Posté le 22 décembre 2016 - par dbclosc
2002 : Grimonprez-Jooris expérimente l’arbitrage vidéo
En décembre 2016, le Real Madrid a remporté la coupe du monde des clubs en battant en finale le club japonais de Kashima Antlers (4-2). Auparavant, les Japonais avaient écarté en demi-finale Atletico Nacional, champion d’Amérique du Sud (3-0). Lors de ce match, un pénalty a été accordé sur la foi des images télévisées, une première dans le football. Par extension, d’aucuns ont estimé que le recours à la vidéo était une première, tout court. Pas si sûr : ceux qui ont assisté à Lille-Guingamp en 2002 s’en souviennent.
Le recours à la vidéo dans le football est un vieux serpent de mer qui a ses partisans et ses détracteurs. Pour les uns, cette innovation tendrait vers un arbitrage dans lequel les « erreurs » disparaîtraient : ainsi, par exemple, la main d’Henry en 2009 contre l’Irlande aurait été pénalisée ; pour les autres, on ne ferait que déplacer le problème, certaines actions étant « injugeables », sans compter le rythme de jeu qui s’en trouverait cassé : les cahiers du foot avaient d’ailleurs montré que le France-Irlande, avec la vidéo, aurait posé bien d’autres problèmes que le cas de la main. À DBC, on est franchement défavorables à la vidéo, on retrouvera certains arguments ici ou là.
Après quelques évolutions transitoires (arbitrage à 5 dans certaines compétitions, recours à la goal-line technology), la coupe du monde des clubs 2016 a permis l’expérimentation de la vidéo via l’IFAB (International Football Association Board), organisme garant des lois du jeu, qui avait autorisé en mars des tests en conditions réelles de matches pendant deux ans, premier pas vers un (éventuel) changement majeur dans l’histoire du football (et notamment pour la prochaine coupe du monde en Russie, que le président de la FIFA souhaite assistée de la vidéo). Le protocole prévoit que le recours à la vidéo concerne quatre cas, dans lesquels l’assistant vidéo (VAR : Video Assistant Referees) peut avoir son mot à dire à l’arbitre central : but marqué, carton rouge, penalty, doute sur l’identité d’un joueur à avertir.
Recours à la vidéo au Mondial des clubs
Le 14 décembre 2016, grâce à l’utilisation de la vidéo, Kashima Antlers a donc obtenu un penalty en demi-finale de la Coupe du Monde des Clubs de la FIFA. À la demi-heure de jeu, l’arbitre Viktor Kassai a été alerté d’un incident par l’arbitre assistant vidéo Danny Makkelie. L’arbitre central a immédiatement signalé qu’il souhaitait visionner les images sur le moniteur installé au bord du terrain. Au préalable, l’arbitre assistant vidéo a appliqué la consigne de prudence concernant l’éventuelle position de hors-jeu du joueur sur lequel la faute a été commise : celui-ci n’étant pas en position illicite, toute faute sur lui est sanctionnable. En visionnant les images, l’arbitre hongrois a désigné le point de penalty, estimant qu’Orlando Berrio avait crocheté Daigo Nishi. Voici un résumé du match avec la séquence :
La FIFA s’enorgueillit de l’événement : « c’est la première fois que les arbitres assistants vidéo interviennent directement dans un tournoi FIFA. Il y a incontestablement un élément de nouveauté. On n’avait encore jamais vu un arbitre courir vers la zone de visionnage au bord du terrain », estime Massimo Busacca, directeur de l’arbitrage de la FIFA. « Sur l’incident qui nous intéresse, la communication entre l’arbitre et l’arbitre assistant vidéo a été claire. La technologie a bien fonctionné et le dernier mot est revenu à l’arbitre, ce qui sera toujours le cas dans la mesure où les VAR ont pour unique fonction d’assister l’homme en noir ». Il est bien précisé que l’arbitre central reste libre d’aller consulter les images1. C’est donc effectivement une première : un recours officiel à la vidéo, une interruption de match pour visionner des images, un pénalty sifflé.
Une « première », vraiment ?
Cet événement a été l’occasion de signaler que c’était le tout premier recours à la vidéo dans le football. Ce à quoi certains ont répondu que la vidéo avait déjà été utilisée officieusement. Par exemple, Raymond Domenech estime que l’expulsion de Zidane lors de la finale de la coupe du monde 2006 a été provoquée par la vidéo (le 4e arbitre aurait au moins vu les écrans géants du stade, voire disposait d’un écran de contrôle). À vrai dire, on est plutôt d’accord avec lui, quand on se rappelle que ni l’arbitre central, ni l’arbitre de touche, n’avaient moufté sur le coup, puis quand on a entendu la rumeur du stade en même temps que passait le premier ralenti du coup de tête sur nos écrans… et sur ceux du stade.
C’est alors que notre très estimé collègue Jean-Marie Pfouff, comme tout supporter du LOSC avec une bonne mémoire, se dit : « ben tchiens ! On a aussi vu de drôles de trucs à Grimonprez-Jooris ! ». Il reprend alors de volée ce bon vieux Raymond, en gardant la structure du premier tweet, facétieux comme il est :
Lille, ville d’avant-garde
Que s’est-il donc passé ? Le 21 septembre 2002, Lille reçoit Guingamp, pour le compte de la 8e journée du championnat 2002-2003. Le LOSC mène depuis la 50e minute grâce à un but de son avant-centre chilien Hector Tapia. 5 minutes plus tard, les Bretons bénéficient d’un corner, repoussé par Grégory Malicki à l’entrée de la surface, où se trouve Christophe Le Roux, qui frappe de volée. Le ballon file vers le but, mais Sylvain N’Diaye, resté au deuxième poteau, repousse le ballon. L’arbitre, M. Auriac, considère que le Lillois a renvoyé le ballon de la main. Logiquement, il siffle alors un pénalty et expulse N’Diaye. Mais Sylvain N’Diaye conteste : il prétend qu’il a repoussé le ballon de la cuisse, ce que la marque sur son short semble confirmer. L’arbitre est pris d’un doute. C’est alors que son assistante, Nelly Viennot, située de l’autre côté du terrain (mais a priori mieux placée que l’autre assistant pourtant plus proche de l’action pour voir quelle partie du corps a touché le ballon) l’appelle. Après quelques secondes de palabre, M. Auriac annule le carton rouge et le pénalty. Les Guingampais sont furieux : contestent-ils l(in)existence de la main, le fait que l’arbitre revienne sur sa décision, ou… l’usage de la vidéo par Madame Viennot ?
Version officielle : Mme Viennot a tout vu et, prenant ses responsabilités, a indiqué à son collègue qu’il faisait erreur. Version officieuse : un membre d’une équipe de télévision présent sur la touche a entendu dans son oreillette qu’il n’y avait pas penalty et aurait alerté le 4e arbitre et Mme Viennot. Une version dont les Guingampais ne doutent pas, à commencer par leur entraîneur, Bertrand Marchand : « Monsieur l’arbitre a changé d’avis après avoir consulté le quatrième arbitre, qui venait de voir la vidéo. Si les gens de télé interviennent, ça fausse le débat. C’est la porte ouverte à tout. Si la vidéo doit être utilisée par les arbitres, ce doit être légal, pas sauvage ». Et à vrai dire, on se rappelle qu’il y a eu un certain délai entre la décision initiale de M. Auriac et le signalement de Mme Viennot, comme s’il y avait eu besoin d’un élément extérieur pour être conforté dans son doute.
Après 7 minutes d’une immense pagaille, Sylvain N’Diaye reste sur le terrain et le jeu va reprendre par un corner pour l’EAG.
Ci-dessus le résumé du match lors de Téléfoot du lendemain. En voyant les images, il ne fait aucun doute que Sylvain N’Diaye ne commet aucune faute. Il indique lui-même à la fin du match : « C’eut été l’expulsion la plus injuste de ma carrière. J’ai dévié le ballon de la hanche et la vidéo le prouve ». Mais le plus étonnant est que le commentaire signale au passage, comme si la séquence était banale, qu’un coup d’œil à la vidéo a permis aux arbitres de prendre leur décision. Alors que le recours arbitral à la vidéo était interdit à cette époque. Mais bon, c’est Lille-Guingamp, alors l’histoire n’avait pas fait beaucoup de bruit à l’époque. Nelly Viennot a déclaré être « furieuse contre l’émission Télé-Foot. C’est moi qui ai pris la décision d’alerter l’arbitre car j’étais certaine à 300 % qu’il n’y avait pas faute. Ce sont mes yeux qui ont tout vu, pas la télé. Ensuite, le 4e arbitre, Pierre Tavelet, m’a confirmé que j’avais raison. Mais ma certitude était déjà forgée à cet instant ». À bien y réfléchir, cette déclaration semble confirmer que la vidéo a été utilisée, même si l’assistante prétend avoir parfaitement vu l’action. Par ailleurs, et désolé pour le bug au moment du but de Sterjovski, mais notre Australien était hors-jeu. Autant dire qu’on doit une fière bretelle à Nelly Viennot, qui a appliqué une autre règle officieuse : « si c’est une passe de D’Amico, pas de hors-jeu ». Lille s’impose 2-1. Claude Puel ne se mouille pas mais salue l’attitude des arbitres : « Les arbitres ont été ce soir les maîtres du jeu. C’est une décision aussi courageuse que légitime ».
Pour revenir à l’utilisation plus générale de la vidéo, cette coupe du monde des clubs marque la fin de la période d’expérimentation du projet VAR. En association avec la FIFA, l’IFAB va désormais décider ensuite si l’expérimentation se confirme, et si des ajustements sont nécessaires. Au vu du pataquès généré par le but de Cristiano Ronaldo en demi-finale (but accordé, puis refusé, puis accordé), nul doute que l’utilisation de la vidéo dans le football n’a pas fini de susciter bien des problèmes.
Ce qui est certain, c’est que votre mondial des clubs et votre coupe du monde, vous pouvez vous les mettre au cul : c’est à Lille qu’on est précurseurs.
1 Ce qui ne manque pas de poser d’autres questions : sur quelle base un arbitre central s’autorise-t-il à ne pas aller voir des images que le VAR lui indique qu’elles montrent quelque chose qu’il n’a pas vu ? Que dira-t-on d’un arbitre réfractaire ? N’est-ce pas finalement l’aveu que la vidéo n’est qu’un outil relatif qui ne dégagera aucune « vérité » ?
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