Posté le 9 mars 2019 - par dbclosc
1955, un barrage pour rien ? « L’affaire du Red Star »
En 1955, le LOSC, 16e du championnat, est contraint de jouer un barrage contre Rennes, 3e de D2, pour garder sa place en D1. Pour se maintenir dans l’élite en s’épargnant une double confrontation à l’issue incertaine, il lui suffisait pourtant de faire comme Troyes : terminer une place derrière, 17e. Retour sur un complot flagrant lié à une affaire de corruption en D2.
On en a parlé dans cet article, dont on vous recommande chaudement la lecture pour comprendre cette fin de saison : en 1955, le LOSC, s’il remporte une nouvelle coupe de France, réalise un championnat très médiocre qu’il termine à la 16e place et le conduit pour la première fois de son histoire à disputer un barrage, contre Rennes, 3e de deuxième division, derrière Sedan et le Red Star. En effet, lors de la 34e et dernière journée, les Lillois, 13e, qui ont peut-être inconsciemment privilégié la coupe de France et pris à la légère leur dernier match de la saison contre Troyes, 17e, s’inclinent 1-2 à Henri-Jooris. Ils perdent donc trois places, tandis que les Troyens, qui avaient un infime espoir de se maintenir en cas de large victoire et d’autres résultats favorables, restent 17e et sont donc condamnés à la D2. Et comme le barrage entre Lille et Rennes a vu le LOSC s’en tirer assez facilement (7-1 sur les deux matches), voici le dénouement sportif de la saison : les Dogues verront la D1 en 1955-1956, en compagnie des promus Sedan et Red Star, tandis que Troyes et Roubaix-Tourcoing sont relégués en D2, et Rennes y reste. Un verdict logique pour le joueur Troyen Pierre Flamion : « si nous sommes à cette place, nous l’avons bien mérité. Notre équipe était vraiment faible ». Et pourtant, rappelez-vous, on en a parlé ici : à l’issue de la saison 1955/1956, Troyes est (de nouveau) relégué en deuxième division ! Que s’est-il donc passé entretemps ?
Le classement final de D1 1954/1955
Le Red Star, deuxième de D2, mis en cause
Pour comprendre cette affaire, il faut aller voir ce qui se passe en D2. Le 24 juin, le comité directeur du Groupement professionnel (l’ancêtre de la LFP), via son président Paul Nicolas, informe qu’il a ouvert une enquête à propos des agissements de certains clubs de deuxième division. Est particulièrement visé : le Red Star, qui a terminé deuxième du championnat. Une enquête est en cours pour déterminer précisément les responsabilités, mais il est reproché au club audonien d’avoir « offert des surprimes » à des clubs qui affrontaient ses adversaires. Cela signifie donc qui si les faits sont avérés, il y a des complicités dans d’autres clubs. Trois mesures sont d’ores et déjà prises, après l’audition du président du Red Star, Gilbert Zenatti : le Red Star est déclassé (il ne montera donc pas en première division) ; il jouera la saison 1955/1956 en deuxième division ; il n’y aura que 17 clubs en D1 à la rentrée, et donc un exempt lors de chaque journée.
La crise des surprimes
Le président du groupement, Paul Nicolas, fait un point presse le 28 juin pour apporter des précisions sur ce qui est d’ores et déjà appelé « L’affaire du Red Star ». Début juin, le Groupement a lancé une enquête suite à des rumeurs suffisamment graves et persistantes concernant « des manœuvres déloyales et susceptibles d’entacher la régularité du championnat de 2e division » qui auraient été réalisées par des personnes gravitant autour du club francilien. Il précise : « cette enquête n’est pas terminée, mais la gravité des faits m’a mis dans l’obligation de demander au comité directeur des sanctions immédiates. En effet, le Red Star, à maintes reprises au cours des matches retour de la compétition, a versé à des équipes qui rencontraient ses rivaux les plus directs des sommes importantes pour les inciter à les battre. Cela a été prouvé et reconnu ». Il semble que l’alerte soit d’abord venue de Valenciennes, dont la présidence signale dès le mois de mars au secrétariat du Groupement des tentatives d’approches de ses joueurs venant du Red Star. Puis c’est Marcel Langiller (passé par l’Excelsior Roubaix), président du CA Paris qui a fait savoir que ses joueurs avaient touché des surprimes de 5 000 à 10 000 francs pour des matches contre Le Havre et Rennes.
Paul Nicolas, alors joueur d’Amiens, face à l’Iris Club Lillois, en 1931 (photo prise sur le site Azur et Noir)
En guise de preuve, M. Nicolas présente aux journalistes le talon d’un mandat de 120 000 francs destiné à l’entraîneur de Montpellier, Marcel Tomazover (passé lui par le RC Roubaix), suite à la victoire de Montpellier contre Le Havre, qui visait la montée. Ce mandat est adressé par un certain « M. Charles », qui demeure 7 rue de la Condamine à Paris. Or, à cette adresse, résident des joueurs du Red Star, ainsi que l’entraîneur, Charles Nicolas ! Également auditionné, Charles Nicolas dément ces accusations. Oui mais voilà : l’entraîneur de Grenoble, Jean Belver, a affirmé qu’à la suite du match joué par son équipe à Saint-Ouen, Charles Nicolas lui a promis que si son équipe battait les rivaux du Red Star, il recevrait « un bouquet ». Pas improbable, mais difficile d’imaginer qu’il s’agit de fleurs.
♫ Ils ont filé des ronds, vive les Bretons ♫
Comme si c’était une circonstance atténuante qui ne méritait pas la dénomination de « corruption », Paul Nicolas précise qu’à ce stade de l’enquête, on ne trouve pas la trace de joueurs ou de clubs ayant été sollicités pour perdre contre le Red Star : « néanmoins, j’ai estimé, avec le Comité, que le fait d’accorder des surprimes constituait une manœuvre déloyale et que le Red Star, s’il s’est classé second, n’y était pas parvenu sur sa propre valeur ». Concernant les responsabilités individuelles, il semble que les approches d’autres clubs aient été faites par un membre du club des supporters (« Les amis du Red Star »), et « deux personnes de l’entourage » du président du Red Star. Et le président du club ? « Quant à M. Zanetti – que les déclarations faites paraissent mettre hors de cause – on peut justement lui reprocher d’avoir tout ignoré de cette affaire ». À un journaliste qui lui demande si d’autres clubs seraient impliqués, P. Nicolas met hors de cause les clubs approchés, mais affirme que des dirigeants du Stade Rennais ont aisément reconnu qu’avant Besançon/Red Star, ils ont offert 300 000 francs aux Francs-Comtois, en présentant cette démarche comme « une proposition d’auto-défense, pour contrebalancer les agissements – déjà connus, parait-il, dans la cité bretonne – du Red Star »1. Non mais franchement! En tout cas, info intéressante : Rennes, adversaire de Lille en barrage, aurait donc recouru aux mêmes méthodes que le Red Star.
Valenciennes, 5e de D2, brigue l’accession en D1
Les révélations du Groupement mettent particulièrement l’USVA en émoi. Ainsi, le vice-président De Breyne réagit avec véhémence : « Faudra-t-il, pour que Valenciennes mérite sa place en Nationale, qu’il prévoie un budget spécial destiné à alimenter les caisses de ses adversaires ? ». Et si on est si mécontent à Valenciennes, c’est parce que l’USVA a fini 5e, et qu’en l’état actuel des budgets présentés au Groupement (fin juin), le 4e, Le Havre, ne présente pas les garanties pour se maintenir en D2, et donc encore moins pour postuler à la D1 en cas de désistement devant. Or, le Groupement a finalement laissé entendre qu’il pourrait intégrer un 18e club en D1, les Valenciennois se sentent donc lésés mais posent leur candidature à une accession : « une aubaine pareille ne peut se refuser, ajoute M. De Breyne. J’ai écrit à M. Paul Nicolas pour poser la candidature de l’USVA au cas où, pour des raisons diverses, Rennes et Le Havre ne seraient pas retenus ». Il faut traduire « raisons diverses » par : corruption pour Rennes, soucis financiers pour Le Havre.
En Une de la Voix du Nord, 12 et 13 juin 1955
Le Red Star réplique
Suite à la conférence de presse de Paul Nicolas, le président Zenatti tient à réagir, avec une brillante argumentation en 5 points, que l’on vous résume :
1. Ce sont des mécènes étrangers au club qui ont donné de l’argent. Ils pensaient bien faire et agir pour le bien du Red Star « sans pour cela fausser le cours du championnat, puisqu’il s’agissait de primes de victoires ». Ils n’ont fait ça que parce que d’autres clubs « bien placés pour l’accession en Division Nationale » font la même chose. Outch !
2. Y a pas de primes systématiques puisque « à ce jour » (c’est pas un aveu ça ?), seuls deux clubs en ont bénéficié : Montpellier et le CA Paris.
3. Sur la déclaration de Charles Nicolas (entraîneur du Red Star) à Jean Belver (entraîneur de Grenoble) qui promettait « un bouquet » : libre à chacun d’y voir une allusion financière ; « ceux qui veulent n’y voir un encouragement le peuvent également ». Et d’ailleurs, un mois après cette réflexion, Zenatti s’étonne que Belver lui ai proposé ses services pour la prochaine saison.
4. J’ai toujours tout ignoré des interventions des « amis du Red Star ».
5. Là, on vous met le passage in extenso, car ça vaut son pesant de coucougnettes : « le mot « corruption » employé à l’encontre du Red Star, pour désigner le geste d’amis qui accordent une prime à des joueurs pour donner le meilleur d’eux-mêmes semble pour le moins exagéré ».
En conclusion, Zenatti insiste : non vraiment, c’est pas juste, parce que c’est pas des gens de chez nous, et d’autres clubs font pareil, donc si on nous déclasse, il faut les déclasser aussi. Il ne semble guère faire de doute que Zenatti vise Rennes. Mais c’est le dilemme du numéro 9 et du match de poule : qui a commencé ?
Un seul promu, un seul relégué
Le 18 juillet, une nouvelle réunion du groupement apporte de nouvelles précisions. Outre les cas de surprime avérés pour des joueurs de Montpellier et du CA Paris, il s’avère que Jean Belver a bien touché 10 000 francs. En outre, Serge Schoenhenzel, gardien de but de Toulon, a dans un premier temps déclaré dans une déposition par écrit qu’il avait reçu de Charles Nicolas, l’entraîneur du Red Star, la somme de 150 000 francs pour se montrer maladroit lors d’un Toulon/Red Star (0-4). Si l’argument consistant à nier la corruption au motif qu’on ne paye pas des joueurs pour lever le pied était jusqu’alors avancé par Zenatti, ça commence à sentir mauvais ! Convoqué au Groupement, Schoenhenzel se rétracte oralement, et explique qu’il a monté cette histoire de toutes pièces pour nuire à son ex-entraîneur qui ne l’avait pas gardé quand il était chez les audoniens. Mais son récit est si incohérent et ses contradictions si flagrantes qu’il est radié à vie (après consultation de son livret de caisse d’épargne). Enfin, Delmas, capitaine du CA Paris, est venu témoigner que Charles Nicolas lui avait personnellement demandé que son équipe lève le pied, contre le Red Star et de l’argent, on appelle ça un zeugma. Charles Nicolas est également radié à vie, cette radiation étant également effective dans le monde amateur. Le président Zenatti est suspendu 3 ans pour « négligence ».
Concernant l’équipe de Rennes, adversaire de Lille, le Groupement précise que l’enquête continue. Et la Voix du Nord précise bien : « au cours de cette réunion, il ne fut pas un seul instant question des Bretons pour prendre la place du Red Star en Division 1 ». Le Havre, 4e, n’a toujours pas apporté de garanties suffisantes pour jouer en D2, donc hors de question de voir les Normands en D1. Alors, Valenciennes ? Mais le rôle de certains joueurs de l’USVA n’est pas net… En fait, la méfiance s’est abattue sur les clubs de D2. Par conséquent, les clubs de D1 ayant affirmé leur hostilité à un championnat à 17, seul Sedan est promu, et c’est Troyes, 17e de l’exercice 1954/1955, qui sera la 18e équipe de D1.
Epilogue
Seul le Red Star et le gardien toulonnais ont été sanctionnés dans cette histoire. L’enquête du Groupement n’a pas permis d’établir clairement les responsabilités du côté, notamment, de Rennes et de Montpellier.
Question (que vous pouvez facilement identifier par vous-même grâce à la présence d’un point d’interrogation à la fin) : que se serait-il passé si Lille avait perdu le barrage contre Rennes ?
On n’ose imaginer que Rennes accède à la D1, et que Troyes y reste également, alors que les Aubois ont terminé derrière le LOSC ! Plus probablement, on peut penser que si Rennes avait remporté le barrage, il aurait dans un premier temps, logiquement, accédé à la D1. Puis que face aux difficultés du Red Star, Lille, 16e, aurait été repêché. Et qu’ensuite, les affaires autour de Rennes en D1 auraient suscité une enquête plus approfondie, du fait de leur présence en D1. Il se peut donc qu’en cas de corruption des Bretons, l’accession leur soit finalement refusée, et alors Troyes aurait été repêché aussi, puisqu’il semble que les soupçons généralisés sur la D2 empêchent le Groupement de favoriser l’accession des poursuivants du Red Star. Mais à l’avenir, il serait bon que le Groupement reconnaisse directement son rôle actif dans le complot contre le LOSC : si l’enquête avait été lancée dès les premières suspicions, on n’aurait pu s’épargner un barrage, et la vexation de voir le 17e se maintenir en ayant fait une saison encore plus nulle que la nôtre.
FC Note :
1 Besançon s’est incliné 0-6, à vous dégoûter de la corruption.
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