Posté le 13 juillet 2017 - par dbclosc
L’esprit club n’attend pas le nombre des années
Si la saison qui s’annonce fait naître des espoirs, elle engendre aussi son lot d’inquiétudes. Parmi ces craintes, celle de la « perte d’identité » du club qui serait le produit d’un « foot bizness » n’ayant que faire de l’attachement au club.
En revenant sur les années 1980, on constate que le LOSC compte dans ses rangs une part particulièrement élevée de joueurs ayant porté le maillot du club sur le long terme. Des joueurs comme Eric Péan et les frères Plancque apparaissent alors comme emblématiques du club qu’ils quittent tous les trois en 1987, chacun ayant passé au moins sept années dans le groupe professionnel. A ceux-ci, il faut ajouter pléthore de jeunes formés au club (Prissette, Lama, etc.) ou arrivés jeunes (Périlleux, Thomas, etc.) qui restent longtemps des cadres de l’équipe, étayant la thèse d’un âge d’or de l’identification au club.
Par contraste, l’équipe qui s’annonce la saison prochaine sera vraisemblablement composée de joueurs peu expérimentés au club. Ainsi, Adama Soumaoro, qui a débuté sous le maillot lillois il y a trois ans et demi, sera vraisemblablement le joueur le plus ancien de l’effectif si l’on juge actés les départs de Rio Mavuba et de Vincent Enyeama ; tandis que Mike Maignan et Yassine Benzia, deux ans au club chacun, risquent d’être ceux qui le suivent dans la hiérarchie de l’ancienneté. Alors, doit-on y voir la fin de l’ « esprit club » ?
La thèse de la fin de l’ « esprit club » à nuancer
Avant de conclure à la fin de l’ « esprit club », il est nécessaire d’examiner un peu plus en détail le contexte et ne pas omettre de souligner les arguments qui vont à revers de cette thèse. Ainsi, il faut prendre acte du fait que cette saison s’inscrit dans une volonté de reconstruction appelée de ses vœux à la fois par la présidence, mais aussi par nombre de joueurs, d’éléments du staff et peut-être plus encore par les supporters.
A ce titre, le profond renouvellement de l’effectif opéré aujourd’hui n’a rien d’inédit. Déjà, en 1989 et en 1990, le succès du LOSC en 1990/1991 s’était basé sur une refonte profonde de l’effectif, seuls Philippe Périlleux, Jean-Luc Buisine et Alain Fiard pouvant alors s’inscrire comme des relais de la génération précédente. De même, le LOSC de Vahid Halilhodzic, emblématique du renouveau des Dogues, doit aussi son succès à un profond renouvellement de l’effectif. D’ailleurs, taquins, on serait tentés de dire que même ceux qui sont restés n’étaient plus vraiment les mêmes : Pascal Cygan et Djezon Boutoille ont ainsi trouvé respectivement un premier puis un second souffle avec « Coach Vahid ». On pourrait également ajouter que le rôle important joué par Claude Puel s’est également construit en rupture avec l’héritage de son prédécesseur, l’essentiel des cadres passés disparaissant rapidement avec l’arrivée de l’ancien inusable milieu de terrain monégasque.
En 2017, Arnaud Duncker porte encore le maillot lillois, ici celui des Anciens Dogues
En soit, rien de bien nouveau. Et peut dire qu’on n’a pas eu à regretter ces trois renouvellements considérables de l’effectif, le LOSC de Jacques Santini flirtant avec l’Europe en 1990/1991 après une décennie passée dans le ventre mou (même si l’époque fût, pour d’autres raisons, également désespérante), la bande à Vahid faisant découvrir la C1 à un club qu’il avait repris en bas de classement de D2, quand celle de Puel consolidait le nouveau statut des Dogues.
Surtout, ces renouvellements n’ont pas alors été associés à la fin de l’ « esprit club ». C’est aussi là que l’on voit que le fait d’être garant des valeurs d’un club n’a pas un lien mécanique avec le temps passé au club : des joueurs comme Fernando D’Amico et Lolo Peyrelade sont ainsi encore aujourd’hui des symboles de cet esprit alors même qu’ils n’ont passé « que » quatre années chacun au club.
Des contextes inégalement propices à la légitimation des renouvellements
Ceci étant, il faut aussi comprendre le contexte comme un élément important de la légitimation de ces reconstructions d’effectifs. A ce titre, la comparaison des façons dont ont été reçues les arrivées de coach Vahid et de Coach Cloclo révèle combien le jugement porté sur une stratégie tient finalement assez peu à la pertinence de la stratégie elle-même. Sans nous étendre sur le sujet, on peut ainsi dire que les stratégies respectives de l’un et de l’autre ont été couronnées de succès, tout en soulignant qu’elles n’ont pas fait l’objet de la même réception.
Ainsi, Vahid Halilhodzic est arrivé dans un contexte bien plus propice que Claude Puel pour légitimer un changement en profondeur dans la stratégie lilloise. En effet, Vahid arrive pour remplacer Thierry Froger quand le club est alors 17ème de D2. Surtout, on semble alors loin de l’union sacrée, que cela soit entre supporters et joueurs, mais aussi au sein du groupe professionnel lui-même (« Au départ, on le jaugeait, mais on était dans une telle détresse sportive qu’on n’a pas eu d’autres choix que de foncer. Après, on le suivait les yeux fermés » explique Patrick Collot). Dans un tel contexte, « vouloir tout changer » fait alors consensus, contribuant d’emblée à offrir une large légitimité à celui qui affirme vouloir le faire, indépendamment même de sa stratégie. Nous ne sommes pas ici en train de dire que cette stratégie n’était pas pertinente, bien au contraire, mais on se contente de souligner que le contexte lui conférait presque ipso facto une certaine bienveillance.
Joueur puis entraîneur au LOSC, Thierry Froger avait a priori tous les atouts pour être identifié aux Dogues
La situation est toute autre pour Claude Puel. Quand il arrive en 2002, il prend la suite de son glorieux prédécesseur bosniaque, qui vient d’enchaîner un titre de champion de D2, une troisième puis une cinquième place en L1, tout cela en moins de quatre ans avec un club qu’il avait repris au bord d’une position de relégable en deuxième division. Bref, dans un tel contexte, vouloir reconstruire l’équipe n’a de chance d’être favorablement reçu qu’à la condition d’obtenir des résultats immédiats, ce qui est presque antinomique du principe de reconstruction. Cela n’a d’ailleurs pas manqué : pendant un an et demi, Puel fit face à une défiance récurrente de la part des supporters, avant, enfin, de convaincre.
Joueur, Claude Puel se prit beaucoup de cartons, sa coiffure étant considérée comme relevant de l’ »antijeu » et étant « contraire aux valeurs universelles du sport »
Le renouvellement actuel de l’effectif s’inscrit dans un contexte idoine : celui de la morosité ambiante après quatre années souvent pénibles prenant la suite de cinq ans de football champagne. Quand on a survécu à une huitième place avec le jeu proposé par René Girard, on se dit qu’on a peu de chances d’être déçu par une équipe d’inconnus emmenée par Marcelo Bielsa. D’où un contexte de bienveillance plutôt favorable à de belles réalisations.
Le match est à peine fini, mais Djezon a déjà l’air bourré
Ceci étant, précisons-le, c’est peut-être bien là qu’est le piège. Déçus par un passé récent en décalage avec les attentes que nous avions après quinze années de progression presque constante, notre esprit critique est considérablement affaibli par rapport à tout projet de déconstruction/reconstruction de l’effectif. Finalement, nous avons montré qu’une refonte complète de l’effectif n’était en rien synonyme de déclin et de perte de l’identité du club, mais nous n’avons en revanche aucunement montré qu’il était impossible qu’elle aboutisse à ce résultat.
Esprit club VS Mise en scène de l’esprit club
Finalement, ce qui aiguise le plus la méfiance de la rédaction de DBC LOSC, c’est précisément l’excès d’euphorie et de confiance en un projet dont le produit est actuellement assez insaisissable. Et cette incertitude concerne en particulier la question de l’identité du club, dont on est sûrs qu’elle est mise en scène mais aucunement qu’elle soit effective. Voyez à ce titre ce qu’on a déjà écrit à ce sujet.
Précisons-le d’emblée, on ne juge pas cette « mise en scène » en elle-même. Qu’une équipe dirigeante veuille mettre en scène son attachement au club, ça n’a en soit rien d’illégitime. C’est simplement que ça ne nous dit absolument rien de ce qui sera effectivement mis en place. D’ailleurs, l’ambiguïté est forte sur ce point : on sait ainsi que Gérard Lopez a fait le choix de placer un certain nombre de cadres historiques, mais on sait aussi qu’il a largement « fait le ménage ». La nomination de Patrick Collot à la tête de la réserve lilloise peut-être lue a priori comme la mise en avant d’un historique du club. On ne peut cependant s’empêcher de souligner que cela a aussi été synonyme de l’éviction de la fonction de Rachid Chihab, autre historique, certes plus anonyme. Si l’on est évidemment ravi que Pat Collot trouve sa place dans ce nouveau LOSC, on est aussi inquiets de l’avenir au club de ces personnalités moins médiatiquement exposées et qui ont pourtant joué un rôle essentiel dans le développement du club : voir Stéphane Dumont à Reims a aussi tendance à nous arracher une petite larme.
Quand l’inégalité dessert l’ « esprit club »
On l’avoue, on était au départ partis sur un a priori qui, une fois la vérification faite, s’est avéré infondé. On pensait ainsi qu’on allait découvrir que les joueurs restaient de moins en moins longtemps au club, ce qui aurait pu constituer un indice d’une dégradation généralisée de l’ « esprit club ». Il n’en est en réalité rien.
En fait, c’est sans doute avant tout parce que l’indicateur du nombre d’années passées au club n’est qu’un indicateur extrêmement imparfait de l’attachement au club. Prenons deux exemples. L’auteur de ces lignes, peu suspect de ne pas être attaché au LOSC, n’y a pourtant jamais joué. Inversement, Pascal Nouma, pourtant peu suspect d’être attaché au LOSC, y a joué quelques mois. En fait, cela illustre tout simplement que l’une des premières conditions pour rester durablement dans un club tient à la correspondance entre le standing du club et la cote du joueur.
Ceci étant, c’est justement pour cette raison que l’accentuation des inégalités de moyens entre les clubs limite la possibilité même qu’un joueur reste dans son club de cœur. En effet, tant que les clubs disposent de moyens relativement égalitaires, un joueur fortement attaché à son club pourra plus facilement résister aux propositions extérieures : il est en effet plus difficile de résister à une offre de triplement du salaire qu’à une autre qui ne propose « que » 50 % d’augmentation. Or, c’est justement ça qu’engendre une configuration plus inégalitaire. De plus, ce phénomène contemporain est accentué (et lié) au développement des agents dans le football, lesquels sont directement intéressés aux revenus de leurs clients, et donc à même de privilégier un transfert dans un club proposant un meilleur salaire plutôt qu’un maintien dans le « club de cœur ».
There is only one Djezon Boutoille
L’attachement au club n’est donc pas qu’un pur fantasme. On sait par exemple que si Djezon Boutoille est resté si longtemps au club, ça n’est pas par manque de propositions. Régional, formé au club, Djezon a tout connu au LOSC, du ventre mou du championnat à la Ligue des champions en passant par la relégation et la D2, ne quittant le club qu’à contrecœur. Et pourtant, même lui aurait pu connaître une trajectoire différente à l’époque contemporaine. Même si, même à l’époque contemporaine, il aurait eu davantage que bien d’autres des chances de rester longtemps.
L’ « esprit club », un truc de supporter mais pas que
L’attachement au club, au final, c’est sans doute davantage un truc de supporters que de joueurs. Un joueur restant longtemps au club voit presque mécaniquement sa cote augmenter auprès des supporters. Si Rio Mavuba et Franck Béria ont été récemment critiqués par les supporters, il ne fait guère de doutes que ça n’est pas cela qui restera dans les mémoires, si ce n’est sous la forme ambiguë d’un effet pervers de l’attachement au club : « trop Lillois », on dira peut-être qu’ils se sont entêtés à rester au club alors qu’ils n’avaient plus le niveau. Un péché bien maigre en somme (1).
Pour les joueurs, le fait de rester longtemps dans un même club tient, aujourd’hui davantage qu’hier, à un ensemble de contingences propres à leurs carrières. Ni Flo Balmont, ni Rio Mavuba, ni Franck Béria ne rêvaient de porter la tunique du LOSC étant petits (2). Mais c’est peut-être là qu’est l’essentiel de la différence entre le « foot à papa » et le foot contemporain en matière d’attachement au club : ces trois-là, comme aussi par exemple Pat Collot et Greg Wimbée n’ont jamais eu comme rêves d’enfance de porter le maillot du LOSC. Et pourtant, leur attachement au club est désormais indiscutable.
-
Et non pas : « un pêcher bien maigre en Somme »
-
D’ailleurs, jusqu’au 8 ans de Flo Balmont, le maillot du LOSC était floqué « Peaudouce », du nom du sponsor historique du club. On imagine mal Flo Balmont rêver de porter un maillot floqué Peaudouce. Mais peut-être nous trompons-nous.
Laisser un commentaire
Vous pouvez vous exprimer.
0 commentaire
Nous aimerions connaître la vôtre!