Posté le 6 novembre 2018 - par dbclosc
Lille-Lens 1996 : trop haut pour être vrai
Le mercredi 6 novembre 1996, grâce à un doublé de Patrick Collot, le LOSC s’impose 2-1 à Grimonprez-Jooris dans le derby face à Lens. Cette victoire conclut une (presque) demi-saison exceptionnelle : après 16 journées, le LOSC a 26 points et pointe à la 4e place. Difficile d’imaginer qu’après cette confrontation, les deux clubs vont lourdement chuter et se retrouver en avril pour un duel qui ne fera qu’un survivant en D1.
Ce 6 novembre 1996, c’est le 73e derby de l’après-guerre. Et il y a bien longtemps qu’il n’a pas vu se confronter deux équipes du haut de tableau : avant ce match, les Lensois sont en effet 4èmes et restent sur 3 victoires consécutives, et les Lillois sont juste derrière, à la cinquième place. Il faut dire que le LOSC est loin des standards auxquels il nous a habitués depuis quelques saisons. Hormis un faux-pas 10 jours avant contre le futur champion monégasque (1-4), il est intraitable à domicile (4 victoires, 3 nuls), et reste même sur 2 succès l’extérieur, à Montpellier puis à Cannes. Une fois n’est pas coutume, on se dirige vers un maintien tranquille, et les plus optimistes commencent même à évoquer la coupe d’Europe. Aux origines de tout cela, un mercato considéré comme réussi, avec notamment les arrivées de David Garcion, Anthony Garcia, Bojan Banjac et, plus tardivement en tant que joker, de Franck Renou. Ces arrivées, conjuguées au départ des pré-retraités de la saison précédente (Germain, Nadon, Périlleux, Simba) semblent avoir formé un effectif équilibré, qui offre un football offensif et spectaculaire : à domicile, cela fait déjà 3 semaines que Lille a atteint le nombre de buts qu’il avait inscrits sur toute la saison précédente ! Et devant, Becanovic est métamorphosé. Lui qui avait démarré en fanfare lors de son premier match en septembre 1995 errait ensuite sur le front de l’attaque, sans parvenir à marquer, hormis un doublé en coupe de la Ligue contre Caen. Buteur dès la reprise contre Metz, il a déjà inscrit 9 buts. En comptant, en plus, ses 4 passes décisives, il est le joueur le plus décisif du championnat.
Avant Thauvin, il y avait eu le bras de fer Becanovic/Banjac
Mais tout cela ne monte pas à la tête des Lillois, si on en croit le coach Jean-Michel Cavalli : « dans ce derby, nous n’avons rien du tout à perdre ! J’ai tout fait pour placer les joueurs dans des conditions idéales : pas d’entraînement particulier, pas de mise au vert ». Selon lui, le LOSC n’est pas vraiment à sa place : « pour moi, il y a Paris, Monaco, Auxerre et Lens. Ensuite, il ne reste plus qu’une place européenne, et c’est nous qui l’occupons, devant Metz, Bordeaux ou Strasbourg. Vous vous rendez compte ! ». Ce n’est pas l’avis de l’entraîneur lensois, et ancien lillois, Slavo Muslin, qui considère le LOSC comme « un adversaire direct dans la course à l’Europe ». Façon habile de se dégager de la pression d’un derby et d’en minimiser l’enjeu. Ce qui est moins habile, c’est de dire ça et de déclencher les hostilités : « nous devons aborder ce derby sans le moindre complexe. Jouer à Lille, ce n’est pas vraiment évoluer à l’extérieur car nous bénéficierons du soutien de nombreux supporters ».
16 311 spectateurs
Les supporters, justement. Bernard Lecomte n’est pas très content : rançon du succès, depuis le début de la saison, le LOSC a déjà dû refuser du monde à deux reprises : contre Marseille et contre Monaco. Depuis le drame de Furiani en mai 1993, les nouvelles conditions de sécurité imposées dans les stades ont réduit la capacité d’affluence de Grimonprez-Jooris à 13 400 personnes. À une époque où les recettes de billetterie ne sont pas négligeables pour la trésorerie d’un club, cela entraîne un manque à gagner que le président a signalé à la mairie… et les services techniques de la ville suivent Lecomte. Le président constate, depuis lundi, soit deux jours avant le match, que tous les tickets sont partis. Il souhaite disposer de 18 500 places : « depuis lundi, nous ne pouvons plus accéder à toutes les demandes et tout ce que nous pouvons dire aux gens, c’est d’avoir la gentillesse de revenir mercredi en début d’après-midi, puisqu’il est impossible de savoir avant si, oui ou non, nous disposerons de ces 5 000 tickets supplémentaires ». Une commission de sécurité de la Ligue Nationale de Football doit se rendre à Grimonprez le jour même du match en matinée pour savoir s’il est possible d’accueillir 18 500 personnes ! En fait, le stade est en travaux, et ceux-ci ayant du retard, on ne peut pas faire autrement que s’organiser en dernière minute. Les travaux portent sur la flexibilité des grilles, qui ne doivent pas résister en cas de poussée, afin d’éviter que les spectateurs ne soient prisonniers. Si évacuation il devait y avoir, elle se ferait aussi par la pelouse, et pas seulement par les escaliers, jugés trop exigus : c’est ce qui avait justifié le passage à 13 400 places. De toute façon, au 1er janvier 98, il faudra 20 000 places assises, sous peine de rétrogradation, mais ça on s’en chargera tout seuls.
Côté effectifs : à Lens, Gugusse Warmuz est blessé de longue date : on aura donc dans les buts Christophe Marichez, car Jean-Claude Nadon, transféré à l’intersaison, ne s’est pas montré très rassurant. Manquent aussi Cyrille Magnier, Sébastien Dallet, et Tony Vairelles, double buteur à Grimonprez-Jooris la saison passée.
À Lille, Philippe Lévenard est blessé. Roger Hitoto est retenu par son équipe nationale, le Zaïre, qui joue ce soir un amical en Turquie, puis un match éliminatoire en Afrique du Sud pour la coupe du monde 1998. Et Cédric Carrez est suspendu après avoir été expulsé à Cannes. Thierry Rabat le remplace en défense centrale. On note aussi la quatrième titularisation de Patrick Collot, à un poste inhabituel d’attaquant, après avoir même été utilisé comme avant-centre lors de son retour à Strasbourg fin septembre. « Il faut lui laisser le temps » répétait Cavalli. Revenu sur les terrains depuis un mois après le décès de son épouse durant l’été, Patrick Collot a toute la confiance du coach, qui s’adapte : « dès qu’il reviendra, je sais qu’on devra lui trouver des aménagements tactiques sur le terrain. Dans un premier temps, je ne pourrai plus l’utiliser au milieu. Il n’aura pas la tête à ça. En revanche, en pointe, il sera bien. On se pose moins de questions à la finition. C’est presque plus simple ». Voilà donc la compo lilloise : Aubry ; Leclercq, Dindeleux, Rabat, Cygan ; Duncker, Renou, Banjac, Garcion ; Collot, Becanovic.
On note enfin la présence, prestigieuse, de Bernard Ménez, en tribunes : il sera le 24 novembre 1996 au Sébastopol avec Mallaury Nataf et Maurice Risch, et y jouera le rôle d’un ministre de l’agriculture. Il parie sur un 2-2.
Roger Carré, ancien joueur des deux équipes et du RC Roubaix, est décédé 4 jours auparavant. Un hommage lui est rendu. Par prudence, on préfère suggérer des applaudissements plutôt qu’une minute de silence dont on redoute qu’elle ne soit pas respectée. Pas de Roger Carré, mais un ballon rond, censé arriver du ciel par le biais de 4 parachutistes devant aussi apporter les drapeaux des deux clubs. Mais là aussi par prudence, l’opération est annulée au dernier moment pour vent violent. Du coup, ce sont deux jeunes garçons qui font le tour du terrain avec les drapeaux : le Lillois s’appelle Maxime, et le Lensois Mathieu.
Les Lillois sont au-dessus
Ça démarre très fort puisque sur sa première attaque, le LOSC fait mouche : Banjac lance Collot côté gauche, qui place le ballon sous Christophe Marichez (5e).
Les Lillois dominent largement les débats, Collot manquant de doubler la mise à la 28e minute : son tir frôle la transversale. Ce n’est que partie chemise : 4 minutes plus tard, Banjac lance Renou côté droit, qui adresse un petit centre dans les 6 mètres. Becanovic glisse mais Collot est au deuxième et place un imparable plat du pied : 2-0 pour Lille !
La Voix du Nord salue la superbe première période du LOSC : « de la volonté, de la hargne et du talent » ; un « jeu direct et incisif privilégiant l’audace et les prises de risques » ; une équipe « vive, inspirée, franchement séduisante ». En tête d’affiche : Collot, Garcion et Banjac devant ; Duncker et Aubry derrière. Muslin fait deux changements à la mi-temps : Régis à la place de Debève, et Rychkov à la place de Foé. Cela ne change pas le rapport de force. La seconde période est plus floue, moins rythmée. Smicer, seul face à Aubry, frappe nettement au-dessus (61e) ; Boutoille, tout juste entré en jeu, bute sur Jean-Guy Wallemme (68e). Pour bien narguer les Sang & Or, Hampartzoumian entre en jeu (80e). En toute fin de match, le LOSC se relâche : Aubry repousse spectaculairement d’une manchette une tête de Camara (88e), avant que le charismatique Frédéric Déhu ne marque enfin d’un beau coup-franc (89e). Lille s’impose et le quotidien régional salue la « remarquable performance » des Dogues, à l’inverse de Lensois « malahabiles », « passés à côté du sujet », « dépassés par les événements », qui « ne donnèrent jamais l’impression de pouvoir renverser la tendance ».
Le LOSC (Franck) renoue avec la victoire dans le derby
La longue marche de Patrick Collot
Il n’avait pas marqué depuis son improbable et salvateur centre dévissé au Parc des Princes 6 mois avant. Quand Patrick Collot a ouvert le score, puis doublé la mise une demi-heure plus tard, une intense émotion a parcouru le stade, et pas seulement parce que le LOSC scorait face à son rival. Le LOSC marquait, et surtout Patrick Collot était buteur. Tout le monde y vit un maigre réconfort pour un homme apprécié de tous et ébranlé par un funeste été. Le public de Grimonprez l’a revu pour un match contre Caen, le 2 octobre, quand il remplaça Djezon Boutoille. 10 jours plus tard, il était titulaire face à Nantes. Entre-temps, Renou avait pris efficacement le relais sur le terrain sportif, et offrait une possibilité offensive supplémentaire. Avant le derby, il avait déclaré : « Je découvre cette équipe. Il faut que j’apprenne à connaître mes nouveaux partenaires. Mais je me sens bien sur le terrain, avec le ballon et les copains. Là, je ne pense qu’au football. C’est bon… »
Sur les deux buts, Jean-Michel Cavalli n’a pas réagi, au contraire des joueurs, qui se sont tous jetés sur le buteur. « C’est un grand plaisir personnel, une grande joie qui s’est exprimée avec le public et tout un club. Dans ces moments-là, on est un peu ailleurs et on ne pense plus du tout à ce que l’on a subi. Oui, c’est vrai, c’est une grande joie… par rapport à tout ce qui m’est arrivé. Je me suis senti soutenu par mes coéquipiers, mon entraîneur, les dirigeants. Mais lorsqu’on vit ça, malheureusement, on le vit tout seul »
C’est pas trop le moment pour un « Coucou, qui c’est ? »
Dernière joie avant la chute
Après ce match, le LOSC passe devant son voisin et se classe 4e, avec 26 points ! Ce derby est le point culminant de la saison, à propos de laquelle on peut lire davantage de détails ici. Pour ce qui est de la coupe d’Europe, Bernard Lecomte éteint rapidement toute enflammade, en affirmant que le club n’y prêt ni financièrement, ni structurellement. Par la suite, le LOSC montrera un visage aussi décevant qu’il a été brillant jusque là. Comme s’il fallait compenser ce sur-régime des Lillois, sur les 22 journées suivantes, il n’y aura plus qu’une victoire et seuls 9 points seront marqués. Lille dégringole petit à petit… tout comme son voisin qui, après cette défaite dans le derby, ne retrouve la victoire qu’en février. Mais Lens se réveille au printemps et signe tout de même encore 4 victoires. Dont une en avril, pour le derby retour. Dans une ambiance particulièrement hostile, Lens bat Lille 1-0. En mai, le LOSC est relégué en deuxième division.
Un commentaire
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13 novembre 2018
Permalien
JB a dit:
Merci pour ces bons souvenirs et bravo pour la qualité de vos articles… on s’y croirait ou plutôt on a l’impression de revivre les événements….
Ce match marque le dernier bon souvenir de L1 à GJ … avant d’en connaitre de meilleures avec Vahid