Posté le 4 mai 2018 - par dbclosc
Joël Dolignon, footballeur normal
Mus1 par le désir d’évoquer le football à Lille sous diverses dimensions, nous revoilà avec un nouvel entretien un peu différent de ceux que nous avons menés jusqu’alors, avec Fernando D’Amico, Grégory Wimbée, Arnaud Duncker, Rachel Saïdi et Silke Demeyere. Si ces derniers noms sont associés à des joueurs/joueuses qu’il est relativement aisé de situer temporellement ou dont on peut se rappeler ou retirer quelques caractéristiques notables (exemple : Silke Demeyere est extraordinaire), le nom de Joël Dolignon est bien moins célèbre. Et pour cause : Joël Dolignon n’a joué qu’un match avec l’équipe première. Mais pas n’importe quel match : c’était à Marseille, au stade Vélodrome, en mai 1993, quelques jours avant que les Marseillais ne soient sacrés champion d’Europe. D’habitude, quand un petit jeune pointe son nez au pas de l’équipe première d’un club professionnel, il prend d’abord place sur le banc, et commence par quelques bouts de matches. Le plus étonnant est probablement que Joël Dolignon a été titulaire et a disputé l’intégralité de cette rencontre. Cette particularité nous a ainsi incités à nous intéresser à son parcours sportif, qui finalement est plus représentatif que celui de la minorité de footballeurs qui parviennent à en faire un métier bien rémunéré pendant une quinzaine d’années et trustent le haut de l’affiche et monopolisent la reconnaissance des supporters. Le parcours de Joël Dolignon est en fait classique pour une écrasante majorité de pensionnaires de centres de formation, puisque 1% des jeunes à l’entrée d’un centre de formation deviennent professionnels, et environ la moitié des premiers contrats pros ne sont pas renouvelés2. À Lille, on ne manque par d’exemples de jeunes talents dont l’essentiel du parcours footballistique s’est fait au niveau amateur : Fabrice Leclerc, Alama Soumah, Gabriel Guikoune, Mamadou Kane, Jérémy Denquin et tant d’autres, sont autant d’exemples de joueurs très talentueux qu’on n’a pas ou peu vus au niveau professionnel. On avait précédemment évoqué le cas de la génération née en 1981. La répartition des joueurs formés en centre de formation fait bien souvent le bonheur des clubs voisins : dans les années 1990, Roubaix récupérait quelques joueurs « made in LOSC », tandis qu’aujourd’hui, le club de Croix, par exemple, a 5 titulaires formés au LOSC.
Joël Dolignon, né en 1972, c’est 9 ans au LOSC, de 1986 à 1995, d’abord à fréquenter le centre de formation, puis à côtoyer de temps à autre le groupe professionnel à partir de 1993. À une période où le LOSC commence à faire parler de lui pour sa formation, domaine où se distinguaient jusqu’alors plutôt Lens et Valenciennes dans le Nord-Pas-de-Calais, Joël Dolignon fait partie de cette génération qui a vu éclore quelques noms dont la carrière a été très honorable (Oumar Dieng, Fabien Leclercq, Frédéric Dindeleux, Cédric Carrez…). C’est l’époque où le club a de toute façon plutôt intérêt à miser sur ses jeunes, à un moment où, confronté à des problèmes économico-administratifs (gestion financière laxiste et désengagement progressif des collectivités publiques), le club s’endette profondément, et la DNCG, entre deux menaces de relégation administrative, limite sérieusement les possibilités de recrutement pour le LOSC. Résultat, les présidents et les entraîneurs valsent, les résultats sont moyens… mais on voit apparaître des jeunes. Les conditions de formation ne sont pas idéales : c’est le terrain en stabilisé du Pont-Royal qui fait office de terrain d’entraînement. Mais la formation fait parler d’elle, notamment celles issue d’une génération championne de France Cadets en 1989 après deux ans d’invincibilité, grâce à une ultime victoire à Pontivy contre le Paris FC, après avoir sorti Le Havre en huitièmes (7-1), Metz en quarts (4-1), et le PSG en demies (2-0). Parmi eux, le milieu défensif Joël Dolignon, appelé 4 ans plus tard pour un match prestigieux en équipe première, au marquage de la montagne Pelé.
À l’aller, en janvier, Lille s’était imposé à la surprise générale contre les quadruples champions de France : 2-0 grâce à des buts de Dieng et d’Assadourian. Entre-temps, l’entraîneur Bruno Metsu a été remercié et remplacé par le Polonais Henryk Kasperczak : il faut dire que Lille venait de battre Auxerre et que ça a perturbé tout le monde. Plus sérieusement, pour faire écho aux problèmes évoqués plus haut, le limogeage de Metsu faisait suite à un changement de présidence : le départ de Paul Besson, souhaité par la mairie, et l’arrivée du duo Devaux/Lecomte. Pour le match retour, c’est la 35e journée du championnat de France : les Lillois sont 16e, avec seulement un point d’avance sur le barragiste havrais, tandis que Marseille file vers son quatrième titre consécutif. On est toutefois relativement confiant sur les chances de maintien du LOSC, car les poursuivants ont un calendrier tout pourri, même si le LOSC reste sur un nul pas très encourageant contre Sochaux (0-0). Et, de manière générale, cette saison n’est pas folichonne, on en a parlé ici ; seulement 26 buts marqués, malgré un attaquant de la trempe de Pascal Nouma, on en a parlé là. De son côté, l’OM attend sa finale de Ligue des Champions, qui a lieu 10 jours plus tard… Il y aura un déplacement à Valenciennes à effectuer entre-temps.
La Voix du Nord nous apprend qu’en ce 15 mai 1993, les Lillois se rendent à Marseille en bimoteur de la compagnie Air-littoral, qui a décollé de Lesquin à 9h. Sans un bon paquet de joueurs défensifs, tous blessés : Dieng, Fichaux, Bray, Oleksiak, Leclercq. Même si le milieu de terrain reste assez fourni (Brisson, Fiard, Friis-Hansen sont là, ainsi que le jeune Sibierski) Kasperczak compense ses blessés en intégrant donc Joël Dolignon : Joël revient sur les circonstances de sa titularisation dans l’entretien. Le lendemain, après la défaite (1-4), la VDN souligne l’écart entre « un bon Lille et un Marseille de rêve », et écrit au sujet de celui qui portait le n°2 : « chargé du marquage d’Abedi Pelé, le jeune lillois se montra très attentif ». Lundi 17 mai, la Voix des Sports revient plus en détail sur le match et consacre même un encadré à la promotion-surprise du petit Dolignon qualifié de « petit lion lâché dans la cage aux fauves » : « attentif, soignant son placement, il réussit à « chiper » quelques ballons chaud dans les pieds marseillais ».
L’entraîneur affiche sa satisfaction, malgré la défaite : « je suis satisfait de la résistance que nous avons opposée à cet OM de très haut niveau (…) les joueurs ont lutté, montré une belle cohésion et les deux jeunes, Joël Dolignon et Antoine Sibierski, n’ont pas fléchi, bien au contraire. Sur ce match, le LOSC a montré qu’il méritait de conserver sa place en Division 1 ». On apprend que Joël a effectué la première faute du match, et qu’il a écopé du seul carton à la 21e minute. Sa réaction, à chaud : « c’était normal d’être un peu ému. Sortir de la D3 pour se retrouver en face d’Abedi Pelé et de l’OM, ce n’est quand même pas une aventure ordinaire. Au début, j’étais un peu tendu. Ensuite, je suis bien allé le chercher. Ce qui m’a le plus surpris, c’est le rythme imposé par les joueurs de Raymond Goethals à ce match. Sur les côtés, les Marseillais déboulaient très souvent et très vite. Impressionnant, vraiment… »
Vous remarquerez que le joueur lillois le mieux noté s’appelle Dolignon, et que le Marseillais offensif le moins bien noté s’appelle Pelé.
À Lille, comme le Hazard fait bien les choses (on adore la faire celle-là), nous sommes allés à la rencontre de Joël Dolignon, un jour de Marseille-Lille, en présence de Valérie, son épouse : l’occasion de découvrir ou se remémorer un parcours finalement très répandu, et de se plonger dans une partie du LOSC de la fin des années 1980 et du début des années 1990.
Mais Dolignon, c’est un nom également associé désormais à la section féminine du LOSC lancée en 2015, puisque la première buteuse de l’histoire du LOSC n’est autre que… Camille Dolignon, fille aînée de Joël et Valérie. C’était une frappe lointaine contre Hénin-Beaumont, le 13 septembre 2015. On en a donc profité pour parler de Camille !
On va tenter de suivre un ordre chronologique. Comment et où as-tu commencé le foot ?
Joël J’ai commencé dans un petit village dans l’Aisne, qui s’appelle Wassigny. C’était en catégorie pupilles, comme on disait à ce moment-là. J’y ai joué durant deux saisons. Ensuite, j’ai été recruté par le club de Gauchy Grugies Biette, à côté de Saint-Quentin, qui avait un bon niveau, en Minimes. Sur les deux saisons que j’ai faites là-bas, on a gagné deux fois la coupe de l’Aisne, et une fois la coupe de Picardie. Et par la suite, j’ai cherché à intégrer un club pro : j’ai fait des essais à Lille et à Beauvais. J’ai été retenu par les deux et j’ai choisi Lille.
« Champions de France Cadets en 1989 : on avait une super génération ! »
Ce sont Lille et Beauvais qui t’ont sollicité, ou c’est toi qui les as démarchés ?
Joël C’est moi qui ai fait les démarches. À cette période, Charly Samoy était directeur sportif du LOSC, et il est venu me voir plusieurs fois lors de matches à Gauchy. J’ai fait une journée d’essai ici à Lille avec Michel Vandamme. Suite à ça, j’ai été retenu et j’ai choisi de venir à Lille. C’était, je crois, en 1986. Au départ, par rapport à mon âge, je ne pouvais pas encore entrer au centre de formation. J’ai donc fait une saison en sport-études au lycée Jean Perrin, tout en dormant au centre de formation. Puis j’ai intégré le centre de formation en tant qu’apprenti-stagiaire. Au départ, Charly Samoy était le directeur sportif du club, puis ça a été Bernard Gardon.
Debout : Gardon, Dieng, Carrez, Fabien Leclercq, Nicolas, Dindeleux, Soudani, Guikoune, Menendez, Laurent, Dusé.
Assis : Soares, Dolignon, Lô, Courbez, Debaere, Blanquart , Martin, Saulnier
Sur cette photo de l’équipe Cadets de 1989, certains joueurs sont plus jeunes que toi : Carrez et Dindeleux, par exemple, sont de 1974.
Joël Oui, eux n’étaient pas au centre quand je suis arrivé. J’étais d’abord avec ceux de ma génération : Oumar Dieng, Fabien Leclercq, Farid Soudani, Gabriel Guikoune, Eric Debaere… On avait une super génération ! On avait un groupe pour faire de bonnes choses. Sur les deux années de Cadets, on n’a perdu aucun match officiel, excepté la première année, on a perdu aux pénalties un quart de finale du championnat de France, je crois que c’était à Metz. Ce qui est dommage, c’est qu’après les Cadets, ça s’est un peu dispersé. Moi j’étais davantage avec la troisième équipe du LOSC en régionale, les Oumar et Fabien étaient avec la deuxième équipe en troisième division, et enfin une autre partie jouait avec une autre équipe qui évoluait sur le petit terrain rouge en face de Grimonprez-Jooris. Leclercq, Dieng et Soudani ont été appelés très tôt en équipe première.
« Le mercredi, je joue avec l’équipe 3 du LOSC ; le samedi, je suis au marquage d’Abedi Pelé au Vélodrome… »
Et toi, donc en 1993…
Joël En mai 1993… et après, plus rien. Bizarrement, après ça j’ai fait 2 saisons dans le groupe pro, j’étais remplaçant à plusieurs reprises en fait. J’ai peut-être fait 5, 6, 7 matches dans le groupe sur les deux saisons qui ont suivi ça, mais je ne suis jamais rentré. C’était une période où les entraîneurs changeaient régulièrement. Le club était très instable. C’est Henrik Kasperczak qui m’a fait débuter, mais il n’est resté que 4 mois, puisqu’il a remplacé Bruno Metsu en février 1993 et a terminé la saison. Ensuite, j’ai été coaché par Pierre Mankowski (1993-1994) et Jean Fernandez (1994-1995).
Comment s’est passée cette intégration dans le groupe professionnel ?
Joël Le mercredi précédant le match de Marseille, j’ai joué en coupe avec la 3e équipe de Lille, sur le terrain rouge, et Kasperczak est venu voir le match. Mais il venait parfois à l’entraînement, et d’ailleurs il m’avait déjà pris avec le groupe pro de temps en temps. Le lendemain, je suis appelé dans son bureau, en présence de George Honoré [entraîneur-adjoint], et ils m’annoncent qu’ils ont l’intention de me faire jouer le samedi ! Et ils m’ont dit clairement que je serais titulaire, en position de milieu défensif, au marquage d’Abedi Pelé…
Tu as réagi comment ?
Joël J’étais surpris ! Étonné parce que je ne pensais pas intégrer l’équipe première. Mais c’était une période où il y avait pas mal de blessés dans l’équipe pro.
Valérie C’était la fête dans ton village !
Joël Ah oui, tout le monde était à l’écoute, c’est normal, un petit village de 1000 habitants. Il y a eu des articles dans la presse locale.
Sur le match en lui-même, tu as quels souvenirs ?
Joël La veille du match, j’ai mal dormi : j’avais un peu de pression. En revanche, le lendemain, sur le trajet ça allait. Et une fois arrivé dans le stade Vélodrome, je n’ai pas ressenti de pression. C’était carrément différent de la veille. Je me sentais bien, tranquille, détendu. Les coaches me parlaient beaucoup pour me motiver, décompresser, et dire que ça ne servait à rien d’être stressé par rapport à mon premier match contre Marseille. Ils m’ont dit : « ne t’inquiète pas, il ne t’arrivera rien, un jeune joueur comme toi, ils ne te connaissent pas. Joue à fond et ne te pose pas de question ». Ensuite, au niveau de l’ambiance, je n’ai pas été beaucoup plus impressionné que ça. J’étais dans mon match. Les consignes, c’était d’empêcher de jouer Abedi Pelé, le contrer au maximum. Je pense que je me suis plus ou moins bien défendu. Après le match, Kasperczak m’a dit que j’avais fait une bonne prestation pour un premier match en D1.
Tu crois qu’il t’a titularisé pour surprendre Marseille, en mettant un jeune inconnu ?
Joël Franchement, je ne saurai dire exactement pour quelle raison il m’a pris. Je pense que c’est par rapport à ma morphologie qu’on m’a mis au marquage de Pelé. J’ai su après que les entraîneurs hésitaient entre Cédric Carrez, plutôt un stoppeur, et moi pour jouer ce match là en 6. Cédric Carrez est plus grand que moi, c’est probablement pour ça que le choix s’est porté sur moi : un petit gabarit, plutôt qu’un plus grand qui aurait eu du mal à se retourner.
Tu as pris un jaune assez rapidement (les Dolignon rient). Est-ce que ça veut dire que Pelé t’a mis en difficulté ?
Joël Ah oui… Si je me souviens bien, je l’ai pris à un moment où il partait, suite à une balle en profondeur, vers le but, je lui ai tiré le maillot je crois. C’est un dribbleur, percutant, vif… Pas évident à prendre !
Les buts du match :
Sur le premier but marseillais, on aperçoit bien Joël Dolignon au marquage
Et donc tu as intégré le groupe pro jusqu’à la fin de saison avec Kasperczak. Et avec les autres entraîneurs ?
Joël Oui, je me suis entraîné avec le groupe pro jusqu’à la fin de la saison 1992-1993. J’ai même été dans le groupe deux fois peut-être… Quand arrive Pierre Mankowski, je suis toujours dans le groupe pro. À plusieurs reprises, il me prend dans le groupe mais sans me donner de temps de jeu. Idem avec Jean Fernandez en 1994. Sur les deux années… plus de temps de jeu. Donc j’ai joué avec la nationale 2.
Joël Dolignon au second plan, avec Jakob Friis-Hansen. Au premier plan, Christian Pérez.
« Deux dépôts de bilan en deux ans… La poisse ! »
Et donc tu quittes le LOSC en 1995.
Joël J’étais encore en contrat avec Lille en 1995, et je suis prêté à Roubaix, en National 1. Mais au bout de 6 mois, le club dépose le bilan. Je suis donc revenu quelques mois à Lille pour ensuite partir à Rouen. Bernard Gardon, qui y était le directeur sportif, avait un projet là-bas et m’a rappelé. Il avait aussi rappelé auparavant Gabriel Guikoune et David Mialon. J’arrive donc à Rouen, en Nationale 2, en janvier 1996. J’y joue une saison et demi… et dépôt de bilan ! Deux fois de suite comme ça… La poisse (rires) !
Tu avais quel type de contrat à Rouen ? Tu étais salarié ?
Joël J’étais salarié oui, on touchait une partie d’indemnités pour le côté sportif. Ça suffisait pour vivre correctement. Surtout, Rouen fonctionnait comme un club professionnel : le club avait un passé récent en D2. On s’entraînait la journée, et ma vie était consacrée au foot. On avait piscine, sauna, un kiné attitré… on était comme des pros.
Ensuite, Valérie et moi, et Camille, qui est née à Rouen, on est revenus dans la région, en 1997. J’ai fait 2 saisons à Tourcoing en national 3. Là aussi, je touchais des indemnités. Mais au bout d’un moment, tu te poses des questions. Tu te dis que ça ne va pas durer comme ça éternellement, et qu’il est temps d’entrer dans la vie active quoi… On avait notre première fille, et donc j’ai fait savoir que je recherchais un club qui aurait la possibilité de me trouver un boulot à côté. Je voulais travailler dans les espaces verts, dehors, ce qui me plaisait. Le club de Marcq en Barœul m’a contacté, on m’a dit qu’on allait me proposer un boulot d’ouvrier-paysagiste, on s’est rencontrés et ça m’a plu, j’ai fait 2 saisons à Marcq. Et puis après j’ai arrêté définitivement le foot. Parce que faire du foot avec 3 entraînements par semaine, le match, plus le boulot, en travaillant dans les espaces verts, qui est un métier assez physique… j’ai arrêté. J’avais 29-30 ans. Et actuellement je continue à bosser dans l’entreprise Terr’envie.
« Comme joueur ou dans ma vie professionnelle, j’ai fait ce que je voulais »
En tout cas, quand tu étais en formation à Lille, tu n’as pas fait d’études, tu n’as pas été suivi à côté, car c’est répandu maintenant d’avoir aussi un bagage scolaire, comme c’est fait avec les filles en fait. À l’époque ça n’existait pas ?
Joël Non, il n’y avait pas grand chose pour les jeunes du centre de formation. Ce qui existait à l’époque, c’était un CAP football, mais ça n’a aucune valeur quasiment. Ça permettait, en termes de rémunération, d’avoir un truc en plus, mais pour travailler et trouver un job, ça ne pouvait déboucher sur rien de durable. À l’époque, ce n’était pas une préoccupation du club de penser à l’avenir de ses jeunes hors du foot. Beaucoup de mecs de ma génération ont eu des galères professionnelles après le foot… C’est comme ça. Il faut se débrouiller, y a pas le choix. Et après, si tu arrives à t’en sortir, tu es d’autant plus fier ! Moi je suis content ! Je ne regrette rien, en tant que joueur ou ma vie professionnelle… J’ai fait ce que je voulais ! Je voulais être joueur, j’ai joué ; j’ai voulu être pro, je n’y suis pas arrivé, mais j’ai touché le milieu pro donc c’est une satisfaction ; je voulais travailler dans les espaces verts, et je travaille dans les espaces verts, tout en restant proche du foot puisque j’entretiens des terrains de foot ! Pas de regrets.
Premier rang, à gauche !
Il te reste des contacts avec les anciens de la génération 1989 ?
Joël Je n’en vois plus tellement. Je vois Gabriel Guikoune. Oumar Dieng, on l’a revu une fois ou deux mais sans plus. À une période, j’avais régulièrement Fabien Leclercq au téléphone, et on se voyait car il a fait quelques matches avec les anciens. Là il est parti sur Metz je crois. On a vu Cédric Carrez l’année dernière quand on est allés avec les anciens à Antibes. Cédric est à Gap maintenant, avec Frédéric Machado.
Valérie On est allés voir aussi Mamadou Kane, qui est à Fréjus. Il a également joué à Rouen. Après, il est parti dans le Sud, et là il travaille pour la mairie de Fréjus. On est allés le voir à l’occasion de vacances dans le Sud il y a 3 ans. Ils se sont racontés toutes les bêtises qu’ils ont fait au centre de formation, ils ont grugé Monsieur Dusé !
Joël Moi je ne faisais pas de bêtises ! Monsieur Dusé faisait la tournée des chambres tous les soirs vers 22h pour voir si tout le monde était là… Et une fois qu’il était passé, bien sûr, il y en a qui faisaient le mur ! Moi je suis jamais sorti (on rigole) C’est vrai en plus !
Valérie Et après ils appelaient Jean-Luc Saulnier3. Parce qu’au retour de boîte, ils n’avaient personne pour leur ouvrir ! Donc ils appelaient Jean-Luc Saulnier en pleine nuit, qui leur mettait un savon, mais qui les couvrait quand même. Il disait « faut pas que Jean-Noël sache ça… ».
Joël Il y avait aussi le problème des téléphones dans les tribunes… En fait, à Grimonprez-Jooris, nous on montait le soir dans la tribune de presse. On branchait des téléphones car les lignes des journalistes n’étaient pas coupées. Puis on appelait nos familles gratuitement. Mais le problème, c’est que les Sénégalais appelaient aussi leur famille au Sénégal ! Certains restaient 3 heures au téléphone (rires) ! Et un soir, Mamadou Kane revient en courant au centre de formation, essoufflé, il met ses habits dans la poubelle, il se change, il se met dans sa chambre, il s’allonge… On lui dit « mais ? Qu’est-ce qui se passe ? ». Et il nous dit « putain, y a les flics en haut et tout ». En fait les flics n’avaient pas réussi à le choper, mais il nous dit qu’ils étaient là pour prendre quelqu’un en flagrant délit.
Dans le stade ?
Joël Oui, dans le stade, là-haut, dans la tribune de presse. Bon, moi j’ai appelé quelques fois, mais c’était en France, j’en avais pour 300 francs. D’autres, c’était 10 000, 20 000 francs… c’était énorme les factures, un truc de fou ! Et après ils nous ont sorti les factures détaillés, avec les numéros de téléphone et les noms de famille ! Il y a eu déposition et tout. Je pense que c’était une mise en scène pour nous faire flipper ! Parce que M. Dusé nous protégeait, quand les flics disaient « on va les embarquer ». Il disait « non, si vous prenez quelqu’un c’est moi. Je représente le centre de formation, je suis responsable ».
Valérie Non mais vous étiez mineurs à l’époque, on allait pas vous embarquer comme ça ! Pour des coups de téléphone !
En tout cas, Jean-Noël Dusé a une sacrée côte. Dès qu’on en entend parler, ce sont des bons souvenirs. Et quand on poste une photo de lui sur la page facebook, il fait péter les « like » !
Joël Monsieur Dusé était excellent. Avec sa femme, c’étaient un peu nos deuxièmes parents. On les appréciait beaucoup.
« Nous sommes très fiers de Camille »
Vous l’avez évoquée, mais on peut en profiter pour parler de Camille… C’est quand même particulier que la fille d’un ancien joueur du LOSC soit elle-même joueuse au LOSC ! Comment est-elle arrivée au foot ?
Joël Très tôt, elle a joué au ballon. Elle m’a suivi tout de suite. Quand je jouais à Marcq, avant chaque match, pendant l’échauffement, elle se mettait avec nous, et elle faisait les mêmes gestes ! J’avais demandé au coach avant si elle pouvait venir, il a dit que ça ne posait pas de problème. C’est venu comme ça, naturellement.
Valérie Elle répétait tous les gestes. Parce que même quand elle prenait sa bouteille d’eau, elle buvait et elle crachait, puis elle la jetait. Quand elle simulait une blessure, on venait lui mettre un peu de bombe froide, c’était trop mignon ! Elle a toujours été à fond dedans !On l’a toujours emmenée au bord des terrains de foot. Avant, j’allais avec le porte-bébé, avec Camille dedans, pour voir Joël jouer. Quand on est revenus à Lille, ma mère, qui a toujours été une grande supportrice du LOSC, allait voir les entraînements à Grimonprez-Jooris, donc elle la prenait dans sa poussette quand on était au boulot, et au LOSC ils la connaissent depuis qu’elle est toute petite ! Il y a une année, quand Joël jouait à Marcq, où ils sont allés assez loin en coupe de France, jusqu’en 1/32e, contre Wasquehal. Et là, Camille pose avec son papa (ils nous montrent une photo). L’année où Lille est remonté de la D2, Camille était rentré sur le terrain avec Pascal Cygan.
Ils avaient tous mis des perruques, etc, et Pascal voyait toujours Camille à l’entraînement avec sa grand-mère, et il savait aussi que c’était la fille de Joël Dolignon, mais en tant que grande supportrice, il l’avait prise à l’entrée des joueurs… Là on voit bien sa bouille de bébé, elle a pas 3 ans là ! On lui disait « t’as pas eu peur ? ». Hé ben non , tranquille ! Elle a été abonnée au LOSC dès l’âge de 2 ans et demi. Elle a même fait un coup d’envoi à Grimonprez car c’était la plus jeune abonnée ! C’était lors de la saison 2003-2004, pour la journée des droits des femmes, elle avait 5-6 ans, elle est née en 1997… Ils ont choisi de prendre une femme, et de prendre la plus jeune abonnée. C’était Camille !
Camille, première supportrice de son père !
Ah oui, c’était même pas parce que c’était la fille Dolignon !
Valérie Ah non non non ! Alors on lui explique comment faire le coup d’envoi, puis au lieu de passe à un joueur adverse, elle a passé à un joueur de Lille ! C’était assez mignon je trouvais. On a cette photo avec Anne-Sophie…
Et comment en est-elle venue à jouer au foot ?
Valérie Moi j’étais contre, parce que j’avais certains a priori : une fille devait faire de la danse. On a fait une séance d’essai de danse, c’était mort. On lui a fait essayer le tennis, mais elle était très effacée, très réservée. On s’est dit qu’il n’y avait pas que le sport et qu’il y avait d’autres activités. On a essayé de lui faire faire du théâtre, ce n’était pas la peine. Au tennis, on nous a appelé une fois pour venir la rechercher. Elle pleurait parce que c’était nul, elle s’ennuyait, les autres n’étaient pas assez forts etc. Ici à Lambersart on a les contrats-ville, tu payes et tu changes d’activité tous les trimestres, donc c’est intéressant pour essayer des activités, et on l’avait inscrite pour le dernier trimestre au foot quand même… ça se passait au stade Guy Lefort, où joue l’Iris club de Lambersart. Et alors c’était… merveilleux !
Joël C’est ce qu’elle voulait. Elle avait trouvé son sport !
Valérie Et donc l’année suivante on l’a inscrite à son premier club de foot, mixte. Elle avait 6 ans et demi. Elle a fait 6 mois à Lomme, en arrivant en cours de saison, puis elle a fait plusieurs années à Saint-André. J’ai fini par céder… et j’en suis contente et très fière. Je regrette d’avoir eu des a priori comme ça sur le football féminin.
Joël Je précise que malgré son jeune âge, Camille a deux titres : outre le titre de championne de D2 acquis l’année dernière, elle a gagné une coupe nationale féminine qui donnait le droit d’entrée en pôle Espoir, je sais pas si vous voyez ?
Valérie à l’époque les régions avaient chacune leur équipe, donc Camille faisait partie de l’équipe du Nord-Pas-de-Calais à l’âge de 14 et 15 ans. Ils se rassemblaient une fois par an à Vichy, il y avait toutes les régions représentées, c’était un grand tournoi, avec la présence de tous les recruteurs des régions, et de chaque pôle. Ce tournoi donnait accès à des phases finale, donc la première année elles n’y sont pas parvenues. Camille avait un an d’avance car il faut avoir 15 ans et entrer en Seconde l’année suivante pour être sélectionnée pour faire les testes pour entrer en pôle. La deuxième année, elle répondait aux critères. On a été agréablement surpris : elle a été retenue pour faire des tests au pôle France. Elle n’a pas été retenue là-bas mais a ensuite intégré le pôle de Liévin, mais là elles sont parties en phase finale et elle ont gagné la coupe nationale, ce qui correspond à la coupe de France des U15.
Camille Dolignon lors d’un match d’avant-saison en août 2017
Et elle détient en plus le titre honorifique de première buteuse du LOSC !
Joël Ça, ça va rester ! Elle sera à jamais la première. C’est une fierté pour moi. Cette année, ça se passe un peu moins bien : malheureusement, elle s’est blessée en match de préparation. Ensuite, c’est compliqué de se faire une place… Camille n’est apparue qu’une fois cette saison avec l’équipe première. Dans le milieu professionnel, il faut s’imposer. Moi, c’est ce qui m’a manqué je pense, jeune, pour pouvoir prétendre à plus de matches : trop gentil, trop en retrait…
Valérie Camille a le « défaut » de son père : trop gentille. Et pourtant, Joël a toujours été très dur avec elle : il ne fait pas de différence entre elle et une autre joueuse. Depuis qu’elle fait du foot, Joël lui a toujours dit : « tu dois te faire respecter, on ne sera pas toujours derrière toi, quand il faut dire des choses, quand il faut y aller, tu rentres dedans ! ». Dans les moments difficiles, après une blessure ou autre, elle remonte et revient encore plus forte. Et là c’est ce qu’on dit : elle a un mental d’acier. À son âge, c’est pas évident… Camille a un deal avec son père : elle ira plus loin que lui !
Merci à Joël et Valérie Dolignon pour leur disponibilité (et leurs photos!)
FC Notes :
1 Nous ajoutons à nos CV respectifs : « a commencé un article avec le verbe mouvoir employé au participe passé ».
2 On trouve ces chiffres dans la thèse de Hugo Juskowiak, Un pour mille. Eléments de sociologie de la formation au métier de footballeur, Thèse de doctorat en STAPS mention Sociologie, sous la direction de Didier Demazière et de Williams Nuytens, Université d’Artois, 2011.
3 Jean-Luc Saulnier a été le délégué de nombre d’équipes de jeunes du LOSC à partir de 1981. Pompier, il a pris sa retraite en 2008, et est alors devenu intendant au LOSC, s’occupant des tenues des jeunes du centre de formation et de la CFA. Il est décédé d’un malaise cardiaque en 2011, quelques jours après que le club lui a signifié son renvoi.
3 commentaires
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14 juin 2019
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selve laurent a dit:
avec olivier strubes à l’école primaire de wassigny ont l’a bien préparé pour son destin de fouteux….
sérieusement, il avait un don déjà en cp…..
J’ai joué avec lui à …. »US WASSIGNY » en vert pas en rouge
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9 mai 2018
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DE PRIESTER Frédéric a dit:
Bonjour Jojo… superbe article, il est le reflet de l’homme et du joueur que j’ai eu la joie et l’honneur de coacher au LOSC.. Au plaisr de te revoir, Sincères Amitiés. Freddy
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4 mai 2018
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Greg a dit:
TOP article comme d’hab !
« Plaiz » de lire ces anecdotes sur la famille Dolignon
Allez le LOSC et le FC Lambersart !