Posté le 24 septembre 2017 - par dbclosc
Lille-Lens 2000, comme dans un rêve
Le match que tous les supporters Lillois et Lensois ont cherché en premier quand le calendrier de la saison 2000-2001 est sorti va enfin se jouer : nous sommes le dimanche 24 septembre 2000, et le Nord Pas-de-Calais se fiche pas mal du référendum sur le quinquennat à propos duquel les électeurs français sont appelés à se prononcer ce même jour : c’est le retour du derby Lille/Lens, après 4 ans d’absence. Mais le chiffre 5 restera quand même dans les mémoires ce soir : pas pour les années que les Français ont décidé de donner à la durée du mandat présidentiel, mais pour le nombre de minutes qu’il a fallu aux Lillois pour renverser en fin de match une partie qui paraissait bien mal embarquée : ce Lille/Lens, c’est probablement le plus fameux épisode du « Vahid time », où l’équipe de Lille, à force de pousser en imposant un intense pressing à son adversaire et d’y croire jusqu’au bout, va faire la différence notamment grâce à ses remplaçants.
Une première depuis 1996
Mais avant d’en venir aux faits, rappelons le contexte de cette douce soirée. La dernière fois que Grimonprez-Jooris a accueilli un derby en D1, c’était le 6 novembre 1996 : ce soir-là, le LOSC s’imposait 2-1 grâce à un doublé de Patrick Collot, se plaçait 4e du championnat, et Lens était juste derrière. 5 mois plus tard, l’ambiance était bien différente : le 26 avril 1997, après une deuxième partie de saison catastrophique, Lens et Lille se retrouvent à Bollaert pour tenter de se maintenir en D1. Alors qu’il faut bien plus qu’une victoire au LOSC pour se sauver, Gervais Martel prophétise dans la presse l’hégémonie de son club sur la région ; le public de Bollaert accueille ses voisins avec des cercueils en carton : une ambiance hostile qui conclut tristement une décennie 1990 plutôt marquée par un spectacle assez pauvre lors des derbies, de nombreux nuls et peu de buts ; en revanche, pas mal d’animation dans la Deûle et dans les tribunes, à une époque où balancer des fusées sur l’adversaire et à l’horizontale n’était pas spécialement réprimé. Pour cette dernière avant la descente, Lens s’impose 1-0 grâce à un but de Philippe Brunel, cet ennemi de l’intérieur. Lens est quasiment sauvé ; Lille est quasiment condamné. Durant 3 saisons, les seuls derbies professionnels que verra le Nord Pas-de-Calais seront des confrontations entre Lille et Wasquehal.
En 2000, le climat semble bien différent : à Lens, Bollaert a été rénové, et l’Europe est devenue une habitude : le titre est même passé par là en 1998 et les Sang & Or ont même goûté à la Ligue des Champions ; à Lille, les dettes sont un lointain souvenir, le club s’est structuré, la capacité du stade a été augmentée, et depuis presque 2 ans, le public soutient son équipe, transformée depuis l’arrivée de Vahid Halilhodzic. L’ambiance est bonne et la presse salue unanimement les retrouvailles entre deux adversaires qui, au fond, s’aiment bien.
La Voix des sports fait monter la sauce dès le lundi 18 septembre en proposant un supplément de 8 pages « Derby passion », qui revient sur quelques épisodes marquant de l’histoire des Lille-Lens (celui où une tribune s’est effondrée par exemple, en 1946), des témoignages d‘anciens passés par les deux clubs, les souvenirs des journalistes de la rédaction. Toute la semaine, la presse régionale s’attarde longuement sur le match et l’ambiance qui l’entoure : même si Valenciennes a souvent été de la partie, les vraies derbies d’après-guerre sont ceux qui opposent Lens à Lille, et on comprend clairement que cette confrontation a manqué. Il est temps !
A peine arrivés au stade, on sent l’ambiance particulière du derby : les spectateurs arrivent tôt, et les supporters encouragent leur équipe durant l’entraînement des joueurs. Ce match arrivant de plus plutôt en début de saison, on est encore à Lille dans la douce euphorie d’avoir simplement retrouvé la D1. Pour le reste, on sait qu’on ne part pas favoris : Lens a clairement quelques années d’avance et n’aspire qu’à joueur l’Europe tous les ans, tandis que Lille, même largement champion de D2, semble avoir un effectif bien plus modeste : le maintien sera largement satisfaisant. Le début de saison confirme d’ailleurs cette tendance : dès la première journée, Lens a frappé fort en s’imposant à Nantes en infériorité numérique (2-0) et a maintenu un bon rythme, en se pointant à Lille à la 2e place, seulement devancé par Bastia à la différence de buts. Du côté de Lille, après un départ canon (le LOSC était en tête après 3 journées), l’équipe a un peu marqué le pas, notamment en perdant deux fois consécutivement début septembre. Mais Lille sort d’un match à Saint-Etienne, où son gardien, initialement numéro 2, a particulièrement brillé. Ce match, couplé à celui contre Lens ce soir, constitue indéniablement un tournant pour Grégory Wimbée et, bien au-delà, pour toute l’équipe.
Dans sa présentation, Canal + insiste également sur la particularité de ce match, à revivre dans cette vidéo :
Lens maîtrise la première mi-temps
Djezon Boutoille annonce en bord de terrain la volonté du LOSC de s’installer dans le camp lillois et de faire en sorte que les Sang & Or ne s’installent pas « chez nous ». Pour ce faire, Vahid Halilhodzic reconduit l’équipe qui est allée chercher le nul à Geoffroy-Guichard une semaine avant, à une exception près : Sylvain N’Diaye, forfait à Sainté, retrouve sa place au milieu au détriment de Ted Agasson. Voici donc la compo lilloise :
Wimbée
Pichot, Cygan, Ecker, Pignol ;
D’Amico, N’Diaye, Landrin, Br. Cheyrou ;
Boutoille, Beck
Côté lensois, signalons la présence d’Antoine Sibierski, qui était déjà revenu à Grimonprez sous d’autres couleurs (c’était avec Auxerre, en novembre 1996), mais qui joue son premier derby avec le maillot lensois. Son nom a d’ailleurs été le plus sifflé lors de l’annonce de la composition des joueurs
Les bonnes intentions affichées par cap’tain Djezon peinent à trouver de quoi s’épanouir en première période. Les Lensois ont la possession, ils parviennent à construire jusque dans la surface adverse, tandis que le LOSC peine à approcher le but de Warmuz. Avec Radek Bejbl en position de libéro, la défense lensoise semble bien difficile à passer.
Logiquement, suite à un corner mal repoussé, Lens ouvre le score : sur un centre de Moreira venant de la gauche, Philippe Brunel reprend du droit dans le petit filet opposé et trompe Grégory Wimbée. Aïe. à la demi-heure de jeu, Antoine Sibierski, parti de son camp, se présente seul face à Wimbée. Les secondes qui séparent la dernière passe du tir de Sibierski semblent interminables : fort heureusement, le Lensois tergiverse et se heurte surtout à une superbe sortie de Grégory Wimbée, qui sauve la baraque. Si le score avait été de 0-2 à ce moment là, on peut penser que la suite aurait été bien compliquée. Juste avant la mi-temps, l’inoubliable Grozdic centre de nouveau de la gauche vers Brunel qui, cette fois, reprend de son bon pied au point de pénalty : il enroule, Greg ne bouge pas et le ballon finit miraculeusement au ras de la lucarne. Le LOSC, de son côté, ne s’est pas créé d’occasion hormis quelques coups de tête de Beck, mais bien trop lointains. 0-1 à la mi-temps, Lille peut s’estimer heureux, et Lens ne sait pas encore que sa chance est passée.
Changements gagnants
La deuxième période commence sur les mêmes bases : Lens reste parfaitement organisé, est dangereux en contre, et Lille peine à trouver des espaces devant. Mais à mesure que le match avance, le bloc lillois remonte et les Lensois reculent ; mais ces derniers restent dangereux en contre : à la 70e minute, Greg Wimbée sort fort à propos devant Daniel Moreira. Lille prend des risques, à commencer par son entraîneur, qui va opérer 3 changements décisifs : d’abord, Ted Agasson, dont on ne souligne sans doute pas assez la fluidité qu’il a apporté au jeu lillois durant ce match, entre à la place de Christophe Landrin à la 70e minute. Cette fois, et depuis une bonne dizaine de minutes, le LOSC a largement la possession de balle et les Lensois se recroquevillent. Mais il reste encore peu de danger : seules des frappes lointaines font office de demi-occasions pour Lille : pas de quoi déranger Gugusse. Dans les tribunes, on entend surtout les Lensois, tandis que les supporters Lillois, tendus, ont du mal à encourager les leurs.
77e minute : Bruno Cheyrou laisse sa place à Dagui Bakari, déjà buteur face à Metz, dans les mêmes conditions, un mois auparavant. Cette fois, non seulement le ballon circule mieux au milieu, mais en plus, avec désormais Boutoille, Beck et Bakari devant, les Lensois commencent à ne plus chercher à contre-attaquer : ils ne font que défendre leur but dans les 30 derniers mètres, toujours regroupés autour d’une charnière Bejbl/Pierre-Fanfan efficace. Les arrières latéraux, Pichot et Pignol, prennent de plus en plus leur couloir ; quand Pascal Cygan initie une relance, il n’hésite pas à monter aux avant-postes : Lens croit qu’il suffira de défendre mais est en train de céder.
Bruno « Madame Irma » Cheyrou
Laurent Paganelli profite d’un arrêt de jeu pour interviewer Bruno Cheyrou sur le banc : « ce que vous n’avez pas pu faire en 82 minutes, vous pensez que votre équipe peut le faire dans les 8 minutes qui restent ? ». Question un peu bête à laquelle on voit mal Bruno répondre « non », mais il fait bien mieux : « J’espère ! à la limite, pour marquer un but, il ne suffit que d’une seconde, donc… J’espère qu’en 8 minutes on va réussir à en marquer un, et si on arrive à marquer assez rapidement, on pourra même, pourquoi pas, en marquer un deuxième ». Le propos est optimiste et pourrait même paraître irréaliste : après tout, si Lille pousse, il n’y a toujours pas eu de véritable occasion. Mais à force de faire reculer les Lensois, la délivrance va arriver.
La déferlante
A peine Laurent Paganelli a-t-il rendu la parole à Gégoire Margotton que Ted Agasson envoie une balle en cloche à la fois surprenante et parfaitement pensée au point de pénalty où, bien évidemment, Mikkel Beck, excellent dans cet exercice, prend le dessus sur Pierre-Fanfan et dévie aux 6 mètres vers Dagui Bakari, qui trompe Warmuz d’une demi-volée en se jetant. Dans le stade, c’est l’explosion : toute la frustration et la paralysie de voir ses favoris menés lors d’un derby à domicile s’envole. Lille ne perdra pas ce derby et cela équivaut déjà à une victoire.
Dans la foulée de l’égalisation, le Danois est remplacé par Laurent Peyrelade : dans la continuité des gestions de fin de matches vues en D2, Halilhodzic privilégie des remplacements offensifs pour faire céder l’adversaire. Alors que Lolo s’apprête à recevoir son premier ballon, celui-ci est intercepté de la main par Franck Queudrue : deuxième jaune pour le Lensois, qui est donc expulsé. Une expulsion qui passe presque inaperçue, tant c’est désormais la fête à Grimonprez-Jooris. La télévision propose des images inimaginables 5 minutes auparavant : les DVE dans les fumigènes, le banc lensois et ses têtes d’enterrement qui ont désormais hâte que le chrono tourne, et un banc lillois prêt à bondir une deuxième fois.
Sur le coup-franc consécutif à la faute de Queudrue, Agasson trouve Boutoille qui, seul au second poteau, manque une énorme occasion de plier l’affaire : sa tête piquée passe au-dessus. Le public pousse, et les joueurs répondent présent : les relances de l’arrière sont rapides, Cygan se précipite pour jouer les touches : le LOSC ne se contentera pas du nul.
Après une nouvelle belle combinaison entre D’Amico, N’Diaye et Agasson, Peyrelade obtient un corner : on joue la dernière minute du temps réglementaire et 5 minutes supplémentaires sont annoncées. Peyrelade manque de reprendre le centre d’Agasson, mais le ballon n’est pas perdu : au second poteau, Pignol récupère et glisse en retrait à Sylvain N’Diaye. Le Sénégalais centre du gauche vers Bakari, qui fait mine de s’emmener le ballon vers le but : en fait, il laisse passer le ballon et Bejbl et Pierre-Fanfan sont éliminés grâce à cette feinte et, dans une moindre mesure, Rool, qui ne suit pas. Le but est alors grand ouvert pour Peyrelade, qui fusille Warmuz de près : 2-1 pour Lille, et une belle gamelle avec le ballon qui ressort ! Cette fois, on n’a plus de mots pour décrire l’ambiance : on vous renvoie à la vidéo ci-dessous.
Les arrêts de jeu se déroulent dans une euphorie presque dangereuse tant on croit désormais que le match est gagné. Bakari est à une pointure de mettre le 3e, mais les Lensois, apathiques depuis une demi-heure, ressortent et mettent Lille en danger. De quoi avoir des regrets après avoir manifestement choisi de subir, pour le résultat qu’on connaît. Deux coups-francs jumeaux (et horribles) de Debève et Blanchard passent à côté. Et surtout, à la dernière minute, Debève trouve Sakho aux 6 mètres, qui reprend acrobatiquement sur le poteau ! On doit bien avouer que de là où on était, on n’a pas trop compris ce qu’il s’était passé, mais on savait que le ballon n’était pas rentré. Lille remporte ce derby fort en émotions.
Lille a du cœur
C’est cliché de le dire, mais le LOSC, fidèle à ses valeurs depuis quelques saisons, y a cru jusqu’au bout. Alors que jusqu’à l’heure de jeu, tout plaidait en faveur des Lensois – maîtrise, sérénité, technique -, et que Lille était brouillon et décousu dans les 30 derniers mètres, l’adversaire a encore cédé sous les incessants coups de boutoir des Dogues, aidés par un coaching opportun et une envie de ne rien lâcher. Pour Vahid, « c’est vraiment exceptionnel, et c’est un grand soir pour le LOSC. Nous avions rêvé de cette victoire et nous l’avons conquise avec cœur et volonté. Nous sommes allés la chercher au bout de nous-mêmes. Quand j’ai vu mon collègue lensois effectuer ses remplacements, j’ai pris des risques. Nous avons tellement bousculé les Lensois que j’étais sûr qu’ils allaient craquer. Je ne réussirai peut-être pas à tous les coups, mais cette fois ça a marché. Quand vous avez du cœur et des jambes, le ballon finit par rouler pour vous. Je dédie cette victoire à tous les supporters. Notre objectif reste le maintien. Il n’empêche que battre une équipe de la qualité de Lens, c’est fort ». Pour Lens, c’est le temps des regrets, notamment sur la parade décisive de Wimbée (« je lui ai fais ralentir sa course. La seule solution qu’il a, c’est de me dribbler, mis je l’amène là où je veux », déclare Greg). Pour Brunel, « nous n’avons quasiment pas d’occasions en deuxième mi-temps. Nous avons probablement voulu trop sécuriser le jeu devant le but de Guillaume Warmuz., et Lille a gagné presque tous les duels aériens… ».
D’autres réactions d’après-match (voir vidéo) illustrent le fait que cette victoire vaut bien plus que 3 points : Lille a gagné le derby et, surtout, tient la route en D1. Après le nul à Saint-Etienne dimanche dernier, Lille retrouve la victoire et ne quittera pas le haut de tableau, jusqu’en mai, jusqu’à la Ligue des Champions.
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16 octobre 2020
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leleu a dit:
superbe reportage et très beau souvenir car étant présent ce jour là et ce fût un match à rebondissement et victoire du Losc ! donc impossible d’oublier svp et continuez avec vos reportages car vous lire ceci est superbe !