Posté le 17 octobre 2016 - par dbclosc
Hélas, Aulas nous lasse. Pourquoi Jean-Miche fait (injustement) du LOSC le responsable de la fragilité de l’indice UEFA français
En 2012, et comme à son habitude, Jean-Michel Aulas analysait les performances lilloises en coupe d’Europe avec beaucoup de nuances et de contextualisation, ce qui lui permettait de dresser un « constat » un poil sévère à l’encontre de notre club de cœur : « La perte de l’indice est due exclusivement à la Ligue Europa et pas à la Ligue des Champions. (…) Ces cinq dernières années, Lyon a emmagasiné 40-45 % des points de cet indice. La Ligue Europa nous a trahis. Ne pas la jouer, comme Lille l’a fait l’année dernière, c’est monstrueux ! »
Bon, tu l’as compris, Jean-Miche fait de notre équipe chérie la responsable du très discutable déclin français au niveau européen. On va te montrer que cette responsabilité est loin d’être attestée pour ensuite t’expliquer les causes de cette prise de position de Jean-Miche ainsi que les causes de l’évolution de la stratégie de nos Dogues en matière de compétition européenne. En gros, derrière le ton de l’évidence, Jean-Miche masque qu’il nous demande de défendre ses propres intérêts.
La « responsabilité » lilloise dans la fragilisation de l’indice UEFA de la France
Premier constat : Jean-Miche pointe du doigt le LOSC comme le responsable (comme le suggère l’utilisation de l’adjectif « monstrueux » précédé du présentatif « c’est ») du « déclin » français à l’indice UEFA ciblant son « échec » lors de l’Europa League 2010/2011. Lille n’aurait « pas joué », référence faite à la stratégie qu’avait adopté Rudi Garcia en 16ème de finale de la compétition en alignant une équipe-bis.
Or, le parcours lillois cette saison-là n’est pas aussi « monstrueux » que Jean-Miche veut bien le dire. Lille passe d’abord le tour préliminaire, passe son tour de poules et, certes, échoue en 16ème contre le PSV. Certes, Garcia a mis son équipe-bis pour ces matches, mais il faut également souligner que cette équipe-bis était suffisamment solide pour qu’on n’assimile pas cette stratégie à un sabordage pur et simple : au match aller, l’équipe alignée est la suivante : Landreau – Debuchy, Chedjou, Rozenhal, Emerson – Vandam, Dumont, Gueye – Frau, De Melo, Obraniak. Tu avoueras qu’en termes d’équipes en bois on a trouvé pire.
On peut bien sûr discuter de la stratégie de Garcia, mais il n’a finalement rien fait d’autre que de privilégier le championnat et la coupe (ce qu’il a bien fait puisque le LOSC remporte ces compétitions) plutôt que tenter de « faire un coup » en coupe d’Europe, « coup » dont les chances de réussites sont très aléatoires (1). En 2011, le bilan de Garcia parle en tout cas pour lui. Personne ne sait ce qui se serait passé s’il avait décidé de jouer l’Europe à fond, mais l’honnêteté intellectuelle impose de rappeler que cette stratégie a abouti à la conquête de deux titres.
Constat n°2 : Jean-Miche juge donc le comportement des Lillois « monstrueux » quant à l’indice UEFA français. Or, il étaye finalement une thèse sur le LOSC à travers un seul et unique exemple, la double confrontation avec le PSV en 2011. Or, à l’époque où il tient ces propos, le LOSC a toujours tiré vers le haut l’indice français.
Lecture : en 2001/2002, la performance du LOSC génère 0,804 point de plus à l’indice UEFA français que la moyenne des autres clubs français engagés. Le fait que ce solde soit positif de 2001/2002 à 2011/2012 montre que le LOSC tire alors l’indice français sur cette période tandis que le fait qu’il soit négatif depuis 2012/2013 montre que le LOSC le tire alors vers le bas depuis cette date.
On le voit sur ce graphique, si les résultats du LOSC tirent l’indice UEFA français vers le bas à partir de 2013, il le tirait au contraire vers le haut depuis ses débuts européens jusqu’en 2012. En gros, au moment au Jean-Miche dézingue le LOSC sur son apport négatif, dans la vraie vie nos Dogues avaient fait exactement l’inverse.
Constat n°3 : au-delà du LOSC, Jean-Miche pointe la responsabilité des clubs qualifiés en Ligue Europa. Or, s’il a raison de dire que l’indice UEFA français est étroitement dépendant des performances en Champions League, il oublie fort malheureusement de souligner que c’est très largement un effet réglementaire : les clubs qui disputent la C1 bénéficient en effet d’un indice majoré par rapport aux clubs qui jouent l’Europa League.
De plus, le système est fait de manière à donner un effet incitatif à la motivation beaucoup plus fort pour des raisons simplement économiques. En effet, un club qui dispute la C1 connaît une très forte incitation à aller le plus loin possible tant les gains potentiels sont forts. Inversement, un club dans la situation de Lille, c’est-à-dire disputant la Ligue Europa et le titre n’a qu’un intérêt faible d’un point de vue économique à passer un ou deux tours de plus en compétition européenne mais un grand intérêt à assurer une qualification en phase de poules de Ligue des champions.
Constat n°4 : quand on a lu l’affirmation de Jean-Miche selon laquelle l’OL contribuerait à « 40 à 45 % » de l’indice UEFA français, on t’avoue qu’on a été un peu sceptiques. Mais on t’avoue aussi que ça nous a emmerdé d’aller vérifier, donc on s’est contenté d’aller voir la contribution de l’OL depuis 2011. Et elle est de 17 %.
Ça ne nous permet pas de dire si Jean-Miche a exagéré les mérites de son club en 2012, mais ça nous permet au moins de dire que, sur la base des critères énoncés par lui-même, son club est sur une pente descendante.
De quoi qu’y s’mêle ? Un éclairage sur les causes du cassage de c**** de Jean-Miche
Mais, me diras-tu, « de quoi qu’y s’mêle » le Jean-Miche ? Qu’est-ce qu’il vient nous emmerder à nous dire ce qu’on doit faire en Coupe d’Europe ? Est-ce que, bon, bordel, on peut pas avoir des résultats de brins en compétition européenne si ça nous chante ?
En fait, c’est tout simple, c’est juste que Jean-Miche a un intérêt direct à ce que les clubs qui disputent l’Europa League fassent de bonnes perfs, et d’autant plus aujourd’hui avec un PSG devenu presque intouchable et un Monaco qui émerge comme un concurrent plus que sérieux.
En fait, le gros truc que tu dois retenir, c’est que, à la limite, si la France est 4ème, 5ème ou 6ème, ça change assez peu de choses, et que, par contre, il est crucial pour Jean-Miche que la France ne tombe pas à la 7ème place.
Concrètement, être 6ème plutôt que 4ème ou 5ème, ça ne change que le fait que le troisième représentant en C1 du 6ème doive jouer un tour préliminaire de plus que les 4ème ou 5ème avant d’arriver à la si lucrative phase de poules de C1. En revanche, être 7ème n’octroie plus que deux places en C1, dont une seule qualification directe. L’enjeu est alors primordial pour un club comme Lyon dont le positionnement hiérarchique en France le place comme un concurrent à Monaco pour la deuxième place.
Pognon, Position et Prise de Position : le PPPP
Pour bien comprendre les Prises de Position de Jean-Miche, il faut resituer sa Position et ce que ça implique en termes de pognon : appelons-ça, le PPPP. Et c’est là qu’on comprend qu’avant d’être une prise de position dictée par des considérations sportives, ce qui guide Jean-Miche, c’est la question du modèle économique lyonnais au regard de la hiérarchie nationale actuelle.
Or, dans la stratégie économique de Jean-Miche, les revenus de la C1 sont essentiels (2). Pour Lyon, chaque échec à la qualification en C1, mais également chaque résultat en C1 une fois qualifié, a de très importantes répercussions économiques. Aujourd’hui, pour Lyon, la situation est favorable bien que précaire : terminer deuxième du championnat suffit et une troisième place serait sans doute suffisante pour atteindre ensuite la phase de poules. Mais si la France passait à la 7ème place, la situation des Lyonnais serait en revanche très délicate puisque la deuxième place en championnat deviendrait un enjeu primordial et pas nécessairement suffisant, cette place ne qualifiant pas directement pour la phase de poules.
Et là où on comprend le particulier intérêt de Jean-Miche pour la question, c’est qu’il est précisément le président du club français dont la stratégie économique est la plus dépendante de la C1. Pour Paris, la question se pose moins, d’une part parce que ses chances d’échouer à la 3ème place sont faibles et parce que ses sources de financement sont presque infinies. Pour Monaco, le renouveau est encore trop récent pour que leur stratégie économique soit dépendante d’un parcours en C1.
Le LOSC, le PPPP et paradoxe européen
Pour les autres prétendants européens, comme notre LOSC, la dépendance à la C1 n’existe pas en tant que telle pour la simple raison qu’il leur apparaîtrait déraisonnable de pouvoir tabler sur une qualification systématique pour cette compétition. Si le LOSC semble être sur une pente légèrement descendante quant à sa place dans la hiérarchie nationale, il n’empêche que même à son « sommet », c’est-à-dire schématiquement entre 2009 et 2012, le LOSC ne pouvait espérer raisonnablement s’appuyer sur la C1 comme source régulière de financement.
On n’est pas en train de te dire que l’enjeu européen est nul pour le LOSC, mais simplement que sa position dans la hiérarchie nationale associée à l’organisation actuelle des compétitions européennes impose aux dirigeants de ne voir dans les compétitions européennes qu’un éventuel bonus et non un élément essentiel.
C’est donc aussi à l’aune de cette position qu’il faut lire le rapport des Loscistes aux compétitions européennes. D’abord vécu comme une chance et une récompense au début des années 2000, l’Europe était jouée ainsi, c’est-à-dire comportant une forte dimension de prestige qui était au principe de la motivation des joueurs et de l’entraîneur.
Mais quand la position du LOSC se stabilise dans le haut de la hiérarchie nationale, vers la fin des années 2000, son rapport à l’Europe a alors sensiblement évolué et devient en apparence paradoxal sur certains aspects. La qualification en Ligue des champions devient un objectif qui n’est plus déraisonnable tandis que jouer à fond la Ligue Europa ne présente qu’un intérêt restreint. Le LOSC est alors dans une situation paradoxale, celle d’un club qui a davantage intérêt à se battre pour se qualifier en coupe d’Europe qu’à faire bonne figure dans la compétition européenne qu’il disputera.
C’est à l’aune de cette position, relativement récente, qu’il faut lire les performances lilloises en coupe d’Europe en 2010/2011. Au-delà des considérations sportives, quand le championnat avance et que le LOSC se trouve bien placé, la qualification en C1 apparaît de plus en plus comme une option qu’il ne faut pas rater. Pour dire les choses clairement, passer deux tours de plus en Ligue Europa n’aurait pas rapporté plus de 2 millions d’euros supplémentaires quand une qualif’ en phase de poules de la C1 assurerait un revenu de 20 à 30 millions d’euros droits TV compris. Dans cette optique, prendre le risque de rater sa fin de championnat pour faire un beau parcours semble déraisonnable (3).
Il faut aussi resituer la stratégie du LOSC vis-à-vis de la Ligue Europa en 2010/2011 dans l’expérience récente du club. La saison précédente, les Dogues s’étaient investis corps et âmes en coupe d’Europe, mais cet investissement avait alors été lu comme une cause au moins partielle du fait que le LOSC avait échoué sur le fil à se qualifier en C1. Suivant la logique égocentrée de Jean-Miche, Lille aurait quand-même dû jouer la C3 à fond en 2011. Suivant la logique des dirigeants de Lille, qui pensent constater avoir perdu 30 millions d’euros à cause du surinvestissement en coupe d’Europe, l’attente de Jean-Miche semble moins adaptée.
Ressources des compétitions européennes et stratégies économiques
Ligue Europa et Ligue des champions, deux compétitions européennes, mais dont les bénéfices éventuels sont extrêmement divergents ce qui conditionne largement les stratégies des clubs. La spécificité de la C1 tient ainsi à ce qu’elle génère de telles ressources qu’elle peut inciter certains clubs qui y participent régulièrement à penser ces ressources comme des revenus structurels là où les revenus de la Ligue Europa sont trop faibles et aléatoires pour être pensés comme une source de financement régulière et primordiale.
En effet, imaginons qu’un club dont le budget habituel est de 70 millions d’euros participe à la C1, il se retrouve alors doté d’une ressource supplémentaire inhabituelle d’environ 30 millions d’euros. Si la prudence voudrait que ces 30 millions d’euros soient traités comme une cagnotte dans laquelle on puise avec prudence, un tel revenu incite cependant à piocher allègrement pour investir et consolider la place acquise. Le budget augmente alors plus ou moins mécaniquement et il est alors primordial que les recettes se développent aussi à un niveau plus élevé. Un tel club sera alors fortement incité à budgéter en misant sur des revenus réguliers de la C1, par exemple 15 millions par an en misant sur une participation à la Ligue des champions un an sur deux.
Or, c’est bien le problème d’appliquer une telle logique au sport ou l’aléa est une composante caractéristique mais aussi (en principe) valorisée. Paraîtrait même que l’incertitude du sport serait « glorieuse ». Problème du gestionnaire, il doit tout faire pour que cet aléa soit réduit. Cette contradiction, elle est particulièrement forte pour un club comme l’Olympique lyonnais. Pour des clubs comme le Real ou le Bayern, cette pression sur la stratégie est moins forte notamment parce qu’ils bénéficient de ressources symboliques et financières qui leur donnent un peu plus de garanties quant à la pérennité structurelle (4). Elle est également moins forte pour des clubs un cran en dessous, comme le LOSC, lesquels ne peuvent actuellement pas tabler sur de fortes ressources de la C1.
L’OL de Jean-Miche s’est en revanche construit sur l’anticipation de ressources pensées comme structurelles issues de la Ligue des champions. Lyon est donc dans un équilibre particulièrement fragile et les importantes fluctuations budgétaires du club rhodanien sont à la fois le fruit de cette fragilité et de l’entêtement de Jean-Miche à engager son club dans cette stratégie (Dans l’espoir que l’OL évolue vers une sécurisation de sa position). Cette sécurisation passe alors aussi par la voie politique en essayant d’influer sur des réformes réglementaires limitant les chances des poursuivants de pouvoir les concurrencer.
Un dernier mot tout de même sur la stratégie du LOSC pour ne pas se méprendre sur l’interprétation de notre analyse. En 2010/2011, une éventuelle qualification en C1 relève bien sûr d’un grand intérêt. Mais l’idée est alors moins d’espérer des ressources structurelles de cette compétition que de trouver une solution temporaire à la faiblesse des revenus de la billetterie du Stadium Nord en attendant la manne qu’est censée apporter le Grand Stade. Or, en 2012, l’arrivée dudit Grand Stade impose un changement stratégique : en cause, le Grand Stade ne génère pas les revenus espérés mais devient au contraire un boulet. La qualification en C1 à l’issue de la saison 2012/2013 devient alors essentielle, mais la situation financière limite les possibilités d’investissement et, parallèlement, les chances de se stabiliser dans le top 3 national. En conséquence, Lille doit vendre chaque année à un niveau plus ou moins équivalent à ce que rapporte une participation à la C1.
Jean-Miche dénonce donc le LOSC alors même que c’est un système dont il n’a cessé d’encourager le développement qui explique la prise de position lilloise. Au début des années 2000, Lyon est devenu le club dominant en France et faisant bonne figure sur la scène européenne. Jean-Miche a milité pour un système favorisant la concentration des ressources dans les mains des plus gros clubs européens. C’est donc un système qui bénéficie aux gros, mais, pour qu’il marche bien, il faut que les clubs qui les suivent dans la hiérarchie, comme par exemple le LOSC, réalisent aussi de bonnes performances en Ligue Europa pour consolider la place nationale. En définitive, ce que Jean-Miche reproche aux Dogues, c’est de défendre ses intérêts alors que, de son point de vue, c’est ceux de l’OL qu’ils devraient servir. Et tu as compris que cet OL qu’il faudrait servir, ça n’est pas l’Olympique Lillois.
(1) On peut certes supputer que l’équipe-type aurait mieux fait mais il faut aussi souligner que même ainsi une éventuelle qualification en quart de finale aurait été une performance extrêmement satisfaisante. Mettre l’équipe-type n’aurait donc sans doute pas permis une amélioration extrêmement forte de l’indice UEFA français.
(2) Pour donner un ordre d’idée, une équipe qui dispute la phase de poule de Ligue des champions touche 12 millions d’euros si elle perd tous ses matches ; elle touche 15,5 millions et demi si elle finit troisième de son groupe en gagnant 2 matches et en faisant un nul auxquels il faut ajouter les revenus ultérieurs du reversement en Ligue Europa ; elle touche 22,5 millions si elle est éliminée en huitièmes de finale avec 3 victoires, 1 nul et 2 défaites en poules ; 28,5 millions en étant sortie en quart de finale ; 35,5 en demi-finale ; 46 en finale ; 61 si elle remporte la compétition. Ces chiffres montrent donc qu’un club comme l’OL peut raisonnablement anticiper un revenu annuel de 20 millions de la C1 auxquels il faut ajouter les droits TV. Or, ces droits TV dépassent largement les primes de résultats : Lyon aurait ainsi empoché 41 millions d’euros au total en 2015/2016 au titre de la C1 malgré un parcours extrêmement décevant.
(3) Aujourd’hui, un club éliminé en 16ème de finale de Ligue Europa en terminant premier de son groupe empocherait environ 5 millions d’euros hors droits TV quand un demi-finaliste toucherait un peu plus de 8 millions et un finaliste perdant un peu moins de 12 millions. Autrement dit, en matière financière, il y a davantage d’intérêt à perdre tous ses matches en phase de poule de C1 qu’à atteindre la finale de la C3.
(4) On n’est pas en train de dire que les revenus de la C1 ne sont pas d’une grande importance pour ces clubs mais on veut en revanche insister sur le fait qu’un ensemble de raisons fait qu’il est pour eux très improbables d’échouer sportivement dans des proportions qui remettraient en question leur stratégie économique.
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