Posté le 3 juin 2017 - par dbclosc
François Bourbotte, les retours de bâton
François Bourbotte fut le premier capitaine du LOSC lors sa création en 1944 ; unanimement considéré comme exemplaire, il est cependant brutalement licencié en novembre 1946 : le retour de bâton d’un bête épisode. De nos jours, son nom est associé à un trophée virtuel, remis au goût du jour en 2016 : le bâton de Bourbotte. Présentation de ce trophée et de la carrière du « grand François ».
Né le 24 février (comme Hervé Rollain, Olivier Pickeu et Roger Hitoto) 1913 (pas comme Hervé Rollain, Olivier Pickeu et Roger Hitoto) à Loison-sous-Lens, François Bourbotte ressemble à beaucoup de joueurs de son temps qui, bien souvent, réalisent l’ensemble de leur carrière dans leur région de naissance. Tout d’abord, une précision : il ne faut pas confondre François Bourbotte, dont nous allons parler ici, et Gérard Bourbotte, attaquant losciste des années 1950 et 1960, qui nous a quittés l’année dernière. Il semblerait même que ces deux anciennes gloires n’aient aucun lien de parenté, hormis le fait qu’elles aient le même nom, ainsi que vous l’aviez remarqué en lecteurs avisés que vous êtes.
Du Pas-de-Calais au Nord
D’abord passé par Vendin-le-Vieil, François Bourbotte rejoint Bully-les-Mines au début des années 1930 : il y côtoie notamment Jules Bigot. C’est dans ce club qu’il connaît ses premiers trophées nationaux : en 1932, il remporte la coupe de France Juniors à Colombes. On dit de ce grand milieu de terrain axial (plus rarement sur un côté), comparé à une « tour de contrôle », qu’il est « rugueux », « besogneux » et, plus étonnant, « anguleux », pour parler de son visage bien sûr. Personne ne niera que chaque visage comporte des angles, mais on utilise cet adjectif pour désigner des traits particulièrement marqués, qui donnent chez François Bourbotte l’impression qu’il fait plus que son âge. Fort heureusement, le poste ne fait pas l’homme, et lui n’est pas touché par le syndrome de vieillissement accéléré qui mit un terme prématuré à la carrière de Thierry Rabat.
François Bourbotte est remarqué par l’un des clubs-phares de la région (et du pays, puisque dans les années 1930, bon nombre de clubs du Nord-Pas-de-Calais sont parmi les premiers clubs professionnels de D1 : l’Olympique Lillois, le SC Fives, le RC Lens, l’EAC Roubaix, le RC Roubaix, Valenciennes) : il signe alors au Sporting Club de Fives, l’un des ancêtres du LOSC, présidé par Louis Henno (futur président du LOSC), au cours de la troisième saison de professionnalisme en France, en 1934/1935. À côté des buteurs du clubs tels que Bara et Liberati (34 buts à eux deux la saison précédente, 18 cette année), il devient rapidement l’un des principaux atouts de cette équipe, avec à ses côtés Séfelin et Méresse. À l’issue de cette première saison, le SC Fives obtient une décevante 11e place, un an après le meilleur classement de son histoire (deuxième en 1933, à un point seulement du champion sétois, et juste devant Marseille et l’Olympique Lillois).
Épopées en coupe
Mais c’est surtout grâce à la coupe de France que le parcours de François Bourbotte prend un relief particulier. Ainsi, le SC Fives est d’abord trois fois demi-finaliste : en 1935, où il échoue contre Rennes ; en 1938, où Metz stoppe les Fivois ; et en 1939, où le RC Paris barre de nouveau la route des Nordistes. C’est au cours de la saison 1940/1941, très particulière dans le contexte de guerre (on appelle ce championnat le « championnat de guerre », et beaucoup d’équipes refusent d’y prendre part) que François Bourbotte entrevoit enfin la finale : après avoir remporté la finale de la « zone interdite » contre Roubaix (3-1), son équipe se qualifie pour la finale « interZones ». Mais à Saint-Ouen, Fives est battu 0-2 par les Girondins de Bordeaux.
« Bon match ! ». A gauche, François Bourbotte, capitaine du SC Fives ; à droite, Jaime Mancisidor, capitaine de Bordeaux. L’arbitre central est M. Boës.
Durant la guerre, les compétitions sont perturbées : naissent ici et là quelques compétitions dont le seul intérêt est probablement qu’elles aient lieu en ces temps difficiles. Des équipes « provinciales » se forment, et l’équipe des Flandres remporte la coupe des provinces françaises en 1943, à Saint-Ouen. Cette équipe est constituée d’une sélection de joueurs nordistes : on y trouve, bien entendu, François Bourbotte, mais aussi, par exemple, le Lensois Anton Marek – celui de la tribune du stade Bollaert : ils sont côte-à-côte sur la photo ci-dessous.
« Logiquement », François Bourbotte est également sélectionné dans l’équipe fédérale de Lille-Flandres lors du championnat de France 1943/1944. Il s’agit du 4e et avant-dernier « championnat de guerre » : sa particularité est qu’il est initié par le régime de Vichy, via le colonel Pascot, qui impose des équipes « régionalisées », au nombre de 16, en lieu et places des 32 équipes professionnelles. L’équipe de « Lille-Flandres » est ainsi censée être composée des meilleurs éléments des clubs du nord : outre Bourbotte, on y trouve ses coéquipiers fivois Marceau Somerlinck ou René Bihel, les Lillois Jean Lechantre et Jean Baratte, le Roubaisien César Urbaniak, ou le Valenciennois Jules Léglise. « Lille-Flandres » termine 2e, derrière « Lens-Artois ».
Expériences internationales
Parallèlement à sa brillante carrière en club, François Bourbotte est également international français de 1937 à 1942. Il honore sa première sélection le 21 février 1937 en Belgique : reconverti stoppeur pour l’occasion, il ne peut empêcher la défaite des Français (1-3). 16 autres sélections suivront. S’il n’y joue aucun match, il est toutefois sélectionné pour la coupe du monde 1938 qui se déroule en France : les Français sont éliminés par l’Italie, futur vainqueur, en quart de finale (1-3). À noter qu’à l’occasion de cette compétition, le stade Victor-Boucquet (ex stade de l’avenue de Dunkerque et futur stade Henri-Jooris) accueille le quart de finale entre la Suisse et la Hongrie.
Parallèlement, François Bourbotte a également joué pour une espèce de sélection officieuse, baptisée « ligue du Nord », dont les matches se déroulaient au stade Victor-Boucquey puis Henri-Jooris, de 1929 à 1968. Il a ainsi pris part aux victoires contre Sunderland, le 15 novembre 1936 (5-1) ; la Pologne de l’Ouest, le 20 février 1938 (4-0) ; Budapest, le 19 février 1939 (2-1) ; la ligue de Paris, le 1er novembre 1942 (2-1)
Contre Budapest, le 19 février 1939. François Bourbotte est en blanc, grand, vers la gauche.
Et puis le LOSC
Paris est libérée en août 1944, puis progressivement l’ensemble du territoire. Le championnat de France peut désormais convoquer de nouveau ses clubs « historiques ». Toutefois, en raison de la situation encore chaotique par moments et par endroits, le championnat 1944/1945 est encore un championnat dit « de guerre », le dernier. Et quelques modifications sont au menu : le 23 septembre 1944, l’union entre l’Olympique Lillois et le Sporting Club de Fives est scellée. Le Stade Lillois est né : il comporte les meilleurs éléments des équipes fusionnées (de Fives : Bourbotte, Sommerlynck, Bihel… De Lille : Lechantre, Baratte, Bigot…) Un premier match amical est organisé le 1er octobre 1944 contre le Red Star. François Bourbotte est capitaine. Le Stade Lillois, avec un maillot bleu à parements rouges, s’impose 3-2. Le 1er novembre, pour la première journée de championnat, le Stade Lillois bat le Stade Français au Parc des Princes 2-1. Quelques jours plus tard, le Stade Lillois devient LOSC et, pour son premier match (avec de nouveaux maillots blancs à scapulaire rouge), il s’impose 9 à 2 contre Le Havre. Les Lillois terminent 5e du championnat. En coupe, ils se présentent à Colombes le 6 mai 1945 pour la première de leur 5 finales de coupe consécutives. Ils s’inclinent 0-3 contre le RC Paris, renforcé au dernier moment par le retour de ses aviateurs en mission en Afrique. Décidément, le capitaine Bourbotte n’est guère en réussite en coupe de France.
1946, le doublé puis le licenciement
La consécration arrive en 1946. Après une saison parfois agitée (altercation entre l’entraîneur, George Berry, et Jean-Jacques Kretzchmar, joueur et fils du vice-président, effondrement d’une tribune lors du derby…), les Lillois vainquent enfin en finale de coupe ! Après la victoire contre le Racing Paris en quarts, la voie était toute tracée : Clermont a explosé en demi (1-7), et le Red Star se présente en finale.
26 mai 1946 : juste avant le coup d’envoi de la finale, François Bourbotte présente ses coéquipiers (Bihel, Baratte, Vandooren, Prévost et Carré) à Félix Gouin, Président du Gouvernement provisoire.
Devant 59 692 spectateurs générant une recette de 3 654 370 francs, le LOSC s’impose 4 à 2, grâce à Tempowski, Bihel, et un doublé de Vandooren. Quelques jours après, après une nouvelle victoire contre le Red Star, cette fois en championnat (3-1) à Victor-Bouquey, pendant que Saint-Etienne est accroché contre Rouen, le titre du premier championnat régulier de l’après-guerre est quasi-acquis. Un dernier nul à Reims (1-1) l’officialise : après Séte en 1934 et le RC Paris en 1936, le LOSC est le troisième club à réaliser le doublé coupe/championnat.
Un an plus tard, le 11 mai 1947, le LOSC remporte sa deuxième coupe consécutive, contre Strasbourg (2-0). Mais sans Bourbotte. Où est donc passé l’exemplaire capitaine ? Hé bien il est parti, depuis novembre 1946. En voici la raison.
Le 17 novembre 1946, le LOSC se déplace en région parisienne : là, il faudrait que les historiens du LOSC se mettent d’accord, car l’interprétation de l’événement est bien différente selon le résultat du match. D’aucuns évoquent un déplacement victorieux au Parc contre le Stade Français (2-0) ; d’autres ne précisent ni l’adversaire ni l’issue du match ; et nous, quand on regarde 17 novembre 1946, on trouve : Red Star/LOSC, 5-1. Donc pour ceux qui considèrent qu’on a gagné, l’ambiance est festive dans le train du retour. Pour les autres, pas de référence à l’humeur des uns et des autres. Là où tout le monde s’accorde, c’est que certains joueurs lillois commandent à boire au wagon-restaurant (du champagne pour les uns, des apéritifs pour les autres…). Jean Baratte demande au trésorier du club, M. Wauquier, de régler la note sur les deniers du club. Sauf que le trésorier refuse, arguant de la crise économique, sans doute. Les joueurs protestent, s’énervent, et François Bourbotte, en sa qualité de capitaine, prend la parole, et annonce que, de toute façon, les joueurs n’ont pas besoin des dirigeants, qui ne sont pas sur le terrain. Il les traite d’inutiles et les accuse même de publier un bilan fictif. Le lendemain matin, François Bourbotte est convoqué par Louis Henno, le président. Dans un premier temps, son contrat est suspendu. Le président promet de le réintégrer en échange d’excuses et de la promesse de ne plus nuire au club. Bourbotte refuse : il est licencié. On a peine à croire que ceci correspond à l’intégralité du conflit et qu’il n’y avait pas quelques tensions préalables, mais les conséquences sont là : François Bourbotte quitte Lille et part à Armentières, où il devient entraîneur-joueur, et cafetier. Une sortie bien triste pour un personnage majeur du football lillois durant presque 15 ans.
Par la suite, François Bourbotte entraîne l’US Boulogne, de 1950 à 1956. Il est décédé à 59 ans, en 1972. Dans le Pas-de-Calais, à Beaurains, le stade municipal porte aujourd’hui son nom.
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Bon, et cette histoire de bâton de Bourbotte, alors ? Il s’agit d’un trophée symbolique, virtuel, c’est-à-dire qu’il ne se traduit pas par la remise d’une coupe, par exemple. Raison de plus pour laquelle on ne pourra jamais l’enlever complètement au LOSC : le Bourbotte en question est en effet François Bourbotte, dont on vient d’exposer à grands traits la carrière, et il donne son nom au trophée précisément à raison de sa qualité de capitaine du LOSC lors du premier championnat régulier de l’après-guerre, celui du doublé. Mais pour comprendre ce qu’est le bâton de Bourbotte, peut-être faut-il préalablement faire un détour par le bâton de Nasazzi.
La première coupe du monde de football eut lieu en juillet 1930 en Uruguay. Le pays hôte, emmené par son capitaine José Nasazzi, remporte le trophée en battant l’Argentine 4-2. Suite à la compétition, un trophée est créé, sans lien avec les compétitions officielles ou le classement mondial des sélections. L’Uruguay, du fait de son titre mondial, est considéré comme le premier détenteur de ce bâton, qui prend le nom de son capitaine. À chaque rencontre, le détenteur du bâton le remet en jeu, et le bâton change de propriétaire en cas de défaite au bout de 90 minutes (la prolongation n’est pas prise en compte). Le bâton de Nasazzi s’apparente dès lors au témoin d’une course de relais, que l’on se refile au gré des victoires des uns et des autres. Par exemple, voici comment a circulé, à ses origines, le bâton de Nasazzi :
Le 30 juillet 1930, le bâton est détenu par l’Uruguay. Invaincue pendant plus d’un an, la sélection ne le cède qu’en septembre 1931, après une défaite contre le Brésil (0-2). Ce même Brésil le cède contre l’Espagne en 1934 durant la coupe du monde (défaite 1-3) : le bâton de Nasazzi arrive en Europe ! Etc.
José Nasazzi entre sur le terrain pour la finale de coupe du monde 1930, avec un gosse déguisé en vieux
Les règles sont simples et, tout symbolique qu’il est, le trophée peut en partie révéler des rapports de force que les compétitions officielles ne permettent pas de faire. Il permet surtout de souligner l’incertitude entourant de chaque match. Il est également l’occasion pour des « petites » sélections d’inscrire leur nom à un palmarès. Par exemple, les Antilles néerlandaises l’ont détenu 4 jours en 1963, après une victoire contre le Mexique en coupe de la CONCACAF ! Le bâton n’est arrivé en Afrique que dans les années 2000, grâce au Nigéria, ce qui permit à l’Angola et au Zimbabwé de l’avoir aussi.
Maintenant que l’ascendance du bâton de Bourbotte est établie, il est assez aisé d’en comprendre le fonctionnement : c’est le même, mais au niveau du championnat de France. 1946/1947, saison de la « normalisation », est considérée comme la « saison zéro », point de départ de l’existence du trophée. Et, comme pour l’Uruguay et son capitaine en 1930, c’est le capitaine du club champion qui donne son nom au trophée. Ainsi, en août 1946, le LOSC met en jeu pour la première fois le bâton de Bourbotte, à Lens, et le conserve grâce à un nul (3-3). Le trophée est perdu lors de la 5e journée, à cause d’une défaite à Roubaix. Cependant, le trophée n’existe pas dès 1946 : il a été créé ex post par le regretté site Poteau rentrant, fermé en 2013. Mais, début 2016, Guillaume Amary, fidèle du site, exhume l’idée et, avec l’aide quelques potes, crée un site dédié au bâton de Bourbotte. Grâce à forces statistiques, on y apprend que le LOSC est dans le top 10 des détenteurs du trophée, selon divers indicateurs (temps cumulé, durée moyenne de possession, nombre de prises du bâton…). Puisqu’on écrivait que les rapports de force sont en quelque sorte remis en jeu, on ne sera pas surpris d’apprendre que le LOSC a détenu le trophée durant la saison 2016/2017, pourtant si chaotique : c’était en décembre, après la victoire face à Montpellier (2-1). Pour 8 jours, puis que Marseille l’a récupéré la semaine suivante. Plus logiquement, le LOSC en a été le détenteur au cours de la saison du dernier titre, durant 12 journées (entre une victoire contre Brest et une défaite à Montpellier).
Logo officiel du bâton de Bourbotte
On aura compris que le trophée a avant tout une vocation ludique. Et comme pour le trophée de Nasazzi, il permet à des « petits » de se distinguer : Limoges, le FC Nancy, Angoulême, le Pays d’Aix FC, Mulhouse… ont été lauréats du bâton de Bourbotte. Désormais, que le bâton de Bourbotte revienne à Lille, à qui il doit tout. Voilà un retour de bâton qui aurait de la gueule (anguleuse) : make our trophée great again !
FC Notes :
Tous les stats sur les détenteurs du bâton de Nasazzi sont à retrouver, par exemple, sur la page wikipédia du trophée, régulièrement mise à jour.
Le site du bâton de Bourbotte propose de nombreuses statistiques, notamment par club : celles sur le LOSC sont ici.
Merci à Guillaume Amary pour sa disponibilité. Le trophée de Bourbotte a même un compte twitter ! Il est à suivre ici.
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