Posté le 17 mars 2018 - par dbclosc
D’un envahissement à l’autre…
Comme il est loin, le 29 juillet 2017… ! Ce soir-là, le club organisait son « fan-day » : une sauterie en grande pompe pour présenter le LOSC nouveau version Marcelo Bielsa : DJs, animations, goodies, pom-pom girls (!1) présentation des nouveaux joueurs, entrant sur la pelouse accompagnés de flammes, triomphe pour Marcelo Bielsa, causerie du président Lopez… Il y a même eu du football : 25 000 personnes pour un match amical du LOSC, du jamais-vu. Les Dogues battaient Rennes par 4-2, Luiz Araujo crevait l’écran et, grisés par tant de paillettes (à défaut de Payet), les supporters croyaient en leurs rêves d’un LOSC spectaculaire, qui allait titiller les premières places.
7 mois plus tard, le 10 mars 2018, la colère a éclaté : quelques dizaines de spectateurs ont envahi la pelouse du stade Pierre Mauroy pour, on le suppose, manifester leur exaspération face au spectacle offert depuis cet été plein de promesses. Les résultats ne sont pas satisfaisants, bien sûr. Mais pour que la colère se manifeste de cette manière après un nul contre Montpellier qui, d’un seul point de vue sportif, même à domicile, ne constitue pas une contre-performance, c’est qu’il y a donc autre chose. Et peut-être même que l’essentiel est ailleurs. À ce titre, cet envahissement de terrain est probablement inédit dans ses motivations.
Au stade de la violence
De mémoire, il nous semble que le dernier envahissement de terrain « hostile » de spectateurs lillois à domicile remonte au 1er mai 1999. C’était contre Amiens, en deuxième division. Après des années de tristesse sportive, ponctuées par la descente en 1997, le LOSC avait aussi exaspéré. Sportivement. Une première montée ratée en 1998 alors qu’elle nous tendait les bras. Le terrain avait aussi été envahi (pendant le match) au cours de cette saison 97/98 lors de la réception de Troyes (0-2) en février. Le début de la saison suivante est désastreux. Chez les supporters, là aussi, de la violence : que l’on se rappelle que l’entraîneur Thierry Froger a été agressé à l’entraînement par un supporter en août 1998, y laissant deux dents. Froger avait ensuite été pris à partie en plein match lors de Lille-Cannes en septembre 1998 : libres de leurs mouvements et sans opposition, des spectateurs s’étaient déplacés jusque derrière son banc pour le frapper à coups de pied.
4 septembre 1998 : les sièges volent à Grimonprez-Jooris
En ce soir de mai 1999, le LOSC a remonté la pente, et la réception d’Amiens, qui joue sa peau pour se maintenir est le match de la dernière chance. C’est même le match idéal. Mais malgré une domination infernale, Lille ne marque pas… et encaisse même un but en fin de match sur une erreur défensive. Le match est perdu. Lille ne retrouvera pas la D1.
Deux envahissements de terrain, deux situations similaires en apparence. Les images et les réactions sont les mêmes. Aux uns, l’exaspération, la colère, la violence. La terrible impression de l’effet de groupe. Les métaphores animales (« la meute »). Aux autres, l’appel à la modération, au calme, à la raison. Depuis la chaleur des vestiaires. Avec des mots qu’ils ont eu le temps de penser puis d’exprimer posément. Passion contre raison, schéma binaire qui permet de dénigrer les premiers et de les reléguer au rang de « pseudo-supporters », leur faisant porter la responsabilité de la déliquescence des valeurs promues par le club.
Un nouvel âge de la mobilisation ?
Et pourtant, peut-on affirmer que ce qu’il s’est passé samedi soir à Lille relève des mêmes logiques que les lamentables incidents d’il y a 19 ans ? Nous avançons l’hypothèse que non.
En mai 1999, c’en était trop de voir défiler ces équipes incapables de jouer mieux que la 15e place en D1, puis incapables de remonter en D1 avec pourtant un effectif taillé pour : trop de déceptions accumulées, trop de lacunes dans l’effectif, trop d’impatience à retrouver l’élite. En somme, une violence en réaction à des déboires sportifs. Mais fondamentalement, la situation du club lillois incitait largement à l’optimisme. En coulisses, le président Bernard Lecomte, arrivé par défaut en 1993 pour éponger une dette colossale qui semblait promettre le LOSC à la disparition ou à la fusion-absorption avec Lens, est en passe de réussir son pari. Le LOSC n’est plus endetté et, depuis son arrivée, Bernard Lecomte a régulièrement expliqué sa stratégie financière en toute transparence dans la presse régionale et dans le bulletin officiel du club. On y adhérait ou non, mais Lecomte jouait cartes sur table, et avec l’aval de la DNCG, confiante dans les capacités du président à redresser le club, au point de lui accorder à plusieurs reprises une certaine latitude dans l’interdiction globale de recrutement qui a pesé sur le LOSC de 1993 à 1996. Si le LOSC semblait donc échouer sur le terrain en mai 1999, Bernard Lecomte s’apprêtait à passer la main et à ouvrir la voie à la privatisation du club, fort du devoir accompli : le LOSC n’est pas mort. Désormais, au sportif de suivre, et Vahid Halilhodzic le fera avec le brio que l’on connaît.
En 2018, on ne peut pas se satisfaire de la 19e place. Évidemment. Mais le (relatif) aléa sportif fait partie du jeu. Quand on s’engage dans une compétition, il est possible de descendre dans la division inférieure. Certains ne l’acceptent pas, et c’est assez terrifiant. À Lille comme ailleurs, il y en a toujours eu de cette espèce, prête alors à demander des comptes directement.
Mais il y a fort à parier que la fureur de samedi soir voulait aussi dire autre chose. Et on peut la comprendre.
Entendons-nous bien, pour lever les malentendus qu’une tentative de discours critique d’énonciation peut susciter. Ne pas excuser, ce n’est pas ne pas chercher à comprendre, contrairement à ce que penserait probablement Manuel Valls. Expliquer et comprendre, c’est se donner les moyens objectifs de saisir les raisons profondes de ces actes, et faire en sorte que ce qu’une société, collectivement, qualifie de « débordements » ne se reproduise plus, puisqu’en en ayant trouvé les causes, la rationalité supposerait qu’on ne les renouvelle pas sous peine d’aboutir aux mêmes effets indésirés.
Alors écrivons-le clairement : quoi qu’il se passe sur et en-dehors du terrain à Lille, rien ne peut excuser que des spectateurs aient ainsi pénétré sur le terrain, et de surcroît pour agresser physiquement les joueurs. Les faits sont graves. Il revient désormais à la justice de prendre le relais et de qualifier ces faits tels que les textes juridiques le prévoient. Et comme dans tout État de droit idéalement constitué, d’éventuelles sanctions tomberont. Reste seulement à espérer que des débats judiciaires sereins puissent se dérouler dans un contexte où la répression envers de nombreux groupes de supporters, ne serait-ce que pour avoir ce droit de se déplacer, est devenue la norme. Sans compter les avis définitifs de quelques consultants et autres éditorialistes qui assènent, sur ce sujet comme sur d’autres, plus qu’ils ne démontrent ou n’invitent à la réflexion, considérant en général « les supporters » comme une réserve d’indiens dont ils ne connaissent ni les codes, ni les préoccupations, ni la (contre-)culture, et sur lesquels il convient de taper dès lors qu’ils sortent de leur rôle pittoresque d’ambianceurs colorés et folkloriques (sur lesquels on peut toutefois s’appuyer pour servir une stratégie de communication de crise, comme ça a été le cas la semaine dernière à Luchin).
Du public à la privatisation
Mais une fois que l’on a énoncé cela et adopté une posture somme toute sans risque, que fait-on ? On a souvent l’occasion de l’écrire : au-delà des souvenirs qu’on raconte ici et des articles qu’on écrit qui se veulent rigolos, on tente, dans la mesure du possible, de regarder notre club de manière globale, en le replaçant dans l’environnement dans lequel il évolue, en partant du principe que le foot n’est pas imperméable à son environnement social, politique, économique… Et qu’il en est à la fois un précurseur et un révélateur. Il ne nous semble ainsi pas exagérément audacieux d’énoncer que les événements de samedi disent quelque chose du LOSC bien sûr, mais aussi de l’état du foot. Pas de chance : le LOSC est devenu ce que le football peut produire de pire. Une caricature. Et le processus a été enclenché bien avant l’arrivée de Gérard Lopez à la présidence du club. On avait déjà eu l’occasion d’évoquer la façon dont le club actualisait son héritage, stratégie inévitable mais qui a pris une dimension plus commerciale depuis bien des années. Difficile de dater précisément un point de rupture, mais il est indéniable que la privatisation du club amène autour de celui-ci un autre type de dirigeants, socialement parlant, loin des présidents proches de la mairie quand le club était dans le giron du public, et généralement recrutés, comme bien souvent ici pour ce qui concerne le patronat du Nord, parmi la bourgeoisie catholique, comme par exemple Bernard Lecomte (ci-contre), dirigeant multi-situé dans la région et notamment patron de la Générale de Chauffe (devenue Dalkia). Le duo Dayan/Graille inaugurait l’arrivée d’« entrepreneurs » ou d’« investisseurs » aux objectifs bien différents, correspondant au statut juridique et économique d’un club lui-même en évolution. Ayant davantage assuré une transition financière, le duo n’a pas laissé d’empreinte durable au LOSC.
Perte d’ancrage
C’est surtout la présidence Seydoux, à partir de 2002, qui a amorcé une nouvelle ère, celle de la privatisation complète du club. Ère qui a renforcé la tendance et introduit des logiques déjà presque purement commerciales, avec des dirigeants rompus aux exigences (supposées) de l’image (M. Seydoux est issu du monde du cinéma), du fonctionnement du marketing privé, de la communication et de la publicité. Symbole : le changement de logo en 2002, manière classique de marquer une césure et de laisser une empreinte personnelle, changement de logo accompagné d’un courrier aux abonnés dans une novlangue libérale et publicitaire dont on aurait très bien pu intervertir les mots ou leur donner un sens inverse que ça n’aurait pas signifié grand chose de moins. Plus récemment, et notamment à l’occasion de l’entrée dans Ch’gros stade, le club a misé sur la création d’un clip promotionnel diffusé avant les matches. Dans ce clip, un condensé d’histoire et de clichés, dans la logique des story-telling : identification de mythes fondateurs, inscription dans l’histoire régionale, recours à l’émotion, mise en avant de valeurs, autant d’éléments qui sont censés faire correspondre une entreprise privée aux valeurs de travail (supposées) de sa région. C’est en somme l’exemple typique de la volonté de création d’un imaginaire, d’une culture d’entreprise, c’est-à-dire créer du consensus, stratégie intéressante pour une entreprise qui a évidemment intérêt à minimiser les oppositions et à faire croire qu’on (joueurs, dirigeants, partenaires, supporters) est tous dans le même bateau, en ne mettant en avant que la dimension sportive, précisément au moment où le club semblait aussi montrer sa capacité à être avant tout une remarquable entreprise de transferts aux montants toujours plus élevés. Cette recherche d’ancrage historique et régional était d’autant plus dissonante qu’elle semble s’affirmer au moment où toutes les valeurs revendiquées donnent l’impression de disparaître. Hormis quelques exceptions comme Stéphane Dumont (parti cet été…), quel joueur du coin a effectivement revendiqué un attachement sincère au club ?
« Michel Seydoux, qu’est-ce t’as fait des sous ? », question récurrente entendue dans le stade depuis le titre. On en avait parlé ici : après un titre sans doute trop précoce, explosion de la masse salariale, des primes, transferts onéreux… Le déficit à l’issue de la saison 2011-2012 est de 45M€. L’entrée dans le grand stade, son coût exorbitant, la surestimation de ses revenus, n’ont rien arrangé. Cette période Seydoux/Garcia que l’on a tendance à ne regarder que sous le seul angle sportif, est bel et bien catastrophique sur d’autres plans et sur ce qui a longtemps été une marque de fabrique du club : la formation, que Rudi Garcia a abandonnée au profit de joueurs immédiatement « performants » (et donc chers), stratégie que l’on le paye encore aujourd’hui. Quand on entendait Rudi Garcia dire en octobre « J’espère que ce club n’est pas en train de perdre ses valeurs », ça nous faisait tout de même amèrement rigoler.
Si M. Seydoux comptait rester 10 ans lors de son arrivée, l’entrée dans le Grand Stade l’a probablement contraint à rester, et ainsi il n’est sans doute pas resté par choix, comme il le prétend. On peut notamment supposer qu’il n’y avait pas d’acheteurs, malgré la (relative) bonne tenue financière du club à ce moment-là. Le problème est que le stade est démesuré et que Seydoux avait probablement déjà exploité tout son réseau, ce qui n’a fait que renforcer les premiers déboires économiques et sportifs. Quand Digne (2013), Origi (2014), Traoré (2015) ou Boufal (2016) partent après une saison (plus ou moins) pleine, ça n’est pas un choix sportif : c’est déjà une question de survie. La situation du LOSC en janvier 2017 ne permettait sans doute pas de refuser l’offre de Lopez, quel que soit son projet : Dominique Rousseau rappelle quelques chiffres éloquents, datant de juin 2016 : 8,1 M€ de déficit, 56,1 M€ de dette financière, 38,5 M€ de déficit structurel d’exploitation. Dominique Rousseau parle de Michel Seydoux comme d’un « pompier pyromane » : on se contentera de rappeler que, dans la période actuelle, chacun devrait prendre sa part, et que les sorties médiatiques récentes de M. Seydoux passent difficilement pour autre chose qu’un grossier contre-feu quant à ses propres responsabilités.
Et arrive donc Gérard Lopez, dont on n’a pas voulu à Marseille. Au sein du blog, on a rapidement été méfiants. Deux semaines après le début la présidence de Lopez, on se demandait si ça n’était pas 20 ans de LOSC qu’on assassinait. Les différentes enquêtes de Mediapart, Médiacités et France 3 Nord ont confirmé nos craintes et fait du LOSC le nouveau terrain de jeu d’hommes d’affaires qui échangent via des circuits financiers mondialisés et illisibles, contribuant à réduire à peau de chagrin l’ancrage local et les traditions du club.
Lille, avant-garde du foot-business
Au sang et aux larmes promises en son temps par Vahid (ce n’est pas une image), à la patience, à la formation, au projet de jeu longuement maturés par Puel, succèdent aujourd’hui des envies de résultats immédiats. Et pour être immédiatement performants, tous les moyens sont bons : méthodes opaques (on ne comprend RIEN à l’origine des fonds de M. Lopez, au point qu’on se demande parfois s’il en a effectivement), à l’éthique financière douteuse (Mediapart et Médiacités ont souligné les manœuvres offshore, les soupçons de blanchiment, les sociétés-écran et l’hypothèse de fonds vautour sur lesquels s’appuierait Gérard Lopez), à l’éthique sportive dévoyée (spéculation sur des joueurs mineurs, rupture du pacte de non-agression concernant les centres de formation). Et n’oublions pas que précédemment les conditions du transfert de Nicolas De Préville via Ostende en 2016 n’ont pas forcément été très appréciées, et ont pu laisser des traces. Mais c’était légal, dirait Fillon.
Insistons aussi sur cette dimension fortement spéculative autour du recrutement des joueurs qui tranche avec ce que l’on a connu par le passé. Dès janvier 2017, G.Lopez recrute 7 joueurs ! C’est trop, parce qu’avant de construire une équipe, Gérard Lopez nous exhibe ostensiblement sa capacité d’investissement. Il sort ses muscles pour ne pas dire qu’il sort autre chose. Comme si pouvoir se payer des joueurs était une finalité en soi. On peut toujours espérer que cette stratégie, proche sur ce point de celle adoptée à Monaco, porte ses fruits. Il n’empêche, c’est une stratégie qui, même si elle était efficace, ne nous convient pas bien : on pense les joueurs comme des produits, des « actif », en misant sur d’importantes plus-values sur certains, qui remboursent les inévitables échecs. Le problème éthique réside notamment dans le fait qu’un tel système sacrifie certains (ceux qui ne trouveront pas leur place et risquent d’avoir du mal à rebondir ensuite) et porte aux nues ceux qui réussissent, et ce uniquement parce qu’ils « rapportent ». Un club de foot dont la fin ultime est de rapporter de l’argent en faisant de ses joueurs les moyens de parvenir à ce but.
On pourra certes dire que les dirigeants lillois, depuis un peu plus d’un an, ne font qu’exprimer une stratégie commerciale, en des termes cyniques et crus. La nouveauté réside non pas dans l’affirmation du rôle central des investisseurs comme supports financiers aux objectifs sportifs (on a vu plus haut que Seydoux a été confronté à ce problème, et on pourrait remonter aux maintes fois où le président Lecomte a tenté de mobiliser le tissu économique régional derrière le LOSC dans les années 1990), mais dans l’inversion des priorités entre objectifs sportifs et objectifs financiers.
Un club de football est une organisation humaine
Le problème est bien qu’un club de football ne peut pas se réduire à un pari financier, et d’autant plus quand, manifestement, on ne prévoit pas que le business-plan soit apparemment à côté de la plaque, et uniquement pensé comme tel, sans un minimum d’attention au relations humaines et à ce qui constitue la base de ce que doit être aussi un lieu de travail : un lieu de socialisation et d’intégration des individus, que ne peuvent suppléer des artifices de communication tels que #LOSC Unlimited (succédant au tout aussi ridicule #WeAreLOSC).
Que les Mavuba, Béria, Enyeama et autres Basa soient écartés peut se justifier sportivement. Mais humainement, c’est évidemment scandaleux. Certains ont été des acteurs majeurs des deux premiers trophées majeurs du club depuis les années 1950. Ils font partie de l’histoire du club et sont soudainement déconsidérés et poussés vers la sortie. Quelles que soient leurs performances récentes (y compris les autres ex-lofteurs), la méthode est détestable et humiliante et révèle le management « humain » de personnes qui ne raisonnent qu’en termes de chiffres. De son côté, Marcelo Bielsa, dont on reconnaît aisément que l’arrivée nous avait excités, a élaboré une conception quasiment eugéniste de l’effectif, imaginant que sa jeunesse permettrait de le modeler à sa convenance et sans résistance, et que l’on pourrait l’entraîner à partir de statistiques et de modèles mathématiques. L’accumulation des ces erreurs nous place désormais en position de relégable.
Et quand la relégation sportive se pose pour le LOSC, c’est bien désormais sa survie qui est en jeu. Très dépendant de résultats sportifs à court terme, le projet Lopez est-il viable en L2 ? Presque inaudible y a quelques mois, la question se pose de plus en plus. Censée rassurer sur l’attrait du club malgré ses difficultés, la présence d’investisseurs potentiels samedi dernier rappelle combien le LOSC est à la recherche de liquidités.
Sentiment de dépossession
Face à des évolutions du football dont le LOSC est devenu une illustration très poussée, le sentiment de dépossession est très fort. Il est d’ailleurs étonnant que les supporters ne se soient pas manifestés plus tôt, car ce qui éclate aujourd’hui parce que les résultats ne sont pas là est connu depuis bien longtemps. On peut bien entendu avoir une confiance de principe envers les repreneurs, confiance presque contrainte tant il est difficile de comprendre précisément ce qui se joue si on ne maîtrise pas quelques opérations juridiques et financières complexes. Mais cette technicisation est aussi l’un des indicateurs de l’écart grandissant entre le club et son public. Puisqu’on ne saisit pas grand chose, que l’on n’a que rarement les éléments complets du mille-feuille politico-financiaro-administratif de tout ce merdier, seules des supputations ou méfiances peuvent être exprimées. Ce que font fort bien certains journalistes ou supporters critiques. Mais, par un étonnant réflexe de défense de l’institution, ce sont les journalistes qui révèlent les mauvaises nouvelles qui sont pris à partie sur les réseaux sociaux, accusés, en quelque sorte, de fomenter un complot contre le LOSC. Signalons d’une part que nous sommes les seuls habilités à décerner ce titre, et que d’autre part ce mécanisme corporatiste qui relève en partie de la psychologie – et qu’on peut largement comprendre – est tout de même problématique quant au rapport à la vérité des faits.
On a tendance à l’oublier, mais les supporters font partie d’un club. Ils sont même ceux qui témoignent de sa continuité, résistant aux départs et arrivées des joueurs et dirigeants. Et celles et ceux qui sont descendus sur le terrain samedi soir sont probablement les plus passionnés, donc les plus excessifs. Mais on peut supposer qu’ils et elles figurent parmi les plus anciens, et qu’ils fréquentent le stade lillois depuis bien avant l’arrivée de G. Lopez, et sont à ce titre bien placés pour avoir un avis sur le club. Il est regrettable qu’ils aient choisi de l’exprimer sur ce mode, mais on ne peut pas leur reprocher de revendiquer une place qui viendrait contrebalancer la toute-puissance décisionnelle de l’argent, qui peine de surcroît à s’incarner en M. Lopez, qui brille surtout par son absence et ses silences depuis les débuts de sa présidence, et laisse à M. Ingla le soin de répondre à la presse les soirs de crise.
Et les violences économiques, on en parle ?
L’analogie a bien sûr ses limites, mais on y trouvera, espère-t-on, également de la pertinence : dans un célèbre texte de sociologie historique des mouvements sociaux, Charles Tilly décrit 8 conflits, non-représentatifs de l’action collective en France, entre les XVIIe au XXe siècles. Leur point commun ? La façon dont on les rapporte : on parle de « violence », de « désordre », d’« émotion », d’« émeute ». ça vous rappelle quelque chose ? Mais ce que nous pouvons voir à travers un regard plus distancié, c’est l’évolution d’un répertoire d’action collective, expression qui permet de se démarquer du sens commun relayé par les autorités sous le terme de « violence », par exemple. Si la notion ne détaille pas l’ensemble des modes d’action, l’utilisation du terme « répertoire » laisse entendre une multiplicité de ces modes. Un répertoire d’action collective, ce sont les moyens mis en œuvre pour la réalisation d’une action collective. Et on peut dès lors rappeler que l’envahissement de terrain a été précédé par d’autres modes de revendication, moins violents, mais qui avaient un objectif commun : exprimer des craintes quant à la survie du club. Par des lettres ouvertes, des rencontres organisées avec les dirigeants, ou même de simples sifflets dans le stade. Ce qui ressort du texte de Tilly, c’est que l’usage de telle ou telle forme d’action collective dépend du contexte politique global. Les répertoires d’action évoluent en fonction du contexte économique et politique. Par exemple, l’action collective en France est devenue nationale quand la vie politique s’est elle-même nationalisée : on délégitime alors de même la violence privée à mesure que l’Etat de droit se construit. Le répertoire d’action correspond aux attentes de la société dans laquelle il se développe. Autrement dit, les mouvements de protestation en disent évidemment beaucoup sur celles et ceux qui les animent ; ils en disent également beaucoup sur la société dans laquelle ils s’expriment. Tout le monde ne dispose pas des mêmes ressources pour s’exprimer. Mais chacun a à son répertoire d’action la violence. En un sens, la violence observée samedi soir répond à la violence économique que symbolise M. Lopez. À système violent, réponse violente.
Inacceptable
Répétons-le : la violence est insupportable. Mais alors TOUTES les violences sont insupportables.
Le courroux tombe aujourd’hui en grande partie sur les « envahisseurs ». Dès qu’un public sort de son rôle, dès que des supporters cessent d’être identifiables à des poncifs idéologiques, alors ils sont considérés comme dangereux : ils envahissent les terrains, ils manifestent bruyamment, ils font sauter des pétards et des bombes agricoles, ils menacent verbalement et physiquement. De la même manière, quand des ouvriers protestent, leur violence est toujours visible et spectaculaire : ils brûlent des pneus, ils occupent des usines, ils séquestrent des patrons, ils arrachent des chemises de PDG.
On voudrait soumettre à votre réflexion cet extrait d’un discours de Jean Jaurès à la chambre des députés en juin 1906 :
« Les conditions de la lutte sont terriblement difficiles pour les ouvriers ! La violence, pour eux, c’est chose visible (…) Oui, la violence c’est une chose grossière, palpable, saisissable chez les ouvriers : un geste de menace, il est vu, il est retenu. Une démarche d’intimidation est saisie, constatée, traînée devant les juges. Le propre de l’action ouvrière, dans ce conflit, lorsqu’elle s’exagère, lorsqu’elle s’exaspère, c’est de procéder, en effet, par la brutalité visible et saisissable des actes. Ah ! Le patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de gestes désordonnés et de paroles tumultueuses ! Quelques hommes se rassemblent, à huis-clos, dans la sécurité, dans l’intimité d’un conseil d’administration, et à quelques-uns, sans violence, sans gestes désordonnés, sans éclat de voix, comme des diplomates causant autour du tapis vert, ils décident que le salaire raisonnable sera refusé aux ouvriers ; ils décident que les ouvriers qui continueront la lutte seront exclus, seront chassés, seront désignés par des marques imperceptibles, mais connues des autres patrons, à l’universelle vindicte patronale. Cela ne fait pas de bruit (…)
La même opposition, elle éclate dans la recherche de responsabilités. De même que l’acte de la violence ouvrière est brutal, il est facile au juge, avec quelques témoins, de le constater, de la frapper, de le punir ; et voilà pourquoi tout la période des grèves s’accompagne automatiquement de condamnations multipliées.
Quand il s’agit de la responsabilité patronale – ah ! Laissez-moi dire toute ma pensée, je n’accuse pas les juges, je n’accuse pas les enquêteurs, je n’accuse pas, parce que je n’ai pas pu pénétrer jusqu’au fond du problème, et je veux même dire ceci, c’est quel que soit leur esprit d’équité, même s’ils avaient le courage de convenir que de grands patrons, que les ingénieurs des grands patrons peuvent être exactement comme des délinquants, comme les ouvriers traînés par des charrettes devant les tribunaux correctionnels, même s’ils avaient ce courage, ils se retrouvaient encore devant une difficulté plus grande parce que les responsabilités du capital anonyme qui dirige, si elles sont évidentes dans l’ensemble, elles s’enveloppent dans le détail de complications, de subtilités d’évasion qui peuvent dérouter la justice »
Est-ce que, du simple point de vue de la logique ou du raisonnement intellectuel, on peut admettre qu’à l’illégitimité de l’attitude de l’équipe dirigeante du LOSC, corresponde la légitimité de la violence qui s’exprime dans la révolte ? Il existe une violence légitime économique pour MM. Lopez, Ingla et Campos, et il existe une violence physique illégitime pour MM. Lopez, Ingla et Campos. La ligne de partage se fait selon des intérêts qui renvoient chez les individus à des considérations très personnelles, qui relèvent peut-être de l’intime, des sentiments, des émotions, dont on peut effectivement comprendre qu’elles débordent, et qui relèvent aussi, peut-être, d’une valeur générale que l’on pourrait nommer « éthique », et surtout de sa position au sein d’un système financier qui n’en finit pas de saper les bases de ce qui constitue notre attachement au football.
En 19 ans, d’un envahissement à l’autre, le LOSC a bien changé.
Dès lors, ce qu’il s’est passé samedi dernier, tout comme le 1er mai 1999, est inacceptable. Mais ce que le LOSC reflète aujourd’hui ne l’est pas moins.
FC Note :
1 On savait pas trop à quel moment placer ce « ! ». Là semble le mieux.
NB : on a pris la plume en début de semaine et avons pris le temps d’écrire cet article. Entretemps, d’autres, avec quelques nuances et probablement des désaccords, ont écrit des articles qui alimentent richement la réflexion : on vous renvoie notamment à cet article des Cahiers du foot, à celui de Marwen Belkaïd sur Au premier poteau, à celui d’Alexandre Pedro sur Le Monde, et à cette interview du sociologue Nicolas Hourcade dans Le Parisien.
4 commentaires
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17 mars 2018
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Fred a dit:
Je rejoins les autres commentaires… Bravo !
Ça me fait penser à un autre de vos articles concernant les différences de perception entre les supporters du LOSC et ceux de « l’autre » club rival… Finalement, votre analyse est fidèle à cet article… Le LOSC est également un club d’ouvriers (au sens noble du terme !) pas forcément plus sage.
Et si la lutte des classes s’était en fait déplacée sur le terrain vert ?
Un de vos fidèles lecteurs Marxiste tendance Groucho !
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17 mars 2018
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Zeberdee a dit:
Superbe article vraiment
Bon tout d’abord je comprend votre « ras-le-bolisme » et le fait que certains de vos fans soient mécontent de la situation…Mais évidemment on ne peut pas cautionner cette violence qui en + ne vous aide vraiment pas .
Sinon quelques questions
- Seydoux était-il si presser que ça (Ou pris a la gorge financièrement) de vendre le LOSC ? Margarita aussi été presser de se débarrasser de L’OM , pourtant elle a bien pris le temps de bien choisir bien étudier les dossiers et les candidats , et de ne pas le vendre au 1er Lopez venu
- La semaine précédent Montpellier , « L’escroc » (Désolé du terme , je ne vois pas d’autres définitions le concernant) a reçu les supporters pour « parler » de la situation du LOSC , Pourquoi n’ont-ils pas « demander des comptes » a ce moment la ? (L’escroc les a encore embobiner avec ces belles paroles ? Il a l’air doué pour ça)
- Aviez vous dans la structure du club un genre de « LOSC association » qui veille a ce qu’un repreneur ou nouveau gérant ne fasse n’importe quoi avec le club ?
Voila je compatis vraiment par rapport a la situation du LOSC , j’espère que vous vous en sortirez sportivement . Mais je vous souhaite aussi de vous débarrasser de « l’escroc » au plus vite pour votre bien. Mais malheureusement il risque d’y avoir des dommages collatéral .
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17 mars 2018
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Guillaume a dit:
Un seul mot: bravo.
Je suis tout à fait d’accord avec ton analyse de la violence « physique » des supporters, qui fait écho à la violence à la fois financière et sociale de l’équipe dirigeante.
Je ne cautionne pas cet envahissement de la pelouse, mais que dire de la gestion du club?
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17 mars 2018
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Xylophène a dit:
Une foi de plus, bravo pour cette brillante analyse.
D’ailleurs, il s’est produit le même déchainement à West Ham le même jour.
Est-ce un hasard si cela s’est produit dans ces 2 clubs à quelques heures d’écart ?
Non, si l’on y regarde bien :
- 2 clubs issus de contrées anciennement ouvrières,
- 2 clubs qui ont pendant longtemps compensé leurs faibles moyens par de la formation de jeunes joueurs locaux, de la solidarité et de la combattivité sur le terrain,
- 2 clubs dont les dirigeants ont mis le trading de joueurs au centre de leur projet,
- 2 clubs qui n’ont pas que des enfants de choeur dans leurs tribunes,
- 2 clubs qui jouent depuis peu dans des stades ultramodernes,
Bref, des 2 côtés, un même sentiment de trahison et de dépossession. Une même perte d’identité.