Posté le 14 septembre 2017 - par dbclosc
Vahid Halilhodzic, tombé du ciel
Le 14 septembre 1998, Vahid Halilhodzic devient l’entraîneur du LOSC. Une star du foot yougoslave des années 1970, du foot français dans les années 1980, ensuite profondément marquée par la guerre dans son pays. On ne le sait pas encore, mais il constitue la meilleure recrue du club depuis des décennies, tant son empreinte dans tous les domaines sera forte. Pourtant, quelques heures avant l’officialisation de sa prise de fonction, le président Bernard Lecomte ne connaissait même pas son nom.
6e journée de D2, 12 septembre 1998 : le LOSC se rend à Beauvais, dernier avec 2 points. Les Lillois sont à peine mieux lotis avec 5 points : seulement 2 buts marqués, une défaite inaugurale contre Guingamp, 2 nuls à Niort puis contre Caen, une victoire dans le derby à Wasquehal, et une nouvelle défaite à domicile, contre Cannes, dans un climat franchement hostile où les plaques de plexiglas ont volé et où les grillages de Grimonprez-Jooris ont tremblé. Chahuté par le public, et même violenté quelques jours avant à l’entraînement, l’entraîneur, Thierry Froger, est plus que jamais menacé. Le président Bernard Lecomte lui avait donné deux ans pour remonter : le jeu proposé, les circonstances de la fin de saison précédente, et le début de cette saison ont considérablement réduit l’horizon d’attente de tout le monde : en cas de résultat négatif à Beauvais, c’en sera fini de l’aventure de Thierry Froger à Lille. Bernard Lecomte indique même la veille du match à Pierre Dréossi, directeur sportif du club, qu’il lui reviendra alors de prendre en main l’équipe.
Adieu Thierry Froger
Ce samedi soir, au stade Pierre Brisson de Beauvais, Jacques Vendroux présente son émission Inter Football – une émission consacrée au football pour France inter, comme son nom l’indique – depuis les tribunes. À ses côtés, Dominique Bathenay, dont on soupçonne qu’il ne soit pas là par hasard : voilà presque 2 ans que l’ancienne gloire des Verts est sans club à entraîner. Quelques rangs en contrebas, on aperçoit Vahid Halilhodzic, accompagné de Miroslav Popovic, un ami. Sur le terrain, la prestation du LOSC est meilleure que lors de ses dernières sorties, et la Voix du Nord souligne que les joueurs semblent vouloir sauver leur entraîneur. Mais le LOSC s’incline encore. Comme il l’avait envisagé, Bernard Lecomte signifie dans les vestiaires à son entraîneur que son sort est désormais scellé : « Je suis désolé pour lui. C’est un garçon que j’aime bien, qui a beaucoup de qualités. La décision est douloureuse, lourde sur le plan humain. La survie de l’équipe est en jeu. Dans la situation actuelle, on ne pouvait pas faire autrement. Je pense que c’était la bonne décision. Le public ne lui a pas pardonné l’échec de la saison dernière. On l’attendait, et ce premier match fut terrible avec cette tribune vidée de ses supporters. Quand vous faîtes la rentrée des classes et que, dès le premier jour, on vous dit que vous êtes un cancre, c’est dur ! ». Oui enfin, il sait qu’il a redoublé, quand même.
« Comment ça, viré ? OK, on a perdu, mais 0-1 seulement, contre des Picards déchaînés ! »
Mais la donne a changé par rapport à ce que le Président envisageait la veille. Avant le match, Jacques Vendroux, dont on se demandera toujours si l’étiquette de journaliste n’est pas une couverture pour ses activités de lobbyiste multicartes mondain en Nord-Pas-de-Calais, et vas-y que je suis le petit-neveu du Général De Gaulle, a signalé à Bernard Lecomte la présence de Vahid Halilhodzic : « il m’avait déjà soufflé quelques noms, mais cela ne m’avait pas convaincu, confie Lecomte. Quand enfin il m’a appris que Vahid Halilhodzic était au stade, qu’il était au chômage, j’avoue que cela ne m’a pas dit grand chose… ». Et ben alors, Nanard ? Il est vrai que Lecomte est davantage arrivé dans le foot pour ses qualités de gestionnaire d’entreprise que pour consacrer sa passion du football, mais tout de même. Alors rafraîchissons-nous la mémoire.
Mostar du ballon rond
Vahid Halilhodzic est né en 1952 en Bosnie-Herzégovine, l’une des Républiques fédérées constituant la Yougoslavie. Il intègre en 1968 le Velez Mostar, dans la capitale de l’Herzégovine. C’est d’abord le grand frère Halilhodzic, Salem, qui est repéré par les dirigeants de Mostar. Mais Vahid s’y impose, d’abord dans l’équipe Junior (1968-1971), puis durant 9 saisons à la pointe de l’attaque en D1 (après un prêt durant la saison 1971-1972 au Neretva Metković), durant lesquelles ses qualités de buteur permettent au club d’atténuer la toute-puissance de l’Hajduk Split et de l’Étoile Rouge de Belgrade. Il y côtoie notamment Boro Primorac, qui signera plus tard à Lille. Mostar est en plein essor : alors que Vahid marque encore peu en 1973 puis en 1974 (9 matches et 1 but en 1973 ; 24 matches et 6 buts en 1974 : ne jouait-il que des bouts de matches ou était -il ailier ?), le Velez termine 2e du championnat (manquant même le titre en 1974 à la différence de buts). C’est à partir de la saison 1974-1975 qu’il s’impose comme titulaire, avec 16 buts inscrits en championnat, et un quart de finale d’UEFA en 1975 : si les Yougoslaves s’imposent 1-0 à l’aller, ils s’inclinent 0-2 au retour aux Pays-Bas, contre Twente, futur finaliste. Il devient international la saison suivante.
La réussite de Mostar dépasse le seul cadre sportif : située aux croisements de diverses cultures, la ville est considérée comme un lieu de passage et de rencontre des hommes. Symbolisée par son pont, construit par les Ottomans au XVIe siècle au-dessus du fleuve Neretva (Mostar signifie d’ailleurs littéralement « stari most », « vieux pont »), Mostar emmène à l’ouest du côté de la mer Adriatique, de l’Europe et du monde latin, et à l’est vers Sarajevo, le monde slave et oriental, des pays de confession musulmane. L’équipe du Velez reflète cette diversité : elle est composée de serbes, de croates et de bosniens, catholiques, musulmans. Au début des années 1970, le Bosnien Bajević, le Croate Marić et le Serbe Vladić, tous trois nés à Mostar, sont la fierté du Velez.
Le Vieux pont de Mostar en 1974 (Photo Jean-Pierre Bazard sur wikipédia).
Vahid Halilhodzic a joué 208 matches de D1 en Yougoslavie et a inscrit 106 buts. Si l’on ajoute à ces statistiques les coupes, les chiffres diffèrent selon les sources, mais Vahid Halilhodzic aurait joué, championnat et coupe compris, entre 220 et 230 matches, pour un total de 115 à 120 buts marqués. De quoi être fortement sollicité. Vahid Halilhodzic ne quitte pourtant son pays qu’en 1981, à l’âge de 29 ans, pour la raison suivante : les nationaux ont l’interdiction de s’exiler avant l’âge de 28 ans, selon la loi alors en vigueur en Yougoslavie mise en place par Tito, tout juste décédé en 1980, et ce pour empêcher l’exode des meilleurs footballeurs. Vahid franchit le pas juste après avoir obtenu un premier trophée majeur au printemps : grâce à une victoire 3-2 contre le Zeljeznicar Sarajevo, match au cours duquel il inscrit un doublé, il remporte la coupe de Yougoslavie. Direction la France, à Nantes, sur les conseils du stéphannois Ivan Curkovic, natif de Mostar.
Vahid avec le maillot de Mostar en 1975. Joie de vivre et félicité.
Buteur de Nantes
Vahid prend la place du buteur nantais Éric Pécoud, parti du côté de Monaco. Sous les ordres de Jean Vincent, autre ancienne gloire losciste, la première saison de Vahid en France est décevante. Il tarde à marquer : son premier but tombe le 16 septembre 1981, en 32e de coupe de l’UEFA, contre Lokeren, entraîné par ce bon vieux Robert Waseige. Il marque dès la 2e minute mais est expulsé pour avoir bousculé un adversaire qu’il accuse de lui avoir mordu le doigt. Nantes est éliminé par les Belges. En championnat, il marque pour la première fois le 3 octobre 1981, contre Lens : quel bel homme ! Mais seuls 7 buts ponctuent cette première saison sur les bords de l’Erdre, je suis bien content d’être parvenu à caser cette expression de merdre. Parallèlement, Vahid brille cette saison là en équipe nationale : si ses performances avec la Yougoslavie ont été intermittentes tout au long de sa carrière, il se qualifie cette saison-là pour la coupe du monde 1982 et participe à deux matches lors de la phase finale en Espagne, où son pays est éliminé au premier tour.
À son retour à Nantes, après avoir hésité à quitter le club, l’arrivée de Jean-Claude Suaudeau lui permet de s’intégrer davantage au collectif nantais. C’est un succès : Vahid inscrit 27 buts (dont celui de la victoire contre le LOSC le 29 mars 1983, ça c’est pas bien), décrochant le titre de meilleur buteur du championnat, Nantes est champion et se hisse en finale de coupe de France. Lors des 3 saisons suivantes, « Vaha » inscrit respectivement 13, 28 (de nouveau meilleur buteur) et 18 buts avec les Nantais en championnat (avec 2 autres buts contre Lille le 24 mai 1985 puis le 21 décembre 1985, non vraiment ce n’est pas bien). De manière plus anecdotique mais tout de même historique, Vahid Halilhodzic, à l’occasion du match Nantes-Monaco le 9 novembre 1984, est le premier buteur d’un match de championnat de France retransmis en direct par Canal + : Nantes s’impose 1-0 grâce à une tête Halilhodzic sur un centre de Touré (à 9’15 dans la vidéo ci-dessous).
Quelques buts de Vahid avec Nantes. Si vous ne le connaissez pas timide en interview, allez voir, c’est une expérience surprenante
1983, Vahid est un canari tout jaune
À 34 ans, Vahid accepte de rejoindre le PSG en 1986. Il y inscrit encore 8 buts en 18 matches (encore un contre Lille, le 29 août 1986), mais préfère rompre son contrat et mettre un terme à sa carrière de joueur à la fin de l’hiver, très marqué par le décès de sa mère en août, et souhaitant rester auprès de son père, mourant. Avec 101 buts marqués, Vahid Halilhodzic est à ce jour le 81e meilleur buteur de l’histoire du championnat de France de première division ; le 20e si l’on considère la moyenne de buts marqués par match (0,56). Derrière Jean Baratte, tout de même (169 buts ; 0,6 but par match).
Avec le maillot du PSG, en compagnie d’Alain Couriol
La Yougoslavie et Mostar déchirées
Au printemps 1987, il est de retour à Mostar avec son épouse et ses enfants, où il investit et s’investit dans un bar, dans un restaurant, et dans un magasin de vêtements. Vahid est riche et célèbre. Mieux : c’est une idole à Mostar, depuis la coupe gagnée en 1981. En 1990, le Velez l’appelle pour occuper un poste de manager général. Tout lui sourit. Mais la guerre éclate en Yougoslavie à partir de 1991. Le championnat est suspendu. Vahid, Bosnien musulman1, et Diana (Dijana), une Croate catholique dont la mère est Serbe, vivent dans un quartier croate de cette ville multiculturelle. Vahid se rappelle : « Mostar, c’était une ville spéciale, très belle et tellement mélangée. Les gens vivaient ensemble, sans tensions, catholiques, musulmans, orthodoxes… ». Les tensions s’accroissent et Vahid est un symbole à abattre. Les amis et coéquipiers d’hier sont désormais ennemis, selon leurs appartenances religieuses, culturelles et communautaires. Le chef de l’extrême-droite croate à Mostar est le dénommé Jadranko Topic : pendant 6 ans, il a été l’un des compères d’attaque de Vahid au Velez Mostar.
L’équipe de Mostar en 1975. Assis, à gauche, Jadranko Topic dont le parti HDZ tentera 18 ans plus tard d’assassiner Vahid Halilhodzic, son voisin sur cette photo. Debout, vers la droite, on reconnaît Boro Primorac.
Pendant plusieurs mois, Vahid reste sur place, tentant de mettre son aura au service du secours de civils, quelles que soient leurs origines. Avant que l’on en vienne à des moments plus tragiques, permettons-nous un petit moment de détente avec ce souvenir relaté par Vahid dans Le Parisien : « Un soir, à Mostar, j’ai entendu une fusillade près de ma maison. Je suis allé voir le rond-point où se déroulait l’action. D’un côté, il y avait les soldats de l’armée fédérale, un commando spécial, qui venait faire de la provocation. De l’autre, il y avait des voitures de police. J’étais au milieu de la fusillade. Derrière des platanes de 200 ans d’âge, des soldats me pointaient avec des fusils. Il y avait une sale odeur de poudre. Moi, je me retourne vers eux et je leur lance : ‘Mais, merde, que foutez-vous là, fascistes ?’ Un barbu sort de derrière un platane. Il me dit : ‘N’approche pas !’ Et me menace : ‘Encore un pas et t’es mort’. Je suis retourné chez moi. Ma femme et mes enfants pleuraient. Lors de la fusillade, les balles ont touché ma maison. Un responsable du contre-espionnage m’avait donné un pistolet pour me défendre. Je l’ai pris et je l’ai rangé dans ma ceinture, dans mon dos. Je suis ressorti pour juger de la situation et je me suis accroupi derrière un muret. J’ai voulu reprendre mon arme et le coup est parti. La balle a traversé les reins pour sortir derrière une cuisse. La seule et dernière fois que j’ai tiré de ma vie, c’est sur moi, dans mon cul ».
Serial buteur ou serial killeur, il faut choisir
Fin 1992, c’en est trop : le stade où il a brillé avec le Velez a été transformé en lieu de transit, à l’instar du stade national de Santiago au Chili : des milliers de musulmans y sont faits prisonniers avant d’être envoyés en camps de concentration. Vahid ne peut plus rien faire pour sa ville, et sa vie est de plus en plus menacée. Il décide d’envoyer ses enfants et son épouse en sécurité, en France, et ne les voit pas pendant plusieurs mois. Même le pont de Mostar, le symbole, qui avait résisté jusqu’alors à tous les conflits, est dynamité le 8 novembre 1993. On en avait parlé déjà dans cet article, mais reprenons le témoignage de Vahid que nous avons relaté : « j’ai vu le fascisme de mes yeux. Pendant un an et demi. J’ai vu des atrocités, des choses que l’on croyait réservées aux livres d’histoire. J’ai affronté directement les fascistes. Devant eux, sans armes. Je leur ai tourné le dos. Je suis fier de mon rôle pendant cette guerre, parce que j’ai sauvé des milliers de gens. Pendant les bombardements, j’organisais des convois pour aller mettre les femmes et les enfants en sécurité, au bord de la mer. J’ai mis ma vie en danger ». Au printemps 1993, le club de Beauvais, en D2 française, lui fait une proposition pour devenir entraîneur. Vahid accepte, après s’être demandé :
« Et si j’osais Beauvais ? »
Cette opportunité lui sauve la vie : « quand le club de Beauvais m’a embauché comme entraîneur, je suis parti pour Paris un jeudi après-midi. Le samedi, à six heures du matin, les fascistes venaient me chercher pour me tuer. Leur plan ? C’était de me couper la tête et de l’exposer sur le rond-point de la ville. Premier sur la liste. Beauvais m’a tout simplement sauvé la vie. Ils ont tout détruit : ma maison, mes souvenirs, mes photos. Ils ont essayé d’immoler par le feu mes beaux-parents, heureusement que des voisins sont venus les libérer. Ils ont abattu le palmier, arraché mes rosiers. Ils ont tué Astor, mon chien, mes enfants y étaient très attachés. Je me demande comment je suis sorti vivant de cette guerre. Mais j’ai perdu en une journée tout mon travail de vingt ans. Parce que j’étais musulman, riche et célèbre, ils ont bombardé ma maison et ma vie. Et encore, je n’ai perdu que des choses matérielles. J’ai plus pleuré quand j’ai vu le pont détruit que pour ma maison. Ceux qui ont eu leur femme, leur fille, violées, ou leur frère égorgé, ceux qui ont beaucoup perdu dans cette guerre… Je peux comprendre qu’ils aient la haine. Je n’oublierai jamais. Et à certains, je ne pardonnerai jamais. Mais je ne peux pas consacrer ma vie à la haine. Je ne veux pas être victime de la haine ».
José Bové, une pipe au football
6 ans après son départ, Vahid Halilhodzic est de retour en France, contraint, forcé, meurtri. Sportivement, les Beauvaisiens réalisent deux tiers de championnat superbes : à l’issue de la 27e journée (sur 42), ils pointent à la 6e place, à 4 points de la 3e (avec la victoire à 2 points). Vahid a sous ses ordres deux futurs lillois : Anthony Garcia et Mohammed Camara. Ci-dessous le résumé d’un déplacement à Nancy, en août 1993, avec la réaction de Vahid :
La fin de saison est bien plus laborieuse puisque l’ASBO adopte un parcours de relégable, et termine finalement 16e. Mais l’impression sur la saison est globalement bonne pour un club aux si petits moyens. France Football le désigne 2e meilleur entraîneur de deuxième division : pas mal pour un 16e… À la surprise générale, il quitte pourtant le club au bout d’une année, sans demander d’indemnité, déçu par le manque d’ambition du club : « ça ne m’intéresse pas de jouer les seconds rôles » justifie-t-il.
Mais Vahid n’a pas de plan. Le souvenir de la guerre le hante. Son épouse, Diana, prend un travail à l’OPAC (Office Public d’Aménagement et de Construction) de l’Oise pour faire vivre le foyer. Dans l’équipe magazine du 20 octobre 2001, elle revient sur cette période : « le midi, je rentrais à la maison et je le voyais affalé sur le canapé. Résigné, effondré. Bien sûr, le malheur est insupportable. Évidemment, le souvenir de notre vie dorée était difficile à évacuer. Je comprenais aussi toute la haine qui pouvait habiter mon mari après avoir vécu de si près la guerre, la mort, l’injustice ». Des amis lui prêtent de l’argent. Durant 3 ans, Vahid se sent humilié, seul et abandonné (« cette période est la plus dure de ma vie. Plus dure que la guerre ») : il peste de ne voir aucune offre arriver du côté de Nantes, où ses anciens dirigeants et coéquipiers tiennent le club et connaissent sa situation. Après cet épisode dépressif, animé par une immense ambition et un irrésistible besoin de reconnaissance, Vahid entame un tour d’Europe, de la Juve au Barça, du Bayern à l’Ajax, de Dortmund à Parme, pour comprendre comment gagnent ceux qui dominent le continent. Il est même reçu à sa demande par Marcello Lippi, Louis Van Gaal, et Omar Hitzfeld.
Vahid se (Thierry) rabat sur le Maroc
En 1997, il reçoit un coup de fil du fidèle Henri Michel, son ancien coéquipier de Nantes. Henri Michel est sélectionneur du Maroc et sait ce qui se trame dans les club nationaux : le Raja Casablanca cherche un entraîneur, et Henri Michel a soufflé aux dirigeants le nom de Vahid. Même s’il reste sur 2 titres nationaux, le Raja court après sa gloire passée : depuis la victoire en Ligue des champions en 1989, personne n’a fait long feu ici. Le club est à la peine en championnat (11 points de retard sur le leader) et est mal embarqué en Ligue des Champions africaine : il est 3e du groupe avec 5 points de retard sur le leader, Primeiro de Agosto (Angola). Le coach Alexandru Moldovan (aucun lien) est viré ; après un bref intérim de Abdellah El Ammari, Vahid accepte le défi : c’est la fin de 3 années de chômage.
Halilhodzic arrive la veille d’un match de Ligue des champions en octobre 1997. Deux victoires plus tard et un heureux concours de circonstances, le Raja Casablanca prend la tête du groupe pour un but supplémentaire par rapport au 2e, et va jouer la finale sur un match aller/retour contre les Ghanéens d’Obuasi Golfields2 ! L’équipe marocaine s’incline à l’aller 0-1. Invraisemblable : pour le retour, en raison des blessés, des suspendus, et des non-qualifiés pour la compétition, « Ouahid » ne dispose que de 11 joueurs valides (Halilhodzic, lol) et met alors en place un système inédit, où les joueurs ne jouent même pas à leur poste. En l’absence de Khalif, le défenseur Abdelilah Fahmi est promu capitaine de l’équipe. Devant des spectateurs hystériques (et obéliques, re-lol) et dans une ambiance tendue sur le terrain, le Raja ouvre le score par Nazir, d’une reprise dans les 6 mètres à la 78e minute. Les Marocains tiennent leur victoire : égalité sur l’ensemble des deux matches. Une séance de tirs aux buts, sans prolongation, va alors déterminer le nom du vainqueur : le Raja l’emporte 5-4 et devient champion d’Afrique.
La fameuse équipe « Valides Halilhodzic ». Abdel Fahmi et son brassard bleu, debout, à droite.
Quelques mois plus tard, avec une seule défaite depuis l’arrivée de Vahid, le Raja Casablanca est champion du Maroc, avec… 14 points d’avance sur son dauphin. Vahid savoure sa réussite, mais il voit son avenir en Europe. Les demandes désespérées de ses joueurs n’y changeront rien. Sa famille, restée à Beauvais, l’attend. Été 1998, Vahid est de retour dans l’Oise. Désormais sollicité, il multiplie les déplacements. C’est au retour de l’un d’eux, le 11 septembre 1998, qu’il décide d’assister au match qui se déroulera à deux pas de chez lui le lendemain : Beauvais recevra le LOSC.
Voilà, Bernard Lecomte, qui se trouve ce samedi soir dans les tribunes du stade Pierre Brisson.
Un hasard bien organisé
En fait, Pierre Dréossi n’est pas très chaud pour reprendre l’équipe. Ayant aussi appris la présence de Vahid Halilhodzic, il va lui-même chercher l’entraîneur et le présente à Bernard Lecomte. Rendez-vous est fixé le lendemain entre les deux hommes au domicile du président.
Ainsi résume-t-on bien souvent la rencontre ente Vahid et le LOSC : d’heureux aléas. Mais est-il vraiment là par hasard ? Miroslav Popovic est depuis des mois le meilleur VRP de son ami Vahid, notamment auprès des journalistes, pour promouvoir ses qualités et rappeler qu’il est disposé à étudier toute proposition. L’ouvrage de Jaoui et Rosso affirme en outre qu’il s’est déjà chargé d’envoyer un CV au LOSC, entre autres clubs, quelques mois auparavant. De là à penser que Vahid avait flairé une bonne opportunité au regard de la situation du LOSC et de Thierry Froger et qu’il aurait été bon qu’il pointe son nez, il n’y a qu’un pas que nous n’hésitons pas à franchir.
Vahid a retrouvé sa casquette d’entraîneur
Dimanche 13 septembre à 16h, Vahid Halilhodzic, accompagné de son épouse Diana et de son agent Bernard Quesnel, se rend à La Madeleine chez Bernard Lecomte. Les négociations sont âpres : Lecomte est rapidement séduit, mais Vahid rechigne à s’engager en D2, et aux conditions financières proposées par Lecomte. Finalement, après 4 heures d’échanges, tout le monde est d’accord : le LOSC tient son 8e entraîneur depuis 1992. Celui-là restera plus longtemps que ses prédécesseurs. Bernard Lecomte ne le sait pas encore, mais il a trouvé celui qui lui permettra de partir l’esprit serein dans 18 mois. Lui a redressé le club financièrement, Vahid le fera sportivement.
« J’ai trouvé un club traumatisé »
Dès le lundi 14 au matin, Vahid est le premier arrivé au stade. En fin de semaine, Le Mans se présentera à Grimonprez-Jooris. Le LOSC n’a toujours pas gagné à domicile : « les joueurs m’ont dit qu’ils avaient une trouille énorme vis-à-vis de ce stade maudit. Ça, c’est dans la tête. C’est à nous et à personne d’autre d’en faire un avantage ». Les premiers titres de la presse régionale témoignent du discours musclé que Vahid Halilhodzic dit avoir transmis aux joueurs et d’une première conférence de presse offensive. Déjà, les maîtres-mots travail, rigueur, discipline fleurissent : « j’ai demandé aux joueurs : ‘est-ce que vous avez honte d’être 17e ? Si vous n’avez pas honte dans la situation actuelle, c’est dangereux pour le club’. J’ai voulu les provoquer. Habitant à Beauvais, j’ai assisté au match samedi. On ne peut pas juger sur un match, mais sur ce que j’ai vu, j’ai trouvé que l’équipe manquait de hargne. Défensivement, je leur ai dit que j’avais l’impression de voir des filles. J’ai voulu leur donner la rage. La volonté de vaincre, la hargne, c’est ce qui leur a manqué après le but. J’ai trouvé un club traumatisé, des joueurs aux dirigeants. Et pourtant, sur ce que j’ai pu voir, il y a des qualités. Des garçons comme Pickeu, Boutoille ou Lobé ont montré par le passé qu’ils savaient marquer. Alors, pourquoi ça ne marche pas cette année ? Que se passe-t-il dans ce club ? Avec moi, ils vont souffrir. Je suis très exigeant, mais je le suis avec moi-même. Tous ensemble, on peut sortir de cette crise ».
Vahid Halilhodzic reçoit les joueurs un par un, les laisse se réunir entre eux, puis réunit durant 40 minutes les défenseurs, durant 40 minutes les milieux, durant 40 minutes les attaquants : « je veux que chacun sache que porter le maillot du LOSC implique des responsabilités. Tout ne peut pas se faire en une semaine. Il faut de la patience. Mais je crois qu’il était important de bousculer les choses ». À l’entraînement, Vahid révèle son style : il interrompt les exercices, participe au jeu, appelle les joueurs par leurs noms de famille, les prend à part.
Vahid Halilhodzic lors de son premier entraînement à Lille
Samedi 19 septembre, 22h. Pour la première d’Halilhodzic, Le LOSC n’a pris qu’un point. Mais déjà, pointent quelques indices de ce que sera ce LOSC sauce Vahid : l’équipe, menée 1-3 à 10 minutes de la fin, arrache le nul dans les arrêts de jeu. C’est encore laborieux mais un brin d’espoir a désormais surgi.
3 ans plus tard, jour pour jour, le LOSC de Vahid rumine sur d’autres types de problèmes : la veille, il s’est incliné à la dernière minute à Manchester United, pour son premier match de Ligue des Champions.
Bonus :
Nous avons mis en ligne un documentaire intitulé « Sur les traces de Vahid », réalisé par la rédaction de France 3 Nord Pas-de-Calais, et diffusé en juin 2001.
FC Notes :
1 Il serait plus juste d’écrire que Vahid est de « culture musulmane ». A notre connaissance, il n’a jamais revendiqué de croyance et, a fortiori, de pratique religieuse, se distançant même de toute forme d’engagement, y compris politique.
2 L’organisation de la Ligue des champions africaine ne ressemble pas vraiment à ce que l’on connaît en Europe. Il n’a pas suffi au Raja de sortir d’une phase de groupe pour se retrouver en finale. Il y avait eu précédemment 2 matches aller/retour (et, pour d’autres équipes, un tour préliminaire) qui avaient permis au Raja de se retrouver avec les 8 meilleures équipes africaines, réparties en 2 groupes de 4.
Voici les références des ouvrages et articles utilisés outre les liens fournis directement dans le texte :
Laurent Jaoui et Lionel Rosso, Coach Vahid: Une vie comme un roman, Calmann-Levy, 2006
Deux articles fort bien documentés de Old School Panini, l’un sur Vahid Halilhodzic, l’autre sur le Velez Mostar 1976.
« Le bonheur muet de Vahid Halilhodzic », article dans France Football du 16 décembre 1997, suite à la victoire du Raja en finale de Ligue des champions, par Frank Simon.
Articles de La Voix du Nord, semaine du 14 septembre 1998
2 commentaires
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15 mai 2018
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Arnaud Antresini a dit:
Magnifique ce que coach Vahid a apporté LOSC, c’était le début d’une nouvelle ère…
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14 septembre 2017
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Franck Ripoux a dit:
Superbe.