Posté le 6 octobre 2017 - par dbclosc
Dušan, Savić, son oeuvrć
A l’été 1983, le LOSC fait vraisemblablement un gros coup sur le marché des transferts en enrôlant Dušan Savić. Ce dernier est international yougoslave, soit un « Brésilien de l’Europe », ce qui est en soit plutôt le genre d’information qui nous donne un a priori positif, comme plus tard, le fait de savoir que Meszöly était hongrois nous donnait plutôt un a priori négatif. On a en plus d’autres raisons, propres à ce qu’on a vu en D1 la saison précédente : le meilleur buteur de la saison précédente n’est autre que Vahid Halilhodzic et rien ne peut alors laisser penser que ce dernier soit meilleur que le nouvel avant-centre lillois.
Dušan Savić débute en première division yougoslave à l’âge de 18 ans, au sein du prestigieux club de l’Étoile Rouge de Belgrade. Le jeune avant-centre qui se révèle alors a pour partenaire d’attaque Stanislav Karasi, une référence qui nous parle, puisque le Yougoslave a enflammé les tribunes d’Henri Jooris puis de Grimonprez-Jooris pendant trois ans : fantasque, parfois aussi flippant que Jack Nicholson dans Shining, Staniv n’en a pas moins laissé l’image d’un joueur incroyablement talentueux. Si Dušan débute au cours de la saison 1973/1974, il est alors la doublure de Karasi, scorant déjà 6 fois en seulement 9 matches. Dès la saison suivante, il forme un duo détonnant aux côtés de Zoran Filipovic, autre jeune espoir yougoslave de deux ans son aîné, mais tardant à confirmer : titulaire avec l’Étoile Rouge à 17 ans, international à 6 reprises à 18 ans, celui-ci venait pourtant de passer les trois dernières saisons sur le banc. Le duo fonctionne : Filipovic marque 14 fois en D1, Savić 20 fois, terminant déjà meilleur buteur du championnat national.
La Yougoslavie, n’est pas la seule à découvrir « Dule ». Cette saison-là, l’Étoile Rouge fait un parcours remarquable en Coupe des Coupes. Pourtant, l’aventure a failli finir très vite : battu à Salonique par le PAOK au match aller du premier tour, l’Étoile arrache la prolongation par Petrovic avant de l’emporter en prolongation grâce à Dušan Savić. Au tour suivant, les Yougoslaves ont un tirage facile : les Luxembourgeois de l’Avenir Beggen, battus à l’aller (6-1) comme au retour (5-1).
Mais, c’est en quart de finale que l’Étoile Rouge fait son exploit : battus par le Real à Madrid, l’Étoile remonte son retard au match retour. Aux tirs aux buts, les Y>ougoslaves se qualifient face au futur champion d’Espagne, Dušan Savić transformant notamment sa tentative (6-5). Le parcours de l’Étoile s’arrête en demi. Battus à l’aller sur le terrain des Hongrois de Ferencvaros, Savić et ses co-équipiers conservent cependant l’espoir grâce au but de leur avant-centre (2-1). Ils croient pouvoir refaire le coup du Real, égalisant sur les deux matches grâce à Filipovic (77è, 2-1) avant de concéder six minutes plus tard un pénalty par Megyesi (83è, 2-2).
A moins de 20 ans, Dušan Savić est déjà une star, avec déjà un titre de meilleur buteur de D1 et une demi-finale de coupe à son palmarès. Le 31 mai, Dušan connaît aussi sa première sélection avec la Yougoslavie, lors d’une victoire (3-0) contre les Pays-Bas, au cours de laquelle il inscrit un but. Sa carrière semble bien partie.
Un concurrent nommé Vahid
Au poste d’avant-centre de la sélection yougoslave, Dule a de la concurrence. On ne te parlera pas ici en détail de l’ensemble de celle-ci, mais surtout de l’un d’entre eux qu’on connaît bien à Lille : un certain Vahid Halilhodzic. En 1975, le Bosniaque semble cependant en retard sur Dušan Savić. De trois ans son aîné, Vahid n’a jamais été sélectionné avec la Yougoslavie. Il est cependant désormais l’avant-centre du Velez Mostar, valeur montante du football yougoslave : quatrièmes en 1975, les Bosniaques ont terminé deuxièmes les deux précédentes saisons. La saison passée, le club a également réalisé un parcours étonnant en coupe de l’UEFA, dont il a atteint les quarts de finale, après avoir éliminé le Spartak Moscou, le Rapid Vienne et Derby County avant d’échouer contre Twente.
Un enfant sorti d’une pub Kinder, Dusan le regard tourné vers un avenir radieux, et un vieux moustachu qui ressemble à Manolo de Tintin et les Picaros
Savić ne perd pour sa part pas son efficacité les trois années suivantes, tenant à un rythme d’un but tous les deux matches (30 buts en 60 matches de D1 de 1975 à 1978). Quand il joue. Il connaît ainsi quelques pépins physiques lui faisant rater la moitié des matches de son équipe sur la période. Titulaire en puissance au sein de la sélection, ses blessures l’empêchent de s’y inscrire dans la continuité. Halilhodzic en profite pour se présenter comme une alternative crédible : deuxième buteur de D1 en 1976 (19 buts), auteur de 28 autres buts les deux saisons suivantes, il connaît ses premières capes internationales en 1976. Il devient même l’avant-centre titulaire avec la Yougoslavie en 1978, marquant quatre fois en sélection sur l’année.
Les deux joueurs jouent même ensemble. La première fois, c’est le 4 octobre 1978 lors d’un match contre l’Espagne en éliminatoires du championnat d’Europe (1-2). Vahid, titulaire et buteur, se voit ainsi rejoindre sur le terrain par Dule, entré en jeu à la 66è. La deuxième, et dernière fois, c’est un peu plus d’un mois plus tard contre la Grèce en match amical, les deux débutant la rencontre. L’association a alors bien fonctionné, la Yougoslavie s’imposant largement (4-1) grâce à un triplé du futur entraîneur du LOSC et à une unité de son futur avant-centre. Cette saison, Halilhodzic perd sa place en sélection quand Savić semble s’y imposer au cours d’une saison mémorable : meilleur buteur du championnat (24 buts), il est finaliste de la coupe de l’UEFA avec l’Étoile Rouge (battue par Mönchengladbach), compétition au cours de laquelle il inscrit 5 nouveaux buts, dont l’un, entré dans la légende yougos, à Highbury contre Arsenal. Regarde-moi ça :
Les deux poursuivent leurs parcours respectifs de buteurs. Vahid s’en va pour Nantes, en 1981. Dule, lui, reste un an et demi de plus.
Débuts en fanfare et triplé le plus rapide de l’histoire
Le départ de Yougoslavie de Dule a lieu en janvier 1983. Il s’en va alors à Gijon, en Liga, contre qui il avait d’ailleurs joué jadis en compétitions européennes. Sa demi-saison espagnole est modeste : 3 buts en 13 matches de championnat. Gijon et Dule décident de ne pas poursuivre l’aventure ensemble. Pas une mauvaise nouvelle pour tout le monde après tout : c’est à Lille qu’il signe !
L’avant-saison est porteuse de belles promesses. Juste avant la reprise, lors du traditionnel tournoi de la CUDL, c’est Savić qui donne la victoire au LOSC en demi-finale (1-0) contre la Pologne troisième de la dernière coupe du Monde. En finale, Lille est confronté au Racing. C’est encore le LOSC qui l’emporte (3-2) grâce à un doublé de son avant-centre.
Comme un signe prémonitoire du nom de ce blog, Savic, arrivé à Lille, se paie une bière. Bientôt, la photo où il prend de la drogue, puis celle où il fomente un complot.
En championnat, les débuts de Savić sont bons avec en point d’orgue son triplé contre Toulon lors de la 10ème journée : buteur une première fois sur pénalty (10è), Dule marque très vite ses deuxième et troisième buts (13è et 16è) enterrant les espoirs toulonnais au bout d’un quart d’heure, pour une victoire finale par 4 à 2. Bizarrement, lorsque l’on recherche des informations sur les triplés les plus rapides de l’histoire, on ne trouve aucune mention de celui-ci, alors que, selon les informations que nous avons trouvées, Savić aurait bien battu là le record du championnat de France jusqu’à ce qu’un autre Lillois, Matt Moussilou, ne vienne le battre près de 22 ans plus tard.
En effet, nous ne trouvons aucune source contestant que ce triplé aurait été établi en six minutes. Et pourtant, bizarrement, les recherches sur les triplés les plus rapides de l’histoire indiquent que le prédécesseur de Moussilou (triplé en 5 minutes) était Jérémy Ménez (en 2005 également) lequel aurait alors réalisé cette performance en 7 minutes, c’est à dire dans un temps plus long que Dule. Les articles sur la question laissent pourtant penser que le problème ne vienne pas du fait que les recherches ne seraient pas remontées assez loin dans le temps : on trouve ainsi mentionné que, en 2005, Ménez vient égaler ce record censé être jusque là détenu par un autre yougoslave, Sokrat Mojsov (Rennes), depuis le 21 novembre 1971, lors d’un match contre Reims (4-1).
Bref, notre conclusion : jusqu’à preuve du contraire, c’est bien Dušan Savić qui détenait le record du triplé le plus rapide du championnat de France jusqu’à ce que Matt ne vienne le détrôner. Cet oubli est encore une énième preuve du complot. D’ailleurs, les articles de 2005 ne mentionnent pas non plus le triplé de Bakayoko avec Montpellier contre Lille en 1997, en six minutes, preuve d’une volonté évidente de cacher le lien entre rapidité des hat-trick et le LOSC.
Savić fait donc des débuts en fanfare. Il est alors troisième du classement des buteurs et il est encore quatrième après la sixième journée (avec 9 buts), confirmant qu’il est peut-être bien le buteur « capable de marquer entre 15 et 20 buts » dont Jean-Michel Larqué parle dans Onze et que le LOSC attend. Il forme en outre un duo d’attaque redoutable avec l’ancien Brestois Bernard Bureau, lui auteur de 6 buts. Lille est alors 8ème avec la 4ème attaque. Le jeune Rey a en outre montré qu’il était une alternative crédible en attaque lors de sa performance au Parc des Princes (doublé et passe décisive lors de la victoire 4-5), et le tout est bien épaulé par Roger Ricort, les frères Plancque et Pascal Guion. Dule est en outre le « Yougo » le plus efficace du championnat, ayant pour l’instant inscrit deux unités de plus que Vahid, son ancien concurrent du Velez Mostar.
Malheureusement, la suite n’est pas tout à fait du même niveau. Savić confirme ainsi son rôle important à Nîmes, où ses deux passes décisives permettent à Lille de prendre le point du match nul (2-2, 18ème journée). Savić ne marque ensuite plus que trois fois et, surtout, pas le moindre but au cours des dix dernières journées. Ça n’est pourtant pas faute de temps de jeu, l’avant-centre ne ratant pas une seule minute sur la période. Il met fin à sa période de disette lors de la 2ème journée de la saison suivante lors d’un doublé (24è et 60è) contre Paris, mettant fin à 1023 minutes sans marquer (1).
Sa saison 1984/1985 est d’ailleurs en trompe-l’œil et masque les fortes fluctuations des performances de l’attaquant. Ainsi, après la seizième journée, Savić a certes marqué 6 fois, mais 4 de ses réalisations ont été réalisées sur pénalty, soit alors un bilan famélique de deux buts inscrits dans le jeu sur les 26 dernières rencontres auxquels on ne peut ajouter que deux passes décisives (2). Il retrouve en revanche ensuite un semblant d’efficacité, inscrivant ensuite 7 buts (aucun pénalty) en 19 rencontres en D1 et 3 en 9 matches de coupe, contribuant au beau parcours lillois dans cette compétition, achevé en demi-finales. C’est notamment lui qui, de la tête, inscrit dans le temps additionnel le but qui qualifie les Dogues en demi-finale.
En 1985, Savić est cependant prié de s’en aller, prêté qu’il est à Cannes, où il est définitivement transféré la saison suivante. En quatre saisons sur la Croisette, le buteur inscrira 40 buts.
Savić, encore une star en Serbić
Suivant un point de vue contemporain, on aurait tendance à oublier que les écarts de niveau entre championnats nationaux n’ont pas toujours été tels qu’aujourd’hui et donc, que si les actuels cinq meilleurs championnats étaient déjà parmi les meilleurs dans les années 1970-1980, d’autres pouvaient alors largement les concurrencer : à l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre et la France, il fallait alors ajouter l’URSS, la Belgique, les Pays-Bas, le Portugal, l’Écosse, et donc la Yougoslavie.
Suivant un autre point de vue, celui-ci « ethnocentré », on a également tendance à oublier que, sur les jugements que l’on peut porter sur les performances des joueurs étrangers ayant joué en France, celles de leurs expériences passées ont tout autant de valeur que celles réalisées en première division hexagonale. A ce titre, si Vahid Halilhodzic a davantage marqué les esprits dans le championnat français que Dušan Savić, ce dernier s’est en revanche davantage distingué dans l’élite yougoslave.
Ainsi, si Vahid a pour lui des performances françaises très nettement supérieures à celles de Savić, puisqu’il marque 101 fois en 181 matches de D1 (0,56 but/match) contre seulement 41 buts en 122 rencontres de D1 pour Dule (0,34/match), les moyennes cumulant élites yougoslave et française sont en revanche très voisines (0,53 pour Vahid et 0,50 pour Dule). Si le futur coach lillois peut revendiquer deux titres de meilleur buteur en France, celui qui fût l’avant-centre des Dogues fût également deux fois meilleur buteur, lui en Yougoslavie. En compétitions européennes, c’est d’ailleurs Savić qui présente – et très nettement – les meilleures statistiques : il marque en effet 20 fois en 41 matches européens quand Halilhodzic se contente de 5 buts en 16 apparitions. La mémoire française retient donc le Bosniaque, mais l’ex-Yougoslavie se souvient sans doute plus du Serbe.
D’ailleurs, phénomène amusant, l’ancienne star du Marakana – le stade de l’Étoile Rouge – est devenue depuis une icône dont on retrouve de nombreuses références dans les productions artistiques serbes. C’est d’abord en 1997, dans le film The Wounds de Srdan Dragojevic. En l’occurrence, une scène où deux personnages rendent un bel hommage à l’ancien buteur de l’Étoile en chantant « Duuuule Savic » alors qu’ils copulent avec des prostitués.
En 1999, c’est le célèbre groupe serbe Prljavi Inspektor Blaža i Kljunovi qui lui rend un hommage vibrant, dans la chanson intitulée sobrement « Dule Savic ». Enfin, nous supposons qu’il s’agit d’un hommage même si, nous l’avouons honteusement, nous avons séché nos cours de Serbe pendant notre jeunesse et n’avons pas tout compris au texte. A toi de te faire un avis sur pièce :
En 2000, Savic joue même son propre rôle dans la comédie Munje ! Réalisée paar Radivoj Andric. Dans une scène, alors que les héros évoquent le célèbre but de Dule contre Arsenal à Highbury en 1979, ce dernier apparaît soudainement, donne semble-t-il des conseils de vie étranges et bizarroïdes aux protagonistes avant de s’en aller dans la nuit. Après avoir lu cet article, parle autour de toi de Dule et de son fameux triplé lillois, peut-être t’apparaîtra-t-il.
Enfin, Dule a aussi été directeur sportif de l’Étoile Rouge de 1998 à 2005, nouvelle preuve qu’il n’avait pas été oublié là-bas. Au cours de cette période, son club remporte trois nouveaux titres de champion et quatre coupes de Serbie, ajoutant encore au palmarès de Dule. A ce jour, il reste le deuxième buteur de l’histoire de l’Étoile, derrière Bora Kostić, soit le meilleur buteur sur le dernier demi-siècle.
Après, face moins glorieuse de Dušan : il est l’inventeur du complot contre le LOSC à retardement. On en a déjà parlé, encore plus vicieux que ces ex qui nous en veulent, lesquels nous marquent des buts après leur départ, Dule a enfanté Vujadin dans la seule intention qu’il nous marque un but, comme il l’a fait 25 ans après le départ de son papa.
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C’est d’ailleurs son efficacité globale qui est alors en question : si son dernier but remontait à 1023 minutes, sa dernière passe décisive n’était pas beaucoup plus récente puisqu’elle remontait à 874 minutes.
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Encore ce comptage ne retient-il pas les quatre matches de la coupe de la Ligue 1984/1985, disputés pendant l’été 1984, tous joués par Savić, et au cours desquels il ne marque aucun but ni ne réalise de passe décisive.
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