Posté le 27 octobre 2018 - par dbclosc
Lille/Caen 2000 : Bernard Lecomte, mission accomplie
Le 10 mars 2000, Bernard Lecomte vit son dernier match en tant que président du LOSC. Il s’apprête en effet à passer la main au duo Dayan/Graille, qui ouvrira la voie à une privatisation du club. Ce soir-là, le LOSC s’impose 3-2 et, si la montée n’est pas encore officielle, elle ne fait plus guère de doute : le public envahit le terrain pour célébrer son équipe et son président, qui peut discrètement se retirer après avoir sauvé le club.
Cela fait déjà quelques semaines, voire quelques mois, que l’issue de la saison est toute tracée pour les Dogues : immanquablement, ils retrouveront la première division, trois ans après l’avoir quittée sur une ultime défaite à Metz en mai 1997 (0-1), et après avoir manqué la remontée d’un rien deux ans avant, et d’un peu moins qu’un rien la saison précédente. Sur sa lancée de la fin de saison 1998/1999, le LOSC écrase tout et est en tête de la D2 depuis la première journée. Ce 10 mars 2000, c’est la 29e journée de championnat et jusqu’alors le bilan est éloquent : 20 victoires, 4 nuls, 4 défaites.
Dans la semaine, Vahid, pourtant d’ordinaire prudent en dépit de la supériorité affichée par son équipe depuis des mois, s’est enfin lâché : « si on remporte ce match, on sera en D1 ». Ce n’est pas encore mathématiquement vrai. Si le LOSC l’emporte, il comptera 67 points, soit 25 de plus que le 4e, Le Mans, mais qui comptera donc un match en moins. Il restera 9 matches derrière, soit 27 points à prendre. Donc sauf catastrophe absolue (9 défaites du LOSC, 9 victoires du Mans, et suffisamment de victoires des 2e et 3e, Toulouse et Guingamp, pour qu’ils nous passent devant) ça devrait aller. Attention, toutefois : les Caennais ont été les premiers à battre Lille cette saison : c’était lors de la 11e journée. Bon nombre d’ingrédients sont donc réunis pour bien s’amuser ce soir. Et comme pour marquer d’autant plus l’ouverture d’une ère nouvelle, le hasard du calendrier politico-administratif du LOSC fait que ce match est le dernier du président Bernard Lecomte à la tête du club.
Chef d’entreprises avant tout
Entrepreneur de la région – il est notamment directeur de la Générale de chauffe -, Bernard Lecomte est un homme discret. Arrivé à la présidence du LOSC en mai 1994 au moment où le club était dans une situation financièrement catastrophique, avec une dette de 55 millions de francs (à laquelle il faut ajouter un passif de 38MF sur ses fonds propres), sa mission est de sauver le club d’une relégation administrative quasi-assurée. Ainsi, il n’est pas un grand amateur de foot, et c’est avant tout pour ses capacités gestionnaires, plus que pour son allure austère de haut fonctionnaire soviétique moustachu, qu’il est propulsé à la tête du club à la demande du maire Pierre Mauroy.
Bernard Lecomte en 1990, alors qu’il vient d’être nommé directeur de l’école supérieure de commerce de Lille
Si le football l’intéresse peu, Bernard Lecomte n’est pas complètement un bleu dans le domaine. Il rôde en effet depuis de nombreuses années autour du LOSC : d’abord collaborateur pendant 20 ans de Jacques Dewailly, qui fut le président du club durant la décennie 1980 ; puis président du club Challenges, qui regroupe quelques acteurs économiques régionaux liés au LOSC, à partir du début des années 1990 ; il fut ensuite vice-président du club durant le mandat de Paul Besson ; puis président du conseil de surveillance du club pendant que Devaux en était le président du directoire : pour le dire autrement, le LOSC a eu deux présidents en 1993/1994, mais le président officiel était Marc Devaux.
Une mission : sauver le club
La situation financière du LOSC est catastrophique. Elle l’est depuis plusieurs saisons, et la dette a même culminé à 75MF au début des années 1990. En 1993, l’entourage du club s’était alarmé que la gestion de Paul Besson et l’état des finances du club aient fuité dans la presse. Cela avait engendré des tensions qui s’étaient même répandues jusqu’au sein de l’effectif (avec par exemple le cas de Jean-Claude Nadon qu’on a évoqué ici). En février, le tandem constitué de Bernard Lecomte et de Marc Devaux est chargé de réfléchir à l’avenir du club en proposant un plan de redressement sur 5 ans qui consiste à mobiliser le milieu économique régional autour du LOSC. Car oui, le LOSC est menacé tantôt du dépôt de bilan, tantôt de fusion avec Lens, et même avec Valenciennes ! Le président du tribunal de commerce de Lille suggère même à Lecomte de déposer le bilan au plus vite. Au moment où Lecomte prend seul la tête du club, en mai 1994, les dettes ne sont plus « que » de 42 MF. Lecomte s’accroche : « comme il était illusoire d’augmenter les recettes, il fallait diminuer les dépenses, c’est-à-dire se séparer des joueurs qui coûtaient cher, et en recruter des moins coûteux. Sur le plan financier, ce fut un succès ». Succès financier en effet, mais payé sportivement, ce qu’on peut considérer a posteriori comme un mal pour un bien. Durant ces années, le LOSC, limité et parfois interdit de recrutement, avec une masse salariale encadrée par la DNCG, mise sur sa jeunesse et ne peut souvent recruter que des joueurs en fin de contrat. Les Andersson, Assadourian et autres Bonalair, bien qu’irréprochables, ne pouvaient pas être conservés. En 1995, la dette s’élève à 28 MF. Ainsi, la relégation est arrivée en 1997, à l’issue d’une saison qui avait pourtant débuté de façon spectaculaire. Mais en juin 1998, Bernard Lecomte, qui a toujours pris soin d’évoquer avec transparence la situation financière du LOSC, dans la presse ou dans le bulletin officiel du club, est applaudi à la DNCG : il vient de présenter des comptes apurés (ce qui n’a rien à voir avec le calcul des pommes de terre pour la friterie du stade), et voici désormais le LOSC délesté de toute dette.
Vers la privatisation
Difficile de savoir si, avec le temps, Bernard Lecomte ne s’est pas pris au jeu et n’aurait pas souhaité rester quelques années de plus. Mais lui-même le disait, légitimant une croyance solidement ancrée dans le milieu sportif : l’avenir, c’était la privatisation, et un grand stade, condition nécessaire à l’émergence d’un grand club. Dès lors, il ne pouvait que céder la place au futur repreneur. Clean jusqu’au bout, il annonce son départ du club au cours de l’année 1999, avant que l’identité du repreneur ne soit connu, pour prévenir toute accusation de préférence pour tel ou tel candidat, et annonce dans le même temps qu’il se tient à disposition pour assurer une transition.
Le reportage de France 3 en novembre 1999 :
En l’occurrence, le nom des repreneurs est connu le 8 juin 1999 : il s’agit de Luc Dayan et de Francis Graille. Ils comptent racheter les 50 167 actions que détient la ville, majoritaire dans la SAEM, pour 3 francs pièce. Le conseil municipal de Lille donne son accord le 9 juillet 1999. Manque désormais l’accord du Préfet, qui dispose de 3 mois pour s’exprimer, et profite bien de ce délai puisque le 1er octobre, il annonce qu’en pareil cas, c’est-à-dire cession d’une entreprise du secteur public, la situation doit être évaluée par un expert indépendant. Bref, ça cafouille un peu ; l’expert en question annonce qu’il faut finalement céder les actions au prix de 5 francs pièce. Un autre candidat en profite pour se manifester, mais le 4 décembre, la ville de Lille réitère son soutien au duo Dayan/Graille, soutien entérinée en conseil municipal le 13 décembre 1999.
Salué à l’unanimité
Ce vendredi 10 mars, Bernard Lecomte reçoit de la part des joueurs un maillot floqué à son nom, avec le chiffre 1. il sort de son habituelle réserve et s’accorde un tour d’honneur en solitaire durant l’échauffement des joueurs. Il salue chaque tribune qui, toutes, l’applaudissent chaleureusement et scandent « Président, président ! ». Y compris les DVE, avec lesquels les relations n’ont pas toujours été au beau fixe : Lecomte a en effet dû composer avec des résultats médiocres jusqu’à l’arrivée d’Halilhodzic, et affronter de nombreuses situations de crise, dont les plus spectaculaires se sont manifestées par de la violence dans l’enceinte du stade Grimonprez-Jooris, avec notamment deux envahissements de terrain hostiles, en février 1998, puis en mai 1999, ou la défiance récurrente du public à l’égard de Thierry Froger. Reconnu aussi pour ses qualités humaines et son sens de l’écoute, Lecomte n’a jamais mis d’huile sur le feu : « des types m’ont dit que le club, c’était toute leur vie : ils touchaient le RMI mais engloutissaient une partie de leurs maigres ressources pour venir le soutenir. C’est aussi pour eux qu’on a envie de réussir ». C’est donc terminé : le 14 mars 2000, la SAES deviendra SAOS, avant de devenir SA. Luc Dayan en sera le président, et Francis Graille sera le président de SOCLE, la holding financière.
Au moment d’établir une sorte de testament de ses années sportives, Bernard Lecomte remercie la mairie de Lille qui ne s’est « pas immiscée dans les affaires internes du club », tout en regrettant le manque d’investissement personnel de Pierre Mauroy : « en haut lieu, on m’a même dit à plusieurs reprises : ‘dommage que votre maire n’aime pas le foot‘ ». Résultat, le grand stade porte le nom de ch’gros Quinquin. Il souligne la dureté du monde du football, dans le magazine du LOSC de mars 2000 : « si je voulais être amer, je dirais qu’avant le LOSC, je ne me connaissais pas d’ennemis ou, pour le moins je n’imaginais pas en avoir. La présidence du LOSC m’en a fait découvrir quelques-uns. Cela induit une certaine déception. J’ai également connu des moments particulièrement angoissants lorsqu’il fallait rendre des comptes devant la DNCG. Certains soirs, je me suis dit que nous ne pourrions pas nous en sortir ». Mais il souligne également de bonnes relations avec la plupart des clubs, notamment avec le président du FC Metz, Carlo Molinari. Mais pas avec Marseille. Ainsi, dans la Voix des Sports en mars 2000, il se rappelle : « on les a éliminés en coupe de France à Valence. Quelques jours plus tard, nous jouions en championnat chez eux : leurs dirigeants nous avaient relégués tout en haut d’une tribune, derrière un kop qui n’a cessé de nous insulter et qui se retournait vers nous pour nous adresser des bras d’honneur à chaque fois que l’OM marquait un but. Et nous avons perdu 5-1 ». Il nous offre aussi quelques petites anecdotes croustillantes, sur le match PSG/Lille remporté en avril 1996 : « à Paris, l’ambiance était très différente. Accueil très policé. J’ai même pris place aux côtés de Jean Tibéri [note DBC : maire de Paris], très aimable jusqu’au moment où le LOSC a marqué. Là, il m’a tourné le dos. Derrière moi, il y avait Michel Denisot et Nagui, l’animateur. Sitôt le match terminé sur une victoire du LOSC, j’ai vu ce dernier se précipiter au dessus de la grille de sortie et insulter les arbitres comme un charretier. J’en étais baba ».
Une dernière victoire
Sur le terrain, on pense dans un premier temps que Lille se dirige vers une tranquille victoire : les Dogues mènent en effet 2-0 à la demi-heure de jeu, grâce à un doublé de Laurent Peyrelade. Mais les Caennais sont venus pour jouer, ce que les adversaires ont rarement montré cette saison à Grimonprez-Jooris. Et avec un effectif dont la moyenne d’âge est très basse, les Normands reviennent, d’abord grâce à un superbe coup-franc de Johan Gallon, puis par un but de Watier sur un super centre du jeune… Grégory Tafforeau. 2-2 ! Mais l’inévitable D’Amico chipe un ballon en milieu de terrain, sert Boutoille qui lance Bakari, et ça fait 3-2. La fin de match est approximative, mais le public, harangué par D’Amico, chante « On est en D1 ! ». Lille s’impose 3-2. Lille est presque en D1, et Lecomte peut partir le cœur léger : « j’ai rempli ma mission. Les finances du club ont été assainies, les résultats sont de nouveau là, le public et les partenaires économiques sont de retour et la privatisation est assurée. Même s’il y a encore beaucoup de travail à accomplir, je suis persuadé qu’il y a désormais les bases pour faire ce grand club que tout le monde attend à Lille ».
Envahissement de terrain
Tout à sa joie, le public envahit le terrain. Cette fois, c’est pour partager le bonheur de la réussite sportive. Djezon Boutoille est tout heureux de voir de telles scènes à Lille : « ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ça au LOSC… Avant, quand la foule descendait sur le terrain, ce n’était pas bon signe… Aujourd’hui, c’était la réconciliation entre le public et les joueurs. C’est de bon augure pour la suite ». Tout le monde se laisse aller : les joueurs sont portés en triomphe, Vahid est sollicité de toutes parts, D’Amico disparaît dans la foule puis réapparait car il est jeté en l’air.
« Ma force fut, peut-être, de ne pas avoir été au début un président supporter. On a dit « Lecomte ne connait rien au football », mais d’autres, sans doute plus connaisseurs, se sont laissés emporter par leur passion ». Pour ce dernier soir, Lecomte se laisse emporter par la passion : il embrasse et se laisse embrasser par des inconnus. Au micro d’Eurosport (voir plus bas), visiblement ému, il rend hommage aux joueurs : « c’est une équipe formidable. Je suis très fier du LOSC ce soir ». Son dernier acte de président est d’offrir un bouquet de fleurs à Anne-Sophie Roquette, qui vient de décrocher le micro d’or, qui récompense le/la meilleure.e speaker.ine de France. Puis il reprend une ultime fois le micro, pour sa dernière déclaration publique « Merci et au revoir ». À son image : simple et efficace.
À l’issue de cette journée, c’est Ajaccio qui passe 4e, 23 points derrière Lille. Le LOSC n’est donc pas encore en D1, mais l’envie de faire la fête était trop forte. Une autre fiesta suivra le 31 mars, après une nouvelle victoire contre Valence et, cette fois, le retour officiel du LOSC en D1.
La fin du match, l’envahissement de terrain, et les dernières déclarations du président :
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