Posté le 15 décembre 2018 - par dbclosc
Nîmes 1999 : D’Amico entre dans l’arène
Si on sait que quand un crocodile en rencontre un autre, il l’accoste, on sait moins que quand un crocodile rencontre en dogue, il part carrément à l’abordage. Les deux confrontations en championnat entre le LOSC et le Nîmes Olympique lors de la saison 1999/2000 viennent le rappeler : elles ont en effet débouché sur des matches terminés dans une grande confusion. Au programme : déclarations fracassantes, expulsions, buts de dernière minute et bagarre générale.
7 août 1999 : première de la saison à Grimonprez-Jooris, le LOSC reçoit Nîmes. La dernière confrontation entre les deux clubs avait tourné à la correction pour les Dogues au stade des Costières (0-3), ce qui avait largement contribué à manquer une nouvelle fois l’accession en D1 au printemps. Mais cette fois, ça sent bon à Lille : la préparation a été convaincante et l’élan créé par l’arrivée d’Halilhodzic semble emmener le club vers l’élite. Déjà, lors de la première journée, les Dogues se sont imposés à Laval (1-0) et ont pris la tête du championnat, qu’ils ne quitteront jamais au cours d’une saison exceptionnelle. Les Nîmois, quant à eux, aspirent à vivre une saison tranquille dans l’anonymat de la D2, trois ans après avoir braqué sur eux les projecteurs en réalisant l’exploit de parvenir en finale de la coupe de France et en jouant la coupe d’Europe avec, sur le terrain, Johnny Ecker et, dans le staff, Jean-Pierre Mottet.
Premier round
Pour la première en championnat de D’Amico avec le LOSC, les locaux butent sur une défense regroupée. Pourtant, en première période, Lille avait (presque?) marqué : une frappe de Bakari a été repoussée par un arrière nîmois, mais à quel niveau ? Pour Carl Tourenne, pas de doute : « je peux vous assurer que le but de la première période est valable. Dagui peut le confirmer : la balle était rentrée de 20 bons centimètres ». La Voix des Sports considère également que le ballon est entré.
L’arbitre doute-t-il ? On joue la 84e minute, et les crocos jouent la montre : le gardien nîmois, Marc Delaroche, vient cueillir un ballon des deux mains à l’entrée de sa surface de réparation. Au contact avec Dagui Bakari, il s’écroule. Le pied du gardien a-t-il été touché ? Des tribunes, cela n’a rien d’évident. Et pour l’arbitre non plus : M. Veissière accorde un coup-franc aux Lillois : « je lui avais déjà reproché à deux reprises de vouloir gagner du temps. Là, je le vois s’emparer du ballon et tomber. Alors que j’étais convaincu qu’il ne s’était rien passé. J’ai sifflé pour comportement anti-sportif et perte de temps. C’est possible que Marc Delaroche se soit blessé, mais j’ai jugé sur l’instant. J’étais agacé par toutes ces pertes de temps ». Après 4 minutes de confusion, le coup-franc indirect, dans la surface de réparation, est décalé par Carl Tourenne vers Bruno Cheyrou : le ballon est dévié et finit au fond ! Un but que l’on peut voir furtivement sur cette vidéo après 7 secondes. Lille gagne 1-0, et le match finit en pugilat. Il faut que les dirigeants nîmois retiennent leur gardien pour qu’il ne s’en prenne pas à l’arbitre. Mais à divers endroits du terrain, des échauffourées entre Lillois et Nîmois se déclenchent. Après le match, Delaroche est furieux : « M. Veissière a commis une erreur, il a pénalisé tout le monde. Je n’ai pas l’habitude d’être un tricheur ». La presse régionale déplore par ailleurs les nombreuses insultes des joueurs et dirigeants nîmois. Quant à l’entraîneur nîmois, Serge Delmas, ses menaces sont à peine voilées : « La fin du match ? Et alors, on n’aime pas l’injustice, on n’allait quand même pas dire merci. Je n’ai pas l’impression d’avoir été volé, j’en ai la certitude. Mais la route est longue et on se retrouvera à Nîmes ».
Le LOSC conteste l’arbitrage
Le championnat avance, et le LOSC est solidement installé à sa tête, même si les dernières semaines ont été ponctuées des premières (et quasiment seules) contre-performances de la saison : deux défaites consécutives en championnat, face à Sochaux (0-1), puis à Créteil (0-1). Sur ces deux matches, le camp lillois, s’il a reconnu une baisse de régime, a aussi stigmatisé l’arbitrage, prétendument défavorable. Ainsi, contre les Doubistes, un pénalty a probablement été oublié sur Boutoille, tandis qu’à Créteil, les Lillois sont persuadés qu’une tête de Fahmi a franchi la ligne sans que l’arbitre le voit, ce qui avait notamment provoqué l’expulsion de Ted Agasson. C’est l’occasion de rappeler qu’en tout début de saison, lors des 4e et 5e journées, les Lillois ont longuement protesté, d’abord après l’ouverture du score d’Ajaccio à la 66e minute : à l’origine, une touche corse qui voit le ballon riper des mains d’un Ajaccien, qui a par ailleurs un pied levé, ce qui avait suscité un moment d’hésitation de la défense lilloise dont avait profité Granon pour marquer. Lille avait finalement gagné 4-2. 3 jours plus tard, à Châteauroux, l’arbitre accorde un pénalty pour une faute supposée de Hammadou sur Savidan, et les Castelroussins marquent, avant de prendre l’avantage suite à une touche que l’arbitre accorde aux locaux alors que les Lillois l’attendaient. Lille avait finalement gagné 3-2. Enfin, lors de la récente réception de Guingamp, le LOSC a également été au centre de débats sur l’arbitrage avec le show D’Amico et ce match terminé à 9 contre 10. Le LOSC, à commencer par son entraîneur, est donc régulièrement au centre de polémiques relatives à l’arbitrage : gardons ça en tête pour le match retour à Nîmes. Plus récemment, pour revenir au coup de mou des Dogues, ceux-ci viennent d’être éliminés de la coupe de la Ligue par un club de National, le Red Star d’Alain Durand, passeur décisif à la dernière seconde, à Grimonprez (2-2, 1-4 tab).
Deuxième round
Quand arrive la match retour aux stade des Costières, 5 jours après l’élimination contre le Red Star, les circonstances de la fin du match aller reviennent immanquablement : outre le fait qu’ils sont premiers et que chaque adversaire veut son scalp, les Lillois vont-ils vivre l’enfer à Nîmes ? Pour Johnny Ecker, arrivée à 12 ans dans le Gard, pas de problème, ça ira. Il en profite pour illustrer la bonne relation qu’il entretenait avec son ex-entraîneur : « Delmas s’est beaucoup répandu après le match aller. Il a notamment dit que les Lillois avaient fait du cinéma pour obtenir ce coup-franc qu’a marqué Bruno Cheyrou. Du coup, il a lâché des phrases du style « les Nîmois vont vous faire l’enfer au retour ». Qu’il n’oublie pas cependant que lui est Toulousain. Pourquoi parle-t-il au nom des Nîmois ? Ce sera un match difficile parce qu’il y aura face à nous une équipe ardente. Mais pas l’enfer ! ».
Nous sommes le 21 novembre 1999 : on se les caille chez les crocos, mais ça va être chaud. Et le moins que l’on puisse dire, c’est en effet que Nîmes surclasse le LOSC, notamment privé de Wimbée, suspendu, et de Bakari, blessé. Pour la première fois de la saison, les Lillois sont submergés. Notamment, ils ne parviennent pas à contenir un jeune attaquant marocain, Karim Benkouar. Si bien qu’à la 56e minute, les Dogues n’ont rien montré, et sans qu’il n’y ait à redire, ils sont menés 0-3 !
Mais le match bascule à la 64e minute. Jusque-là, les Nîmois dominent toujours, se créent d’intéressantes situations, et marquent même un 4e but à la 63e, refusé car le ballon était précédemment sorti sur un corner. Quasiment dans la continuité, et alors qu’on constate que le match est très heurté (le commentateur prophétise même que ça ne se finira pas à 11 contre 11) sur une balle en profondeur de Cygan, Jean-Louis Valois se retrouve en position favorable à l’angle droit de la surface de réparation. Le gardien nîmois, au cœur du pugilat du match aller, sort de sa surface et touche le ballon de la main. Toutefois, Jean-Louis Valois récupère le ballon et parvient à frapper… à côté. Mais l’arbitre a sifflé : Delaroche est expulsé, et Nîmes va finir à 10 ! C’est évidemment problématique en soi, et ça l’est d’autant plus quand la réglementation, à l’époque, n’autorise que 14 noms sur la feuille de match en D2 : on y trouve alors rarement un gardien remplaçant. C’est donc le milieu de terrain Gérald Martin qui enfile la tunique de Delaroche. Sa première intervention, sur le coup-franc consécutif à la faute, est impeccable : il repousse la frappe de Valois. Mais les Nîmois ont beaucoup donné : ils ne vont quasiment plus passer le milieu de terrain. À la 76e minute, suite à coup-franc tiré par Boutoille, le ballon traîne dans la surface, et Fahmi récupère au second poteau : sa frappe, freinée par Martin, entre : 3-1.
Une folle remontée
Les Nîmois paniquent : ils sentent que le match leur échappe. Benkouar, déjà averti, manque de se faire expulser ; Brouard, lui aussi averti, est proche de sortir. À la 84e, suite à un énième cafouillage, Fernando D’Amico réduit l’écart, avec la complicité de Martin, auteur d’une faute de main. Les Rouges se précipitent sur le ballon pour gagner du temps. « Je crains le pire pour les Nîmois » annonce Didier Notheaux, consultant pour Eurosport. Sur l’engagement, Benkouar arrive légèrement en retard sur Fahmi : il est expulsé et les Crocos vont devoir terminer à 9 ! Désormais, chaque possession de balle lilloise fait passer des frissons aux locaux. Les plans récurrents sur Delmas le montrent intenable, assis, debout, couché, ne sachant plus quoi faire. 89e minute : corner de Valois. Les Nîmois ne sont pas assez pour marquer tout le monde. D’Amico est laissé seul. L’Argentin reprend de la tête. Son coup de boule, dévié par Zugna, trompe Martin, qui s’apprêtait à cueillir le ballon : 3-3 ! Les Lillois poussent pour inscrire un 4e but, mais ni un coup-franc de Fahmi, ni une ultime frappe de Valois, ne donneront la victoire au LOSC. Le match s’achève sur un partage des points. Place désormais au partage des poings.
L’entraîneur des Crocos, Serge Delmas, est le premier à se lancer à l’assaut : il se précipite vers l’arbitre, M. Poulat. Une fois arrivé devant le trio arbitral, son courage lui dicte de reculer. Dans un baroud d’honneur, il retire son bonnet avec véhémence en guise de protestation. Mais à quelques mètres de là, c’est quasiment tout l’effectif nîmois qui s’en prend à Fernando D’Amico qui, à première vue, semble chambrer ses adversaires en levant les bras au ciel. Devant une tribune surexcitée, il faut les interventions des anciens nîmois Ecker, Allibert et Mottet, pour tenter de ramener un semblant de calme. Vahid prend son joueur par les épaules pour le ramener aux vestiaires, moment que choisit Régis Brouard, qui avait déjà l’air très intelligent, pour présenter ses crampons à Fernando. Il faut encore 3 minutes pour que les Lillois gagnent le tunnel des vestiaires, dans lequel s’échangent encore quelques coups. Alors que l’on devrait se réjouir de ramener un point dans de telles circonstances, plus personne ne parle du match. La Voix du Nord s’offusque : « voir un stade se déchaîner à ce point et des joueurs – ceux de l’équipe gardoise en l’occurrence – se noyer dans une violence, verbale et physique, aveugle a de quoi choquer » ; « les Nîmois ont disjoncté » ; « un combat de rue devant une tribune aveuglée par la colère ». La deuxième mi-temps et l’après-match sont à revivre ici :
Après le match, bien sûr, les versions diffèrent. Serge Delmas est furieux et accuse Halilhodzic d’avoir fait pression sur leur corps arbitral par ses récentes déclarations. Au journaliste de la Voix des Sports, il déclare : « ah, vous êtes du Nord ! Eh bien notez bien ce que je vais vous dire : j’ai lu et entendu les plaintes de M. Halilhodzic concernant l’arbitrage ces derniers temps. Plaintes peut-être justifiées. Mais, aujourd’hui, qu’il ne vienne surtout pas me dire que l’arbitre l’a desservi. Ou alors il est daltonien ! Tout bien pesé, il a bien fait de pleurer. M. Poulat a fait ce qu’il fallait pour corriger l’erreur ». Les Lillois, eux, restent longtemps cloîtrés dans le vestiaire. Quand Vahid se décide à sortir, il déclare : « c’est scandaleux. Je ne peux rien dire de plus. Et ce n’est pas la première fois qu’on connaît ça. Souvenez-vous de notre match à Toulouse, où on nous avait agressés. Je suis écoeuré par ce phénomène anti-lillois. Si le président ne fait pas quelque chose, je suis prêt à me retirer ». Passons sur la dramatisation très vahidesque, mais le coach fait ici référence à un match joué début septembre à Toulouse, entre deux des favoris pour la montée. Le match avait aussi été très engagé, et les Toulousains, agressifs, ne s’étaient calmés qu’après l’expulsion de William Prunier à la demi-heure, après un coup de coude dans la figure d’Abdel Fahmi. Lille avait gagné 2-0. Notons par ailleurs que Vahid compte en référer à la Ligue, mais que comme la Ligue a tort, ça risque de favoriser les crocodiles.
Il est évident que le scénario du match a frustré les Nîmois. Quant à Fernando D’Amico, il ne nie pas non plus avoir provoqué pendant le match. Avec nous, il était revenu sur ce match : « Jeunechamp était toujours derrière moi, très méchant. Il ne savait pas rivaliser à la régulière, et il s’enflammait rapidement. Donc il m’insulte, les insultes classiques… Moi je réponds, je l’insulte, mais ce sont normalement des choses qui s’arrêtent quand le match se termine. Quand c’est fini, c’est fini. On a gagné ou on a perdu, et c’est tout, on en reste là. Tu m’insultes, je t’insulte, et on en reste au match, il n’y avait rien de personnel là-dedans. Lui, Cyril Jeunechamp, avait quelque chose de personnel contre moi (…) Le match se termine, des Nîmois viennent vers moi, jaloux, et m’insultent. En Argentine, quand on fait ce geste (il lève les mains), ça veut dire : « j’ai rien fait ». Donc je lève les mains. Et eux ont cru que je les chambrais. Tu crois que moi, je vais chambrer à Nîmes, où les gens étaient tout fous dans le stade ? Après être revenus de 0-3 à 3-3 ? Je suis fou mais pas con ! ». Patrick Collot abonde en ce sens : « au coup de sifflet final, on a tous vu que c’était chaud. On s’est donc regroupé autour de Fernando qui venait de marquer. Et pourtant Fernando n’a pas voulu mettre le feu aux poudres. Comme il voyait qu’on voulait le protéger d’un éventuel accès de fièvre adverse, instinctivement, il s’est dégagé en nous disant : « non, non les gars, ne vous en faîtes pas, ça va aller ». Tout est parti de là ». Régis Brouard, lui, affirme : « D’Amico nous a craché dessus ». Quiconque connaît Fernando sait qu’il postillonne un peu !
Une fois la furie passée, Serge Delmas s’est montré plus mesuré : « il faut nous comprendre. On avait fait de ce match une priorité dans la mesure où nous avons besoin de points et de crédibilité. On mène 3-0 avec au passage trois buts qui ne doivent rien à personne, et ils reviennent grâce à deux expulsions. Notre orgueil est blessé. Il faut nous comprendre, monsieur… ».
Épilogue
6 mois plus tard, le LOSC prépare son retour en D1 en recevant Beauvais pour un match amical. Dans les tribunes, un observateur du club de Montpellier, fraîchement recruté : il s’appelle Serge Delmas. Penaud, il se fait tout petit : beaucoup de spectateurs l’ont en effet reconnu, et lui demandent pendant tout le match de dire que D’Amico est un excellent joueur, entre deux « D’Amicoooo, lalala... ».
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