Posté le 27 septembre 2016 - par dbclosc
L’affaire Camataru (1987) : de la propagande de Ceausescu ? Vraiment ?
Une fois n’est pas costume, aujourd’hui nous ne te parlons pas du LOSC, mais de l’ « affaire Camataru ». En 1987, Rodion Camataru remporte le soulier d’Or notamment grâce à 20 buts en 6 matches (non, non, il n’y a aucune faute de frappe). En Europe de l’Ouest, on soupçonne alors un arrangement géré tout en haut de l’Etat dirigé par Nicolae Ceausescu. Notre analyse te montre que si tout n’a pas été net net, il n’y a vraisemblablement aucune propagande à voir derrière.
En 1987, le Roumain Rodion Camataru, joueur du Dinamo Bucarest, remporte le soulier d’or européen avec 44 buts inscrits sur la saison 1986/1987, soit 5 de plus que l’Autrichien Anton Polster. Si ce titre fait polémique, c’est que, en Europe de l’Ouest, on soupçonne un trucage de Roumanie visant à servir la propagande communiste par un nouvel « exploit ». En d’autres termes, derrière la performance de Camataru se cacherait l’ombre du dirigeant Ceausescu.
Mais pourquoi donc de tels soupçons me demandes-tu à l’instant ? C’est vrai, quoi, pourquoi un Roumain ne pourrait-il pas claquer 44 buts dans le championnat roumain sans qu’on le soupçonne de triche ? Après tout, l’explication ne résiderait-elle pas dans la faiblesse relative des défenses roumaines ?
Tu vas le voir, t’es en partie dans le vrai, mais il est également exact qu’il y a une petite escroquerie dans la perf de Camataru. Il faut dire qu’il n’a pas seulement marqué 44 buts : il en a marqué 20 lors des 6 dernières journées de championnat !
Contextualisation : la situation dans le championnat roumain à 6 journées de la fin
En 1986/1987, il n’y a que deux sérieux prétendants au titre en Roumanie. Le Steaua (« l’Etoile ») et le Dinamo, tous deux de Bucarest. Après 28 journées, de lutte pour le titre, il n’y en a quasiment plus. Le Steaua compte en effet 10 points d’avance sur son rival. Certes mathématiquement, le titre est encore envisageable, mais il faut bien dire qu’il est très peu probable que le Steaua ne parvienne pas à acquérir les 3 points en 6 matches suffisants au titre après avoir écrasé le championnat, remportant 22 matches et faisant 6 nuls sans perdre une seule rencontre jusque-là. Bref, le titre est déjà acquis pour le Steaua.
Bref, pour les joueurs du Dinamo, la seule ambition réside dans les titres d’honneur. A commencer par le titre de meilleur buteur pour l’avant-centre local Rodion Camataru. Celui-ci est premier avec 24 unités devant Piturca, le buteur du Steaua. Les interviews de l’époque le montrent, avant le titre de meilleur buteur européen, c’est la concurrence locale qui fait des performances de buteurs de Camataru un enjeu important. Dans ces circonstances, c’est toute l’équipe du Dinamo qui se met au service de Camataru.
Deuxième élément de contexte : le championnat roumain est assez offensif et le Rapid n’a pas attendu la fin de championnat pour marquer beaucoup de buts. Même largué pour le titre, le Dinamo a déjà marqué 63 buts en 28 rencontres, soit 2,25 par match.
Un Dinamo hyper-offensif au service presque unique d’un avant-centre
Une troisième remarque s’impose pour bien comprendre l’ « exploit » de Camataru : au cours des 6 dernières journées, si le Dinamo marque beaucoup et même davantage, ce qui distingue son parcours de fin de championnat, c’est surtout une défense à la ramasse. Alors que le Dinamo encaisse moins d’un but par match sur les 28 premières journées (ils en ont alors encaissé 26), ils s’en prennent 20 sur les 6 derniers matches (3,33 en moyenne). L’attaque fait mieux (21 buts inscrits, soit 3,5/match), mais la plus-value est très nettement moins importante que la moins-value défensive. Et les résultats se dégradent : 1 victoire, 2 nuls et 3 défaites, sans que cela ne puisse s’expliquer par le niveau des équipes d’en face.
Ce qui est flagrant, c’est que le Dinamo a alors sacrifié ses résultats au profit de l’avant-centre Camataru. Le Dinamo se lance dans un jeu hyper-offensif, quitte à encaisser beaucoup de buts, avec pour finalité de faire scorer Camataru. Rappelons deux totaux déjà évoqués : le Dinamo met 21 buts en 6 rencontres, dont 20 par le seul Camataru ! C’est ça qui permet de dire que le Dinamo n’a pas seulement joué hyper-offensif : il a joué hyper-offensif, d’accord, mais au profit exclusif de la performance de Camataru !
Une escroquerie d’accord, mais de la propagande coco, non
Si Camataru réussit à marquer autant, ça n’est certainement pas parce qu’il avait le niveau pour le faire dans des circonstances « normales ». Donc, en ce sens, il y a bien une escroquerie, puisque si les joueurs du Dinamo ont mis en place cette stratégie, c’est parce qu’ils n’avaient rien à perdre à la mettre en place et tout à gagner : un titre de meilleur buteur du championnat roumain, voire un soulier d’Or !
Or, le principal concurrent de Camataru, Polster, ne pouvait pas se payer ce luxe, son club luttant pour le titre jusqu’à la dernière journée (pour finalement le perdre au goal-average, c’est con, hein ?) Dans des contextes similaires, Camataru n’aurait sans doute eu aucune chance.
Comprends-moi bien, cher(e) ami(e), je ne suis pas en train de contester que Rodion Camataru était, au moins à l’échelle du championnat roumain, un excellent buteur. Force est simplement de constater que là où Polster a dû faire avec un contexte où ses coéquipiers ne pouvaient pas servir Polster avec davantage d’attention que d’habitude, Camataru a bénéficié pendant six matches d’un système de jeu entièrement dévoué à sa réussite.
Mais si un club s’est dévoué à la réussite de Camataru, ça n’est pas un pays entier qui a été dans la même optique, voire un État, comme ont pu le laisser entendre (voire plus) les commentateurs occidentaux de l’époque. Les résultats des adversaires du Dinamo à l’époque montrent très clairement qu’ils n’ont pas « levé le pied » pour laisser Camataru marquer. Simplement, quand la deuxième équipe roumaine joue tout pour l’attaque, forcément, elle marque beaucoup.
Alors, malhonnête Camataru ?
Après, s’il ne faut sans doute pas voir de propagande d’Etat dans cette affaire, ça n’empêche pas qu’on voit dans cette situation une pratique qui n’est pas des plus éthiquement irréprochable. Certes, c’est sans « tricher » au sens étroit du terme, mais c’est tirer profit d’un contexte qui autorise à mettre en place une stratégie auxquels les concurrents n’ont pas accès. Et on ne peut pas dire qu’il l’admette réellement.
Anton Polster a en effet de très bonnes raisons de se juger spolié d’un soulier d’or bien mérité. En conditions « normales », il était largement en avance. Puis, dans les circonstances particulières de la fin de saison roumaine, il se fait bouffer 14 buts en 6 matches malgré ses 6 buts supplémentaires.
Pour l’anecdote, en 1989, c’est un autre Roumain du Dinamo, Dorin Mateut, qui remporte le trophée, avec 43 buts. Dans ce cas, s’il y a quelque chose à redire, ça n’est pas dans une stratégie particulière des joueurs du Dinamo, mais dans la facilité générale qu’il y a à marquer dans ce championnat, ce qui crée un autre déséquilibre avec les concurrents. Fait peut-être mondialement inédit, le Dinamo termine en effet le championnat avec 30 victoires, 2 nuls et 2 défaites sans gagner le titre, le Steaua finissant avec 31 victoires et 3 nuls. Et encore, pour insister sur l’écrasante supériorité des deux clubs de la capitale roumaine sur leurs concurrents, soulignons que les performances de ces deux équipes auraient encore sans doute été plus impressionnantes si elles n’avaient pas toutes deux lâché le point du match nul lors d’une dernière journée sans enjeu puisque le titre était acquis au Steaua.
Détaillons encore. Après 33 journées, et en retirant les matches entre le Steaua et le Dinamo, les victoires de ces deux équipes sont presque systématiques : 30 victoires, 1 nul, 0 défaite pour le Steaua et 30 victoires, 0 nul et 1 défaite pour le Dinamo. Même le Victoria, 3ème du championnat ne fait pas illusion, perdant ses 4 matches contre le duo, marquant quand-même 5 buts, mais en encaissant 14.
Voilà. Alors, certes, le régime de Ceausescu n’a pas été toujours net-net et quand on lit les propos enchanteurs de Camataru sur celui-ci, on a quand-même un peu tendance à croire que ça n’est pas sans lien avec une petite crainte en cas de critique trop appuyée à l’endroit du régime. Par contre, la polémique voyant une propagande d’Etat du régime roumain relève du fantasme occidental comme d’autres ont fleuri à son propos. On se souvient bien sûr du faux charnier de Timisoara (1) mais il y a eu bien d’autres histoires. La plus croustillante ? Certainement la rumeur selon laquelle Ceausescu aurait souffert d’une leucémie et qu’il faisait alors enlever des camarades afin de récupérer leur sang à son profit. Un habile mélange entre Staline et Dracula en somme.
Ne prends pas froid.
Bisous.
(1) A l’époque, les télés occidentales montrent les images hallucinantes d’un charnier de 5000 individus à Timisoara. On se rendra compte rapidement que ce charnier n’a jamais existé et que les images sont le fruit d’un habile montage réalisé à partir de 4 ou 5 cadavres, d’ailleurs de personnes même pas tuées par le régime roumain.
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