Posté le 14 avril 2017 - par dbclosc
Dagui Bakari, hors-norme
Il aurait fallu être sacrément visionnaire pour imaginer que le LOSC vivrait une de ses périodes les plus dorées avec pour avant-centre un joueur aussi atypique que Dagui Bakari. Et pourtant : après des débuts plutôt laborieux, Dagui Bakari connaît une progression inespérée. En fait, c’est simple : entre 1999 et 2002, chaque fois que le LOSC a franchi un palier, Dagui était en première ligne.
Été 1999, on oscille entre morosité et optimisme à Lille. Morosité après deux montées ratées ; mais optimisme, car la dernière saison s’est terminée en boulet de canon sous l’impulsion de l’entraîneur Vahid Halilhodzic, qui a profité du mercato pour faire le tri dans l’effectif : on lui fait confiance. Olivier Pickeu, après un total décevant de 7 buts dans un système pas adapté à son jeu, est parti au Mans. En échange, et en donnant un peu d’argent aux Manceaux, le LOSC récupère Dagui Bakari. Tiens donc, quelle drôle d’idée : un avant-centre qui vient de marquer 11, 9 et 9 buts sur les 3 dernières saisons. Très honorable, mais cela correspond-il aux statistiques d’un avant-centre dont le club vise la montée ? À Lille, on connaît un peu la D2, tu parles, ça fait 2 ans qu’on y est. Dagui Bakari, c’est un profil d’attaquant « grand et costaud » cher à Willy Sagnol : 1,93m et 90 kgs. Il nous a même mis un but à Grimonprez-Jooris : c’était pour le premier match de Vahid au LOSC, pour un nul 3-3 entre Lille et Le Mans. Un but pas dégueu d’ailleurs, suivi d’une passe décisive à Réginald Ray. Alors, que vaut Dagui Bakari ? À vrai dire, a priori, il nous rappellerait plutôt Samuel Lobé, l’efficacité en moins, autant dire qu’il ne resterait plus grand chose. Peut-être qu’il a été recruté en cas de pépin pour Boutoille, Peyrelade ou Valois, les titulaires… ? Hé bien pas du tout : Dagui Bakari sera l’avant-centre titulaire pour cette saison 1999-2000.
Des débuts qui ne convainquent pas le public
On a eu l’occasion de voir de quelle manière le LOSC allait jouer durant cette nouvelle saison au cours des matches amicaux. Le dernier d’entre eux, contre Anderlecht à Roubaix, a mis en évidence l’apport de Dagui Bakari en tant que point de fixation devant. Pour l’ouverture du championnat, le LOSC se rend à Laval, et revient avec une première victoire (1-0) : à l’origine du but, une récupération de Landrin, puis une combinaison Bakari-Peyrelade-Boutoille permettant à ce dernier de marquer. Dagui enchaîne les matches, mais ne marque pas. Alors que l’équipe se procure quantité d’occasions, on trouve rarement Dagui Bakari à la finition, hormis pour quelques tentatives molles ou désespérées. Sa grande taille donne l’impression qu’il est pataud. Son n°10 renforce le contraste entre un chiffre traditionnellement associé à un poste et un joueur techniques, et cette grande carcasse qui donne parfois le sentiment de ne pas quoi savoir faire de ses pieds. Il ne faut compter que sur l’indulgence du public face aux bons résultats et la confiance accordée à Vahid pour ne pas entendre Dagui se faire siffler… Lorsqu’il se blesse à l’automne et manque quelques matches, son remplaçant, Rudi Giublesi, pourtant pas plus efficace, est acclamé, manière polie de signifier que l’habituel titulaire ne convient pas.
Dagui avait marqué contre Anderlecht (2-3)
Et pourtant, un maillon essentiel
Oui, Dagui Bakari n’est pas un « buteur » traditionnel. Mais son apport au jeu est essentiel : son recrutement répond à un projet de jeu collectif dont il n’est qu’un maillon. Dans ce championnat réputé « physique », Vahid Halilhodzic a bien compris qu’il ne suffisait pas de cumuler les buteurs pour cumuler les buts (au début de la saison 1998/1999, les 6 attaquants du LOSC – Djezon Boutoille, Samuel Lobé, Franck Renou, Laurent Peyrelade, Olivier Pickeu et Jean-Louis Valois – pesaient 64 buts sur la saison 1997/1998 !). Clairement, le jeu est organisé autour de lui. Si son travail est assez ingrat, souvent dos au but, ceux qui tournent autour de lui, notamment Boutoille et Peyrelade, récupèrent les fruits de son travail. Et il n’est pas forcément évident de faire comprendre qu’un attaquant n’est pas forcément là pour marquer ! Alors Dagui ne marque pas, mais Dagui pèse : lors de la 4e journée contre Ajaccio, il sort à la 71e, alors que le score est de 1-1 et que les Corses jouent à 10 depuis la 30e. Lille gagne 4-2 : la preuve que Bakari est mauvais ? Sûrement pas. Si Lille en met 3 derrière, face à une défense qui ne peut plus résister aux assauts de nos attaquants frais, c’est bien parce que Bakari l’a épuisée. Et Dagui sait aussi profiter du travail de ses équipiers : il entre en jeu à Châteauroux à la 73e, le score est de 1-1. Finalement mené, le LOSC pousse en fin de match, et Bakari obtient un pénalty qu’Agasson transforme (85e), avant que Boutoille ne donne la victoire à la dernière minute, Bakari ayant attiré toute la défense sur lui. Travailleur de l’ombre, il met quelques semaines pour se signaler individuellement, en entrant en jeu lors de la 9e journée à Niort à la 70e minute, alors que le score est de 0-0 et que le LOSC est réduit à 10 depuis la 41e minute et l’expulsion de Carl Tourenne. 20 minutes plus tard, le LOSC mène 0-3 : Bakari a ouvert le score, il a ensuite superbement débordé et permis à Agasson de faire 0-2, avant que Boutoille ne parachève le succès lillois. La semaine suivante, il marque enfin son premier but à domicile, contre Le Mans, avant d’obtenir un pénalty après avoir renversé un défenseur d’un petit coup d’épaule. Ce n’est pas un hasard si l’arrivée de Bakari correspond à la systématisation du « Vahid time », cette période du match où l’adversaire, épuisé par 80 minutes de résistance aux coups de boutoir de l’équipe et de son avant-centre Bakari, cède en fin de match. On en avait longuement parlé dans cet article. Si de nombreux succès lillois cette année-là se sont construits de façon précoce, on garde le souvenir de défenses adverses épuisées en fin de match par le pressing du milieu et le poids de Bakari devant. Ainsi, Créteil, Gueugnon, Toulouse, Louhans-Cuiseaux, Cannes ont tous cédé dans les 10 dernières minutes et, pour Valence, Niort et Nîmes, c’était à l’aller et au retour. Pas encore suffisant pour le transformer en idole de Grimonprez (d’autant que Fernando est intouchable), mais son travail commence à se voir. Alors ça reste parfois maladroit, il a quelques ratés à son palmarès, il est parfois mal placé, mais ça fonctionne. Par la suite, son jeu s’est considérablement enrichi : il est aussi l’auteur d’un doublé dans un match au sommet face à Toulouse début février (2-0), avec un premier but rigolo où il défonce Prunier par un bon coup d’épaule, puis buteur face à Caen quelques semaines plus tard (3-2) pour le match de la montée « officieuse », avant de l’être encore pour le match de la montée officielle contre Valence. Dagui est là dans les matches au sommet.
Il inscrit donc un total de 7 buts au cours de cette première saison. Moyen pour un avant-centre ? Oui, mais c’est le même total que Laurent Peyrelade, et le meilleur buteur du club, Djezon Boutoille, n’en inscrit « que » 12. Le foot est un sport collectif, et le LOSC est une équipe collective, puisque tout le monde marque : Valois, Giublesi, Agasson, Collot, Br. Cheyrou, les joueurs offensifs savent profiter de leur point d’appui devant. Et, si on élargit un peu la focale, on se rend compte que Dagui Bakari est le deuxième attaquant le plus « décisif », en témoignent ces stats concoctées par DBC.
Une formation dans la rue
Tout de même : comment expliquer son jeu si particulier ? C’est simple : pour Dagui Bakari, le foot n’est qu’un sport de rue jusqu’à ses 16 ans, au moment où il signe sa première licence à Romainville, en Seine-Saint-Denis. Autrement dit, il n’a jamais connu de centre de formation, et le football s’est résumé pour lui durant 16 ans à un jeu sans grande discipline collective, sans consignes formelles ni règles du jeu très précises. Un ballon, des copains et un terrain vague faisaient l’affaire : « je n’avais pas pris conscience que le football pouvait être un métier. À mes yeux, ce n’était rien d’autre qu’un loisir1 ». 4 ans plus tard, il signe à Noisy-le-Sec, en troisième division, avant d’atterrir à Amiens en D2 pour son premier contrat pro, où il ne joue que 3 matches : « ce fut une expérience difficile. J’y ai appris beaucoup de choses. J’ai découvert ce qu’était un club professionnel. Malheureusement, je n’avais pas confiance en moi. Peut-être que je n’étais pas encore prêt pour jouer au haut niveau ». C’est finalement au Mans que Dagui se révèle, en y signant en 1996, sous la direction de… Thierry Froger : « ce fut le tremplin. C’est là que je me suis fait connaître. J’ai bénéficié de la confiance du staff pour progresser. En intégrant un club tardivement, j’ai pris du retard par rapport aux autres joueurs. Mais je m’efforce de compenser en travaillant dur ». Sa première saison au Mans est la plus prolifique de sa carrière, avec 11 buts marqués, le même total que son coéquipier Laurent Peyrelade.
Contre Saint-Étienne, la révélation
Quand Lille retrouve la D1, on se demande comment Dagui Bakari s’y affirmera, au même titre que nombre de ses coéquipiers. Logiquement, il n’est pas voué à être titulaire : le Danois Beck, plus expérimenté, a été recruté, dans un rôle d’ailleurs assez similaire à celui de Dagui, mais davantage pour dévier de longs ballons, et donc plus aérien. Il découvre la D1 en entrant contre Monaco lors de la 1e journée. Une semaine plus tard, il est titulaire à Strasbourg mais se blesse : il est remplacé par Laurent Peyrelade, buteur en 2e mi-temps. Pas forcément très bon pour sa place dans la hiérarchie des attaquants. Il revient pour la 5e journée contre Metz, en remplaçant Murati à la 73e. Quelques minutes après, il inscrit son premier but en D1. Jusque là, il avait inscrit des buts très classiques : et voilà qu’il nous fait un superbe enchaînement contrôle du droit/reprise du gauche qui donne la victoire 2-1. 3 semaines plus tard, il est décisif contre Lens, d’abord en égalisant 8 minutes après son entrée en jeu, puis en feintant la défense lensoise, ce qui permet à Lolo Peyrelade de marquer. Dans le premier sommet de la saison, au moins pour les supporters, Dagui est déjà là. La fin de l’année civile 2000 est assez quelconque, avec quelques apparitions contrastées : notons tout de même sa remontée de terrain à Lyon *je fais un une-deux sur 70 mètres avec Fernando*, qui permet à l’arrivée à Landrin d’inscrire le but vainqueur. Mais de manière générale, Beck est aligné en pointe, Sterjovski se révèle, Peyrelade semble plus affûté… Dagui est remplaçant.
Et puis le match contre Saint-Étienne, ci-dessus. Le même adversaire qui a vu Grégory Wimbée changer de dimension. Mais on parle ici du match retour, le 27 janvier 2001. Ce soir là, ses progrès sautent aux yeux : au-delà du doublé qu’il inscrit, il multiplie les appels, empêche la relance adverse, conserve intelligemment le ballon : « sur un plan personnel, je suis évidemment très heureux d’avoir réussi ce doublé. Je n’ai jamais douté de moi mais, évidemment, une telle réussite ne peut que me mettre en confiance pour la suite. Cela dit, rien n’est terminé. Il n’y a pas d’équipe-type et je devrai continuer à me battre pour gagner ma place2 ». Il n’y a pas d’équipe-type, mais le LOSC est en tête du championnat et son avant-centre pour le sprint final est désormais Dagui Bakari. La semaine suivante, il confirme à Lens, même s’il manque deux belles occasions : c’est sous sa pression que Rool marque contre son camp. L’hiver s’achève, Bakari en profite pour se teindre les cheveux et la barbiche, et il « crève l’écran » : c’est France Football qui l’écrit.
Une exceptionnelle fin d’année 2001
La saison s’achève. Dagui a ajouté à son répertoire de grandes chevauchées en contre-attaques, un jeu de tête toujours plus précis, et une menace permanente pour les défenses adverses. Il entame la saison 2001/2002 dans la peau du titulaire, et score dès la 2e journée contre Lorient, peu après être entré en jeu (3-1) : il fallait en effet le ménager avant de se rendre à Parme. À l’aller comme au retour, Dagui pèse sur la défense italienne, dévie les ballons, obtient des fautes. Son match aller est remarquable d’intelligence, et Bassir et les autres savent en profiter ; au retour, il permet à l’équipe de respirer quand elle est en difficulté. Lille se qualifie pour la Ligue des Champions, et son grand avant-centre y prend une part prépondérante. Entre les deux chocs contre les Italiens, il a permis à Lille de battre Montpellier à la 93e (2-1). 4 jours après la qualification, il égalise à Lens à la 86e (1-1).
Dans cette première partie de saison, il est souvent remplaçant en championnat, où il entre en fin de match, et titulaire en coupe d’Europe. Ainsi, contre Nantes, ci-dessous, il inscrit le seul but du match à la 93e, dans un scénario typique des années Vahid. Au total, il a inscrit à Lille 8 buts dans les 10 dernières minutes, pour un gain total de 8 points. Cette fois, Dagui est bel et bien devenu une des coqueluches de Grimonprez-Jooris. C’est cette incroyable époque où le public se lève quand le temps additionnel est annoncé, faisant complètement paniquer les adversaires, et attend le but vainqueur à la dernière seconde. Regardez la vidéo : le stade est debout et semble certain de l’issue victorieuse.
Le but sur Fréquence Nord
En Ligue des champions, Lille débute à Manchester, résiste mais s’incline en fin de match. Dagui maintient son niveau, trouvant même la barre de Fabien Barthez sur un lointain centre-tir.
Deux semaines plus tard, contre l’Olympiakos, le LOSC inscrit son premier but en phase de poules. Le buteur, bien sûr : Dagui Bakari.
Il se blesse malheureusement au Pirée, ce qui n’est sans doute pas négligeable dans la défaite ce soir là (1-2). Après quelques semaines d’absence, il signe son retour par un but à Florence, pour une nouvelle victoire lilloise en Italie (1-0), avant d’inscrire un but similaire à Monaco quelques jours plus tard (2-2) : oui, Dagui Bakari sait désormais placer des petits ballons piqués en face-à-face avec les gardiens.
Il inscrit cette saison là 9 buts en championnat, son meilleur total, alors même qu’il ne prend part qu’à 25 matches, dont un bon tiers comme remplaçant. La fin de saison, comme celle de toute l’équipe, marque une fin de cycle : il est plus irrégulier mais parvient à hisser le club à la 5e place. Puis, comme Cheyrou, Cygan et Ecker, il part.
Après Lille, peines de cœur
Et comme Cheyrou, Cygan et Ecker et bien d’autres, sa carrière post-lilloise ne revêt pas vraiment la même envergure. Il faut dire que Dagui a la mauvaise idée de partir à Lens. Ça, c’est pas bien du tout, mais on ne t’en veut même pas Dagui, même si tu nous a mis un but le 25 octobre 2003, nous causant une défaite d’autant plus amère (1-2).
Mais Dagui a eu la décence de ne jamais retrouver à Lens le niveau qu’il a eu à Lille. Régulièrement raillé par le public en sa seule qualité d’ancien Lillois, il subit également l’ire des Lensois en raison de sa maladresse. Il reste 3 saisons là-bas, entrecoupées d’un transfert raté à Valladolid. Il signe finalement à Nancy en 2005, où il ne joue qu’un seul match (contre Lens) avant que ne soit détectée chez lui une anomalie cardiaque incompatible avec le sport de haut niveau. À 31 ans, il doit prématurément mettre un terme à sa carrière. Après deux ans de traitement, il est déclaré hors de danger et après avoir entraîné des jeunes à Lambersart puis à Valenciennes, il est aujourd’hui entraîneur-joueur à Lomme-Délivrance, et s’est en parallèle reconverti dans le coaching privé, avec des exercices basés sur l’aspect psychologique du sport, et vit toujours dans la métropole lilloise. Pour terminer sur une anecdote sympa, l’un de nous l’a croisé il y a un an à Carrefour Gambetta : et comme 15 ans auparavant, la réflexion a été assez longue pour savoir comment aborder ce grand et impressionnant gaillard ; mais comme 15 ans auparavant après les entraînements à Grimonprez, Dagui a été absolument charmant. Et c’est nous qui avons le cœur lourd en repensant à ce qu’il a représenté.
FC Notes :
1 Cette citation (et les autres, sauf indication contraire) sont extraites d’un supplément à la Voix des Sports du 26 juillet 1999, p. VIII.
2 La Voix des Sports, 29 janvier 2001, p. 2
4 commentaires
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6 septembre 2018
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Guillaume a dit:
Il me semble que le match de pre saison contre anderlecht a eu lieu au stade van de vegaete de tourcoing et non roubaix
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6 septembre 2018
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dbclosc a dit:
On va vérifier, c’est fort possible, et on corrigera le cas échéant. Merci !
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14 avril 2017
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Ptiboon a dit:
Il me semble qu’il joue désormais à Lomme (SRLD)
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14 avril 2017
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dbclosc a dit:
En effet, on a ajouté l’info. Merci !