Posté le 7 juillet 2018 - par dbclosc
Kennet Andersson, vedette américaine
Lors de l’été 1994, les vedettes offensives sont au rendez-vous de la World cup : le Bulgare Hristo Stoitchkov (6 buts), l’Italien Roberto Baggio, l’Allemand Jürgen Klinsmann et le Brésilien Romario (5 buts) portent leur sélection. Avec également 5 buts inscrits, s’immisce parmi ces noms prestigieux un inconnu de la planète foot, issu d’une équipe suédoise qui fait sensation en se hissant à la troisième place du tournoi : il s’agit de Kennet Andersson, meilleur buteur du LOSC lors de l’exercice 1993/1994.
Samedi 16 juillet 1994 : profitant d’une sortie approximative du gardien bulgare, le Suédois Kennet Andersson s’élève et place un coup de tête à 15 mètres des buts qui termine au fond des filets : on joue la 40e minute, les Scandinaves mènent déjà 4-0 dans ce match de classement pour la 3e place, et son grand avant-centre (1,93m) signe son 5e but personnel.
Pourtant, pas grand chose ne destinait Andersson à se distinguer ainsi dans la compétition : en difficulté un an auparavant, il signe à Lille lors de l’été 1993 avec l’espoir de se relancer. Une saison et 11 buts pour le LOSC plus tard, il fait partie de la délégation suédoise présente lors de la coupe du monde 1994, et il s’en contente déjà largement. À la rentrée, Kennet Andersson poursuit son honnête parcours, sans relief particulier. Entre temps, il a réalisé le coup d’éclat de sa carrière, le temps d’un été aux États-Unis.
De Linselles à Los Angeles
L’histoire de Kennet Andersson avec Lille commence le 4 juillet 1993 à Linselles. Face à Beauvais, alors en D2, le LOSC met à l’essai deux joueurs. Alors que les rumeurs vont bon train quant à l’identité de l’« attaquant de valeur » annoncé par le président Devaux (on annonçait notamment… Fabrice Divert), le public découvre Jean-Christophe Cano et Kennet Andersson. Et le grand Suédois fait forte impression : si Cano ouvre la marque à la 28e, Kennet se met en évidence en seconde période avec d’abord une tête sur la barre (63e), suivie d’un doublé (72e, 78e). Le LOSC s’impose 3-0 et Andersson a déjà conquis le public, notamment grâce à son jeu de tête.
4 juillet 1993 : premier match pour Kennet Andersson avec le maillot lillois
10 mois et 11 buts pour Lille plus tard, il sait déjà qu’il est sélectionné pour le Mondial américain alors que le LOSC se rend à Martigues pour la dernière journée de championnat. Il signe sa dernière prestation sous les couleurs du LOSC avec 2 passes décisives pour Étamé puis Frandsen, et Lille ramène un point du Var (2-2). Son pari est réussi : il va participer à la coupe du monde : « je suis d’autant plus fier de cette sélection que je n’évolue pas, sans faire offense au LOSC où j’ai trouvé une très bonne ambiance, dans une équipe en vue. Cette confiance du sélectionneur montre, je pense, que je n’ai pas déçu lorsqu’il m’a aligné. Je sais bien que je serai plus un joker qu’un titulaire, mais je suis prêt à saisir toutes mes chances ». C’est donc en tant que « joker » que Kennet Andersson foule la pelouse du Rose Bowl à Pasadena, dans la banlieue de Los Angeles : devant 94 000 spectateurs, il entre en jeu pour le dernier quart d’heure du premier match des Suédois dans le Mondial, face au Cameroun, alors que le score final est déjà atteint (2-2).
Un maçon au pied du mur
Revenons en arrière : en juillet 1993, Kennet Andersson a alors 25 ans. Il compte 18 sélections avec l’équipe suédoise. Jusqu’alors, son principal fait d’armes remonte à un an auparavant : lors de l’Euro 92, il a inscrit le deuxième but de sa sélection face à l’Allemagne en demi-finale, ne pouvant toutefois éviter la défaite des siens (2-3). La même année, il est finaliste de l’Euro Espoirs, et s’incline face à L’Italie (0-2 ; 1-0).
Il débute le football à Eskilstuna, sa ville natale, et fait ses premiers pas en pro à Göteborg en 1988. Il s’exile ensuite en Belgique en 1991, à Malines où il entre dans la société Cova Invest de John Cordier, par ailleurs président du FC Malinois, qui gère les carrières de certains joueurs, notamment ceux qui ont mené le club belge à la victoire européenne de 1988 (1). Durant un an et demi en Belgique, il peine à convaincre, est souvent gêné par des blessures, mais inscrit toute de même 8 buts en 33 rencontres. En janvier 1993, il retrouve la Suède, étant prêté à Norrköping, où il marque 8 fois en 12 matches. Son lien avec la sélection nationale s’est distendu : il n’a joué que 10 minutes, contre la Bulgarie, en éliminatoires du Mondial depuis l’Euro 92…
Que faire pour jouer le Mondial un an plus tard ? Le LOSC profite alors du désinvestissement de John Cordier dans le club Malinois : les joueurs qui lui appartiennent personnellement (il les loue à Malines) ne peuvent être retenus par le club belge, trop dépendant de son mécène. C’est là qu’Andersson prend la route de Lille, avec la volonté de se professionnaliser. Oui, car Andersson est maçon dans la vie. Il a juste cessé de cette activité en arrivant à Malines en 1991 : « je viens à Lille car je veux être footballeur professionnel. En Suède, j’étais amateur. Là-bas, il y a moins d’argent. À Norrköping, par exemple, deux ou trois joueurs ne travaillaient pas mais la plupart avaient un emploi à mi-temps. Avant, j’étais maçon3 ».
Andersson est donc prêté un an à Lille par John Cordier lui-même, avec une option de rachat de 2 ans. Pour la toute petite histoire, ce prêt se fait au détriment d’un dénommé Stojadinovic, autre attaquant à l’essai au LOSC du 5 au 10 juillet 1993. Avec Jakob Friis-Hansen, Per Frandsen et Edgar Borgès, le LOSC a désormais son quota d’étrangers autorisés à l’époque.
Un avant-centre à Lille !
Après ses débuts fracassants en amical contre Beauvais, Andersson récidive pour sa deuxième apparition : 5 jours plus tard, à Péronne, il marque le deuxième but lillois contre Amiens d’une lourde frappe de 20 mètres. Son partenaire d’attaque, Eric Assadourian, est conquis : « c’est un garçon solide, il a très bon jeu de tête et une frappe terrible ».
La préparation estivale se termine par le traditionnel challenge Emile-Olivier où ni le LOSC ni Andersson ne brillent spécialement (défaite aux tirs aux buts contre Valenciennes après un 2-2, dont un but d’Arnaud Duncker pour l’USVA, puis victoire 3-2 contre Dunkerque).
Le 24 juillet, il joue son premier match de championnat contre Martigues à Grimonprez-Jooris, pour l’ouverture de l’exercice 1993/1994 : à la 47e, il inscrit son premier but officiel avec le LOSC, reprenant un centre d’Assadourian, de la tête évidemment. Une semaine plus tard, il score de nouveau, au Parc des Princes, insuffisant pour éviter la défaite (1-2). En championnat, 9 buts suivront, ce qui fait un total de 11, si on compte bien. Parmi ces 11 buts, un fameux doublé à Caen en octobre, au cours d’un de ces matches ou Lille a tout renversé : en 2 minutes, notre Suédois fait 2-2 (84e) puis 2-3 (86e). On note aussi un apport décisif en fin de saison, où le LOSC signe 3 victoires consécutives de la 32e à la 34e journée, à Montpellier (3-1), contre Caen (3-1), puis à Angers (2-1) : chaque fois, Kennet est buteur ; il signe même un doublé dans l’Hérault.
11 buts malgré une blessure à l’automne, un apport indéniable dans le jeu : bien soutenu par Frandsen et Assadourian, le LOSC a enfin un finisseur, un poste vacant depuis le départ d’Erwin Vandenbergh 3 ans auparavant (2). Mota, Nouma, Sauvaget, N’Diaye, Nielsen… aucun n’a convaincu, c’est peu de le dire, et Lille n’avait pas d’avant-centre digne de ce nom.
Un départ inéluctable
C’est donc fort logiquement que Kennet est sollicité à l’issue de cette saison réussie. Parallèlement, c’est une période de grande instabilité au LOSC : Bernard Lecomte remplace Marc Devaux à la présidence (3), et Jean Fernandez remplace Pierre Mankowski sur le banc de touche. Très rapidement, début juin, Fernandez fait part de son intention de conserver Andersson : « les choses n’ont pas encore été arrêtées. Ce que je peux vous dire, c’est que Lille a des problèmes, mais pratiquement tous les clubs français en ont. Pour ce qui concerne certaines pièces-maîtresses, il y a des discussions. Il n’y a rien d’officiel, mais il est évident que les dirigeants de Lille ont le souci de garder des joueurs comme Kennet Andersson ». Il ajoute qu’il se contenterait bien de garder l’effectif actuel, en s’appuyant notamment sur Dieng et Étamé, si bien que tous s’en vont. À mesure que les semaines passent, on comprend que le LOSC n’est pas en mesure de conserver son Suédois, d’autant que sa sélection augmente sa valeur : il faudrait débourser 4 MF pour l’acquérir. Bernard Lecomte confirme le départ : « ce n’est franchement pas une bonne nouvelle, mais dans le contexte financier du club, il ne pouvait pas en être autrement. Même si nous avons été repêchés par la DNCG, ce n’est pas raisonnable ». Le Sporting Lisbonne, Besiktas, Lyon et Caen sont intéressés.
Alors que la coupe du monde a débuté et que la Suède a joué ses deux premiers matches contre le Cameroun et la Russie, on apprend que le président de Caen, Guy Chambly, se rend aux Etats-Unis pour négocier avec Andersson. La veille du troisième match des Suédois, c’est officiel : Kennet Andersson est Caennais. Il y retrouve… Pierre Mankowski, disposant là-bas des moyens qu’il n’aurait pas eus à Lille. D’où son départ. D’ailleurs il nous pique Étamé aussi.
Il faut donc bien le dire : complot contre le LOSC oblige, Kennet Andersson n’est plus Lillois lorsqu’il brille aux États-Unis. À la différence de ce qu’on entend souvent, son transfert s’effectue alors qu’il n’a pas encore marqué lors de la coupe du monde, si bien qu’on considère parfois que le LOSC s’est un peu fait avoir dans l’affaire. Mais comme on l’a écrit précédemment, le joueur étant prêté, le club n’a pas été floué : il n’avait simplement pas les moyens d’acheter son avant-centre qui pesait 11 buts en D1.
Andersson fait trembler les filets (américains)
Avant la compétition, la Suède fait office de sympathique nation qui vient faire un peu de tourisme. Même si elle a été demi-finaliste du dernier Euro, et si elle s’est qualifiée avec une seule défaite en éliminatoires (en France), le souvenir du fiasco de 1990 est prégnant : 3 matches, 3 défaites, ça fait zéro point. Avec un peu plus d’expérience, la Suède espère éviter d’être ridicule, d’autant qu’elle se retrouve dans un groupe considéré comme relevé, avec le Cameroun, la Russie et le Brésil. La présence de joueurs qui évoluent désormais hors du pays (Patrick Andersson et Martin Dahlin à Mönchengladbach, Stefan Schwarz au Benfica, Tomas Brolin à Parme, Jonas Thern à Naples, Klas Ingesson à Eindhoven) fait dire à la presse que l’équipe a abandonné son traditionnel style britannique pour un style plus latin.
La Suède a les mêmes couleurs que Gueugnon
Nous l’écrivions plus haut, la Suède entame la compétition contre le Cameroun, le 19 juin 1994, et Andersson joue un quart d’heure. Le 24 juin, elle bat la Russie 3-1. Cette fois, Kennet est titulaire, et est remplacé à la 85e minute. Après ces 2 matches, la Suède est déjà qualifiée pour les 1/8e. Il reste un match de prestige contre le Brésil pour un remake de la finale de 1958, et peut-être pour la première place du groupe. Andersson est de nouveau titulaire. À la 23e, il inscrit son premier but du tournoi, et quel but ! Un superbe lob du pied droit en extension, dans le petit filet opposé.
Romario lui répond dès la reprise en seconde mi-temps, et les équipes se séparent sur un nul (1-1), mais la Suède semble monter en puissance. Elle doit désormais affronter l’Arabie Saoudite, qui a miraculeusement arraché une qualification en battant la Belgique, qui s’est bien chié dessus sur le coup car ça la fait terminer 3e de son groupe et affronter l’Allemagne en 1/8e. Bref.
Le 3 juillet à Dallas, sous 40 degrés, Kennet Andersson se signale dès la 6e minute : son centre de la gauche est repris de la tête par Dahlin qui marque son 4e but du tournoi. Puis Andersson prend le relais, et s’impose progressivement comme le buteur n°1 de la Suède : il double la mise d’une frappe de 20 mètres à la 51e (2-0), puis assure la qualification d’une frappe croisée en fin de match (3-1). La Suède est en quarts, performance inédite depuis 1958.
Se présente désormais la Roumanie, tombeuse de l’Argentine au tour précédent. Après un match longtemps moyen dans le temps réglementaire (1-1, les Roumains égalisant à la 89e), la prolongation est haletante : la Roumanie prend l’avantage grâce au 2e but personnel de Raducioiu (102e), mais la Suède pousse… À la 115e Ljung envoie une balle au petit bonheur la chance dans la surface roumaine. Le gardien semble pouvoir s’emparer du ballon, mais surgit… la tête d’Andersson, pour l’égalisation (2-2). Bonjour le « jeu latin » ! La Suède s’impose aux tirs aux buts, et Kennet transforme là aussi son tir, le gardien Ravelli s’assurant du reste avec deux arrêts.
« Dites à mes amis Lillois que je ne les oublie pas »
La Suède et Andersson n’en finissent pas d’étonner, au même titre que la Bulgarie, elle aussi dans le dernier carré. À commencer par le sélectionneur lui-même, Tommy Svensson. Parlant de Kennet, il déclare : « c’est vrai que je l’avais d’abord sélectionné comme un attaquant d’appoint. Maintenant, il est devenu un des hommes indispensables de l’équipe, et c’est son égalisation magnifique, autant que les 2 arrêts de Ravelli, qui nous permettent de continuer ». Devenu une des stars d’une coupe du monde qu’il avait abordée dans l’ombre, Andersson attribue les mérites de son dernier but au centreur… et au gardien Roumain : « le centre était parfait et je l’attendais. Et le gardien n’a pas sauté très haut. C’est le plus beau jour de ma vie »
Face à tant de réussite, une question ne tarde pas à se poser : qu’est-ce qu’un attaquant de sa trempe faisait à Lille, et surtout que n’a-t-il pas fait en signant à Caen…? Quand on lui pose la question, Kennet renverse le raisonnement : c’est sa signature en Normandie et l’éclaircissement précoce de son avenir qui l’ont libéré : « on me dit parfois que j’ai eu tort de signer si rapidement à Caen, que j’aurais pu faire monter les enchères après cette coupe du monde. J’avais, avant tout, besoin d’être tranquille, de vivre cette compétition dans la sérénité. J’espère que Pierre Mankowski est content de moi. Dites à mes amis Lillois que je ne les oublie pas et que j’ai passé une bonne année au LOSC8 ».
La Suède tombe en demi-finale, contre le Brésil (0-1), pour ce qui était un remake du match de poules qui était déjà un remake du match de 1958 si vous suivez bien. Et donc, lors du match de classement pour la troisième place le 16 juillet, elle bat facilement la Bulgarie (4-0), et Kennet Andersson inscrit là son 5e but. On apprend le même jour que son remplaçant à Lille a été trouvé : il s’agit de Frank Farina, un attaquant Italo-Australien de Strasbourg.
Andersson, quant à lui, poursuit une belle carrière qui n’atteindra toutefois plus les sommets qu’il a côtoyés durant l’été 1994. Sa saison à Caen en 1994/1995 est un échec sur le plan sportif : en dépit d’un superbe but contre Bordeaux et d’un but contre Lille lui permettant d’entrer dans le cercle pourri des ex qui nous en veulent, Caen est relégué et le Suédois déçoit, avec « seulement » 9 buts inscrits. Il ne reviendra qu’une fois à Grimonprez-Jooris, lorsque Caen se déplace à Lille, le 23 septembre 1994 : probablement dépité de ne pas jouer sous les bonnes couleurs, il improvise un ballon-prisonnier avec Arnaud Duncker qui lui vaut une expulsion directe.
Brave Kennet, qu’on n’oublie pas dès qu’on s’ouvre une bière ici à Lille : Kennet de bière, c’était gage de réussite.
FC Notes :
Pour d’autres détails sur la carrière de Kennet Andersson, on vous renvoie à l’excellent site Foot d’avant, et à l’interview parue en septembre 2017 : https://footdavant.fr/kennet-andersson-les-suedois-savent-ou-ils-etaient-quand-jai-marque-contre-le-bresil/
Les citations sont extraites de la presse régionale (La Voix du Nord et La Voix des Sports)
1 Oui, oui : Malines a gagné la C2 en 1988, en battant l’Ajax en finale.
2 Et au vu de la dernière saison de Vandenbergh, on peut dire que Lille n’a pas d’avant-centre depuis 4 ans.
3 Il a longtemps été question qu’Addick Koot s’associe à Marc Devaux, pour une présidence Koot-Devaux, mais le projet n’a pas abouti.
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