Posté le 13 juillet 2019 - par dbclosc
Patrick Collot : « Ce n’est pas parce qu’on est discret qu’on n’a pas de caractère »
Deuxième partie de notre entretien avec Patrick Collot, dans laquelle il revient sur ses reconversions après sa retraite des terrains au cours de la saison 2001/2002.
La première partie est à lire ici !
Tu as terminé ta carrière de footballeur au cours de la saison 2001/2002. Dans quelle mesure as-tu préparé ta reconversion ?
Je n’y ai pas véritablement réfléchi. Lors de la saison 2001-2002, avant la trêve, Vahid me convoque dans son bureau. À cette époque, le club était en construction et il fallait tout structurer. Vahid m’évoque clairement la situation : « Patrick, tu es en fin de contrat en fin de saison, je veux créer une cellule de recrutement ». Une seule personne était éventuellement chargée d’aller voir les adversaires à l’époque : c’était Marcel Campagnac. Et donc Vahid poursuit : « moi je pense que c’est le bon moment : tu vas sur tes 35 ans, réfléchis, je te laisse les vacances, durant la coupure entre Noël et nouvel an, mais si ça t’intéresse, je voudrais que tu intègres la cellule de recrutement ». C’est vrai que je commençais un peu à m’essouffler car je jouais de moins en moins ; je m’entraînais mais je n’avais pas beaucoup de temps de jeu, donc c’était de plus en plus fatigant de toujours donner physiquement et psychologiquement, et de ne pas avoir beaucoup de temps de jeu. C’était une décision difficile, car quand on est joueur, se dire qu’il faut arrêter… Et puis je pensais que j’irais jusqu’à la fin de la saison. Ensuite, si on ne m’avait rien proposé, je serais peut-être parti en deuxième division ou en National. J’ai discuté avec Emmanuelle, mon épouse, et on a décidé de passer à autre chose, en cours de saison. C’est-à-dire que je suis parti en vacances fin 2001 en tant que joueur du LOSC, et je suis revenu début 2002 en tant que membre de l’encadrement. Vahid a voulu me remercier par rapport à tout l’investissement, tout le travail, il m’a donné la possibilité de travailler dans une autre fonction et de me reconvertir à l’intérieur du club. Donc j’ai saisi cette opportunité, ce qui m’a permis par la suite de faire maintes choses au club. C’était une décision importante, une décision qui m’a permis d’être là où je suis encore.
Comment as-tu vécu cette transition entre tes deux carrières ?
Au début ça m’a fait un bien fou : de ne plus me lever le matin, de ne plus aller faire les efforts, de ne plus aller courir… Et puis de découvrir un autre travail ! Et au bout de 2-3 mois, j’ai eu le blues. Je me suis demandé : est-ce que j’ai pris la bonne décision ? Le vestiaire me manquait. Quand on s’occupe du recrutement, on s’en va à droite, à gauche, on regarde des matches, on prend des notes, mais on est tout seul, on n’est plus avec les équipiers, les copains, on ne vit plus les déceptions et les victoires. Pendant quelques mois, jusqu’à la fin de la saison, j’ai eu des difficultés. Puis petit à petit, les choses se font et se normalisent.
« Vahid Halilhodzic et Claude Puel m’ont jugé à l’aune de mon travail »
À la fin de cette saison, Vahid Halilhodzic s’en va, et Claude Puel arrive. Est-ce que ça a changé quelque chose pour toi ? Comment s’est faite la rencontre ?
Ça a été encore compliqué… En tant que joueur, j’avais un fonctionnement dans le vestiaire, j’étais là pour faire vivre le groupe car j’étais la personne désignée pour faire ça, et j’avais donc une relation particulière avec l’entraîneur. Quand Claude Puel est arrivé, première rencontre que j’ai eue avec lui (rires) : je dis bonjour, je me présente, et Claude Puel a cette réflexion, je m’en souviendrai toute ma vie : « Ah oui, c’est toi le bras droit de Vahid Halilhodzic… ! ». Je prends sur moi… Et comme je suis franc et droit, je lui réponds : « je ne suis le bras droit de personne ! Moi j’étais là pour que le groupe et le club fonctionnent le mieux possible. Mais si vous estimez que travailler à faire fonctionner un groupe dans un vestiaire le mieux possible avec l’entraîneur, c’est être le bras droit de Vahid Halilhodzic, vous en avez le droit… ». Et on s’est séparés comme ça. Je me suis dis « oulalala, je ne vais pas faire long feu, je crois qu’il va me virer dans les quelques semaines ou quelques mois qui vont arriver ! ». Et petit à petit, toujours pareil : en travaillant, en m’investissant pour le club, sans penser à autre chose, ça m’a permis de pouvoir continuer au recrutement. L’intelligence de Vahid Halilhodzic et de Claude Puel, c’est de ne pas avoir écouté ce qui avait été dit à mon égard. C’est de juger une personne en fonction du travail qu’elle fait. Donc même fonctionnement : j’allais voir des adversaires, on faisait des montages vidéos, on les présentait à l’entraîneur qui, lui, les présentait au groupe. On échangeait, on discutait, et ça a créé de la proximité. Il s’est aperçu de qui j’étais. Vahid Halilhodzic était parti, Patrick Collot était toujours là et travaillait toujours pour le club.
Et votre relation est même devenue si forte que tu es devenu son adjoint quelques années après, à Lille puis à Lyon.
Laurent Roussey, qui était adjoint de Claude Puel, a eu l’opportunité de partir à Saint-Etienne. Moi, j’étais au recrutement depuis 4 ans et, en plus, sur les deux dernières années (de 2004 à 2006), je m’occupais aussi des 16 ans, puis des 15 ans. Avec les 16 ans on était descendus cette année-là. Donc j’étais à la formation, j’allais aussi voir des matches, je m’occupais des jeunes le dimanche, je ne m’arrêtais jamais. Quand Laurent Roussey part, j’étais au recrutement, à Toulon, au festival Espoirs, et Claude Puel m’appelle. Je pensais qu’il m’appelait pour que je lui dise quels joueurs je voyais. Il me demande : « quand est-ce que tu rentres ? Est-ce qu’on peut se voir ? ». Je me demandais ce qu’il me voulait, est-ce que j’avais fait quelque chose de mal ? Je rentre du tournoi de Toulon, il vient me chercher à la gare, on se rend à mon domicile, et c’est là qu’il me dit : « j’aimerais que tu deviennes mon adjoint ». Je lui ai dit que je voulais bien l’aider, l’accompagner, mais que je n’avais aucune expérience et qu’il fallait me former. Il m’a dit « pas de problème », et c’est comme ça que je suis parti en tant qu’adjoint avec Claude Puel. Donc j’ai fait 2 ans à Lille et après, on est partis à Lyon. Après j’ai été un peu au chômage, et je suis remonté dans le Nord. Jean-Michel Vandamme et François Vitali ont pensé à moi pour m’occuper dans un premier temps de la cellule de recrutement, et m’ont réincorporé dans le club. Donc ça a duré une année, ensuite je suis parti à Mouscron.
« Le partenariat avec Mouscron, un projet intéressant dont on n’a malheureusement pas pu démontrer le bénéfice »
Sur Mouscron, comment tu voyais le projet ? L’objectif est de former des jeunes pour le LOSC, c’était la nouvelle politique du club ? C’était une sorte d’équipe réserve améliorée.
Oui. Je suis arrivé au moment où Rachid Chihab venait de faire monter l’équipe en première division. Il voulait étoffer son staff et a pensé à moi pour l’épauler à Mouscron, par rapport à mon expérience avec Claude Puel. Le but de ce projet, c’était de faire jouer les jeunes qui étaient aux portes de l’équipe première mais qui ne pouvaient toutefois pas prétendre y jouer, parce qu’ils n’avaient pas complètement l’expérience, la maturité. Il s’agissait de leur apporter, dans un championnat différent mais qui est quand même la première division belge, une certaine expérience pour les préparer, pour les développer, au lieu de jouer en CFA, ou Nationale 2 maintenant.
Quel bilan en tires-tu ?
C’était une très bonne idée, quelque chose de vraiment très intéressant. Malheureusement, on n’a pas pu démontrer le bénéfice de ce fonctionnement car le club a vendu Mouscron trop tôt. Le coût, le fonctionnement étaient assez importants, et le club a voulu arrêter tout ça. On a fait une année en première division, et le club a été vendu. Il aurait fallu rester 2 ans, 3 ans, 4 ans, pour que ces jeunes joueurs, qui commençaient à prendre un peu de consistance, de maturité, d’expérience dans leur jeu, puissent renforcer l’équipe du LOSC, ou être vendus dans des clubs belges pour rentabiliser le projet. Mais c’était une très bonne expérience. J’ai adoré participer à ce championnat. C’est très différent de la France, il y a en Belgique une convivialité, une proximité qui est complètement différente du fonctionnement du championnat français, qui lui est beaucoup plus cadré, avec des obligations.
Ça rappelle un peu la deuxième division de la fin des années 1990 en France. Quand on va à Mouscron, on se rappelle un peu Grimonprez.
Quand je suis arrivé ici à Lille et qu’on jouait à Grimonprez, même en première division, il y avait une proximité avec les gens ! Quand on sortait, on était au milieu des supporters, on allait en haut fêter les matches avec les partenaires : ça a existé à Lille. Maintenant, c’est beaucoup plus compliqué, mais c’est l’évolution du football, partout, c’est beaucoup plus cadré : il y a moins de proximité, moins d’échanges, et surtout beaucoup plus d’intérêts. Mais la Belgique reste encore dans ce fonctionnement là qui est très agréable.
Jusqu’à ce que Rachid Chihab soit remercié en cours de saison et qu’il revienne à Lille, la première partie de saison est vraiment très bonne, parce que vous êtes dans la première partie de tableau, le maintien est presque assuré à la trêve… Puis Diaby est de retour au LOSC, Rachid Chihab et toi êtes aussi rappelés. Et les résultats déclinent fortement. Est-ce qu’il y a déjà des tensions ?
Une des raisons des mauvais résultats, c’est bien sûr le départ de notre meilleur buteur ! Il était capable de faire la décision. On avait aussi un joueur, Langil, sur le côté, qui avait fait un super début de saison, et qui après s’est un peu éteint. Il y eu des raisons au manque de résultats sur la deuxième partie de saison. Après, c’était une volonté du LOSC de rapatrier toutes les personnes qui avaient été mises à disposition.
Mais les tensions avec les dirigeants belges ont joué ? Ou avec les supporters, éventuellement ?
Oui, quand même. Disons qu’on sentait que le club de Mouscron voulait reprendre son indépendance et récupérer son identité, car il était tout de même sous la tutelle du LOSC. Mais c’est compréhensible : ils ont envie d’être autonomes et d’exister par eux-mêmes. C’était une évidence que, sur la durée, ça ne tiendrait pas. La direction a voulu changer l’entraîneur, donc elle a mis une autre personne à la place, ça n’a pas fonctionné… Je ne souhaitais pas quitter Mouscron, ne serait-ce que parce que pour moi, il est hors de question de quitter un club ou un groupe qui est difficulté : c’est en dehors de mes principes. Mais je suis parti avec Rachid Chihab puisqu’on nous l’a imposé, et je suis revenu pendant 2 mois et demi au LOSC, au recrutement. Et finalement, au bout de 2 mois, comme ça ne fonctionnait pas et que Mouscron était en danger, on m’a demandé d’aller épauler Fernando Da Cruz. J’ai accepté tout de suite.
Mais ce qui est étrange, c’est que Mouscron souhaite retrouver une autonomie, une indépendance, mais ils ne l’ont retrouvée que quelques mois, car ils ont été vendus très rapidement ensuite. Donc ils t’enlèvent, ils enlèvent Rachid, ils enlèvent Abdoulaye Diaby mais au final, vous êtes remplacés par quelqu’un du LOSC, et Diaby est remplacé par Ronny Rodelin.
À l’époque, Fernando Da Cruz n’était pas du LOSC : il appartenait au club de Mouscron. Nous, avec Rachid, on était du LOSC, mis à disposition pour travailler à Mouscron. Mais toutes les ressources mises à disposition par le LOSC avaient été rapatriés : Stéphane Pichot, Rachid Chihab, l’entraîneur des gardiens et moi. C’était la volonté du club par rapport à la demande des dirigeants de Mouscron. Il y a eu des grosses difficultés sur la deuxième partie et on s’est sauvés miraculeusement.
Sur un but de Ronny Rodelin !
Oui, et aussi le manque de victoire de nos adversaires directs ! Sur le dernier match, si les autres gagnaient, on descendait. Mais on a perdu, et les autres ont perdu aussi. C’est beaucoup de réussite cette fin de saison.
Ce n’est pas l’année où le Cercle de Bruges mène 2-0 à la 90e contre Malines, et perd finalement 3-2 ? Si le Cercle gagnait, il se maintenait.
C’est possible oui. En Belgique, y a des choses qui sont incroyables. Incompréhensibles. Cette année, Mouscron s’est maintenu facilement avec une deuxième partie de saison vraiment intéressante. Autrement, chaque année, ils se sont sauvés dans les dernières journées. Mais si Mouscron réussit à être là où il est aujourd’hui, c’est aussi grâce, pendant quelques années, à ce que le LOSC a mis à disposition : les structures, le recrutement, l’encadrement. On s’entraînait à Luchin. Le dernier entraînement, la veille de match, on allait le faire à Mouscron avec le point presse et on jouait à Mouscron, autrement toute la semaine on était à Luchin. Je regarde toujours car ça a été une bonne expérience, avec pas mal de joueurs de Lille qui ont été mis à disposition pour les développer comme Arnaud Souquet, Nolan M’Bemba, Adama Traoré, Sanaa Altma… Mais malheureusement, le club n’a pas pu assumer financièrement, ou n’a pas voulu patienter suffisamment de temps pour développer cette idée-là.
« Je suis un serviteur. On a besoin de moi ? Je suis là »
Tu es donc de retour au LOSC en 2015. À un an d’intervalle, tu prends en charge deux fois l’équipe première de façon intérimaire, d’abord pour remplacer Hervé Renard, ensuite Frédéric Antonetti. On a bien compris, en tout cas on l’interprète comme ça, que tu sais pousser des gueulantes dans le vestiaire, mais tu gardes l’image d’un homme discret, et là on imagine que l’exposition est incomparable.
Oui, bien sûr. Bon, la première expérience a été très courte : je n’ai fait qu’un match, ça n’a pas été une exposition très importante. M. Seydoux et M. Vandamme m’ont demandé de pallier à ce moment de transition, ce que j’ai fait avec le plus grand plaisir, avec mes qualités et mon fonctionnement. J’ai toujours été à disposition du club. Après le départ de M. Antonetti, le deuxième intérim a été plus long, et là oui, c’est vrai que médiatiquement, c’est une autre exposition et c’est complètement différent. Après, l’exposition médiatique, moi je n’y suis pour rien. C’est le fonctionnement du foot, c’est les journalistes, c’est tout ce qui est autour, ça fait partie du métier. Mais là encore, on m’a demandé de pouvoir pallier à cette situation, ce que j’ai fait le plus normalement. J’ai essayé de sortir le club d’une situation difficile. De plus, c’était la revente du club, un moment particulier, donc les choses étaient assez floues. Ça s’est fait naturellement. Après oui, je suis quelqu’un de discret mais j’ai des convictions, j’ai un fonctionnement, j’ai un vécu, j’ai des idées. Ce n’est pas parce qu’on est discret qu’on n’a pas de caractère.
Ce n’est pas ce qu’on voulait dire !
Non, non ! Moi je suis respectueux, je fais bien mon travail, je ne suis pas là pour écraser les autres, quand on fait appel à moi, je suis présent. Je suis un…. (il réfléchit) Je suis un serviteur. Je me définirais comme ça. On a besoin de moi ? Je suis là. Je ne réclame pas, je ne revendique pas. Les choses arrivent si elles doivent arriver, naturellement, par mon travail, par mon fonctionnement, par ma personne. J’ai toujours agi comme ça, ça m’a toujours réussi et je ne changerai pas. On m’a éduqué ; mon père, ma mère, ma famille m’ont inculqué des valeurs, et j’applique ce qu’on m’a donné, la richesse qu’on m’a donnée. Ça convient, ça ne convient pas ; ça marche, ça ne marche pas. Mais je resterai qui je suis, avec mes valeurs et ce qu’on m’a donné. Après, il y a différentes choses, il y a différents fonctionnements, et il y a des choses auxquelles je ne peux pas adhérer. On reste soi-même, hein !
Tu penses à quelque chose en particulier quand tu dis ça ?
Au dénouement de mon histoire avec le LOSC ! Ce sont des choix d’hommes, de travail, des orientations de fonctionnement, d’entreprise. Ils arrivent, ils achètent le club, ils veulent mettre en place certaines choses.
« Personne ne m’enlèvera les moments extraordinaires vécus à Lille »
On a tous été surpris par ton licenciement l’an dernier.
C’est quelque chose qui a été très douloureux parce que quand on travaille, quand on s’investit pendant des années le mieux possible et qu’on en arrive à une telle situation… Après, il faut arriver à prendre un peu de recul et essayer de comprendre pourquoi les gens qui dirigent ont pris des décisions et ont envie de travailler avec d’autres personnes, avec un autre fonctionnement, avec d’autres idées. C’est aussi normal que ces gens puissent éventuellement penser différemment. J’admets volontiers que collaborer avec des gens qui ont travaillé ici pendant des années, avec une forte identité dans certains fonctionnements, soit délicat. Mais je pense avoir prouvé que j’étais capable de m’adapter et de travailler avec des personnes différentes, et ces personnes-là ont eu l’intelligence de patienter et d’attendre pour juger. C’est leur volonté, je la respecte parce que c’est leur projet, c’est leur investissement, c’est se donner la capacité de réussir avec les personnes qu’ils désirent, et de créer une nouvelle histoire. Quand j’analyse ça un an après, je me dis que c’est logique aussi de pouvoir mettre en place les choses et les personnes avec lesquelles on a envie de travailler. Mais je vous assure que quand j’ai appris que je devais quitter le club, ça a été très très douloureux. Aujourd’hui, c’est une déception mais il ne faut pas s’arrêter que sur ça.
Avec presque un an de recul, quel regard portes-tu sur tes années lilloises ?
Il y a eu des moments extraordinaires qui resteront à jamais gravés dans mon esprit, et ça personne ne pourra me l’enlever. Personne. Aujourd’hui, avec les copains avec qui on a vécu ça, quand on se rencontre, on est heureux et fiers de pouvoir discuter, d’échanger, de parler de tous ces bons souvenirs, ou mauvais, ces périodes difficiles de notre histoire. Ça fait partie du LOSC et ça n’a pas de prix. Tout ce que j’ai fait, tout l’investissement, tout le travail que j’ai donné dans ce club-là m’a marqué à vie. Parce que le LOSC restera toujours mon club, bien que ça se soit terminé de cette façon-là. Mais il n’y a rien de grave, je suis en bonne santé, tout va bien, ma famille est heureuse, c’est simplement la fin d’une histoire. On m’a donné la possibilité de faire plein de choses au sein de ce club, et ça je n’oublierai jamais. J’ai quasiment tout connu avec le LOSC, j’ai occupé pratiquement toutes les fonctions, sauf président ! J’ai rencontré des gens merveilleux, des présidents extraordinaires, Bernard Lecomte, Francis Graille, Michel Seydoux…. C’est une histoire très riche qui m’a permis de grandir, de me développer, d’être ce que je suis, d’avoir une expérience assez importante dans ce milieu. Quand je me retourne, je suis quand-même assez fier et heureux de ce que j’ai fait. C’est un pincement au coeur que l’histoire se finisse comme ça. Mais c’est comme ça, c’est la vie, c’est le football. Avant moi le club existait, après moi le club existera encore, mais je fais partie de cette histoire, et c’est une fierté.
« Là où je suis le mieux, c’est sur le terrain, avec les joueurs,
à faire ce que j’aime »
Entre le moment où tu quittes le LOSC et où tu arrives à Nantes, qu’est-ce que tu fais ? Est-ce que tu déconnectes ? Est-ce que tu suis un peu le football ?
Je suis allé voir deux matches à Lille en août et septembre, contre Guingamp et Nantes. Mais c’était difficile parce qu’on va dans un endroit dans lequel on a travaillé, on a vécu, et ne plus appartenir au club tout en étant dans son enceinte…. Donc après je n’y suis plus retourné et je regardais les matches à la télévision. Il faut pouvoir évacuer et le temps assouplit un peu les choses.
Retrouvailles avec Vahid à la rentrée, en septembre 2018. On a cru comprendre qu’il t’avait laissé une heure pour faire ton choix quand il t’a appelé …
Le LOSC m’a licencié au mois d’août. Je me suis donc inscrit au chômage et, peu après, Vahid a la possibilité de reprendre Nantes. Avec Vahid, on a eu une relation très particulière dans le fonctionnement, et il y a quelques temps déjà, quand je me suis reconverti entraîneur, il avait voulu qu’on puisse travailler ensemble pour des sélections nationales, mais moi j’étais dans mon environnement, avec mes enfants, mon équilibre familial, et partir dans des endroits un peu plus lointains, ce n’était pas ma tasse de thé. Là, je me retrouvais sans rien et quand il l’a su, il m’a appelé car il cherchait un adjoint. J’ai d’abord manqué son appel – j’aidais un voisin à déménager – puis je l’ai rappelé. Il était avec la famille Kita en train de tout mettre en place pour prendre la suite de M. Cardoso et il me dit : « c’est Vahid. Je suis avec le président Kita, est-ce que tu voudrais venir travailler à Nantes avec moi ? » Alors moi, surpris, je lui réponds : « sur le principe, oui, mais il faut quand-même que j’aille en discuter avec mon épouse et mes enfants » ; « Ah, non ! Non ! Non! Non ! Non ! Là, c’est pas possible du tout ! Là, tu as cinq minutes pour te décider ! » (Rires)
Cinq minutes !
Je lui dis : « je ne peux pas prendre de décision en cinq minutes. Il faut me laisser au moins une heure ou deux, il faut que je discute avec mon épouse, mes enfants, voir comment on peut s’organiser, si c’est possible ou pas, et je reviens vers vous » ; « Non ! Non ! Cinq minutes ! » ; Je dis : « Je ne peux pas » ; Il me dit : « Bon, ok. Mais le plus vite possible ». Donc, je suis rentré, j’ai discuté et puis une heure après je rappelais pour lui donner mon accord. Et dès le lendemain, je prenais la voiture et j’allais à Nantes. Ça s’est fait comme ça, sur les chapeaux de roue. Mais ça se fait souvent comme ça quand les gens sont déterminés.
Oui, mais cinq minutes, quand-même !
C’est du Vahid tout craché. C’était aussi une possibilité pour moi de passer à autre chose, de pouvoir me remettre un peu dans le bain. Je ne pensais pas rebondir rapidement, donc quand je suis parti à Nantes, j’avais vu jouer l’équipe mais je ne connaissais pas particulièrement les joueurs. La décision reste difficile car, du jour au lendemain, il faut s’organiser. Quand je suis parti à Lyon, c’était avec mes enfants et avec Emmanuelle. Cette fois, on a décidé qu’Emmanuelle et les enfants resteraient vivre ici. Ensuite, retrouver Vahid a été un grand plaisir. Nous avons un respect mutuel, sur les plans professionnel et humain. C’est un nouveau club, une nouvelle aventure, de nouvelles personnes… Mais ça reste du football. Que ce soit ici, à Nantes, à Lyon ou à Mouscron, ça reste toujours le même travail, la même finalité. Et là où je suis le mieux, c’est sur le terrain, avec les joueurs, à faire ce que j’aime.
Comment as-tu vécu cette saison à Nantes ?
Quand on est arrivés, Nantes était 19ème avec 6 points au bout de 9 journées. On a fait un premier match à Bordeaux où on prend trois buts : on s’est dit que ça allait être compliqué ! Et puis petit à petit, toujours pareil, avec le travail, la rigueur, l’exigence qu’a Vahid et l’adhésion des joueurs, ça prend progressivement. Mais si les joueurs n’adhèrent pas au projet, à ce qu’on propose, on n’est rien ! Quand on arrive dans ce genre de situation, je dirais presque que c’est à notre avantage car les joueurs sont plus à l’écoute, avec une volonté de se remettre en question, et de s’en sortir. On peut presque faire ce que l’on veut, et les joueurs ont adhéré. Le travail, la remise en condition ont permis de rebondir et de se repositionner. On a stagné assez longtemps dans une position assez fragile, avec seulement 6-7 points d’avance sur le premier barragiste, sans pouvoir vraiment en sortir. Puis au printemps, on a eu une grande réussite, à un moment où on s’y attendait presque le moins parce qu’on rencontrait des équipes comme Lyon, Paris, Marseille. On a eu de la réussite et on a réussi à s’en sortir et à faire une fin de saison plus tranquille. On en avait bien besoin par rapport à d’autres émotions qu’on a subies dans la saison.
« En tant qu’adjoint, on valide les choix de l’entraîneur principal. Mais c’est important de rester soi-même »
Comment on fait pour bien connaître un effectif en cours de saison, en si peu de temps ? Un effectif qu’on n’a pas choisi en plus.
La chance qu’on a eue, c’est qu’après notre premier match à Bordeaux, il y a eu une trêve internationale de 15 jours, si bien que lors de notre deuxième match, ça faisait déjà trois semaines qu’on était avec les joueurs. Au bout de trois semaines, en étant quotidiennement avec les joueurs, on voit assez vite leurs qualités. On ne sait pas encore ce qu’il en est des hommes, de la mentalité, de l’état d’esprit, mais ce temps nous a donné une première idée pour organiser un peu ce puzzle, trouver les meilleurs équilibres. Ce temps a été bénéfique puisqu’on a gagné trois matches d’affilée, certes contre des équipes qui n’étaient pas très bien classées non plus : Amiens, Toulouse et Guingamp. Ces quelques victoires nous ont donné un peu d’oxygène.
C’est sur le terrain qu’on apprend à connaître les joueurs quand on ne les connaît pas spécialement ou qu’on ne les pas beaucoup vu jouer. Le meilleur ressenti ce sont les matches et l’entraînement. La vidéo, c’est bien, c’est un complément, mais on ne ressent pas tout. Avec le temps, on connaît de mieux en mieux les joueurs, on discute, on partage, on parle de leur parcours : on essaie de connaître davantage les joueurs : ont-ils une famille, des enfants ? Ça prend du temps. Mais c’est très enrichissant de découvrir d’autres personnes et d’autres clubs.
Est-ce que la manière dont tu mènes ces échanges a évolué avec le temps, entre le moment où tu étais plutôt sur la fin de ta carrière de footballeur, une personne-relais, et aujourd’hui ? Est-ce que Vahid, ou Claude Puel, ou d’autres, ont eu une influence sur ta manière de faire ?
Disons que chacun est différent dans son management, son fonctionnement, son approche, et ça enrichit toujours de côtoyer ces personnes. Je n’ai pas eu la chance de connaître beaucoup Hervé Renard parce qu’il n’est pas resté longtemps, mais j’ai mieux connu Frédéric Antonetti, Claude Puel, Vahid Halilhodzic et Rachid Chihab, ce qui me permet de comparer, de comprendre. Toutes ces personnes m’ont apporté beaucoup, m’ont fait grandir, m’ont fait toucher du doigt certaines choses. En tant qu’adjoint, on est là pour valider le projet et les règles mises en place par l’entraîneur principal. Et il faut être fidèle à ça. C’est important de pouvoir garder ce cap et de rester dans le chemin tracé par l’entraîneur. Alors, je prends, je ne prends pas, je garde, je ne garde pas : chacun fait un tri. Après, on a sa sensibilité, la personne que l’on est. Je pense qu’il faut rester soi-même, avec ses valeurs, ses qualités et son fonctionnement. Je crois qu’au début, je n’étais pas tout à fait moi-même, parce qu’on veut tellement appliquer les choses à la lettre qu’on respecte trop les consignes. Ce n’est pas toujours bon. Donc je pense que je suis meilleur aujourd’hui que quand Claude Puel m’a pris comme adjoint ! Mais comme toute personne, dans n’importe quel travail : c’est une évolution.
« Claude Puel a sa part dans le titre de champion de France de 2011 »
Tu disais que tu avais commencé ta carrière après cette élimination de Toulon par Sète, quand des joueurs ont été écartés. Quand tu commences avec Claude Puel, ce n’est pas du tout la même situation parce que Claude Puel lance rarement un jeune par défaut : il a tendance à faire confiance aux jeunes et à les mettre en difficulté pour les faire progresser. Est-ce que cette philosophie de post-formation correspondait à ton approche, ou ton expérience faisait qu’un jeune pouvait arriver par défaut ?
Je n’avais pas véritablement de vision là-dessus. Claude Puel est un formidable développeur de talents par son travail, son abnégation, son professionnalisme, sa rigueur. Il va au bout de ses idées, et ça c’était extraordinaire pour le club. À une période très importante aussi pour le LOSC, il était la bonne personne au bon moment. Pourtant, au début, le club était en grande grande difficulté. Je me souviens à Grimonprez-Jooris, les « Seydoux démission ! », « Puel démission ! » ça a duré pendant des mois. Jusqu’à ce qu’à ce que ça bascule. Mais sur les jeunes : je sais qu’il faut faire confiance, parce que ce n’est que quand on donne au jeune la capacité de jouer en équipe première qu’on découvre s’il peut s’imposer. Il a beau avoir toutes les qualités, ou soi-disant des qualités qui sont pas suffisantes pour jouer au-dessus, tant que on n’a pas donné la chance au gamin de s’exprimer en première division, on ne sait pas ce qu’il est capable de faire. Sauf, bien sûr, des grands talents comme Eden Hazard qui crèvent l’écran, là ça pue le football ! Ces joueurs-là sont programmés, et on ne fait qu’accompagner. Mais il y a des joueurs pour qui on doit forcer un peu le passage, ce que fait très bien Claude Puel. Il a été fondamental dans la réussite du club. Pour moi, Claude Puel a sa part dans le titre de champion de France de 2011, même si il n’était plus là. Après, évidemment, Rudi Garcia a sa propre réussite : il a amené sa patte et est parvenu à faire jouer cette équipe. Il a aussi amené des joueurs tels que Moussa Sow et Gervinho. Mais l’ossature du groupe était là, elle a été créée avant. Rudi Garcia a très bien su profiter de ce travail-là, mais c’est un travail sur des années, d’Halilhodzic, de Puel, puis de Garcia.
C’est aussi notre avis que Claude Puel a joué un rôle important dans le titre de 2011.
On peut même remonter jusqu’à Vahid Halilhodzic, qui amène la première Ligue des Champions, et donc une dynamique, une possibilité au club de grandir. Après, Claude Puel arrive à faire deux Ligues des Champions. Rudi Garcia en fait deux, puis encore une avec René Girard. C’est quand-même formidable ! On ne s’en rend peut-être pas compte mais, sur les quinze ou vingt dernières années, le LOSC est un des clubs les plus performants de France ! Des Ligues des Champions tous les deux-trois ans, c’est quand-même merveilleux !
Quand, comme nous trois, on a découvert le LOSC dans les années 1990 avec ces soirées à 0-0 à Grimonprez-Jooris, effectivement, on n’imaginait pas vivre ça. On voit le pendant avec notre voisin lensois. Quand on était enfants, c’était eux au sommet, c’était eux que les copains supportaient…
Tout tourne ! Quand on était en deuxième division, je suis allé voir un match à Lens. J’étais dans les salons VIP et une personne de Lens s’approche, on discute. Et cette personne a eu une réflexion : « ouais, mais à Lille, c’est un club de ratés ». Comme ça ! « C’est un club de ratés. Et ça restera un club de ratés ». Ça a été très difficile à entendre. Je suis resté calme, je n’ai rien dit. Bon, à l’époque on était en deuxième division, on se battait pour monter et Lens était très haut, donc je n’allais pas polémiquer sur quoi que ce soit, mais je m’en souviendrai toute ma vie. Maintenant, Lille, depuis des années, est en haut de l’affiche et Lens a du mal à sortir de la deuxième division. Mais ça peut changer, toujours.
Tu as un peu de repos mais est-ce que tu es impliqué dans le mercato de Nantes, même à distance ?
Oui. Une cellule à Nantes s’en occupe mais je suis impliqué en fonction des joueurs. Vahid me demande de regarder certains joueurs, par exemple issus de pays étrangers, qu’on ne connaît pas très bien. On a les moyens de visionner ces joueurs en vidéo et exprimer ce qu’on ressent. Sur certains profils, Vahid m’appelle, me demande de passer un peu de temps pour visionner et lui dire ce que je pense. Ça permet de croiser les informations et le ressenti entre la cellule, Vahid et moi, pour se tromper le moins possible. En sachant que le recrutement, c’est très difficile, même quand on a beaucoup d’argent ! C’est une phase très importante de la saison. Si on réussit notre recrutement, on réussit notre saison. Si on rate notre recrutement, on va rater notre saison.
Est-ce que tu as suivi la saison du LOSC ? Quel regard portes-tu sur elle ?
Cette année, le LOSC a rectifié ce qui avait été mal fait l’an dernier : ce qui ne fonctionnait pas ou très peu l’année dernière a fonctionné cette année. Avec Bielsa, le LOSC a recruté des joueurs de qualité : Thiago Mendès, Araujo, Pépé…. Mais ils n’ont pas su – ou Bielsa n’a pas su – mettre de joueurs suffisamment expérimentés à des postes-clés pour encadrer les jeunes joueurs de talent. Cette année, ils sont pris Fonte : une grande réussite ! Celik : très grande réussite ! Bamba, Ikoné, Rémy, Leao… Tous ces joueurs ont apporté une plus-value et une sérénité. La paire Xeka/Mendès a été très intéressante et a mis en valeur tous les talents recrutés en 2017.
L’an dernier, Christophe Galtier a sauvé le club de justesse, ce n’était pas pour autant le plus mauvais entraîneur du monde. Et cette année, il a été élu meilleur entraîneur français par l’UNFP, mais pour moi, il n’est pas le meilleur entraîneur du monde non plus ! Tout en haut ou tout en bas : ce décalage-là ne me plaît pas. La réussite, ce sont aussi les joueurs, leurs qualités. Il faut saluer le recrutement de Campos et des personnes qui ont réussi à rééquilibrer l’équipe en fonction des besoins pour être le plus performant possible. Il faut être intelligent et lucide : analyser les manques et trouver les joueurs adéquats, aux bons postes, aux bons endroits pour que l’entraîneur puisse avoir les meilleurs équilibres possibles. La grande réussite, c’est ça.
Est-ce que c’est une correction des erreurs qui ont été faites l’année dernière, ou une correction des erreurs que Bielsa a faites l’année dernière ?
Je ne sais pas qui prenait les décisions ou qui intervenait. Est-ce que Monsieur Bielsa doit porter toute la responsabilité de la saison dernière ? Ou le club en général, avec toutes ses composantes ? Je pense que c’est un peu tout le monde, mais c’est difficile de juger. En tous cas, ils sont su rectifier pour être plus performants, et très rapidement. C’est tout à leur honneur d’avoir eu ce jugement et cette lucidité. Et ça, c’est tout un travail aussi ! De plusieurs personnes, pas que de l’entraîneur : du recrutement, des prises de décision d’un club en général avec toutes ses composantes.
Comment as-tu vécu le match contre Lille en mars ? Nous on a beaucoup aimé ! (rires)
Alors moi j’ai détesté ! (rires) J’ai dit : « c’est pas possible ! C’est pas possible ! ». C’est la seule fois où je suis rentré dans le vestiaire deux minutes avant la fin. Je n’avais pas envie de voir la joie des Lillois et du banc lillois dans cette situation-là. Moi, j’avais très envie de battre Lille, je vous l’avoue ! Malheureusement on a perdu et en plus on menait 2 à 0, c’est encore pire. Tant mieux pour Lille, tant pis pour nous. C’est notre faute.
On s’est dit que c’était l’esprit de Vahid qui rôdait encore autour du LOSC, parce qu’un scénario comme ça … trois buts en dix minutes, retournement de situation, pénalty raté à la fin…
On a fait des fautes individuelles sur certains buts, il y a eu des prises de risque inutiles, mais ça fait partie du jeu. Les Lillois n’ont pas volé leur victoire, mais c’est vrai que c’était un match particulier. Et, incroyable, ce sera encore particulier pour la reprise du championnat, avec Lille/Nantes !
Un grand merci à Patrick Collot pour sa disponibilité, son accueil et sa gentillesse.
2 commentaires
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13 juillet 2019
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Stephane a dit:
Grand merci.
J’ai lu les deux parties consacrées à ce super mec qu’est Patrick Collot.
On y apprend beaucoup de ce qu’il est, de ses valeurs. Chapeau.
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13 juillet 2019
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Antoine a dit:
Canon!!! Merci pour cet interview !!! En espérant en lire pleins d’autres d’anciens lillois! En le lisant je suis redescendu dans mes années Grimonprez!!!!
Encore une fois au top merci à DBCL !!!