Posté le 6 décembre 2017 - par dbclosc
Vincent Enyeama, l’état de grâce
Le 8 décembre 2013, à la 27e minute du match Bordeaux-Lille, le LOSC encaisse un but. Le premier depuis… 1062 minutes, soit l’équivalent de quasiment 12 matches pleins. Dans les cages, le grand artisan de cette exceptionnelle performance : Vincent Enyeama.
« Le Nigeria est tout pour moi. Je le place au-dessus de tout… après Dieu » ; « La religion, c’est ma vie, tout simplement. Je suis catholique. Ma famille m’a élevé dans cette foi ». Dès qu’il en a l’occasion, Vincent Enyeama le dit et le répète : il est très croyant. On imagine alors que les devoirs religieux auxquels il s’astreint ont pour but l’obtention du salut, une notion spirituelle complexe qui désigne le fait d’être sauvé de l’état de péché. Et pour atteindre le salut, d’aucuns prétendent avoir été ou espèrent être touchés par la grâce. Nous espérons nous-même ne pas pécher en allant chercher nos définitions dans un dictionnaire profane, mais voici ce que le Larousse dit de la grâce : « don ou secours surnaturel que Dieu accorde aux hommes pour leur salut ». Quel que soit son rapport à la religion, on ne peut qu’être frappé par la période qu’a vécue Vincent Enyeama à l’automne 2013 : un épisode proche de l’état de grâce qui, s’il ne dit peut-être pas grand chose de l’existence d’un dieu pour les catholiques, semble au moins attester de l’existence de dieux du football, qui avaient décidé de faire du gardien nigérian leur élu pour le salut losciste, en le transformant en un rempart infranchissable.
Un gardien-buteur
Vincent Enyeama arrive à Lille en 2011, dans un relatif anonymat. Après avoir joué dans 3 clubs nigérians depuis ses débuts professionnels en 1999 (Ibom Stars, Enyimba et Iwuanyanwu), ses premières aventures extra-nationales se font en Israël, à Bnei Yehoudah FC (2005-2007), puis à l’Hapoël Tel-Aviv (2007-2011). Il y entretient sa réputation d’excellent gardien, mais aussi… de buteur, puisqu’Enyeama avait déjà inscrit 12 buts en championnat nigérian. Avec l’Hapoël, il en inscrit 8 autres. Tous sur pénalty. Dont 3 en coupe d’Europe : il en convertit un lors de la victoire au FK Teplice en phase qualificative pour l’Europa League en 2009 ; un contre le FC Salzburg en barrages de Ligue des Champions en août 2010, et un dernier contre Lyon en septembre 2010. Autrement dit, Vincent Enyeama fait partie des gardiens-buteurs, une tradition dont l’adaptation en France n’est pas sans rapport avec le LOSC puisque Ruminski, Lama, Nadon et Wimbée, dans des circonstances variées, ont aussi connu la joie du buteur. Avec 20 buts inscrits en compétition professionnelle, Vincent Enyeama est à ce jour le 16e meilleur « gardien-buteur », derrière quelques vedettes du genre tels que le Brésilien Rogero Ceni (131 buts entre 1992 et 2015), le Paraguayen José-Luis Chilavert (62 buts entre 1982 et 2004), le Colombien René Higuita (41 buts entre 1985 et 2010), le Mexicain Jorge Campos (34 buts entre 1988 et 2004), ou l’Allemand Hans-Jörg Butt (31 buts entre 1994 et 2012)
Avant de dégoûter les attaquants de L1, Enyeama s’amuse à dégoûter un gardien de L1 : Hugo Lloris.
Une première saison lilloise sur le banc. Mais avec le sourire.
Vincent Enyeama passe la saison 2011-2012 dans le rôle de doublure de Mickaël Landreau, un rôle auquel il s’attendait. Il n’a pu se montrer que lors d’un match de Ligue des Champions contre l’Inter Milan (0-1), car Landreau était blessé, et de deux apparitions en coupe de la Ligue (contre Sedan, où il concède d’ailleurs un pénalty, puis à Lyon). Pour son premier ballon touché en match officiel, Enyeama arrête facilement un coup-franc lointain de Sneijder, qui a tenté de le surprendre alors qu’on s’attendait à un centre. Comment réagit le Nigérian ? Il a un grand sourire. Content de ne pas s’être fait avoir, ou juste content de toucher le ballon, Vincent Enyeama est content de jouer au foot et il le montre (à partir de 3’45 dans la vidéo ci-dessous) :
http://www.dailymotion.com/video/xlsnh4
Demandeur de davantage de temps de jeu, il est prêté la saison suivante au Maccabi Tel-Aviv, où il effectue une saison pleine. C’est le retour en Israël : normal, pour celui que ses coéquipiers lillois surnommeront « Jésus ».
Enfin titulaire
En 2013-2014, l’arrivée de René Girard redistribue les cartes au niveau de la hiérarchie des gardiens. Lors de la saison précédente, Mickaël Landreau, précipitamment parti en décembre, a été remplacé par Steve Elana, sa doublure, qui a alterné le bon et le moins bon. Après un suspense de quelques jours, René Girard indique que le gardien titulaire pour la saison 2013-2014 sera Vincent Enyeama. C’est la fin du chemin de croix lillois.
Le 15 septembre 2013, le LOSC reçoit Nice pour la 5e journée du championnat. Jusqu’alors, au niveau des résultats, le début de saison est correct (Lille est 8e, 2 victoires, 1 nul, 1 défaite), et Enyema a déjà 3 clean-sheet à son actif. À la 45e minute du match, le Niçois Dario Cvitanich porte la marque à 0-2. C’est le moment d’enclencher le chronomètre : s’ouvre une longue période durant laquelle Vincent Enyeama ne va plus encaisser de but. Et pourtant, on ne peut pas dire que les attaquants adverses aient pris des gants pour l’épargner (normal, c’est le gardien qui prend des gants) : il va en effet effectuer de spectaculaires parades.
Dans un premier temps, on souligne surtout la solidité défensive de ce LOSC là, capable de faire déjouer n’importe quel adversaire. Jusque là, Enyeama s’est surtout fait remarquer par un double arrêt lors de la première journée contre Lorient : il repousse d’abord dans l’axe une frappe de Jouffre, avant de s’interposer devant Aboubakar. Mais après Nice, les clean-sheet à Sochaux (2-0), contre Évian (3-0), à Lyon (0-0) et contre Ajaccio (3-0) permettent surtout de louer la charnière Basa/Kjaer ou la suractivité d’Idrissa Gueye. C’est à partir du déplacement à Montpellier qu’Enyeama commence à focaliser l’attention : non seulement parce qu’il détourne en fin de match un pénalty de Cabella, mais aussi parce qu’il prend la peine de consoler le malheureux tireur, en pleurs, à la fin du match. Lille s’est encore imposé, est 3e au classement, et on se rend compte que, l’air de rien, son gardien n’a pas encaissé de but depuis 495 minutes.
Y a un mec qui a une écharpe « René Girard », pour contrer ses systèmes frileux
Après une nouvelle victoire à Nantes (1-0), le LOSC reçoit Monaco, 2e et invaincu. Lille s’impose encore (2-0), chipe la place de dauphin du PSG à son adversaire du soir et, surtout, Enyeama brille ce soir-là avec une série d’arrêts spectaculaires, notamment devant James Rodriguez, Falcao et Rivière. Avec, en toute fin de match, sa spéciale « double-arrêt » : Falcao frappe de la droite, Vincent se couche bien mais repousse dans l’axe, Rivière suit mais, même à terre, il repousse de nouveau. À croire qu’il a fait exprès de donner une deuxième chance aux attaquants pour mieux briller. Nous voilà à 675 minutes d’invincibilité.
Sur la route du record
Désormais, tous les regards se tournent vers Enyeama, dont on découvre les qualités : ses rapides sorties dans les pieds des attaquants, son sens de l’anticipation, et sa capacité à sortir d’étonnants réflexes. Souvent avec le sourire, et toujours en montrant les dents : sa propension à donner l’impression d’hurler quand son corps touche le ballon ajoute à la force qu’il dégage.
Le match à Guingamp (0-0), mi-novembre, lui permet d’entrer dans le Top 10 des séries d’invincibilité en championnat de France de D1/L1. On en est à 765 minutes. Puis 855 quand Toulouse repart bredouille du grand stade (1-0), en dépit de 3 face-à-face avec le Nigérian : mais ni Ben Yedder, ni Sylla, ni, surtout, Regattin dans le temps additionnel, ne trouvent le chemin des filets. Sur cette dernière action, on se demande encore comment Vincent est parvenu à arrêter un ballon si difficile d’une seule main, pendant qu’un coéquipier de Regattin levait déjà les bras, croyant au but (à 2’55 dans la vidéo ci-dessous) :
Le LOSC gagne ensuite à Valenciennes (1-0), nous voilà à 945 minutes pour Enyeama. Contre Marseille, le 3 décembre, il franchit deux caps supplémentaires : d’abord, à la 7e minute du match, il devient le deuxième gardien le plus imperméable de l’histoire de la Ligue 1, en devançant la performance de Salvatore Sirigu qui, de novembre 2012 à février 2013, avait tenu 949 minutes sans encaisser de but. Puis, à la 55e minute, il atteint la barre des 1000 minutes. Jusqu’alors, un seul gardien avait réussi cette performance : Gaëtan Huard, gardien de Bordeaux, qui de décembre 1993 à avril 1994, avait tenu 1176 minutes. À l’issue du match contre l’OM, gagné (1-0), le gardien du LOSC atteint les 1035 minutes. 1035 minutes au cours desquelles 33 tirs cadrés par les adversaires du LOSC ont trouvé les mains d’Enyeama. Mais contre Marseille, Enyeama semble invincible : Gignac à 3 reprises ou Thauvin se cassent les dents sur le rempart nigérian avec, en point d’orgue, un nouveau double arrêt particulièrement prodigieux :
Le Lendemain, L’équipe consacre à sa Une à Spider Enyeaman et évoque ses « parades hallucinantes » :
« Quand vous avez un homme derrière vous avec huit bras, ça rassure », s’amuse Simon Kjaer. Pas sûr que ce soit bien réglementaire, mais fermons les yeux. Vincent Enyeama, de son côté, prend ses performances et l’éventualité de battre Gaëtan Huard avec détachement : « Je dois dire la vérité : je ne fais pas le décompte. Je ne regarde pas les records, je m’en fiche. Si je le bats, c’est bien, sinon tant pis ». Le LOSC se déplace désormais à Bordeaux, au stade Chaban-Delmas, kom1symbol de résistance pour approcher encore le record. Il faut encore tenir durant ce match, puis 51 minutes contre Bastia pour le battre.
1062 minutes après…
Ce 8 décembre 2013, le match est fermé entre Bordeaux et Lille. À la 27e, minute, N’Guemo, à 25 mètres dans l’axe, frappe. Le ballon est dévié au passage par Kjaer. Enyeama, au départ sur la trajectoire, est pris à contre-pied et, avec l’aide du poteau, le ballon entre doucement dans le but.
Gaëtan Huard, terrorisé depuis quelques semaines, profite de son poste de consultant sur Be in sports pour constater que son record ne tombera pas : il retrouve le sourire et salue les supporters bordelais, bonjour la déontologie, bonjour la neutralité, bonjour le Lensois (« Je ne cache pas que je suis soulagé car j’étais inquiet pour ce record »). Vincent Enyeama ne battra pas le record de Gaëtan Huard, mais peu importe : fidèle à lui-même, il encaisse ce but avec le sourire. Ce stade bordelais est donc celui des fins de série : ironie du sort, celle de Gaëtan Huard était aussi tombée sur une frappe déviée, du montpelliérain Asanovic. Si jamais Enyeama avait dépassé Huard, il aurait pu attaquer plus haut, plus fort : les 1311 minutes d’invincibilité d’Edwin Van der Sar en 2008-2009 ou, record européen, les 1390 minutes de Dany Verlinden, gardien du Club de Bruges en 1990.
Un saison de récompenses
Cet automne 2013 a permis à Vincent Enyeama de remporter successivement deux trophées UNFP de meilleur joueur du mois, octobre puis novembre. À l’issue de la saison, après avoir encaissé seulement 26 buts et réalisé 21 clean-sheet, il remporte le Prix Marc-Vivien Foé du meilleur joueur africain évoluant dans le championnat de France de Ligue 1, succédant à Pierre-Emerick Aubameyang. C’est la troisième fois qu’un joueur du LOSC obtient ce prix après le doublé de Gervinho en 2010 puis en 2011. Enyeama est également l’un des 4 gardiens nommés aux trophées UNFP, trophée finalement enlevé par Salvatore Sirigu. En juin, il part au Brésil avec sa sélection pour disputer la coupe du monde. À cette occasion, son image Panini connaît un petit détournement en forme d’hommage à sa saison au LOSC :
En 2013-2014, le stade Pierre Mauroy a accueilli 19 matches de championnat du LOSC, 19 matches que Vincent Enyeama a joués en intégralité. Il n’y a a encaissé que 10 buts. Et comme Lille ne marquait pas beaucoup non plus, on n’a pas vu beaucoup de buts en cette saison 2013/2014. Résultat, en raison de ses performances – et du système de jeu de René Girard – les spectateurs lillois n’ont vu « que » 35 buts au stade, en L1. On a calculé ce chiffre amusant : si certains d’entre eux sont aussi allés en juin voir France-Jamaïque (8-0), ils ont donc vu en une soirée près de 20% des buts marqués cette saison-là dans ce stade.
Pour finir, voici un petit florilège des arrêts de cette saison 2013-2014. Des performances qui lui permettent, d’ores et déjà, d’être pour l’éternité en odeur de sainteté dans le cœur des supporters.
Laisser un commentaire
Vous pouvez vous exprimer.
0 commentaire
Nous aimerions connaître la vôtre!