Posté le 10 décembre 2016 - par dbclosc
29 novembre 1996 : Wimbée scorbute Nadon
Vendredi 29 novembre 1996, Nancy, stade Marcel Picot. Aux alentours de 21h50, l’ASNL, toujours menée 0-1 par Lens, obtient un corner de la dernière chance. Jouant le tout pour le tout, son gardien de but monte et, fait inédit dans le championnat de France, égalise sur une action de jeu. Retour sur cette première, qui met en scène deux anciens gardiens du LOSC : Grégory Wimbée et Jean-Claude Nadon.
Deux remarques pour commencer
Salut à tous. Avant d’entamer cet article proprement dit, je réfléchissais à quel jeu de mots foireux je pouvais trouver pour un titre rigolo. Après avoir brodé autour de « but », « Greg » et « Wimbée », je ne trouvais pas mieux que : « Nadon bute sur Wimbée » ce qui, avouons-le, est assez faiblard, mais avait au moins l’avantage de mettre en avant les noms de deux de nos anciens gardiens, même si ce bon vieux Jean-Claude aurait sans doute préféré ne pas figurer là. Ben fallait pas aller à Lens, tiens ! J’avais aussi : « Wimbée, le but de sa vie », mais ça fait trop grandiloquent, et puis ça a sûrement déjà été fait. Tout ça pour dire que le mot « scorbut » m’est venu, et je me suis dit que ce serait bien de le caser à l’occase, parce que c’est tout de même le mot rêvé pour les footeux (y a « score » et « but », pour celles et ceux qui n’ont pas suivi). Mais c’est bien difficile cependant, puisque le Larousse définit le scorbut de la façon suivante : « maladie générale caractérisée par des hémorragies multiples, par une cachexie progressive, et provoquée par la carence en vitamine C ». Le lien avec le foot n’est pas évident. Mais à DBC, on ne s’arrête pas au premier obstacle venu et on innove ; après tout, le français est une langue vivante et il n’est pas interdit de contribuer à son évolution : d’aucuns ont récemment inventé le verbe « zlataner » pour désigner l’idée qu’on écrase un adversaire, tout comme « fernandodamiquer » signifie « faire chier l’adversaire en lui courant après avec des jambes arquées jusqu’à ce qu’il s’énerve ». Donc on s’en tape : le verbe « scorbuter » désigne désormais « marquer un but tout en rendant le gardien adverse très malade, pouvant aboutir à des hémorragies multiples, par une cachexie progressive, et provoquée par la carence en vitamine C, tellement qu’il est zaraf d’encaisser un but pareil ». Vous allez donc voir dans cet article comment Grégory Wimbée a scorbuté Jean-Claude Nadon.
Et, deuxième remarque liminaire, les réactions extraites de cette page sont tirées d’un article de France football du 3 au 9 décembre 1996, p. 18-19, signé Claude Bernard, et titré « Wimbée, label histoire », comme quoi on n’a pas le monopole des titres qui ne veulent rien dire.
Une situation sportive difficile
Revenons donc à ce 29 novembre 1996. Il y a quelques jours, nous avons diffusé sur notre page facebook la vidéo de cet exploit, à l’occasion de ses 20 ans. Car il s’agit bien d’un exploit : jamais un gardien de but n’était jusqu’alors parvenu à inscrire un but en première division française, autrement que sur pénalty : c’est donc historique. À DBC, on aime en outre souligner, ce que les archivistes font rarement, que ce but a été marqué contre Lens, notre rival préféré, ce qui ne gâche rien à l’affaire.
Nancy est promu en D1 après une belle saison 1995-1996 à l’issue de laquelle l’équipe a terminé 3e de D2, derrière Caen et Marseille. Avec une particularité non négligeable : l’ASNL a terminé l’exercice avec la meilleure défense du championnat : 23 buts encaissés seulement1. Dans les buts à 40 reprises, un grand artisan de la montée : Gregory Wimbée, 24 ans, gardien longiligne. Lorrain (il est né à Essey-lès-Nancy), il a été formé à l’INF Clairefontaine avant de rejoindre le centre formation de Nancy en 1990 comme stagiaire. Il a été international Juniors et compte une vingtaine de convocations en Espoirs (pour 4 titularisations) Après un passage par Charleville (D2) lors des saisons 1992-1993 et 1993-1994, Greg est enfin titulaire à Nancy à l’orée de la saison 1994-1995. Au cours de cette saison, il joue l’intégralité des 42 rencontres de championnat.
Mais l’apprentissage de la D1 est rude. En cette fin d’automne, collectivement, la situation est peu joyeuse à Nancy : le club est 19e et compte seulement 2 victoires après 19 journées, soit exactement à la moitié du championnat : à Bordeaux (1-0) et contre Guingamp (2-0). Pour ce premier match retour de la saison , les Lorrains retrouvent des Lensois qui les ont aisément battus en août à Bollaert (1-3). Les Sang et Or, quant à eux, après un début de saison intéressant (ils étaient leaders début septembre), sont dans un trou d’air : ils restent sur 4 défaites consécutives, ayant été battus à Lille (1-2), contre Bordeaux (3-4), à Marseille (1-2), puis contre Strasbourg (1-2). Les voilà désormais 14e. Mais ils ont tout de même deux fois plus de points que leurs adversaires du soir (24 contre 12).
Déjà un jour particulier
Mais ce vendredi matin, Grégory Wimbée se lève l’esprit guilleret : l’avant-veille, il était invité chez Jean-Luc Delarue. « À croire qu’à la 2, ils avaient senti le coup. Cela n’avait pas grand-chose à voir pourtant. Dans son émission, Jean-Luc Delarue évoquait le stress. Il a pensé, entre autres, au gardien de but, l’angoisse de l’homme seul. Pourquoi moi ? Simplement parce que Bernard Lama préparait le match contre l’Olympique de Marseille, que Mickaël Landreau, de Nantes, le plus jeune de D1, n’avait pas été libéré par Jean-Claude Suaudeau. On a recherché ensuite parmi les mal classés, c’était Bruno Valencony ou moi, j’étais disponible ». À une époque où le foot n’est pas aussi médiatisé qu’aujourd’hui, et d’autant moins quand on joue à Nancy, c’est déjà en soi un petit événement ; en outre, la veille, Grégory a fêté le premier anniversaire de son fils Théo. Enfin, il apprend qu’en l’absence du capitaine nancéien Paul Fischer, suspendu, c’est lui-même qui va enfiler le brassard de capitaine, et ce pour la première fois de sa carrière. L’entraîneur, Lazlo Bölöni, justifie ainsi son choix : « Greg le mérite du fait de son ancienneté au club, de ses performances sportives et de son influence sur le jeu ». Il ne croyait pas si bien dire.
Sur le terrain, le match est arbitré par M. Derrien, une vieille connaissance. La différence de niveau entre les deux équipes se confirme : Delmotte ouvre le score en début de deuxième mi-temps. Le temps passe, et Nancy, avec une attaque limitée (plus mauvaise attaque, à égalité avec Caen, 11 buts marqués), semble incapable d’égaliser. Les Lorrains, des quiches ? Depuis son but, Greg assiste, impuissant, au mauvais scénario qui se dessine : « ce match, je l’ai vécu en tant que gardien avec les devoirs de mon poste, sans jamais ressentir de l’irritation ou du dépit parce que mes partenaires ne parvenaient pas à marquer. Je sais ce que peut être la condition d’un gardien qui n’est pas en confiance. Les coups malheureux s’enchaînent sans qu’on n’y puisse rien. Mes copains devant ont déjà fait leurs preuves en d’autres circonstances, sinon ils ne seraient pas là. Il suffit parfois d’un déclic pour que ça marche bien. Je ne m’estime pas en droit d’adresser le moindre reproche à un partenaire après un ratage. Un pro est capable de s’analyser. Moi-même, je m’en veux, par exemple, de n’avoir pas esquissé un geste sur le but que nous avons encaissé. J’ai eu quelques secondes de déconcentration pour placer quelqu’un sur Delmotte. Le football est un sport collectif avec chacun un rôle défini. Le mien est d’éviter les buts et de bien relancer ». Position très sage : le gardien de buts est là pour garder les buts. Jusque là, tout est normal.
Et si je veux, je monte, j’contrôle, je pivote et je marque
On joue le temps additionnel. Nancy est toujours mené d’un but. Corner pour les locaux. Plus rien à perdre, dans 30 secondes, le match est terminé, il faut égaliser : Greg monte. 0-1 ou 0-2 si ça foire, quelle importance ? Nous voilà dans la situation cocasse où un gardien de but se retrouve dans la surface de réparation adverse. Précision réglementaire, à destination des non-initié.es au football : en pareil cas, il n’a pas droit de mettre les mains ; il ne peut que prêter main forte à ses coéquipiers en utilisant toute partie du corps à l’exception des bras. C’est rigolo, le public est content et, l’air de rien, ça suscite toujours un petit sentiment de panique chez l’adversaire. Sébastien Schemmel botte le corner sortant côté droit.
« Je ne suis pas monté pour égaliser. Dans mon esprit, c’était seulement pour mettre la pression ajoutée à la panique dans la défense de Lens avec le surnombre. Non, vous savez, moi, de la tête, je suis nul, je n’ai pas le timing. D’ailleurs, c’est Wallemme, je crois, qui m’a largement dominé sur le premier tir de Schemmel au corner ». En effet, et comme on le voit sur le beau croquis ci-dessous de Lem, le premier centre – qui est tout de même tiré à destination de Wimbée ! – est facilement renvoyé par la défense lensoise. Retour à l’envoyeur : « [Schemmel] a repris, puis Lécluse a remis le ballon sur moi, j’ai ratissé, je me suis retourné, j’ai tiré dans le paquet. Il y a eu un ricochet et le but ». Et voilà, 1-1 ! En fait, le ballon est dévié par David Régis, ce qui trompe Jean-Claude-Nadon, ravi par ailleurs de la passivité de sa défense : sur un corner, à proximité des six-mètres, l’adversaire a tout de même le temps de faire un contrôle approximatif du genou, de se retourner et de frapper sans opposition ! « Je suis masqué, j’ai un de mes deux coéquipiers devant moi. Il frappe mais je vois le départ du ballon qui part à ras de terre. Seulement, quand il est détourné au passage, il prend une trajectoire plus aérienne (…) Wimbée est très grand, 1,93m je crois. Alors, s’il avait marqué de la tête, on aurait compris. Mais là, c’est du pied. Il a tout le temps de se retourner, il n’est pas attaqué (…) Il faut que ça tombe sur moi ! ».
Postérité assurée
Grégory Wimbée devient ainsi, officiellement, le premier gardien de but à marquer sur une action de jeu en D1. « Officiellement », car les données d’avant 1945 sont parcellaires et, même si c’est peu probable, rien ne garantit que l’événement ne se soit pas déjà produit. Les sentiments pour Greg sont ambigus : fidèle à sa modestie et à son habituelle lucidité, il sait qu’un nul à domicile laisse Nancy englué en bas de classement ; mais il se laisse tout de même aller à sa joie : « Ce que j’ai réussi contre Lens, c’est hors programme. Une péripétie exceptionnelle, un réflexe de dernière chance, presque un gag. Cela s’arrête là. Je n’ai pas le goût ni le talent pour jouer ailleurs que dans ma cage (…) Je ne devrais pas, parce que ce nul pour nous n’est pas un bon résultat, mais je suis heureux (…) Je n’avais jamais éprouvé la joie de marquer, sinon dans la séance de tirs aux buts en coupe de France, ce n’est pas pareil. J’avais déjà vu à la télé des gardiens buteurs. L’an dernier, Peter Schmeichel en coupe d’Europe avec Manchester United contre Volgograd, mais autant que je me souvienne, cela n’avait servi à rien son équipe avait été éliminée. C’était un but de raccroc, comme le mien… Il y avait aussi eu un Autrichien, et puis ce Guyannais qui avait traversé tout le terrain avec le ballon. Mais c’était dans un championnat plus facile. Malgré tout, je les avais enviés à chaque fois d’avoir goûté à ce plaisir rare pour un gardien. Maintenant, je connais, je fais partie du club ». Jean-Claude Nadon, même un peu dépité, salue le geste de son collègue : « la vie continue mais on n’aime pas trop subir ce genre d’événement. J’aurais voulu être à sa place ! Tout le monde souhaite un jour connaître la joie du buteur. Je ne suis jamais monté de la sorte sur le but adverse au cours de ma carrière. C’est un concours de circonstances et ça reste quand même une prise de risque. Si jamais il y a contre-attaque… je n’oserais pas. Si on prend un but en contre, on est encore plus ridicule ». Certes, mais il y a encore plus ridicule : monter sur le but adverse alors que l’adversaire attaque.
Quand il jouait à Lille, Jean-Claude Nadon s’amusait à donner des coups de pied à Mickaël Debève quand l’arbitre avait le dos tourné.
Le cas Hernandez, et les autres
En fait, il serait plus juste de dire que Greg Wimbée est le premier gardien de but à marquer sur une action de jeu dans l’exercice de ses fonctions. Pourquoi ? Parce que, d’abord, et ensuite car lors de la saison 1962-1963, le gardien de but de Monaco, Jean-Claude Hernandez inscrit contre Valenciennes le troisième but de son équipe, d’une tête ou d’une volée des 20 mètres, selon les sources. Alors, qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
En fait, à la 79e minute, Hernandez se blesse à un bras : embêtant pour un gardien. Les remplacements ne sont pas autorisés. Il intervertit alors son poste avec son équipier Jean-Marie Courtin, attaquant. 5 minutes plus tard, il permet à son équipe de mener 3-1. Avec, donc, la vareuse d’un joueur de champ.
On sait que, désormais, Gregory Wimbée n’est plus le seul à avoir réalisé cet exploit : en septembre 2012, le gardien Toulousain Ali Ahamada permettait en effet à son équipe d’égaliser contre Rennes, en reprenant de la tête un coup-franc à la 93e minute. Hormis ces cas, les seuls buts marqués par des gardiens en D1 l’ont été sur pénalty. En voici la liste exhaustive depuis 1945 :
César Ruminski (un ancien Lillois) a inscrit 2 pénos avec Le Havre lors de la saison 1950-1951 contre Sochaux puis à Strasbourg.
Le Nîmois Stéphane Dakoski en 1954-1955 contre Strasbourg.
Chritian Laudu, du Red Star), en 1971-1972 contre Bordeaux.
Le Bordelais Dragan Pantelic en 1981-82 contre Valenciennes et Montpellier.
Bernard Lama (décidément, il doit y avoir un truc avec les gardiens passés par le LOSC) en 1988-1989 contre Laval, avec Lille, puis en 1991-1992 à Metz, avec Lens. Mais ça ne marche pas à chaque fois : lors de la dernière journée du championnat 1993-1994 contre Bordeaux, avec le PSG, il frappe son pénalty à côté.
Et n’oublions pas que notre bon Jean-Claude Nadon, la malheureuse victime de Greg, avait aussi marqué sur pénalty : c’était lors de la coupe de la ligue 1992, contre Saint-Quentin. Mais il jouait en tant qu’attaquant, une fantaisie parmi d’autres de cette étrange édition.
Par ailleurs, récemment, on se rappelle que Subasic, le gardien monégasque, a marqué un coup-franc à Boulogne-sur-mer. Chez nos voisins Belges, ça rigole davantage : il y a 10 ans, Bertrand Laquait (en fait, y a aussi un truc avec les portiers passés par Nancy) marquait en dégageant depuis sa surface ; en 2008, Silvio Proto2 plaçait une superbe tête ; en coupe d’Europe, en 2009, le gardien du Standard égalisait contre Alkmaar en Ligue des champions, toujours de la tête ; il y a un an, c’est le gardien de Saint-Trond qui scorait superbement.
Celles et ceux que cette question passionne pourront se rapporter à ce tableau qui recense les gardiens-buteurs. Autrement dit, les scorbuteurs.
FC Notes :
1 On ne s’est pas amusés à vérifier dans toute l’histoire de la D2/L2, mais c’est probablement un record, en tout cas à 22 clubs. Angers, en 1993, dans le groupe B de D2, a encaissé 22 buts mais en 34 matches, tandis que Metz, en 2007, est parvenu à ce même nombre en 38 matches, si bien que leur moyenne de buts encaissés par match est supérieure à celle de Nancy 1996. Même notre LOSC 2000 ne fait pas une si belle performance, avec 25 buts encaissés en 38 matches.
2 A-LLEZ PROTO, SAUTE AVEC NOOOOUUUS ! (souvenir d’un mémorable Mouscron-Anderlecht)
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