Posté le 25 mars 2018 - par dbclosc
La Coupe Latine, une compétition au rabais ?
« L’histoire retient que … ». Déjà, elle est marrante cette expression. Si je donne rendez-vous à Damien ou à Denis, ils le retiennent (sauf si je n’ai pas été très clair). Par contre, en vrai, j’ai beau dire tout ce que je veux à l’Histoire, elle ne retient rien. Pas plus qu’elle n’oublie d’ailleurs. En fait quand on dit que l’ « Histoire retient que », cela signifie qu’une idée donnée s’est imposée comme la version légitime de l’Histoire. Par exemple, « l’Histoire retient que » Christophe Colomb a découvert l’Amérique en 1492, même si les Vikings (nom que « l’Histoire retient », même si ce peuple du nord ne se désignait pas lui-même ainsi) l’ont découverte bien avant et que, par ailleurs, ses peuples autochtones l’avaient déjà fait bien avant (même qu’ils y habitaient).
Et la Coupe Latine, aux chiottes ?
Bref, « l’Histoire retient que » le Stade de Reims est le premier finaliste d’une coupe d’Europe, perdant en finale contre le Real Madrid. En fait, cette version de l’Histoire, comme par Eden, fait débuter les compétitions européennes en 1955/1956, c’est-à-dire qu’elle oublie la Coupe Latine, compétition dont le LOSC est justement finaliste en 1951. Les gens de ma génération, nés au début des années 1980, ont grandi avec cette idée que le LOSC n’avait jamais obtenu la moindre qualification européenne, à la différence de clubs très modestes, comme Angoulême ; que l’on était de gros losers en somme (dans un pays de losers, aucun club français n’ayant remporté de compétition européenne jusqu’en 1993). On avait bien entendu rapporté cette histoire de finale de Coupe Latine. Mais bon, tel qu’on nous l’avait raconté, ça avait l’air d’être un p’tit tournoi sympa, rien de plus. Pas de quoi la mettre à son palmarès. En gros : aux chiottes, la Coupe Lat(r)ine.
Lors de cette finale, perdue d’un cheveu par nos ouailles, Buffon était déjà là, à l’époque dans les buts de Milan. Quelle carrière !
Logique, répondront les complotistes comme d’ailleurs la plupart des honnêtes gens, eux victimes de plus de 70 ans de propagande complotiste contre le LOSC : la Coupe Latine n’est pas une coupe d’Europe puisque seuls quatre pays sont représentés, à savoir l’Espagne, le Portugal, l’Italie et la France.
Examinons d’abord ce premier argument. La première Coupes des champions européens serait une Coupe d’Europe et pas la Coupe Latine parce que la première invite des représentants de seize championnats européens différents quand la seconde n’a de représentants que de quatre pays. Si le constat est exact, on pourrait souligner que cette première édition de la C1 n’est elle-même pas entièrement une Coupe d’Europe selon cet argument. En effet, si elle compte davantage de participants, une partie conséquente des pays européens n’ont aucun participant. L’éclatement de la Yougoslavie et de l’URSS ne suffisent en effet pas à expliquer le nombre de pays représentés : le Pays de Galles, la Norvège, le Luxembourg et la Tchécoslovaquie, entre autres, n’ont ainsi aucun représentant.
Un tournoi mineur ?
Certes, me rétorquera-t-on, mais il s’agit de pays « mineurs ». D’abord, répondrais-je, si le fait que ce soit des pays « mineurs » justifiait l’exclusion des compétitions européennes, alors il faudra m’expliquer pour quoi Lens était autorisé à jouer en Coupe d’Europe. Ensuite, si on me répondait que par « mineurs », il faut entendre « d’un niveau inférieur » et que je fais « semblant de ne pas comprendre », je répondrais alors que, dans ce cas, il faut également examiner l’argument des performances des représentants des pays participants à la Coupe Latine.
Or, lorsque l’on examine les performances en C1 des représentants des pays disputant la compétition lors de ses dix premières années d’existence (1955-1965), on constate que les pays les plus performants sont justement les quatre qui disputent la Coupe Latine. On s’est ainsi amusés à constituer différents barèmes de mesure des performances des pays en C1, en faisant varier l’importance de différents critères. Dans tous les cas, on en arrive à une même claire hiérarchie : l’Espagne est nettement devant, suivie de l’Italie, puis du Portugal et enfin de la France. Certes, certains pays sont très proches de la France (à savoir l’Angleterre et l’Ecosse), voire même à égalité suivant l’un de nos barèmes : il n’empêche, les pays dominants de ces premières C1 sont bien ceux qui disputent auparavant la Coupe Latine.
Quelques statistiques illustrent cette domination des pays participants à la Coupe Latine : les dix premiers vainqueurs sont espagnols (5 titres), italiens (3 titres) ou portugais (2 titres). Neuf des dix premiers finalistes sont issus des pays participants à la Coupe Latine (3 pour l’Espagne, 2 pour chacun des trois autres pays). Seuls les Allemands de l’Eintracht Francfort, finalistes en 1960, atteignent la finale de la C1 parmi les pays non issus de ceux qui participent à la Coupe Latine (1).
Bref, en termes d’adversité, la Coupe Latine c’est le gratin du football européen, même s’il est vrai que d’autres pays importants, comme l’Allemagne et l’Angleterre y ont leurs représentants.
La Coupe des champions 1955/1956,
un trophée de plus faible niveau qu’on ne le présente
Le fait de présenter la Coupe des champions 1955/1956 comme une compétition indiscutablement plus prestigieuse que la Coupe Latine fait en outre l’impasse sur le fait que la C1 a elle-même connu des évolutions en la matière. Présenter la finale rémoise de 1956 comme une finale de C1 comme les autres fait notamment l’impasse sur le fait que la première édition de cette compétition connaît une adversité bien plus limitée qu’elle ne le connaîtra ensuite.
Ainsi, parmi les seize participants de cette première Coupe des Champions, huit ne sont pas champions en titre. Certains des participants sont même loin du compte : le Gwardia Varsovie n’a ainsi terminé que 4ème du précédent championnat de Pologne, le Partizan Belgrade et Hibernian FC avaient terminé 5èmes, respectivement en Yougoslavie et en Ecosse, le Servette seulement 6ème de Suisse. Que dire aussi du FC Sarrebruck ? Troisième de son championnat, certes, mais il s’agissait de l’Oberliga Sud-Ouest, le championnat allemand n’étant alors pas encore unifié. Un classement insuffisant pour placer Sarrebruck parmi les neuf participants de la phase finale du championnat d’Allemagne.
Et Reims dans tout ça ? Au premier tour, ils éliminent le modeste champion danois de l’AGF Arhus. En quart de finale, ils sortent le Vörös Lobogo, deuxième du précédent championnat hongrois. En demi-finale, Reims affronte Hibernian FC, lequel reste sur deux cinquièmes places en championnat écossais. Reims arrive alors déjà en finale, sans pour autant avoir eu à affronter une adversité incroyable. Alors, forcément, il y a quelque chose qui nous reste un peu en travers de la gorge : délégitimer la Latine, c’est encore faire de nouvelles coupes sombres dans le palmarès du LOSC quand la même performance du côté de Reims semble justifier qu’on trinque autour d’une coupe de Champagne.
Ah moins que …
Faire débuter la Coupe d’Europe en 1955/1956, aussi un complot contre Reims
Oh là ! Oh là ! On se calme, amis Rémois ! Et non, contrairement à ce que vous pensez, en émettant l’idée que la Coupe Latine était déjà une Coupe d’Europe (contrairement à ce qu’affirment qui vous savez), on dit certes que le LOSC a été finaliste d’une compétition européenne dès 1951, mais on ne remet pas en cause la primauté rémoise en termes de performances françaises en Coupe d’Europe, bien au contraire : on met aussi l’accent sur un complot qui vous concerne aussi (même si vous êtes en réalité les victimes collatérales d’un complot qui nous cible).
En effet, qui gagne la première coupe européenne « officiellement » ? Marseille, en 1993. C’est en tout cas ce que « l’Histoire retient », oubliant honteusement la victoire du Stade de Reims contre le Milan AC en finale de la Latine en 1953 (3-0) après avoir sorti le FC Valence (2-1) en demi-finale, soit des performances supérieures à celles connues six ans plus tard en C1. Retenir cette compétition, c’est plus généralement redorer le blason du foot français à travers les performances de ses représentants dans une compétition dont les vainqueurs sont tous prestigieux (2 titres pour le Barça, 2 pour le Real, 2 pour le Milan AC, 1 pour Benfica et donc 1 pour Reims) : si Lille parvient en finale en 1951, c’est également le cas de Bordeaux (en 1950), de Nice (en 1952), puis encore de Reims (en 1955).
L’oubli de la Coupe Latine, le complot gigogne
Vous connaissez les poupées gigognes ?
Non, ça c’est une poupée CIGOGNE. Le principe de la poupée gigogne, c’est un ensemble de poupées, de tailles différentes, qui s’emboîtent les unes dans les autres. Quand on ouvre une poupée, on découvre une autre poupée et ainsi de suite.
Poupées gigognes « Peppa Pig »
La Coupe Latine, c’est un peu notre complot gigogne. A l’époque, en 1951, comme on l’a largement développé, ça avait déjà été un beau complot : alors que le Milan AC, à domicile, remportait sa demi-finale, le LOSC et le Sporting du Portugal ne parvenaient pas à se départager (1-1) à l’issue du temps règlementaire. Plutôt que de faire des tirs aux buts (que le LOSC aurait remportés), le règlement prévoit des prolongations de 30 minutes. Et si les équipes sont alors toujours à égalité, elles disputent une nouvelle prolongation de 10 minutes. Et si elles sont toujours égalité, il faut jouer un second match le lendemain. C’est ce qui se passera.
Après 120 minutes de jeu, l’arbitre explique à Dubreucq qu’ils devront jouer une autre prolongation de 10 minutes
Le lendemain, Lille l’emportera, mais une nouvelle prolongation sera nécessaire (6-4), portant à 250 minutes le nombre de minutes jouées, contre 90 pour le Milan AC (2), tout cela deux jours avant la finale ! (3) Une fois ce complot de la Coupe Latine découvert, c’en était fini ? Et non, surprise ! Le complot dans le complot : la non-reconnaissance de cette performance comme relevant d’une compétition « européenne ». Encore une fois, le LOSC se voit spolié la reconnaissance de l’un de ses titres.
Complot dans le complot, la Coupe Latine, pendant sa période d’existence (1949-1957), la compétition a lieu à huit reprises, se tenant chaque année à une exception près. Laquelle ? En 1954. Qui remportait le championnat de France cette année là ? Le LOSC, bien entendu ! Cela suffit : la Coupe est pleine !
Notes :
1. Ajoutons que, pour parvenir en finale, ils n’affrontent auparavant aucun club issu de l’un des pays disputant la Coupe Latine jusqu’à cette finale disputée (et perdue 7 à 3) contre le Real Madrid.
2. l faut également indiquer que le LOSC est arrivé en Italie, où s’est joué cette Coupe Latine, sans Prévost et Baratte, blessés, et qu’il fût également privé de Walter, également blessé, en finale. André Strappe, lui, disputa quand-même cette finale même s’il était également blessé.
3. De plus, y compris si Lille n’avait pas dû rejouer sa demi-finale, le Milan AC aurait bénéficié d’un avantage puisque sa demi-finale se jouait quatre jours avant la finale quand celle de Lille était programmée trois jours avant.
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5 novembre 2022
Permalien
Treignier Michel a dit:
Excellente mise au point. Il en ressort :
1) que le Stade de Reims est le premier club français à avoir gagne une coupe d’Europe ;
2) que l’OM est le seul club français à avoir gagné la Coupe d’Europe des clubs champions, en 1993 ;
3) qu’aucun club français n’a encore gagné la Champions League, introduite en 1997, gagnée uniquement par des clubs espagnols, italiens, anglais et allemands… à part un club portugais !
MT