Posté le 12 juin 2018 - par dbclosc
12 juin 1938 : Lille accueille un match de coupe du monde
Le 12 juin 1938, le quart de finale qui oppose la Suisse à la Hongrie se joue au stade Victor-Boucquey, futur stade Henri-Jooris. Il reste à ce jour le seul match de coupe du monde de football joué à Lille. Et déjà se posait un problème aussi vieux que le football à Lille : l’inadaptation du stade.
Dans un contexte international marqué par les prémices du conflit mondial à venir, la troisième édition de la coupe du monde se déroule du 4 au 19 juin 1938 en France. Au départ, 36 pays sont engagés dans des qualifications qui doivent déboucher sur une phase finale entre 16 équipes, qui commenceront donc directement par un huitième de finale. Le Brésil est le seul représentant sud-américain, l’Argentine et l’Uruguay ayant déclaré forfait faute de pouvoir financer le trajet vers l’Europe… Les Brésiliens, eux, y sont parvenus grâce à une tombola nationale ; d’autres équipes refusent de participer aux éliminatoires pour protester contre le fait que la compétition ait lieu en Europe pour la deuxième fois consécutive : du coup, dans le groupe qualificatif d’Amérique du Nord et centrale, le seul pays qui accepte de se déplacer est Cuba. Tous ses concurrents étant forfaits, l’île se qualifie sans disputer de match éliminatoire ; l’Espagne, en guerre civile, déclare forfait. Et une fois les 16 équipes qualifiées connues, l’Autriche est contrainte par l’Allemagne de se retirer suite à son annexion, et des Autrichiens intègrent l’équipe d’Allemagne. On voit donc qu’il est tout à fait nouveau que football et politique soient mêlés.
11 stades1 sont retenus pour disputer les 18 rencontres2 de cette coupe du monde. Parmi eux, celui dans lequel évolue l’Olympique Lillois, l’un des ancêtres du LOSC : le stade Victor-Boucquey. La presse de l’époque souligne que c’est au volontarisme de Henri Jooris, président de l’Olympique Lillois, que l’on doit la possibilité d’un quart de finale à Lille, alors que la commission chargée de la répartition des matches envisageait plutôt dans un premier temps que ce match ait lieu dans un stade plus moderne, en l’occurrence celui de Lyon. D’une capacité d’environ 17 000 places, le stade Victor-Boucquey tire son nom de celui d’un ancien vice-président du club. Ce stade a déjà une histoire particulière avec le football international : la France y a battu la Belgique 4-3 en 1914, et c’était la première fois que l’équipe nationale se déplaçait en province.
L’écho du Nord se réjouit dès lors que Lille accueille d’un côté la Hongrie, qui a sorti les Indes orientales néerlandaises en huitièmes (6-0), « une équipe solide, scientifique, rapide, avec un des plus grands joueurs du monde comme avant-centre, le docteur en droit Sarosi », et de l’autre les tombeurs de l’Allemagne, en deux manches (1-1 ; 4-2 en infériorité numérique à partir de 1-2 suite à une blessure !), la Suisse, « remarquable équipe qui nous arrive auréolée de ces deux rencontres fameuses contre l’équipe du Reich renforcée des artistes viennois ». En effet, on connaît la contribution des artistes viennois à la grandeur du Reich ! Les Hongrois sont favoris et L’écho du Nord assure qu’on tient là un des finalistes de l’épreuve, car éliminer ensuite le vainqueur de Suède/Cuba ne devrait être qu’une formalité pour ces deux formations.
« Pas une équipe du tournoi n’a meilleur moral que celle des 11 Helvètes » ; seule ombre au tableau pour elle : dès le vendredi 10 juin, un tirage au sort a décidé que les Hongrois garderont leur maillot grenat, et que les Suisses devront porter un maillot blanc « au lieu du maillot rouge à croix de Genève dont ils sont fiers à plus d’un titre ». Tout semble s’organiser pour le mieux : au siège de la ligue du Nord, 6-8 rue Léon-Trulin, on organise une permanence le samedi de 9h à 20h notamment pour les journalistes qui solliciteraient des informations, et ceci grâce au secrétaire administratif M. Marle, 4e étage. Le comité d’organisation a prévu de se réunir à 17h, soit précisément 24h avant le match, pour faire en sorte que le match se déroule sans accroc. Mais il va y avoir un accroc.
La terre tremble
Samedi 11 juin à 11h57 : la ville de Lille tremble. Littéralement. L’écho du Nord rapporte qu’« un désarroi général s’est emparé samedi à midi de toute la région du Nord. À Dunkerque, Valenciennes, Hellemmes, Bruxelles, c’était ici des portes qui s’étaient ouvertes violemment, là des plafond crevassés, une étagère, un verrier brisés, ailleurs des meubles qui se déplaçaient et partout des cheminées écroulées ». La rumeur de l’explosion d’une usine à gaz à Tourcoing se répand d’abord, mais c’est un tremblement de terre, dont l’épicentre serait situé à Renaix, 50 kilomètres de là. C’est là le séisme le plus puissant en Belgique au XXe siècle : 5,6 sur l’échelle de Teddy Richert. On dénombre 2 morts et de nombreux blessés chez nos voisins, et seulement des dégâts matériels en France, en Angleterre et aux Pays-Bas. Le responsable d’un parc zoologique près de Bruxelles signale que certains animaux, notamment les rhinocéros et les bisons, ont eu un comportement anormal dans les minutes précédant la secousse, en se jetant la tête la première contre leur clôture. Par ailleurs, il souligne que les paons émettaient des sons « anormaux », ce qui laisse entendre que le son habituel du paon est « normal ». Cela n’a rien à voir avec le sujet de l’article mais c’était sympa de le signaler. Sinon, gag : le séisme a détruit le sismographe de l’observatoire de Lille.
Cela n’a pas empêché les Suisses d’arriver à Lille par le train à 20h05, accueillis par Henri Jooris en personne, tandis que les Hongrois sont à Lille depuis plusieurs jours.
La Hongrie sans trembler
Le jour J, à 12h30, le maire de Lille, Charles Saint-Venant, reçoit les deux équipes à l’hôtel de ville. L’ouverture des portes du stade est prévue à 15h15, et il est conseillé aux porteurs de chaises de venir tôt car « les premiers rangs seront de beaucoup avantagés sur ceux qui sont obligés de prendre les derniers ». En cas de match nul, deux prolongations de 15 minutes seront organisés et, si à leur issue, le score n’évolue pas, le match sera rejoué le 14 juin à 18h. Il est donc temps de jouer, du moins si aucune catastrophe ne s’annonce : à 14h25, une réplique du séisme de la veille se fait sentir. On en comptera encore 4 jusqu’au mardi, parfaitement enregistrées par le sismographe immédiatement réparé.
Sur le terrain, les Hongrois imposent rapidement leur supériorité technique. Le Miroir des Sports indique que dans le seul premier quart d’heure, ils ont obtenu 6 corners, tandis que leur gardien de but, Szabo, n’a touché son premier ballon qu’à la 17e ! Ils ouvrent la marque à la 42e par Sarosi. En seconde période, avec l’avantage du vent et du soleil, les Suisses tentent de revenir ; « leurs offensives n’avaient plus cependant cette spontanéité, cette verve, cet enthousiasme qui illustrèrent les rencontres avec l’Allemagne, et sur la puissance et la violence de Biro, sur la tranquille sûreté de Szabo, les attaques helvètes se brisèrent comme des vagues sur des rochers » (Le Miroir des Sports). Il faut cependant attendre la dernière minute pour que les Hongrois ne marquent de nouveau : sur un centre de Sas, Szengellér reprend de volée (2-0). Les Hongrois sont en demi-finale et ne referont parler d’eux à Lille qu’en 1954 avec la fameuse affaire Zacharias.
Cette qualification est la récompense pour une équipe qui a sans cesse attaqué tandis que les Suisses sont restés constamment sur une « prudence défensive » selon L’Echo du Nord. Dommage pour les Suisses qui n’ont pas renouvelé leurs récentes prestations, probablement en raison d’insuffisances physiques liées au match rejoué contre les Allemands : « ce n’est pas impunément que l’on joue trois rencontres aussi rudes que le furent celles disputées par l’Helvétie en une semaine » (Le Miroir des Sports).
Le Miroir des Sports, 14 juin 1938
En toute impartialité, L’écho du Nord souligne que le match n’a pas manqué d’intérêt, mais qu’à Lille on est quand même habitués à voir des matches d’un autre niveau grâce aux performances de la sélection de la Ligue du Nord (qui a succédé à l’équipe des Lions des Flandres dans les années 1920).
Le Miroir des Sports, 14 juin 1938
Sans difficulté, les Hongrois écartent les Suédois en demies (5-1), avant de s’incliner contre l’Italie en finale (2-4).
Déjà, le « problème » du stade
Au lendemain du match, tout le monde s’accorde sur la bonne organisation du match et sur le succès que constitue la recette de 216 000 francs, « un record bien plus joli » que la recette de 875 000 francs réalisée à Paris dans le même temps pour France/Italie « compte tenu que Paris et ses environs immédiats comptent près de 7 millions d’âmes, que de nombreux provinciaux avaient fait le déplacement, et que la colonie italienne est très importante à Paris » souligne très partialement le quotidien nordiste. Mais les presses tant nationale que locale rapportent que le stade Victor-Boucquey est un équipement insuffisant pour ce type d’événement. Le Miroir des Sports souligne ainsi que « jamais n’a été plus nettement démontrée l’insuffisance du stade Victor-Boucquey pour une grande ville telle que Lille. Dès [la veille du match], le record local de la recette était battu. Malgré le temps incertain et quelques légères ondées, malgré les efforts des organisateurs, de nombreux enthousiastes nordistes n’ont pu assister à la rencontre. Dix-huit mille spectateurs étaient rassemblés pour entendre le massacre des hymnes nationaux magyar et helvète exécutés par haut-parleurs« . On rapporte que le délégué du match ainsi que les deux équipes ont souligné l’étroitesse du terrain, qui avait pourtant été élargi à 70 mètres rien que pour ce match. Ces réserves font dire à l’Echo du Nord que le Nord ne possède pas, à ce moment-là, de stade suffisant pour les grandes manifestations sportives, contrairement à d’autres régions comme au Havre, à Lyon, à Marseille ou à Bordeaux, où de nouveaux stades viennent d’être construits.
Le stade est dans une configuration adoptée dans les années 1900 : jusqu’alors terrain pour l’Iris Club Lillois et pour le hockey sur gazon, le « terrain de l’avenue de Dunkerque », comme il était initialement appelé, était d’abord doté de 3 000 places à son inauguration en 1902, avant que les premiers succès de l’Olympique Lillois ne poussent ses dirigeants à construire un véritable « stade ». Dès lors, l’Echo du Nord lance un appel à tous ceux qui souhaitent le développement du sport dans la région car « il est à craindre, dans des circonstances identiques, la Fédération internationale de football, ou même simplement la Fédération française, ne soit amenée à donner la priorité des matches aux régions dotées d’un stade suffisant pour ces manifestations qui prennent de plus en plus d’ampleur ».
Il faudra attendre quelques années pour que le stade connaisse quelques modifications : d’abord, il change de nom en 1943 : il est rebaptisé stade Henri-Jooris, du nom du président décédé en 1940. Puis il est enfin rénové en 1946-1947, suite à l’accident qui fit 50 blessés après la chute du toit d’une tribune lors d’un Lille/Lens. À l’époque, la presse avait attribué la fragilité des tribunes du stade, jamais rénové depuis 1902, aux bombardements de 1940 qui auraient fragilisé l’édifice… C’était oublier un peu vite les effets du tremblement de terre de 1938 !
À ses débuts, de 1944 à 1947, le LOSC joue au stade Henri-Jooris en alternance avec le stade de l’ex Sporting Club Fivois, l’autre ancêtre du LOSC, le temps que les travaux de rénovation s’achèvent, avant de s’y sédentariser définitivement en 1949. Le stade a été détruit en 1975, et Lille n’a depuis pas retrouvé l’équipe de France, puisqu’en 1996, pour un amical contre l’Arménie, c’était le Stadium-Nord à Villeneuve d’Ascq, puis le stade Pierre Mauroy, toujours à Villeneuve d’Ascq, a accueilli France/Jamaïque en 2014. Enfin, le Nord a de nouveau accueilli une compétition internationale entre deux nations avec Allemagne/Ukraine lors de l’Euro 2016, toujours à Pierre-Mauroy le… 12 juin, précisément 78 ans après ce Suisse/Hongrie.
FC Notes :
1 Dans les faits, seuls 10 stades seront utilisés, car le stade Gerland de Lyon aurait du voir jouer l’Autriche, qui a donc déclaré forfait.
2 7 huitièmes de finale, 4 quarts de finale, 2 demi-finale, 1 finale, 1 match pour la 3e place, ça fait 15 matches. Et 2 huitièmes (Allemagne/Suisse et Cuba Roumanie) et 1 quart (Brésil/Tchécoslovaquie) ont été rejoués pour cause d’égalité après prolongation : à l’époque, il n’y avait pas de tirs aux buts pour départager les équipes.
Laisser un commentaire
Vous pouvez vous exprimer.
0 commentaire
Nous aimerions connaître la vôtre!