Posté le 3 juin 2016 - par dbclosc
Ton choix pour l’Algérie était difficile, Yassine, mais c’est le bon
Les débats autour de la non-sélection de Karim Benzema à l’Euro nous paraissent un peu moisis sur les bords : d’un côté, on a plutôt tendance à prendre comme crédible la thèse selon laquelle le racisme latent en France ait joué à un moment donné dans le processus aboutissant à la non-sélection de Benzema ; de l’autre, on se dit que quand Benzema joue la victime, il se sert du racisme pour détourner l’attention sur le fait que, quand-même, le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas été très réglo.
Bref, tout ça pour dire que le débat sur le racisme nous paraît avoir toute sa place et qu’il ne doit ni être occulté au principe que DD sélectionne beaucoup de blacks, ni être instrumentalisé au profit de quelques individualités qui veulent faire parler d’elles en jouant à leur profit le rôle de défenseur des opprimés.
Le cas du choix de Yassine Benzia pour la sélection algérienne nous semble bien illustrer ce qu’est être français d’origine maghrébine aujourd’hui, c’est-à-dire dans un équilibre presque introuvable : alors qu’on leur impose de « choisir » leur sélection, leurs choix sont presque systématiquement interprétés comme de l’opportunisme ou comme la preuve de leur infidélité à la nation qu’ils n’ont pas choisie.
Ah, Yassine, mon cher Yassine. Tu as choisi la sélection algérienne et tu as bien fait. Remarque, tu aurais choisi la France, j’aurais dit aussi que c’était un bon choix. Franchement, dans les deux cas c’est sincère.
Mais bon, il faut bien le dire, ça ne plaît pas à tout le monde. Tu es donc français d’origine algérienne comme on dit. Pas facile comme situation. Ben oui, beaucoup ne te reconnaissent pas dans ton propre pays et tu n’es pas non plus considéré comme étant de là d’où viennent (une partie de ?) tes ancêtres.
Et t’as dû en lire des conneries sur ton choix de sélection. De toute façon, c’était mort d’emblée. Alors, il n’y avait pas de raison de te stresser pour ton choix : le résultat aurait été le même, la France ou l’Algérie, t’allais te faire trasher. Et ça a pas loupé.
« choisir avec le cœur »
Au départ, quand un gars qui a l’air tout gentil te dit qu’il faut que tu fasses « le choix du cœur », ça a l’air de bien commencer. Mais en fait, ce mec est un fumier. Ben, oui. T’as rien vu venir, mais te demander de « choisir » avec ton cœur, c’est que forcément y a plein de gens après qui vont se dire que ton cœur il est du côté de la sélection que t’as choisie. T’as compris où il est le coup foireux ? Comme t’as choisi l’Algérie, maintenant y a un paquet de ****** (1) qui en ont déduit que ton cœur n’était pas en France.
Il n’a pas d’chapeau rond, vive Yassine Benziagne ! Il n’a pas de chapeau rond, vive Yassine Benzion !
Et flûte ! Sans doute que toi t’aurais bien voulu qu’on comprenne que ton cœur n’est pas forcément d’un seul pays. Mais, non. Ce choix de sélection – imposé réglementairement – pour beaucoup ça veut dire que tu as choisi où était ton cœur. Moi j’aime ma mère mais, heureusement, aucun règlement ne m’impose que cet amour soit exclusif de tout autre.
« il a cherché son intérêt »
Et puis, une fois que t’as fait ton choix, t’inquiète, comme prévu, des grognons sont venus dire tout le mépris qu’ils avaient pour ton choix. Et oui, tu as « choisi ton intérêt ». Et ça, ce discours, on le trouve dans des commentaires sur des sites aussi bien français qu’algériens. Bref, des deux côtés de la Méditerranée, tu trouves des gens qui viennent te dire que tu es un « opportuniste » qui « choisit son intérêt ».
Ce à quoi j’ai envie de leur répondre : « ben, en fait, en quel honneur Yassine devrait choisir TON intérêt ? » Parce que, franchement, à moins que ceux qui viennent te faire ce genre de critique font leurs choix dans ton intérêt, Yassine, je ne vois pas pourquoi ils attendraient la réciproque de ta part.
Parce que franchement, j’aimerais bien voir leurs tronches à ceux qui disent ça si on leur répondait la même chose. « Ah, mais, Jean-Claude, quoi ? Tu veux devenir commerçant ? Mais là tu cherches ton intérêt ! P***** de petit égoïste ! » « Quoi ? Tu vas en boîte ce samedi pour t’amuser ? Et les autres, Jean-Pierre, tu y penses ? Non, comme un samedi sur deux, tu choisis encore ton intérêt ! »
Soit dit en passant, ça n’est pas que je défende que l’on « cherche son intérêt » envers et contre tout et je pense qu’effectivement ça serait pas mal que les gens « cherchent moins leur intérêt ». Mais ce qui est agaçant, c’est que, précisément, on est dans une société consumériste qui professe qu’il faut absolument chercher son propre plaisir, immédiat de préférence, mais où ceux qui défendent ça vont ensuite venir te critiquer.
En fait, en filigrane, le discours c’est : « Benzia en a rien à foutre de l’Algérie, il ne fait ce choix que parce qu’il espère pouvoir jouer une Coupe du Monde. » Et en fait, quand on réfléchit bien – ah ben, ouais, quand-même, faut réfléchir un peu – et bien, ceux qui font cette hypothèse n’en savent strictement rien : sans doute es-tu, Yassine, sincèrement attaché à la France comme à l’Algérie. Et donc, il y a peut-être un côté un peu moisi à suggérer – affirmer ? – le contraire sans savoir.
« Pas de reconnaissance pour la France »
Et bien sûr, les critiques te reprochent aujourd’hui ton ingratitude pour la France. Je ne sais pas si tu as conscience du nombre de personnes qui rappellent que tu as été éduqué et formé « avec l’argent de la France » et qui voient une insulte à ton pays que tu n’en portes pas les couleurs en équipe nationale … correction : que tu ne choisisses le maillot de l’équipe de France, indépendamment de tes chances d’y parvenir.
Parce que tu vois, Yassine, moi je pensais que ce qui faisais ta valeur citoyenne, c’est ce que tu fais au quotidien pour contribuer au(x) collectif(s) (local ? national ? supranational ?) auxquels tu es intégré de fait. Apparemment, non. Ce qui ferait que tu es reconnaissant, c’est que tu choisisses l’équipe de France de Football !
Note aussi au passage que nombre de ceux qui hurlent à l’ingratitude par rapport à ton choix ne se sont pas émus que la France bénéficie de talents originaires de pays étrangers. Et oui, parce que l’ « ingratitude à l’égard de ceux qui [t’]ont nourri », elle dérange souvent moins les gens quand c’est à leur profit.
Et merde, quoi ! Ce choix, il n’appartient qu’à toi, Yassine !
Moi, dans ces trois types de critiques, j’y vois transparaître une conception un gros tantinet nauséabonde naviguant sur des restes de débats mal digérés sur l’identité nationale.
Toi, Français qui a une partie de tes racines en Algérie, sache-le, une grande partie de nos chers compatriotes exigent de toi que tu aies une attitude encore plus exemplaire qu’eux-mêmes, souvent des gens « bien de chez nous ». Oui, ton choix de l’Algérie est sans doute « celui du cœur ». Mais pourquoi cela signifierait-il que tu renies la France ? Oui, la recherche de ton intérêt a contribué à ton choix, car il est effectivement probable que tu aies plus de chances de jouer la Coupe du Monde avec l’Algérie qu’avec la France. Mais n’est-ce pas normal que ce critère ait un poids si tu es attaché aux deux pays ? Et puis cette connerie de « reconnaissance » … qui sont ces gens qui mesurent la « reconnaissance » au footballomètre ?
Les générations d’ « enfant d’émigrés algériens » se succèdent, faisant d’eux des générations toujours plus éloignées culturellement de celles de leurs ancêtres, mais leur statut n’évolue pourtant que lentement. Dans la préface du livre « La double absence » d’Abdelmalek Sayad, Pierre Bourdieu en parlait ainsi : « Ni citoyen, ni étranger, ni vraiment du côté du Même, ni totalement du côté de l’Autre, il se situe en ce lieu « bâtard » dont parle aussi Platon, la frontière de l’être et du non-être social. Déplacé, au sens d’incongru et d’importun, il suscite l’embarras ».
On croit que les binationaux ont un choix que n’ont pas ceux qui n’ont qu’une nationalité. Non, ils subissent une injonction. Franchement, toi qui n’a qu’une seule nationalité, est-ce que ça te casse vraiment le cul que de ne pas pouvoir faire un autre choix que ta nationalité actuelle ?
Mais, dans le fond, Yassine, je crois que personne n’est dupe : tu es vraisemblablement plus français qu’algérien. Mais ça ne signifie pas que tu n’es pas assez d’Algérie pour être digne d’en porter le maillot.
(1) Mets ici le mot qui te semblera le plus adéquat reflétant le respect que l’on doit à tout contradicteur, aussi stupides soient leurs propos.
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