un bien, quoi qu’il en soit, un rapport passionnel au maillot, à ses couleurs, et à ce que chacun y projette, qui confère souvent au sacré (il faut respecter le maillot, avoir l’amour du maillot, faire honneur à nos couleurs), d’où le rejet de ceux qui ne font preuve d’ « aucun honneur, aucune fierté », et l’adhésion entière à ceux qui célèbrent les réussites en embrassant leur maillot.
FC Notes :
1 Étienne Poncelet, « La couleur à Lille au xviie siècle, de Philippe IV à Louis XIV », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [En ligne], | 2002, mis en ligne le 15 juin 2007. URL : http://crcv.revues.org/64 ; DOI : 10.4000/crcv.64
2 Contrairement à ce dans quoi se sont engagés des clubs comme Barcelone, qui a évolué à l’extérieur à partir des années 2000 dans des couleurs sans rapport avec l’histoire du club, sans cohésion particulière entre elles (blanc, doré, bleu marine, gris, jaune fluo, vert, noir, orange…), et sans rapport avec l’identité du club, sauf quand ont été reprises les couleurs du drapeau catalan, avec une forte dimension revendicative.
3 Il s’agit de la Flandre wallonne (ou gallicane, ou romane), et non d’une étendue géographique qui inclurait une partie de la Belgique et des Pays-Bas (ça, c’est le comté de Flandres). Les Flandres françaises sont composées au Nord de la Flandre maritime (dont la capitale est Cassel) et donc au sud de la Flandre wallonne.
Volet 1 du dossier : http://droguebierecomplotlosc.unblog.fr/2016/05/31/aux-origines-du-losc-14-comment-le-losc-sest-fait-un-nom/
Volet 3 : http://droguebierecomplotlosc.unblog.fr/2016/06/02/aux-origines-du-losc-34-le-logo-motive/
Volet 4 : http://droguebierecomplotlosc.unblog.fr/2016/06/04/aux-origines-du-losc-44-lactualisation-de-lheritage/
5 commentaires
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23 novembre 2023
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dewez a dit:
Bonjour ,
Le passage du rouge au blanc dans les années 2000 est expliqué pour des raisons marketing nous dites vous….et la volonté de Nike de passer à une autre couleur plus « voyante ».
Je ne suis pas convaincu par cette explication , j’en doute même , car à cette époque l’équipementier était ….
Kipsta (soit Décathlon)…
Est ce donc Kipsta qui a demandé le basculement au rouge ???
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10 juillet 2019
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christ carglass a dit:
excellent articles que j’ai apprécié, comme la plupart des articles…
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27 février 2018
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Zeberdee a dit:
Avant toute chose , blog très très intéressant même si je ne suis pas pour le LOSC (que je respecte quand même) .
« A noter qu’au mitan des années 70, le LOSC a souvent joué tout en rouge (à l’image des Reds de Liverpool) même à domicile, j’ai l’impression. »
Pour répondre a ceci , j’ai l’explication ayant amassé une multitude de vieux documents sur mon club .
Dans les années 70 Si le LOSC en blanc recevait par exemple L’OM , Lyon ou Angers (autres « Blanc ») C’est l’équipe a domicile qui mettait son maillot Exterieur. Voila (Ils n’étaient pas très logique dans les 70′s heureusement ce n’est plus le cas) .
Bonne continuation pour votre superbe blog , Et bon courage et bonne chance au LOSC .
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1 mars 2018
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dbclosc a dit:
Merci !
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3 juin 2016
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Xylophène a dit:
A noter qu’au mitan des années 70, le LOSC a souvent joué tout en rouge (à l’image des Reds de Liverpool) même à domicile, j’ai l’impression. Il y a pas mal de photos d’équipe période Ignacio Prieto, Chrsitian Coste and co où ça pose en rouge même à domicile.
Le maillot rouge n’est donc pas forcément une nouveauté, j’ai l’impression (je dis ça, parce que je n’étais pas né dans les années 70).
Sinon, c’est vrai que j’avais noté ce détail lorsque j’avais vu le blason du SC Fivois mais, à la base, le short et les chaussettes du LOSC devaient être bleu roy, à l’image du club fivois. Pourquoi est-on passé au bleu marine ? Mystère et boule de gomme, même si je trouve l’ensemble assez seyant, ça donne un côté british (dans le genre Tottenham ou équipe nationale d’Angleterre) bienvenu pour la ville la plus british de l’Hexagone, finalement (d’un point de vue architectural, climatique ou gastronomique).
D’ailleurs, George Berry, premier entraîneur du LOSC, était londonien. Etait-il supporter des Spurs ? Ce serait une piste à creuser pour expliquer ce changement vers le bleu marine, après tout.