Posté le 8 mars 2019 - par dbclosc
1955, un premier barrage et une cinquième coupe
Club français au plus grand palmarès de l’après-guerre, le LOSC est en perte de vitesse en 1954/1955 : il est en effet contraint de passer par un barrage pour sauver sa place en première division, à cause notamment d’une fin de championnat bâclée. La saison est toutefois sauvée avec le gain d’une cinquième coupe de France.
Cette saison avait bien mal commencé avec le départ, dans des conditions conflictuelles, du défenseur néerlandais Corry Van Den Hart, qui réclamait une prime de 10 000 francs suite à une nouvelle réglementation sur les internationaux, et que le président Henno refusait de lui octroyer. Le LOSC lui avait pourtant trouvé un remplaçant fin juillet 1954, mais en guise d’arrière central, le club s’est offert l’histoire la plus rocambolesque de son histoire en recrutant un légionnaire déserteur se faisant passer pour le Hongrois Zacharias. Avec la blessure en début de saison du gardien César Ruminski, on se dit que cette saison peut s’annoncer difficile… mais sur le terrain, il n’en paraît rien : lors de l’ouverture du championnat, le LOSC écrase le RC Paris 6-0.
Le LOSC 1954/1955
Debout : Van Cappelen, Clauws, Van Gool, Bieganski, Lemaitre, Somerlinck
Assis : Strappe, Douis, Bourbotte, Vincent, Lefèvre
Moyen en championnat, superbe en coupe
Mais c’est un feu de paille. Alors que Lille, s’appuyant sur une défense intraitable la saison précédente, avait remporté le titre, les absences de Ruminski et Van Der Hart sont pesantes : très vite, on comprend que le LOSC ne pourra pas garder son titre. Il va même probablement connaître le plus mauvais classement de son histoire, ou plutôt le moins bon : au « pire », le LOSC s’est classé 5e lors du dernier « championnat de guerre » en 1945, puis 4e lors du championnat régulier en 1947 et 1953.
Donc pour le moment, rien de catastrophique : nous sommes fin février 1955. La fin de saison s’annonce même peinarde : même si le LOSC vit une saison en deçà des standings auxquels il nous a habitués depuis sa création, la situation sportive après 28 journées (sur 34) est assez claire : en championnat, le LOSC est 7e ! Certes, 13 équipes, de la la 5e à la 17e place se tiennent en 5 points, mais Lille regarde vers le haut. Pourquoi même ne pas tenter d’accrocher le podium, 5 points devant ? (Pour rappel, la victoire est à 2 points ; le 16e dispute un barrage contre le 3e de D2 ; les 17e et 18e sont relégués en D2)
Et surtout, le LOSC est toujours qualifié en coupe de France, dont il a déjà atteint 6 fois la finale depuis la Libération. Après avoir sorti Nantes (3-2), puis Grenoble (3-0), le LOSC a sorti le leader Reims en huitièmes fin mars (1-0), et Toulouse, le deuxième, en quarts mi-avril (1-0). C’est désormais le 3e, Strasbourg, que le LOSC va affronter en demi.
Haie d’honneur des Dogues pour leur gardien Jean Van Gool, qui se marie en avril 1955
Le sprint final
Concentré sur sa coupe, le LOSC traîne en championnat, en ne prenant qu’un point en 3 matches pendant qu’en coupe il éliminait les deux premiers du championnat. Après 31 journées – il reste donc 3 journées – la descente directe en D2 est relativement loin (Troyes, 17e, est à 4 points), mais le barrage, bien que 4 places derrière, n’est plus qu’à 1 point… Faut-il s’inquiéter ? Ou alors des joueurs de la trempe de Bieganski, Strappe, Somerlinck ou Vincent savent doser leurs efforts en priorisant la coupe tout en sachant mettre le coup de collier nécessaire pour obtenir les 2 ou 3 points qu’il manque et assurer le maintien ?
Le 24 avril, pour la 32e journée, Lille reçoit Bordeaux, un autre demi-finaliste de la coupe de France. Si la confiance est de mise côté lillois après la victoire en quart contre Toulouse, la Voix du Nord rappelle opportunément que dès lors qu’il s’agit de championnat, les Lillois perdent de leur superbe. Et c’est précisément ce qui va arriver : le LOSC, bien que devant à 2 reprises, concède le nul (2-2), la faute à un manque d’efficacité des attaquants, notamment Bourbotte et Douis qui « ratèrent des buts faciles et ne surent pas profiter des erreurs d’une défense bordelaise qui parut lourde et mal inspirée ». Ainsi, à la 17e minute, le gardien Bernard relâche une frappe de Bourbotte et « Douis, seul devant le but, reprit la balle pour l’expédier au-dessus de la transversale, alors que le point paraissait immanquable ». Ainsi donc, si Bourbotte ouvre le score (31e), Kargu égalise (41e) ; Vincent redonne l’avantage aux locaux (51e) avant que Grimonpont n’égalise (71e). On apprend après le match que si le gardien des Girondins fut si maladroit, c’est parce qu’il a été handicapé par une sortie à la 5e minute, qui lui a occasionné… une fracture du métacarpe.
Voici le classement : le LOSC prend malgré tout un point sur Metz… et la D2 se retrouve à 2 points. Somme toute, ce point n’est pas une mauvaise affaire.
Après Marseille, serrés comme des sardines au classement
33e journée, direction le Sud pour nos Lillois. Au stade Vélodrome, le LOSC va affronter un OM qui a à cœur de proposer une belle dernière devant son public. Et ça démarre mal : dès la 2e minute, Rusticelli bat Ruminski, puis Luzy fait 2-0 à la 13e. Anderson (44e) puis Marcel (55e) portent la marque à 4-0. Vincent réduit l’écart à la 59e (4-1) mais, débordés en dépit d’un « heading » de Douis sur la barre à la 65e, les Lillois encaissent un 5e but par Rusticelli (75e). 1-5, ça fait mal : « les Lillois n’ont aucune excuse à faire valoir. Ils ont été battus normalement par une équipe marseillaise beaucoup plus rapide ». Et ça fait d’autant plus mal que, pendant ce temps, Nancy a pris un point, et que Metz en a pris 2. C’est donc uniquement grâce à leur goal-average favorable par rapport à Nancy, Metz et Monaco que les Lillois ne sont pas barragistes. Et autre problème de taille : Troyes a également gagné, et revient donc à 2 points de ce groupe de 4. Autrement dit, Troyes n’est pas condamné avant la dernière journée, et va donc disputer son 34e match de la saison pour se sauver… à Lille. On reviendra plus bas sur les enjeux et les scénarios possibles de la dernière journée. En attendant, la Voix du Nord n’est pas tendre avec les Lillois : « nous n’avons jamais eu de fréquentes occasions, cette année, de nous réjouir de la tenue de l’équipe du LOSC (…) Ce que l’amateur ne peut comprendre, c’est que les joueurs du LOSC parviennent à se distinguer en coupe et soient si ternes dans le championnat, depuis la fin de janvier. La débâcle de Marseille est d’autant plus insupportable qu’un seul point aurait suffi aux Lillois pour se tirer d’affaire ».
En route pour la finale
Afin d’évacuer cette cinglante défaite, les Lillois vont pouvoir se projeter dans leur demi-finale de coupe. Pas de chance : Ruminski, gêné depuis le début de saison par un genou, a rechuté. C’est Van Gool qui gardera le but contre Strasbourg, à Colombes. En guise d’amuse-bouche, un amical contre Maubeuge est organisé : Lille gagne au petit trot, en deux périodes de 35 minutes, 3-1 « devant quelques centaines d’amateurs préférant à cette occasion le casse-croûte au plus copieux beefsteack », allez comprendre l’utilité de cette précision dans un article. Les buteurs : Douis, Bourbotte et Lefèvre. Le match s’est terminé avant le clair de lune. Poisse : Strappe s’est blessé : Lenglet devrait donc être aligné comme avant-centre.
La presse régionale s’interroge : face à un adversaire d’une telle qualité, quelle équipe du LOSC allons-nous voir ? « On ne sait plus par quel bout la prendre. Elle est fantasque au possible, instable dans ses résultats ». Même si la coupe semble sublimer les Lillois qui « grâce aux succès qu’ils ont accumulés cette saison, leur laisse un sentiment d’invulnérabilité qui les stimule », c’est surtout, paradoxalement, le beau jeu des Strasbourgeois qui serait un atout pour ce LOSC qui a du mal contre les équipes « au jeu à l’emporte-pièce, mais incisif » comme Nantes, Marseille ou Nancy. Au contraire, « la recherche du beau football, du jeu à ras de terre » de Strasbourg promet un match entre formations aux qualités égales. Bien renseignée, la Voix du Nord balance tout, et après ça se targue d’avoir été créé dans la Résistance : « les Lillois ont prévu une parade : Bieganski ne suivra pas comme l’ombre Stojaspal, avant-centre en retrait. Clauws, dans ces moments, se chargera de l’Autrichien, et Bieganski sera prêt à surveiller Carlier, inter libéré par Clauws ».
9 mai, 15h : c’est parti ! Mauvais présage ? Les Lillois perdent le toss et jouent la première période face au vent. L’avantage, c’est probablement qu’ils joueront la seconde période avec le vent dans le dos. Le LOSC démarre fort, mais ni Douis (3e), ni Bourbotte (4e), ni Vincent (6e) ne trouvent l’ouverture. Les 10 minutes suivantes sont pour Strasbourg, avec 4 corners, dont l’un est dégagé par Pazur, sur la ligne de but, qui supplée Van Gool, battu. Les débats sont équilibrés, ce que reflète le score à la pause : 0-0.
Van Gool s’empare du ballon sous les yeux de, de gauche à droite : Bourbotte, Pazur, Bieganski, Stojaspal et Somerlinck
À la reprise, Lille pousse de nouveau : Lefèvre (53e), Douis (54e), Vincent (55e), puis Lenglet (57e) manquent de peu d’ouvrir le score. Finalement, la libération arrive 5 minutes plus tard : sur un centre de Douis, Lenglet profite d’une hésitation de Borkowski pour ouvrir le score (62e) ! De la 60e à la 70e, le LOSC subit : Van Gool est sauvé par sa barre (65e) avant de réaliser deux superbes arrêts (67e). Et alors qu’on croit l’égalisation proche, Douis envoie un « bolide », un « tir fracassant » de 25 mètres qui fait 2-0 ! Dès lors, les Dogues déroulent et, à Strasbourg, « la pagaille se mit à régner » : à la 75e, Bourbotte fait 3-0 ; Clauws parachève le succès lillois à la 90e (4-0). Lille est en finale, et affrontera Bordeaux.
La Voix salue la « puissance, l’énergie, le sang-froid » des joueurs lillois, Bieganski en tête, ainsi que Lenglet, dont on craignait qu’il ne soit trop tendre pour un match de cet enjeu : « ne crions pas miracle : Lenglet n’est pas Bihel ou Baratte, beaucoup s’en faut. Mais il apporte dans l’attaque une note agressive que l’on ne connaissait plus. Il sprinte pour toutes les balles, même si elles paraissent perdues. Et c’est pour cela qu’il plaît et que parfois, il réussit d’admirables choses. On admire en lui le goût de la lutte, de la hargne. Il donne l’apparence d’aimer son club, de se battre pour lui ». Lenglet a gagné avec cette performance un contrat pro ! Il aurait dû soit retourner dans un club amateur, en l’occurrence Hallencourt, d’où il est originaire, soit signer pro, selon une réglementation nouvelle concernant les stagiaires après une saison dans un club professionnel. Or, la tendance était jusqu’alors au retour de Lenglet à Hallencourt.
La tête à la finale
Après 15 jours d’interruption pour cause de coupe de France et de matches internationaux (au cours desquels 4 lillois ont été sélectionnés en équipe nationale : Bieganski, Louis et Vincent en A, Lefèvre en B), la Division Nationale est de retour. C’est la dernière journée. En bas de tableau, on sait déjà que le CORT est condamné. Pour la descente automatique, Troyes est le mieux placé pour l’accompagner, car il a 2 points de retard sur un groupe de 4 clubs (le LOSC, Metz, Nancy et Monaco) parmi lesquels on trouve probablement le barragiste. On a fait les calculs pour vous : pour se sauver, Troyes doit gagner à Lille. En raison d’une différence de goal-average trop importante, il est improbable que Troyes passe devant le LOSC (il faudrait une victoire de Troyes par 13 buts d’écart). En revanche, en gagnant, les Troyens passeraient à coup sûr devant les Messins, si du moins ces derniers perdent. Donc, pour la dernière journée, Lille s’en sortira quoi qu’il arrive s’il gagne ; en cas de nul, il suffit qu’une des 3 équipes (Monaco, Nancy, Metz) ne gagne pas pour se sauver ; en cas de défaite, il faut que l’une des 3 mêmes équipes perde. Tout autre scénario envoie le LOSC en barrage.
Mais la Voix du Nord le souligne bien : ce qui préoccupe les Lillois, c’est bien la préparation de la finale de la coupe de France : « bien que l’on ne dissimule pas l’intérêt et l’importance de cette rencontre, elle ne retient pas l’attention des Lillois. On considère que Lille battra Troyes. Ce qui compte, c’est la finale. Et plus encore, les billets pour la finale ». Cela fait déjà 8 jours que les supporters du LOSC cherchent à se procurer des places, et le secrétariat du club est « positivement assiégé par des gens très respectables qui sont prêts à de gros sacrifices pour obtenir une toute petite place de tribune ». Le LOSC a obtenu de la fédération 4 500 places (2 000 assises, 2 500 debout). La priorité va aux 1600 abonnés qui, parfois, réclament une place supplémentaire qu’il est difficile de refuser car, selon L. Henno, « chaque saison, ils nous font une avance de 8 millions ». Le président du LOSC s’émeut auprès du président de la fédération que chaque club finaliste ne dispose que de 4 500 places, alors que le stade de Colombes en compte 65 000, et demande une rallonge : « jovial et conciliant comme le sont toujours les présidents, M. Pochonnet a répondu : « mon gros, tu sais bien que je ne peux rien te refuser ! ». Mais Monsieur Henno attend toujours ». Et voilà que le préfet, ses chefs de cabinet, les sous-préfets et chefs de division veulent aussi assister au match, si bien que M. Henno « se fait autant d’amis que d’ennemis en pareille circonstance ». Idem pour Gaston Davidson, président de la section des supporters qui « se trouve des tas d’amis inconnus ».
Pour ce dernier match de championnat de la saison – a priori – le LOSC doit de nouveau faire sans Ruminski et Strappe. De plus, Lemaître, blessé à une cuisse, est remplacé par Van Cappelen. Confiance mais prudence : « les Bonnetiers présenteront leur équipe au grand complet et des attaquants comme Ben Tifour, Winckler, Flamion, Bessonart ne sont pas à dédaigner. Ils donneront du travail à la défense lilloise qui devra se montrer d’autant plus prudente qu’elle sera privée des services de son arrière gauche titulaire Lemaître ».
Ça démarre très bien : après 25 minutes de jeu, Vincent ouvre le score, trompant la vigilance de Flamion. Oui, Flamion, l’attaquant de Troyes, qui a échangé sa place avec Landi, l’habituel gardien, blessé d’entrée de match. À la pause, le LOSC est devant, et l’issue de la saison paraît toute tracée pour les deux adversaires du jour. Et pourtant : « les Loscistes, au lieu de demeurer calmes, d’organiser leur défense comme ils savent si bien le faire en coupe, s’affolèrent, commirent de lourdes fautes de marquage. Figés, parfois incapables de réaction rapide devant des adversaires dont la qualité essentielle était la mobilité, ils furent ballotés de toutes parts ». En début de seconde période, Delcampe égalise, mais « ce n’était pas encore tragique pour le LOSC ». Landi reprend sa place dans le but troyen. Le match se transforme en n’importe quoi, « une pagaille » : « l’enjeu de ce match se limitait à quelques combats singuliers ». Et Troyes porte le danger : « Bessonnart et Ben Tifour semaient la panique dans la défense locale, et chaque fois que Ben Tifour prenait la balle, des sueurs froides coulaient dans le dos des supporters locaux ». Inévitablement, l’international français marquait le 2e but de son équipe à la 68e. Les Dogues attaquent alors de manière désorganisée, sans se créer d’occasion : « Lille était dans un jour horrible et l’on n’arrive pas à comprendre comment en 15 jours une équipe peut se transformer de la sorte ». Le LOSC s’incline 1-2 ; Nancy ayant gagné et Metz et Monaco ayant pris un point, le LOSC est 16e, son pire classement de la saison, au plus mauvais moment : il faudra jouer un barrage pour garder sa place en D1. Ce sera contre Rennes. La coupe de France a-t-elle encore de l’importance dans ces circonstances ?
Ce diable de Ben Tifour poursuivi par Bieganski et ses grands compas
Le 24 mai, dans un éditorial, la Voix du Nord regrette que se soit trouvée réduite « la puissance acquise par la fusion des éléments de l’Olympique Lillois et du SC Fivois (…) Si la ville de Lille, après celles de Roubaix et de Tourcoing, perd tout contact avec l’élite du football français, pour une période dont il sera impossible de déterminer la durée, il faudra bien exposer au grand jour les erreurs commises dans maints domaines, depuis deux ans à peu près (…) Quelqu’un disait à la sortie du stade Henri-Jooris, dimanche, que l’équipe actuelle du LOSC serait nettement battue par les équipes de l’OL et de Fives d’avant-guerre. Elles lui étaient supérieures par la valeur technique de l’ensemble, et plus encore par l’énergie déployée en toutes circonstances. Tout cela qui doit être vrai met le niveau actuel du football lillois à un degré assez bas et explique le désintéressement des foules sportives. Comme quoi nous n’avions pas besoin d’un stade de 40 000 places… ». Oui, ça date de 1955.
Bon ben on se retrouve comme des cons là. On pensait avoir l’esprit libéré pour préparer dans les meilleurs conditions la quête d’une cinquième coupe de France, et voilà que cette finale devient presque superflue.
Les Lillois s’entraînent à Henri-Jooris en attendant leur départ le jeudi soir pour Brunoy, en Seine-et-Oise, où ils résideront à l’hôtel du Cheval blanc. Jean Chantry, de la VDN, y a vu Vincent, Strappe et Douis envoyer des « shoots terrifiants » : « vraiment, on se demande pourquoi ce qui est si bien fait à l’entraînement donne un résultat pitoyable quand il s’agit d’un match officiel ». Une fois arrivé en région parisienne, Strappe a à cœur de montrer qu’il est rétabli pour la finale : « je ne voudrais pas me présenter devant M. Coty sans être en parfaite condition. Ce serait lâche de prendre la place d’un copain et de laisser l’équipe à 10 après un quart d’heure de jeu ». Le vendredi après-midi, détente pour nos Dogues, de passage au vélodrome miniature de Brunoy, où « Lefèvre, Donis, Bieganski s’amusèrent comme des gosses sur des vélos de toutes dimensions » sous l’oeil inquiet de Cheuva, Klès et Dassonville, craignant une bête blessure. Au programme du samedi : footing le matin « cours tactique et conférence » l’après-midi, au cours de laquelle « il sera fait appel aux sentiments : le renom du club, la petite fibre locale y seront particulièrement soulignés, afin de mieux faire comprendre aux footballeurs lillois l’importance de la lutte qu’ils auront à livrer ».
3 trains et « une centaine d’autocars » font le déplacement à Colombes. Événement : la finale est télévisée. Ce n’est pas une première et le parc des téléviseurs est encore assez faible à l’époque, mais c’est notable tant les relations entre la fédération de football et la télévision sont conflictuelles. Toujours la même question : à quel visage du LOSC allons-nous avoir droit ? Celui, pataud, du championnat ou celui, virevolant, de la coupe ? La réponse arrive assez vite : dès la 6e minute, Vincent marque un premier but de la tête sur un centre de Lefèvre initialement repoussé par le gardien : « d’entrée, on eut la certitude que Lille allait gagner. Les loscistes semblaient voler sur le terrain. Ils étaient partout où la moindre once de danger pouvait se manifester. En 3 passes, la balle était devant le but bordelais et, toujours, un shoot partait dans de bonnes conditions ». « Déjà inspirée, soudée et bien en train, l’équipe devint irrésistible » : mis à part quelques minutes autour du quart d’heure où le LOSC subit, rien ne semble plus pouvoir atteindre négativement le LOSC. « Soudain, piqué par on ne sait quelle mouche, Douis se déchaîna. On le vit à droite, à gauche, toujours élégant, souverain » : il centre sur la tête de Lefèvre qui heurte la barre ; un instant après, il inscrit le 2e but lillois après s’être ouvert le but d’une feinte sur le gardien (27e). 3 minutes après, à une quinzaine de mètres du but bordelais, Douis arme à nouveau et surprend encore Astresses : 3-0 ! Face à des Bordelais « débordés, accablés », Bourbotte inscrit un 4e but, en deux temps, bien servi par Douis (34e) : « c’était la ruine totale de ce match ». À la 37e, Lefèvre ajoute même un cinquième but, refusé par l’arbitre pour des raisons que la VDN n’a pas comprises. Pour un ouvrage relatif au football au stade Henri-Jooris que nous avons consulté, si l’arbitre n’a pas accordé ce but, c’est pour « ne pas condamner trop tôt les malheureux bordelais ». Résultat, les malheureux bordelais reviennent à 1-4 juste avant la pause. À l’heure de jeu, ils reviennnent même à 2-4. Mais, à la 75e, Bourbotte conclut la fête en reprenant de volée un corner de Lefèvre. Lille remporte encore la coupe de France, et c’est probablement la plus éclatante de ses finales.
Lefèvre est ravi : « une tête sur la barre, un but refusé, deux autres ratés. Quelle poisse pour cette finale ! ». Mais le LOSC remporte donc sa cinquième coupe de France ! C’est la fête ! Non, ce n’est pas vraiment la fête. André Cheuva a interdit le champagne : « ça vous apprendra ! Vous n’aviez qu’à mieux jouer en championnat ! ». N’attendaient les Dogues qu’« une vulgaire tisane et des bouteilles d’eau minérale ». On apprend finalement qu’un dirigeant bordelais, M. Balarès, est entré dans le vestiaire lillois avec un quadruple magnum de vin blanc : « on ne saura jamais par quelle opération du Saint-Esprit il disparut. Un quart d’heure après, le divin flacon traînait dans un coin, vidé ».
Place au barrage
André Cheuva, après avoir enterré son père le 1er juin, emmène son équipe à Jonchéry-sur-Vesle, dans la Marne, le premier barrage se déroulant à Reims. Il espère bien reconduire la même équipe contre Rennes que celle qui a triomphé en coupe. Il manque Roland Clauws, qui se marie mais reviendra vite à l’essentiel et sera disponible ce week-end.
On connaissait la clause de mariage, voici le mariage de Clauws
Il paraît que les Rennais en veulent aux Lillois, qui auraient « faussé les barrages » en perdant contre Troyes : « contre le LOSC, disent les Rennais, nous n’avons aucune chance. C’est Troyes, Metz ou Monaco que nous aurions dû rencontrer. Lille n’est pas une équipe mûre pour la seconde division ». L’entraîneur, Artigas, est bien plus nuancé : « il apparaît que le LOSC n’est pas le même en championnat qu’en coupe de France. Allons ! Si nous ne devons pas être considérés comme favoris, nous ne devons pas être sacrifiés à l’avance ». L’entraîneur rennais est aussi joueur : à 38 ans, il a décidé de se titulariser en milieu de terrain. Il dit qu’il a bien préparé la confrontation contre le LOSC, notamment en regardant les actualités cinématographiques (une espèce d’ancêtre du JT, qui passait avant le film de la semaine dans les cinémas), où la finale Lille/Bordeaux était amplement développée. Espérons pour lui que les images étaient de meilleure qualité que celles du résumé posté plus haut.
Côté supporters lillois, une micheline fait le trajet jusque Reims : départ de Lille à 8h301 pour un coup d’envoi à 15h ce 5 juin.
Le match est fermé. Les Rennais sont venus pour défendre, et seulement pour défendre. La VDN évoque le « béton breton » : un marquage strict, et la quasi-impossibilité pour les Lillois de se mouvoir. « Les Rennais étaient sur notre dos avant que nous ne soyions en possession du ballon. Nous n’avions même pas le temps de faire une déviation » déplore Lefèvre. De l’autre côté du terrain, l’attaque rennaise n’en est même pas une : « il n’y avait pas d’ailier gauche, et à droite, Aubautret, bon joueur, n’avait rien d’un ailier et multipliait les rentrées vers le centre. Donc, pas d’avants de pointe ». Lille est coincé, et Rennes n’envoie que de vagues centres qu’intercepte sans problème Van Gool. À la mi-temps, c’est 0-0. à la reprise, même scénario : « les Lillois, qui avaient aussi peur que les Rennais, n’osaient pas se découvrir ». À la 54e, les Dogues trouvent enfin l’ouverture : Strappe remonte le ballon côté droit, efface 2 adversaires et centre en retrait ; Douis gêne habilement le gardien et Bourbotte, opportuniste, ouvre la marque ! « Nous vous jurons qu’à ce moment, et à ce moment seulement, les poitrines nordistes se décontractèrent. André Cheuva, sur son banc, sortit un mouchoir et s’épongea ». Le match se termine dans l’ennui. Rennes tente de sortir, mais cette fois les Lillois attendent, et le match s’achève sur une première manche gagnée 1-0.
Pour le barrage retour, les Lillois se mettent au vert à Maisons-Laffitte. Ils sont décidés à ne pas reproduire le scénario du barrage aller, en marquant d’entrée, et en obligeant ainsi Rennes à sortir. Coup d’envoi donné à 16h au Parc des Princes : Rennes, manifestement, a décidé d’attaquer. Il faut dire que les Bretons n’ont pas vraiment le choix. Ils attaquent alors de manière désordonnée : le LOSC plie, dès la 5e minute. Alors que Van Gool est à terre, Baillot frappe, mais de manière précipitée et envoie le ballon à côté. « Dieu seul sait ce qui fut advenu d’une équipe lilloise remontée au score » : Lille tient encore 10 minutes et sort à son tour. Sur sa première attaque bien construite, Vincent centre sur la tête de Bourbotte qui ouvre le score (16e). Le match était déjà plié. Rennes continuait d’attaquer de manière toujours plus inoffensive, et Lille jouait désormais rapidement en contre-attaque. Ce schéma fait alors ressortir l’écart technique entre les deux équipes : les Lillois étaient rapides et précis, les Rennais étaient lents et « monocordes », leurs attaquants se faisant surtout remarquer pour « l’indigence de leurs tirs ». Et à la 36e, logiquement, un dégagement de Van Gool, relayé par Pazur, parvient à Bourbotte qui réalise un doublé : 2-0 à la mi-temps ! Dès la reprise, Bernard Lefèvre fait 3-0 après avoir dribblé Le Boadec et Pinat (48e). Les Bretons, dans la foulée, réduisent l’écart par Artigas, reprenant un tir sur le poteau de Baillot (3-1, 50e). Puis « à chaque action éclatait la supériorité des Lillois » : Lefèvre inscrit un 4e but (63e), puis au but d’une action collective Somerlynck-Strappe-Douis, Vincent place le ballon entre les jambes de Pinat (5-1, 67e)
Bourbotte y va de son triplé à la 71e (6-1). « Le jeu du LOSC était infiniment plus riche, plus complet. Mais on ne le vit que lorsque furent disparus tous les sujets de crainte, car tant qu’il fut en danger, le LOSC joua mal ». Tout à sa joie, un groupe de supporters écrit à la Voix du Nord pour remercier ses journalistes, en particulier MM. Charlet et Chantry, de leurs judicieuses critiques sur leur club durant la saison, et notamment depuis la défaite en janvier à domicile contre Nancy (2-5). En voici un extrait :
« L’euphorie de la victoire ne doit pas faire oublier que le LOSC a une renommée nationale que ses dirigeants n’ont pas le droit de diminuer (…) La saison est finie, oublions les regrets, les déceptions, mais dès maintenant, préparons la saison prochaine. Nous faisons appel à votre sens judicieux, votre connaissance des joueurs, pour que ne se renouvellent pas les erreurs, les situations comiques et cruelles pour nous. L’étonnante renommée du LOSC et de Lille impose, à notre avis, la création d’un comité de gestion qui comprendrait quelques personnalités qualifiées, des représentants des supporters, et surtout des critiques sportifs de la presse de Lille ; ce comité veillerait à émettre des suggestions, des critiques, dont les dirigeants devraient tenir compte pour un rendement maximum.
Nous vous faisons confiance car nous savons votre dévouement au LOSC et à tous les sports où le renom de la ville de Lille est en jeu.
Merci. Vive le LOSC, vive Lille, vive La Voix du Nord »
À l’issue de performances décevantes en championnat, le LOSC se maintient donc en première division. La saison a été marquée par une part de malchance (les blessures de Ruminski et de Strappe), mais aussi par des tâtonnements qui ont lourdement pesé (le remplacement de Van Der Hart, l’incapacité à percevoir le danger de la relégation à partir de janvier). Pour Louis Henno, « ces émotions vont rendre à chacun le goût de la lutte, de l’entreprise. Nous allons nous remuer davantage. Ceci a été une bonne leçon pour nous tous » : ces intentions ne seront malheureusement pas suivies d’effets, puisque dès la saison suivante, de nouvelles erreurs conduisent encore à la 16e place et, cette fois, les barrages ne souriront pas aux Dogues. Finalement, cette saison 1954-1955 marque la fin d’une époque. L’équipe a affiché deux visages : l’un, excellent, en coupe, comme les derniers soubresauts d’une glorieuse décennie, l’autre, inquiétant, en championnat, comme les prémisses d’années bien plus difficiles.
La saison s’achève sur un transfert-surprise
FC Notes
1 Cet horaire est déterminé pour permettre aux supporters qui le souhaitent « d’accomplir leurs devoirs électoraux », indique la Voix du Nord. Mais il n’y a pas d’élection le 5 juin 1955. Mystère.
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