Posté le 26 juillet 2018 - par dbclosc
Transfert de Pelé : Le LOSC envoie l’OM au Tapie
Durant l’intersaison en 1989, le transfert définitif d’Abedi Pelé, prêté par l’OM au LOSC lors de la saison 1988/1989, ne devait être qu’une formalité au vu des échanges entre les deux clubs. Mais le président marseillais, Bernard Tapie, tente un coup de force et cherche à récupérer en dernière minute le franco-ghanéen. Après quelques jours de batailles juridique et médiatique, la Ligue nationale de football donne raison au LOSC : Pelé sera Lillois en 1989/1990.
Depuis l’été 1987, Abedi Ayew « Pelé » est un joueur de l’OM, après avoir fait ses gammes au Ghana, en Suisse, au Bénin, puis en deuxième division française (Niort et Mulhouse). Mais l’étape marseillaise est pour l’instant un échec : il ne joue que 6 matches lors sa première saison à l’OM, en 1987/1988. Il entame la saison suivante comme titulaire durant 3 matches (il joue même à Grimonprez-Jooris lors de la 2e journée, et Lille gagne 2-1 en juillet 1988), et se retrouve remplaçant lors du match suivant, début août. Puis plus rien pendant un mois : la presse fait notamment état d’incompatibilités d’humeur avec Jean-Pierre Papin, l’avant-centre vedette de l’équipe. Quoi qu’il en soit, Pelé est écarté du groupe et cherche un nouveau point de chute. Une aubaine pour le LOSC, qui fait preuve d’irrégularité en ce début de saison puisqu’après 11 journées, Lille est 15e, battant les « gros » mais peinant face aux « petits ». Le club obtient le prêt du Ghanéen pour le reste de la saison 1988/1989, prêt assorti d’une option d’achat de 4 MF à la fin de la saison, option d’achat logiquement levée en juin 1989 après que Pelé a montré son talent durant ses 8 premiers mois loscistes. C’est alors que les problèmes commencent : été 1989, une intersaison agitée dont on a déjà parlé ici.
Un Pelé et un tordu
À peine le temps de nommer le nouvel entraîneur, Jacques Santini, que le LOSC est déjà perturbé par le comportement d’Erwin Vandenbergh, qui souhaite quitter le club. S’ajoute à cela le forfait de l’OM pour le tournoi du Stadium Nord (qui succède au « tournoi de la CUDL » et précède le « challenge Emile-Olivier ») les 4 et 5 juillet, à la dernière minute. Si bien que le tournoi, se jouant à trois (Lille, Dunkerque, Botafogo) est annulé en tant que tel, même si les 3 équipes s’affrontent, mais personne ne peut remplacer Marseille au pied levé.
« Moi je sais jouer au pied levé ! Les deux pieds levés même ! » revendique Philippe Périlleux
Et puis surgit Bernard Tapie, le médiatique président de l’OM, par ailleurs entrepreneur, homme d’affaires, animateur de télévision, chanteur, coach d’entreprise, homme politique et surtout acteur. Fin juin, le LOSC est allé faire un stage de préparation au Touquet. Surprise, Pelé y reçoit deux coups de téléphone de Tapie, qui souhaite le faire revenir à l’OM. Étonnant, sachant que quelques mois auparavant, l’entraîneur, Gérard Gili l’avait mis au placard ; et surtout, très surprenant sachant que le transfert de Pelé à Lille a été officialisé par le LOSC le 19 juin : il a signé pour 4 ans dans le Nord. Il lui annonce qu’il est désormais le bienvenu dans le Sud, et que Jean-Pierre Papin, avec qui il était en froid, veut oublier les querelles du passé. Bernard Tapie joue à fond de son aura pour, d’une part, contester la validité juridique du transfert de Pelé, d’autre part pour engager une campagne de presse hostile au LOSC, laissant de plus entendre que le joueur lui-même souhaite revenir à Marseille. Ainsi, le « manager » de Pelé, Christian Durancie, semble avoir pris fait et cause pour Tapie, et il le fait savoir : « la proposition de l’OM intéresse Abedi au plus haut point. Il a une revanche à prendre à Marseille avec qui il a envie de connaître le haut niveau ». Et pour enfoncer le clou, il met en garde les dirigeants du LOSC : « à deux reprises dans le passé, il a dû évoluer sans être au mieux moralement. À Mulhouse, où il ne se plaisait pas, et au stade Vélodrome, au temps de la concurrence avec Foerster et Allofs. Or, dans ces cas-là, il perd toute sa spontanéité. Les Lillois devraient y réfléchir ». Après avoir lâché le tournoi du Stadium, qui avait fait écrire à la Voix du Nord que l’OM se comportait avec un « mépris total des règles en vigueur dans le football », ça commence à faire beaucoup.
Le LOSC dénonce une « manœuvre de déstabilisation »
Il faut bien comprendre que l’intérêt de l’OM est, bien entendu, d’abord sportif : l’Allemand Klaus Allofs, principal concurrent de Pelé, a été transféré à Bordeaux et l’OM cherche un joueur offensif pour le remplacer ; mais réglementairement, Pelé offre un autre avantage. Au cours de la saison 1988-1989, il a été naturalisé français. Autrement dit, Marseille a prêté un Ghanéen et peut récupérer un Français ce qui, au vu de la législation sur le nombre d’étrangers autorisés à l’époque, est un critère non négligeable. Il n’empêche : pour le président Amyot, « c’est une manœuvre de déstabilisation. Je suis atterré et profondément écœuré. Bernard Tapie m’annonce que l’OM a toujours un droit de préemption sur Pelé. Et qu’il peut exiger son retour au bercail sans se soucier de Lille. Je rêve ! Au terme du prêt consenti par les Marseillais, un accord est intervenu. D’où la signature d’un contrat qui ne comporte aucune clause particulière. Pelé est donc Lillois et rien ne s’oppose à son maintien dans le club ».
Pour se défendre, le LOSC s’appuie sur des documents qu’il prétend détenir, et rappelle la chronologie des faits :
- en septembre 1988, Abedi Pelé est prêté avec option d’achat
- le 21 mars 1989, le LOSC envoie un « avis de mutation » (c’est-à-dire une demande de transfert) à l’OM
- le 21 avril 1989, l’OM répond au LOSC et donne son accord pour la mutation
- le 19 juin, Pelé signe au LOSC pour 4 ans.
De son côté, l’OM indique qu’il n’a pas signé le transfert définitif de Pelé (le document de juin) : puisque le contrat n’est pas validé par l’une des deux parties, alors il est nul. Et le club olympien continue d’appeler Pelé en lui promettant monts et merveilles, notamment en matière financière. Le joueur doute : « je suis un peu perdu. J’attends. C’est un peu dur pour moi, vis-à-vis de mes coéquipiers. J’espère que ça va se régler vite »
Caricature de Honoré Bonnet dans La Voix du Nord (6 juillet 1989)
Une semaine d’incertitudes
Le LOSC transmet les documents qu’il possède à la LNF le 4 juillet. Mais celle-ci souhaite entendre les deux parties, et indique qu’elle rendra une décision au cours de la réunion de sa commission juridique le mercredi 12. En attendant, le « tournoi » du Stadium se joue sans Pelé, blessé à la cuisse. Bernard Gardon, le directeur sportif lillois, expose ses certitudes quant au bien-fondé de la démarche du club, et exprime sa colère : « on a des documents solides. Je vois mal comment la Ligue nationale pourrait ne pas nous accorder cette mutation. Avec les documents que l’on possède, que peut argumenter Marseille ? Maintenant, si les écrits n’ont plus de valeur, autant arrêter tout de suite. Si la Ligue s’aligne sur Tapie, elle implose. Cette affaire n’est bonne pour personne, dans une période où l’on dit qu’il faut mieux gérer le football ». Du 4 au 11, les responsables des deux clubs se haranguent par voie de presse ; les Lillois convoquent le respect du droit, et les Marseillais l’attractivité financière et sportive de leur proposition. Pour amadouer les dirigeants loscistes, Tapie fait même savoir qu’il est prêt à céder Vercruysse et Meyrieu en échange de Pelé ! « à quoi bon ? répond Gardon. On ne pourrait jamais s’aligner sur leurs salaires ! ». La Voix du Nord, sous la plume de Guy Delahaye, dénonce les méthodes de « Tapie, l’homme pour qui un contrat n’est qu’un chiffon de papier à noyer au fond de la bouillabaisse », et rappelle que « Pelé a été rejeté comme un malpropre en septembre ».
« Pelé is magic » peut-on lire dans les tribunes de Grimonprez-Jooris, avec l’intéressé et Enzo Scifo contre Auxerre
L’affaire prend une tournure plus politique lorsque les présidents des clubs s’expriment sans se faire représenter, à partir du 8 juillet. Le président du LOSC, Jacques Amyot, exprime son ras-le bol : « Tapie n’en est pas à sa première magouille. Cette situation nous est préjudiciable. L’OM emploie des moyens illégaux, en contactant Abedi tous les jours, en lui proposant un tas d’argent, ce que gagnent Sauzée ou Papin, tout et n’importe quoi ! Tapie a frappé à toutes les portes en Europe, mais le foot européen n’attend pas après Marseille. L’OM, et ne parvenant pas à trouver ses joueurs, lui promet tout, déstabilise tout le monde. C’est facile ! ». Puis la mairie de Lille (propriétaire du club), via Paul Besson, son adjoint aux sports (et futur président du club), monte aussi au créneau : « avec mon avocat personnel, nous avons encore épluché le dossier durant deux heures cet après-midi. Il ne peut y avoir de doute : nous sommes sûrs de notre coup ». Et quitte à utiliser les mêmes méthodes que les Marseillais, le LOSC attaque médiatiquement : la convention du 21 avril est publiée dans La Voix des Sports le lundi 10 juillet. Signée par Jean-Pierre Bernès, la lettre indique : « nous vous confirmons les termes de la convention signée en commun le 14 septembre 1988. En conséquence, l’Olympique de Marseille donne son accord pour le transfert définitif du joueur Ayew Pelé Abedi de l’Olympique de Marseille au Lille Olympique Sporting Club, à compter du 1er juillet 1989 ».
Ce document semble attester de la bonne foi des dirigeants nordistes. Mais que décidera la Ligue face à l’influence de l’OM et de Tapie ? Durant le week-end, Pelé est revenu sur le terrain pour un match amical contre Beauvais (1-1). Et le LOSC a reçu le soutien de… Gervais Martel, président du RC Lens et membre du conseil d’administration de la LNF ! Le 12 juillet, jour de la décision de la LNF, dernière saillie médiatique du président olympien, qui s’exprime dans les pages de la Voix du Nord. Pour être plus précis, Tapie s’invite dans les colonnes du journal en téléphonant directement à la rédaction. Fidèle à son style, il y alterne menaces et flatteries, et remet en cause la compétence des dirigeants du LOSC. Quant au fond juridique, il le conteste : il évoque une clause suspensive souhaitée par Bernard Gardon, qui remettrait en cause la convention du mois d’avril : « vous n’avez reproduit qu’une partie du document. En réalité, le contrat comporte une clause suspensive, voulue par Gardon, qui entendait conserver une possibilité de se désister. Cette prudence se retourne aujourd’hui contre lui car cette clause n’était pas unilatérale. Nous n’avons pas signé l’avis de mutation (…) Je suis très attaché au Nord et si je n’avais pas repris l’OM, je me serais tourné vers Lille qui possède un public fabuleux. Ma proposition tient toujours mais qu’ils se dépêchent. Ils commencent à m’échauffer les oreilles » Et Tapie de promettre un amical au Stadium contre Tottenham en guise de dédommagement du forfait de dernière minute au tournoi ! On vous propose l’interview in extenso, car ça vaut son pesant de coucougnettes.
L’OM se prend les pieds dans le Tapie
La commission juridique de la LNF se réunit le 12 juillet pour trancher le litige. À l’issue des auditions des représentants des deux clubs (pour l’OM : Jean-Pierre Bernès, secrétaire général du club, et son avocat, Me Ghevontian. ; pour le LOSC : Bernard Gardon, Paul Besson et Jacques Amyot), ce sont les Lillois qui ont le sourire : « le dossier marseillais est indéfendable » selon Gardon, confiant et donc frais comme un Gardon. Dans le même temps, le LOSC joue à Colombes un amical contre le Racing Paris, et Pelé marque le but égalisateur (1-1). À 20h, la commission rend sa décision : les documents présentés donnent raison au LOSC. Pelé est Lillois !
Retournement de situation : Pelé évoluera finalement au Celtic Glasgow
Ouf ! Voilà une sacrée épine retirée du pied de Jacques Santini pour constituer son effectif. « C’était tellement évident confie Bernard Gardon. La Ligue a fait son travail en toute objectivité, au vu des documents qu’elle possédait, sans tenir compte de la nature des gens en présence. Faire preuve d’autorité n’est rien. Le plus important, c’est de respecter les règlements. Si nous étions le seul club à avoir eu des problèmes avec Tapie, passe encore, mais il cherche par tous les moyens à imposer sa loi. Ce n’est pas pour cela qu’il faut se mettre en doute et c’est ce qu’on a fait ». La Voix du Nord applaudit également la décision de la LNF et ironise : « la solidité du dossier de Tapie était inversement proportionnelle à sa faconde, à ses certitudes de façade. Au fait, envisage-t-il toujours de venir jouer au Stadium Nord la rencontre amicale promise avant-hier ? Pour officialiser dans la bonne humeur le transfert définitif de Pelé… ». Bien entendu, aucun Marseille/Tottenham ne s’est joué à Villeneuve d’Ascq. La saison peut commencer. Le mot de la fin pour Bernard Gardon : « c’était n’importe quoi, on ne va pas revenir là-dessus ».
Pelé apprend dans La Voix des Sports qu’il est Lillois. « ça tombe bien, j’ai le maillot de l’équipe ! » réagit-il sobrement.
L’OM, Tapie, Pelé et le LOSC
En guise d’épilogue au récit de ce complot déjoué, on peut se remémorer 4 éléments.
Premièrement, Tapie n’en était pas à sa première entourloupe concernant Abedi Ayew. Dans Le Monde, en juillet 2017, il révélait comment il l’avait recruté en 1987, le subtilisant au nez et à la barbe de l’AS Monaco, alors que le club principautaire s’apprête à le faire signer : « je lui ai dit : “En général, on fait faire une prise de sang aux joueurs africains, alors quand tu vas passer la visite, tu vas refuser, dire que tu ne supportes pas ça, que c’est plus fort que toi”. » Dans la foulée, Tapie s’adresse à un employé de l’OM qu’il sait proche de Monaco : « Je lui dis : “Tu sais, on l’a échappé belle, j’ai pas pris Abedi Pelé, il est séropositif.” Je savais qu’il me trahirait et le dirait à Monaco. Ça n’a pas raté. Et quand Pelé refuse la visite médicale, Monaco se dit : “Ah oui, c’est vrai, il est séropositif, alors on ne le prend pas.” Et le lendemain, il signait à Marseille ! C’est comme ça. Faut gagner ».
Deuxièmement, on se souvient qu’en 1997, le LOSC et l’OM s’étaient aussi affrontés en dehors du terrain, à propos d’un match de coupe de France qui devait initialement se jouer au Vélodrome, mais que la FFF avait inversé en raison des travaux au stade Marseillais en vue du Mondial. La délégation de l’OM n’avait pas daigné se déplacer à Lille, et un accord avait été concédé pour jouer sur terrain neutre, à Valence, un match que le LOSC a gagné (1-0).
Troisièmement, rappelons que 3 mois après cet épisode estival de 1989, les deux équipes se rencontrent, sur le terrain cette fois, à Grimonprez-Jooris. Et le 4 octobre 1989, Lille gagne 2-0, grâce à des buts de Sauvaget et… Pelé, qui d’un magistral coup-franc se rappelle au bon souvenir du président Nanard. Pour compenser un peu, Pelé a marqué contre Lille sous le maillot marseillais, entrant dans la catégorie des exs qui nous en veulent.
Enfin, le transfert de Pelé en 1989 a permis au petit André Ayew de naître à Seclin. Il paraît que le personnel de la maternité a déroulé le Tapie rouge ce jour-là.
Un commentaire
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26 juin 2020
Permalien
Mic a dit:
Je ne trouve aucun article relatant la présence d’Abédie Ayew « Pelé » au racing club de Lens en 1985 et 1986…une ligne dans La Voix des sports de l’époque où il est fait mention de la recrue d’un certain Pelé à Lens. Il n’aura pas fait une apparition en équipe première lensoise…il quittera Lens pour Niort, gratuitement, qu’il aidera à monter en division 1…un beau raté du RC Lens!