Posté le 2 novembre 2018 - par dbclosc
La parole est à la défense
En 1954, pour la troisième saison consécutive, le champion de France est également la meilleure défense. Cette année-là, le LOSC chipe le titre en n’encaissant que 22 buts en 34 journées. Une performance remarquable mais qui suscite une polémique alimentée par le journal Le Monde : en cas d’égalité de points entre plusieurs équipes, vaut-il mieux recourir au goal average ou à la différence de buts pour les hiérarchiser ? Retour sur les termes du débat.
« Une équipe de tête soucieuse de conserver son goal average doit se préoccuper beaucoup plus de ne pas encaisser de buts que d’en marquer. Est-ce normal ? Pourquoi le but réussi par cette équipe n’a-t-il pas la même valeur que celui qu’elle vient de concéder ? Dans ce cas, c’est un encouragement au jeu destructif, au « béton » », lit-on dans Le Monde en novembre 1955.
Le quotidien s’oppose ainsi fermement à la notion de goal average (la division du nombre de buts marqués par le nombre de buts encaissés. Par exemple, si une équipe, à tout hasard, a marqué 20 buts et en a encaissés 8, son goal average est de 20/8 = 2,5) et propose la mise en place de la « différence de buts générale », aujourd’hui majoritairement utilisée pour départager deux équipes à égalité de points1, et qui correspond à la soustraction entre le nombre de buts marqués et le nombre de buts encaissés (en reprenant l’exemple précédent, la différence de buts est de 20 – 8 = + 12). L’argument du Monde est le suivant : l’application du goal average, plutôt que de la différence de buts, favoriserait un jeu défensif, où il est avant tout primordial de ne pas encaisser de buts plutôt que d’en marquer. Pour autant, lors de la période d’application du goal average dans le championnat de France (1945-1962), le champion était plus souvent la meilleure attaque (8 fois) que la meilleure défense (7 fois). Alors pourquoi demander la suppression du goal average ?
Un système injuste ?
Le Monde met en effet en avant « l’injustice » du goal average : son évolution ne dépend pas que du résultat du dernier match joué, mais aussi de toutes les confrontations précédentes. En effet, une équipe au quotient inférieur à 1 (c’est-à-dire ayant un nombre de buts encaissés supérieur au nombre de buts marqués) peut le voir augmenter en cas de match nul autre que 0-0 au match suivant (Par exemple : une équipe a marqué 8 buts et en a encaissés 20. Son goal average est alors de 8/21 = 0,4. Si elle fait 1-1, son goal average devient 9/21 = 0,42). Et inversement, une équipe au quotient supérieur à 1 verra celui-ci baisser (Lille, qui est actuellement à 20/8 = 2,5, le verrait baisser à 21/9 = 2,33 en cas de match nul 1-1, ou à 22/10 = 2,2 en cas de nul 2-2. Vous suivez ?). Est-ce méritoire ? Doit-on considérer qu’un match nul pour une équipe au quotient inférieur à 1 (a priori plus souvent en difficulté qu’à son aise) est une forme de performance devant être récompensée ? Ou doit-on estimer qu’une équipe habituée à « faire mieux » qu’un match nul doit être ainsi sanctionnée ?
Le problème se pose également en cas de victoire : comment une équipe doit-elle se comporter pour maintenir ou augmenter son goal average ? Elle doit, à chaque match, gagner la rencontre de manière à ce que le goal average de la rencontre soit au moins égal au goal average général. Ainsi, avant d’affronter le LOSC ce 2 novembre, le Paris Saint-Germain a un quotient de 6,5 (39 buts marqués, 6 encaissés). Pour maintenir ce quotient, le PSG devrait donc marquer 6,5 fois plus de buts que Lille, sous peine de voir son quotient diminuer. Amusons-nous ensemble :
Si Lille marque… |
Le PSG doit marquer… |
1 but |
6,5 buts |
2 buts |
13 buts |
3 buts |
19,5 buts |
4 buts |
26 buts |
Si ce système était encore appliqué, le PSG ne serait-il pas été victime de son propre goal average ?
La division par zéro
Le goal average pousse-t-il alors à l’adoption d’une tactique offensive ? Il est à noter que sur la période 1945-1962 où, rappelons-le, le goal average était en vigueur, la barre des 100 buts marqués par une même équipe a été dépassée à trois reprises (102 buts pour le LOSC en 1949, 118 buts pour le RC Paris et 109 pour Reims en 1960)2. Sur les 13 premières saisons de l’après-guerre (toutes à 18 clubs), 11 ont un total de buts supérieur à 10003. À titre indicatif, dans le même format de compétition entre 1997 et 2002, le nombre de buts a fluctué entre 722 et 787 (il s’agit des 5 pires résultats de l’après-guerre). Le constat du Monde est-il erroné ?
Pas totalement. Lors de cette prise de position, aucune saison de la période 1950-1955 n’arrive au niveau de la période 1946-1950 en termes de buts inscrits. Les 962 et 949 buts des saisons 1952/53 et 1953/54 contrastent avec les 1126 et 1138 buts quelques années plus tôt. Limiter le nombre de buts encaissés semble alors prendre le dessus sur un esprit plus offensif : les champions 1951/52, 1952/53 et 1953/54 sont également ceux qui ont encaissé les moins de buts. De plus, si nous avons vu une manière de maintenir ou améliorer le goal average, il en existe une autre : ne pas encaisser de but. En effet, la plus petite victoire obtenue sans encaisser de but (1-0) permet d’avoir un goal average supérieur à n’importe quel résultat obtenu avec au minimum un but encaissé : le quotient 1 : 0 n’existe pas, la division par zéro. Mais en admettant que le nombre de buts encaissés tend vers zéro, on peut considérer ce quotient comme infiniment grand, et donc forcément supérieur au quotient d’un match se terminant sur le score de 3-1 (3), 8-2 (4), 27-3 (9), etc… Or il est difficile de considérer une victoire 1-0 plus méritoire que n’importe quelle branlée.
Légitime défense
C’est peut-être ce qui a poussé les équipes au début des années 50 à adopter une approche différente. Pour autant, la performance du LOSC en 1953/54 n’est pas à minimiser. Si son succès s’est bâti sur les mêmes bases que ses deux prédécesseurs, il est allé beaucoup plus loin dans l’efficacité défensive. Ainsi, Nice et Reims avaient encaissé 42 et 36 buts. Lille ne cède que 22 fois en 34 journées et se permet d’être champion avec la 10e attaque du championnat. Si ce record a depuis été battu (Le record de la meilleure défense tiendra 38 ans, jusqu’à ce que Marseille en 1992 – 21 buts en 38 journées – puis Paris en 2016 – 19 buts, 38 journées – ne fassent mieux), il convient de signaler que la répartition des buts était beaucoup plus homogène dans les années 50. Ainsi, le contexte dans lequel Lille met en place ce bloc défensif épatant semble beaucoup plus compliqué qu’en 1992 avec Marseille ou qu’en 2016 avec Paris. Le graphique ci-dessous indique le ratio entre la meilleure attaque et la pire attaque de chaque saison :
Lors de la saison 1953/1954, après des débuts moyens (2 victoires lors des 6 premières journées), le LOSC accède au podium lors de la 10e journée, suite à une victoire à Monaco. Le trio de tête, également composé de Reims et Bordeaux, ne se quitte plus jusqu’au terme de la saison. Menacés par Saint-Etienne, qui forme le temps de la 18e journée un quatuor à égalité de points, les trois équipes se détachent. Leader de la 14e à la 19e journée, le LOSC retrouve la tête lors de la 31e journée grâce à une victoire face au leader bordelais.
Le LOSC 1953/1954
Debout : Guillaume Bieganski, Antoine Pazur, César Ruminski, Robert Lemaître, Cor Van der Hart, Marceau Somerlinck
Assis : Jean Vincent, André Strappe, Gérard Bourbotte, Yvon Douis, Bernard Lefèvre
Toutefois, la défaite à Toulouse de la 32e journée semble éteindre les espoirs de titre. Relégué à la 3e place, le LOSC doit se déplacer à Reims, nouveau leader, pour l’avant-dernière journée. Pour ce match, les Lillois vont ajouter à leur efficacité défensive un récital offensif. Emmené par Strappe, auteur d’un doublé, le LOSC retrouve la tête brillamment (0-3).
La semaine suivante, alors que Reims et Bordeaux s’affrontent et peuvent encore espérer le titre, le LOSC ne flanche pas et assure face à Nancy (3-0) pour être sacré devant son public. Si Strappe trouve de nouveau le chemin des filets, ce titre est évidemment à mettre au crédit des intraitables (néanmoins parfois insultés) éléments défensifs que sont le gardien de but Ruminski, les arrières Bieganski, Lemaître, Van Cappelen et Lefèvre, et le demi centre Van der Hart. Les deux premiers joueront d’ailleurs la Coupe du Monde quelques semaines plus tard en compagnie du duo Strappe-Vincent.
L’hommage à Jean Vincent, placé.
FC Notes :
1 Certains championnats choisissent d’autres critères : l’Espagne valorise les confrontations directes, la Belgique le nombre de victoires.
2 Depuis, Paris en 2015 (102 buts) et 2018 (108 buts), et Monaco en 2017 (107 buts) l’ont également fait.
3 Le record date de la saison 1946-1947 : 1334 buts
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