Posté le 21 septembre 2019 - par dbclosc
Morgane Nicoli : « J’ai eu l’impression d’être à Lille comme à la maison »
Quiconque a suivi la saison 2018/2019 des filles du LOSC est désormais attentif aux résultats de Montpellier. C’est de là que Morgane Nicoli arriva au LOSC, dans le cadre d’un prêt, et c’est donc là-bas qu’elle est repartie à l’issue de la saison, suscitant détresse et désolation chez celles et ceux qui ont beaucoup apprécié la joueuse et la personne, nous les premiers.
Fort heureusement, tous les liens ne sont pas rompus. D’ailleurs, le saviez-vous ? Entre Morgane Nicoli et notre blog, c’est une grande histoire, ainsi que le prouve (indiscutablement) ce tweet :
Nous sommes donc allés aux nouvelles. L’occasion, finalement, de se dire ce qu’on n’a pas l’occasion d’aborder en d’autres circonstances : retour sur le parcours footballistique de Morgane, une fille parmi les garçons (du moins, jusqu’à ses 16 ans !) de ses débuts à Bravone, en Corse, à sa situation actuelle à Montpellier, en passant par Clairefontaine, et en surmontant de nombreux obstacles liés à des blessures.
Bien évidemment, nous nous sommes particulièrement attardés sur la saison passée à Lille. En défense centrale, Morgane s’est rapidement imposée, y réalisant une saison pleine (21 matches sur 22), portant même le brassard de capitaine contre le Paris FC, et s’illustrant par la qualité de son jeu long ainsi que par un geste technique récurrent : la feinte de corps pour éliminer son adversaire après le 6 mètres de la gardienne. Son seul match manqué en championnat, contre Rodez à cause d’une suspension, nous avait permis de constater que, hors du terrain, Morgane n’est pas mal non plus : sa prise de contrôle du compte Instagram du LOSC durant ce match avait été marquée par une forme d’humour que nous affectionnons particulièrement, et dont nous avions mis un petit aperçu dans le compte-rendu de cette rencontre pas folichonne.
Après cette année au LOSC, ponctuée par un passage en équipe de France B, le MHSC a prolongé le contrat de Morgane. On lui souhaite le meilleur pour cette nouvelle saison !
Commençons par le début : comment le foot est venu à toi quand tu étais petite ?
Cela vient surtout de mon père, qui après ses journées de travail était entraîneur dans le club de notre village, à Bravone. Je l’accompagnais aux entraînements donc, toute petite, je me suis retrouvée au bord des terrains !
Et même en famille, on avait une propriété familiale avec les 8 frères et sœurs de mes parents et, à part ma grande sœur, autour de moi il n’y avait que des garçons… Donc ça jouait au foot ! Je suis sur le côté des terrains jusqu’à mes 7 ans environ…Et après je m’y suis mise, avec une première licence, avec des garçons.
« Je n’ai pas envisagé que le foot soit un métier
avant mes 14-15 ans »
Comment était perçu le fait qu’une fille joue au foot ? J’imagine que ton père t’a encouragée ?
Pas du tout ! Ça ne posait pas de problème à ma mère mais, pour mon père, le foot était un sport de garçons. Mais comme j’étais un peu la mascotte du club, la petite toujours là, il n’a pas pu résister. Dans la mesure où mon père s’occupait des jeunes, il connaissait très bien ce que ça impliquait en termes de charges et de responsabilités : les parents, les tournois, les entraînements… Je crois qu’il redoutait d’être encore plus débordé, et finalement il est tombé en plein dedans !
Je me suis donc retrouvée au club du village, et c’est une ambiance tranquille car tout le monde se connaissait. C’était le football-plaisir, comme on peut le faire en Corse : on est loin d’autres considérations ! Pour moi, le foot féminin n’existait même pas ! En Corse on était quoi ? Dans ma catégorie, 2-3 à faire du foot féminin. Je me disais que j’allais continuer tant que je pouvais jouer avec des garçons, et qu’ensuite j’arrêterais. Jusqu’à mes 14-15 ans, ça ne m’est jamais passé par la tête d’en faire un métier.
Quel est ton parcours entre ces débuts à l’enfance et le moment où le football devient un métier envisageable ?
En 4e et en 3e, il y a des collèges-sports, dans lesquels on peut s’inscrire… quand on est un garçon ! Mais moi, étant une fille et n’ayant pas trouvé d’équivalent de ce qui était ouvert aux garçons, je me suis retrouvée sur les rassemblements des garçons, jusqu’au concours, avec donc les mêmes épreuves que les garçons. Au début, il y avait d’ailleurs une autre fille, mais qui a abandonné au bout d’une semaine. On m’avait bien spécifié que je ne pourrais pas y entrer, que c’était un Pôle Espoirs garçons, comme un CREPS. Mais quand les résultats du concours tombent, je suis dans la liste des reçus, ce qui était improbable, parce que ça n’avait jamais eu lieu en France. Ça n’existait pas en fait : c’était un internat pour garçons.
Alors qu’est-ce qu’il s’est passé ?
La Ligue de Corse s’est débrouillée pour que j’obtienne une dérogation de la fédération, afin que je puisse intégrer le CREPS, avec les garçons ! Du coup on était 11 dans ma promo : les 10 meilleurs garçons de Corse et moi. Et le coach a toujours dit : « je n’ai pas 10 garçons et Morgane, je m’entraîne comme si j’avais 11 garçons à l’entraînement. Je ne l’ai pas prise pour la traiter à part, je vais pas faire mes séances en fonction d’elle ».
Je pense que cette période m’a beaucoup fait mûrir et grandir, d’abord dans ma façon d’appréhender le foot. Je ne me disais pas encore que j’allais devenir professionnelle, même si c’était plus sérieux et que c’était un niveau bien supérieur.
Et ensuite en tant que femme : le CREPS était à Ajaccio, à 2h30 de chez moi, ça voulait dire que j’allais partir de chez mes parents, à 13 ans. J’y suis restée 2 ans.
« Je me suis mise à travailler à Clairefontaine »
Et ensuite tu rejoins Clairefontaine.
Alors que je suis au CREPS d’Ajaccio, la Ligue de Corse me fait savoir qu’il y a un « Pôle France Féminin » à Clairefontaine, qui regroupe les 10 meilleures joueuses de chaque génération, et m’incite donc à aller faire des essais. Donc à partir de là, j’ai commencé à paniquer ! À 15 ans, aller à Paris, moi qui n’étais jamais sortie de Corse, à part 2 semaines de vacances… ! Je me demandais comment ça allait se passer. C’est simple : je n’étais même pas encore prise à Clairefontaine que j’angoissais déjà de partir. La Ligue de Corse croyait en moi, et l’avait déjà prouvé en demandant une dérogation pour l’internat. Et parier sur une fille, non seulement c’est un coût pour la Ligue, mais c’était nouveau aussi : là aussi, ça ne se faisait jusque là que pour des garçons.Je me disais : « ils misent sur moi, je ne dois pas les décevoir ». Ça me tenait à cœur, je me sentais redevable à l’égard de la Ligue. Et c’était presque une nécessité de partir car il n’y avait pas de footballeuses en Corse.
Comment s’est passé le passage à Clairefontaine, au Pôle France ?
On fait les concours, et je suis de nouveau prise ! J’ai 15 ans et rebelote : la fédé m’accorde une dérogation pour continuer à jouer avec les garçons jusque 16 ans. C’était la première fois qu’une Corse entrait à Clairefontaine. Pour la Ligue, c’était tout de même un gros pari car, venant de si loin, ça voulait dire que je ne rentrerais plus chez moi. Or, ça peut être un facteur démotivant pour les candidats : à 15 ans, vivre à Paris et ne pas rentrer chez soi, c’est compliqué. Finalement, au cours de ma première année (sur les 3 à Clairefontaine), tous les week-ends j’arrivais à rentrer en Corse, pour jouer avec les garçons, et voir ma famille.
Et tes parents ont réagi comment quand ils t’ont vu partir à 15 ans ?
Du côté de ma mère, ça a été, et pour mon père ça a été très compliqué ! Mon père a souvent dit : « j’ai arrêté de vivre quand ma fille est partie de la maison ». Tu sais, à 13 ans je suis partie à Ajaccio mais ça allait encore car je rentrais tous les week-ends, mais quand à 15 ans je me suis retrouvée à Paris, ça a été dur pour lui. Et tu sais comment sont les Corses, très attachés à leur île ! Paris, c’est l’autre bout du monde ! C’est comme si j’étais partie à Los Angeles !
Comment se passe le quotidien à Clairefontaine ? Outre les entraînements, il y a aussi un cursus scolaire ?
On s’entraîne le soir et on dort à Clairefontaine. Lors de ma première année, je jouais encore avec les garçons. Puis être là-bas m’a bien fait redescendre sur terre car je me suis rendue compte qu’il y avait des filles qui jouaient au foot, et que je n’étais pas la seule ! Alors qu’en Corse, j’étais la princesse : la seule, donc forcément la première. C’est à ce moment-là que je me suis mise à travailler, en pensant qu’il avait quelque chose à faire.
Pour les cours, ça se passe à côté, à Rambouillet, dans un lycée durant la journée. Mon père m’avait dit : le bac minimum. Donc je l’ai obtenu mais lors de cette année, je me suis fais les croisés. Là, j’ai commencé à me dire : « il va peut-être falloir travailler l’après-carrière… s’il y a une carrière ! ». Je n’avais même pas encore de contrat que j’étais déjà out, sur la touche.
« Malgré les blessures, Montpellier a cru en moi »
Oui, tu n’as pas été épargnée par les blessures, puisque tu en as eu d’autres ensuite.
Je suis ensuite revenue à Montpellier : je m’entraînais avec les pros mais je jouais avec les U19. Je joue une grosse demi-saison car je reprends en octobre, tout en ayant commencé la fac car je me suis inscrite en STAPS. Je fais mon année et Montpellier me propose un contrat. Mais une semaine après cette proposition de contrat, je me fissure le ménisque ! En gros, je suis déclarée inapte, car mon genou ne va pas bien et je dois me faire opérer. Donc le contrat ne peut pas être signé. Au club, on me dit : « fais-toi opérer, rétablis-toi, soigne-toi et on signera quand tu seras opérationnelle ». 4 mois d’arrêt encore, après quasiment une année complète la saison précédente. J’ai été opérée en juin, j’ai été apte en octobre, et Montpellier tient sa promesse : on me fait signer un contrat. J’ai joué début décembre, et j’ai connu ma première titularisation le 29 janvier 2017. Et… Bim ! Première titularisation, je me fais les croisés à l’autre genou. Opération en février, et c’est reparti pour 6-7 mois d’indisponibilité.
Avec ces blessures, y a-t-il eu un moment où tu as douté ou désespéré, en te disant que ton corps ne tenait pas ?
Clairement. Quand je me fais mal, les croisés pour la 2e fois, la première chose que je me suis dite c’est « pourquoi moi ? Pourquoi encore moi ? ». J’ai pensé que je n’étais pas faite pour ça, que mon corps n’était pas prêt à assumer une telle charge de travail, que mes muscles n’étaient pas faits pour supporter tout ça. À la deuxième opération, je me suis dit « à la prochaine, je m’arrête ». En gros, ça ne sert à rien de forcer le destin, donc si ça ne marche pas, je reprendrai mes études, je rentrerai chez moi.
Quand on est loin de chez soi, faire quelque chose qu’on aime permet de compenser ce qui nous manque. Là, je me levais tous les jours pour aller en soins ou faire des exercices en salle de muscu. J’aurais voulu me lever pour voir ma mère, mon père, mes amis. À certains moments, je me suis dit : « qu’est-ce que je fais ici ? ». En fait, rien ne me retenait de rester, rien du tout ! La seule chose pour laquelle j’étais là, je ne l’avais plus. Quand j’avais ma mère au téléphone, je pleurais et elle me conseillait d’arrêter : « rentre, reprends tes études, on va trouver un truc, je ne sais pas quoi mais je ne veux plus te voir souffrir comme ça ! » Ma mère était là pour toutes les opérations, elle savait ce que je subissais, elle savait à quel point c’était douloureux, moralement comme physiquement.
Qu’est-ce qui fait que tu t’es accrochée ?
Mon père était bien plus nuancé. Quelques semaines après l’opération, quand je pleurais, il me demandait : « t’as mal ? ». Je lui disais que non, donc il m’a dit : « alors ne pleure plus. C’est fait, ça ne te reconstruira pas un ligament de pleurer. Tu es déjà passée par là, et maintenant tu vas avoir l’avantage de connaître ton corps et ses limites, donc ça ne tient qu’à toi : soit tu rentres à la maison, tu reprends tes études et tu as ta vie normale comme tout le monde fait en Corse… soit tu veux sortir du lot et tu te relèves une 3e fois ». On la connait tous l’excuse « je ne suis pas devenue pro parce que je me suis fait les ligaments croisés » (rires) ! Donc il fallait que je trouve autre chose ! Je ne pouvais pas m’arrêter là-dessus.
C’est de là que datent tes tatouages sur la cuisse ?
C’est après la deuxième opération que je me suis fait tatouer : « peu importe où tu vas, n’oublie jamais d’où tu viens »
C’est une référence à tes blessures ?
Pas qu’à mes blessures. C’est aussi une référence à chez moi : je suis à Montpellier, j’ai fait quasiment toutes les équipes de France, 16, 17, 19 et B, alors que je jouais à l’AS Bravone, un petit club de village. Il n’y avait pas de foot pour les filles en Corse… Je sais que je suis partie de loin et ce n’est pas parce que ça va aujourd’hui que je dois oublier tout ce que j’ai traversé avant.
J’ai l’impression que le club de Montpellier a été très présent.
Je crois que je n’aurais pas pu trouver mieux. Montpellier est un grand club et je me suis souvent demandé : « mais pourquoi ils s’attardent sur moi ? ». Je ne leur avais rien prouvé, je n’avais rien, quelques stats puis quelques matches en D1, quelques sélections en jeunes mais c’est tout. Et toutes les fois où je me suis blessée – toutes les fois ! -, j’ai eu un message de Laurent Nicollin. Pour ma troisième opération, Ghislain Printant est venu aux nouvelles. J’ai toujours été soutenue par le club, Qui aurait misé sur une fille comme moi, après 2 opérations ? On m’a fait signer 4 ans en 2017, ce n’est pas un petit contrat. Le club a cru en moi quand moi-même je n’y croyais plus.
Après la troisième opération, tu es revenue à quel moment ?
Je suis revenue en octobre-novembre 2017 contre… Lille ! Premier match contre Lille à domicile, et j’ai failli faire une passé dé à Ouleye !
Et puis la saison s’est déroulée en dents de scie : je jouais un peu, sans plus, seulement quand il y avait des blessées, le coach ne comptait pas trop sur moi. Avec encore 3 ans de contrat, c’était difficile de persister dans ces conditions.
« Lille ? Je n’ai pas hésité »
C’est là que Lille se manifeste.
Exactement. Il fallait que je me lance. Même pas que je me relance, car je n’étais pas lancée ! Il fallait trouver un projet concret, un endroit où j’allais être bien, où j’allais me sentir bien. Parce que j’aurais pu partir n’importe où en France, ce n’était pas tant l’endroit qui m’importait que l’atmosphère du club. J’ai eu plusieurs propositions, et Lille a été une évidence vraiment. J’avais eu Jules-Jean [Leplus] et le coach par téléphone. Je connaissais Héloïse [Mansuy], je savais que Lina [Boussaha] arrivait, je connaissais un peu Ouleye [Sarr]. Je n’ai pas hésité une demi-seconde.
Comment se déroulent de telles discussions ? On te dit que tu seras titulaire ?
Ah non, franchement pas ! Et je pense que c’est ça qui m’a poussé à venir : c’est la franchise du coach. Je l’ai eu au téléphone et il m’a dit : « ce n’est pas parce que tu viens de Montpellier que tu vas jouer ». Quand il m’a dit ça, je me suis dit : OK, pas de souci, j’arrive. Il n’est pas là pour me cirer les pompes ou pour me dire de belles choses et me faire croire monts et merveilles, il est là pour me remettre en place, me dire ce qui est bien et ce qui n’est pas bien. C’est un peu la mentalité de chez moi : brut de caractère, mais franc. C’est ce dont j’avais besoin.
Tu avais quelle image du LOSC avant de venir ?
J’en ai toujours entendu du bien, mais je ne m’étais jamais fait d’idée… Je savais que les filles s’y sentaient bien, qu’il y avait un bon groupe. Je savais qu’on partait avec un nouveau coach mais, en l’ayant eu au téléphone, avec le directeur, ainsi que les filles, dont l’avis était important, je savais que ça allait le faire.
Pour une fille du Sud comme toi, est-ce que climatiquement ça a été compliqué ?
(rires) Je t’avoue que quand les premières neiges sont tombées et que je n’ai plus réussi à démarrer ma voiture, je me suis inquiétée ! Elle n’était pas habituée. J’avais un copain ici à Lille, je l’ai appelé : « j’ai un problème, viens m’aider, ma voiture ne démarre pas ! ». Il me dit : « non mais t’inquiète ! Ça a juste pris le froid ». Oui mais moi ça ne m’était jamais arrivé ! Ici, le matin, vous avez tous des espèces de petites gratounettes pour le pare-brise… Je ne savais même pas que ça existait ! Le premier jour, j’ai déblayé la neige sur mon pare-brise avec mon balai ! Un soir à l’entraînement, je sentais quelque chose sous mes crampons : je pensais que j’avais un caillou, comme ça arrive parfois… J’ai soulevé mon crampon, c’était un glaçon ! Je me suis dit : « mais où je suis ? Ramenez-moi chez moi ! » (rires) Dans ces cas-là, quand tu démarres l’entraînement, il te faut 15-20 minutes avant que tes pieds soient bien chauds. Mais bon, quand on me demande comment ça s’est passé à Lille, ce n’est pas le froid que je retiens. Si c’était refaire, je le referai 100 fois, 200 fois !
Nord de la France : une pratique quotidienne du 15 septembre au 15 juin
« On avait un groupe exceptionnel…
La descente a été très dure à vivre »
Alors, que retiens-tu de Lille ?
J’ai trouvé à Lille en un an que je ne pense pas retrouver ailleurs. La convivialité des gens, leur chaleur, leur gentillesse. C’est simple : je suis restée un an à Lille, j’avais l’impression que c’était chez moi. J’avais l’impression que c’était la maison, je ne rentrais même plus chez moi. J’arrivais à Luchin comme si j’arrivais à Grammont, alors que Grammont, ça fait 7 ans que j’y vais !
Sportivement, quel bilan tires-tu de la saison ?
Je ne pourrais pas parler de sportif sans d’abord parler de la cohésion au sein du groupe. Parce que vraiment, on avait un groupe exceptionnel : tout le monde s’entendait bien, on se voyait beaucoup en dehors des terrains. Je pense que si on a pu y croire jusqu’à la fin, c’est grâce à cette cohésion. Sur ce point, j’ai connu une saison exceptionnelle. Mais on est descendues, et ça fait chier. Et moi j’y croyais, je pensais qu’on arriverait à s’en tirer, et j’y tenais comme si Lille était mon club de cœur et de toujours. De toute façon, tu as bien vu : quand j’ai marqué contre Montpellier, j’ai célébré, sans penser à l’adversaire.
Ça a été très dur à vivre. Je n’avais qu’une envie, c’est que le club se maintienne : pour les salariés, pour Rachel [Saïdi] ; pour Christophe [Douchez] ; pour l’équipe réserve, obligée de reprendre en R2 ; pour les petites : j’entraînais les U11, Et c’est toujours plus gratifiant de dire « je joue au LOSC en D1 » que « je joue au LOSC en D2 ». Et le club a perdu beaucoup de joueuses. On s’en veut énormément. C’est comme si j’étais venue dans un endroit, que j’avais récupéré quelque chose, et que je ne l’avais pas reposé au même endroit. C’est triste mais dans ces moments là, des gens me disent : « non mais là faut penser à toi, arrête de te prendre la tête, tu t’en vas… », mais moi je ne partais pas dans cette optique là ! Je suis venue ici, tout le monde a tout fait pour que je m’y sente le mieux possible, donc ce n’est pas que moi, mais forcément on a sa part de responsabilité. Il faut du temps pour s’en remettre.
Tu as pris les choses très à cœur.
D’autant que j’ai joué quasiment tous les matches. Alors je me dis que j’aurais pu mieux faire là, ou là… Tu te demandes si tu as fait un truc de mal.
Qu’est-ce qui explique que, malgré la cohésion de groupe que tu évoques et dont on a aussi eu connaissance par ailleurs, l’équipe ait été autant en difficulté une grande partie de la saison ?
Je pense que beaucoup de joueuses ont eu du mal à appréhender les méthodes de Dominique Carlier. Dominique me rappelle un coach que j’ai eu à Clairefontaine : Didier Christophe, qui a joué à Lille d’ailleurs. Pour ma part, je me suis toujours bien entendu et j’ai eu de très bons rapports avec lui. Je le répète : c’est son discours qui m’a donné envie de rejoindre le LOSC. Il a un côté un peu « brut » qui peut passer pour distant, car je pense que sa manière de faire correspond davantage à un football très professionnel, presque le football des garçons. C’est un mode de fonctionnement auquel j’ai été habituée à Montpellier, et c’est pour ça que ça ne m’a pas perturbée. Mais pour d’autres, qui n’ont pas été habituées à ça, parce qu’elles ont toujours joué dans des clubs « semi-pro », ça peut déranger. C’est des choses que tu peux trouver normales quand tu as côtoyé des clubs pros. Je vais donner un exemple : on a joué un match amical contre Barcelone. Des filles ont appris qu’elles n’étaient pas dans le groupe une fois arrivées au vestiaire, car elles ont vu que leur maillot n’était pas accroché. On peut regretter la méthode, mais le problème, c’est que c’est la loi du football, maintenant c’est comme ça. Contre Reims, la semaine dernière, une fille de notre équipe s’est échauffée, et est ensuite retournée en tribunes. Et elle l’a su le jour du match.
Tu veux dire que Dominique Carlier avait un mode de fonctionnement qui correspondait davantage à ce milieu plus professionnel, avec son côté un peu ingrat ou impersonnel ?
Oui, voilà ! Le football des garçons. Nous les filles, on est pleines d’états d’âmes, pleines de susceptibilités qui n’ont pas leur place dans le football professionnel, qu’il soit masculin ou féminin. Il faut savoir mettre son égo de côté. Nous à Montpellier, s’il y en a une qui, du jour au lendemain, se plante sur le fonctionnement, elle dégage. À Lille, tu ne peux pas faire ce genre de choses car tu n’as pas un effectif qui te le permet. Ce genre de pratique ne me choquait pas car j’y ai été habituée. Il m’est arrivé de faire un déplacement à Guingamp… pour être dans la tribune ! C’est des trucs bêtes, mais quand tu es dans un club pro, tu n’y fais plus attention. C’est-à-dire que pour réussir, il faut passer par là. Mais après, à partir du moment où c’est ton coach, ton supérieur, enfin moi je le vois comme ça, tu n’as pas ton mot à dire. J’aurais peut-être un autre avis si j’avais été sur le banc : moi j’ai joué presque tout le temps… Et je comprends aussi que des joueuses se plaignent de ne pas jouer à leur poste.
Sur le terrain, on n’a pas vu de défaillances individuelles, on avait vraiment le sentiment d’un problème collectif.
Tu peux avoir les meilleures joueuses du monde, si la rencontre entre un groupe et un entraîneur ne passe pas comme il faut, ça ne marchera pas. L’année dernière à Montpellier, dans un groupe avec des internationales, des joueuses exceptionnelles, les filles n’étaient que huitièmes au bout de la 6e journées… Je ne dis pas que Dominique était en tort car, que ça marche ou pas, c’est toujours le produit de la rencontre entre un groupe et un staff. Là, les profils ne se sont pas trouvés. Peut-être qu’on ne parlait pas le même football. Dans ces cas-là, il faut savoir prendre une décision rapidement, et là ça a été pris trop tard. La décision aurait dû être prise avant la trêve hivernale.
Est-ce qu’il a été question que tu restes à Lille en cas de maintien ?
Étant sous contrat avec Montpellier, je n’avais pas les cartes en mains. La priorité pour moi, c’est d’avoir du temps de jeu, j’en ai parlé avec le staff de Montpellier et avec l’entraîneur de l’équipe de France B. Donc si Montpellier ne me proposait pas de temps de jeu et que Lille restait en D1, rester à Lille aurait été mon premier souhait. Ici, le coach m’a dit qu’il comptait sur moi. Donc à partir du moment où je suis sous contrat avec Montpellier….
« J’ai besoin de jouer »
Venons-en à cette année : tu t’entends bien avec le coach [Frédéric Mendy], il a joué à Bastia !
Oui (rires) ! Il a un caractère qui me fait penser à chez moi. Il a joué 7 ans en Corse, et lui-même dit qu’il est Corse ! On s’entend très bien. C’est sa première expérience d’entraîneur chez les filles. Précédemment, il avait eu les U16, les U17 et les U19 à Montpellier, chez les garçons.
Moi je suis une grande fan de Bastia : c’est l’équipe de mon enfance, j’allais regarder les matches quand ils étaient en National et en Ligue 2. Je descendais d’Ajaccio en train jusque Bastia. Mon père venait me chercher à mi-chemin, à Corte, en voiture, parce que la micheline en Corse, ça va moins vite que la voiture ! Et il m’est arrivé de regarder des vidéos de lui, et c’était vraiment un casseur ! Là je suis à 2 cartons jaunes en 2 matches, je sais qu’il ne va pas me le reprocher (rires) !
Quelles sont les ambitions pour cette saison, collectivement et personnellement ?
Collectivement, gagner le plus de matches possible pour aller le plus loin possible. Personnellement, avoir le plus de temps de jeu possible. Après avoir fait une saison si complète à Lille en termes de temps de jeu, j’ai besoin de jouer. On dit toujours qu’il faut le double de temps durant lequel on a été arrêté pour revenir à son meilleur niveau. Donc comme j’ai été arrêtée 3 ans, il va me falloir du temps ! Il y a beaucoup de monde à mon poste, et beaucoup de joueuses talentueuses. À l’entraîneur de déterminer sa charnière centrale et de faire jouer celles qui s’entendent le mieux.
As-tu en tête la sélection nationale ?
Déjà… la B. On verra. Je ne suis pas pressée. Avec tout ce qui m’est arrivé, je préfère prendre mon temps. Je ne me voyais tellement pas là, 4-5 ans en arrière… Jamais j’aurais pu imaginer tout ce qu’il s’est passé. Alors… pour ne pas être déçue, mieux vaut parfois ne s’attendre à rien ! Je vis au jour le jour. Pour l’instant, je suis en bonne santé, je suis à Montpellier, et j’essaie de gagner du temps de jeu.
J’imagine que tu as regardé la coupe du monde ! Est-ce que quelque chose a changé depuis la reprise ?
Je ne saurais pas trop te dire. Je ne pense pas qu’il y ait une dynamique exceptionnelle car il n’y a pas énormément de monde qui vient voir les matches… Mais ça peut se faire petit à petit : j’ai cru comprendre que beaucoup de petites s’étaient inscrites dans les clubs de foot. La coupe du monde n’aura pas de retombées immédiates, mais ça devrait bousculer les générations suivantes. Un peu comme les garçons d’avant qui ont oeuvré pour que ceux d’aujourd’hui soient dans les meilleures conditions possibles, le travail d’aujourd’hui se fait pour les générations suivantes.
Merci pour ta disponibilité ! On pense bien à toi. Tu nous manques !
Merci à toi, ça m’a fait plaisir. J’aimerais tellement tomber contre vous en coupe de France. Franchement… C’est un grand souhait.
Cette fois, ne te gêne pas pour faire une passe décisive à notre avant-centre !
(rires) Je ne sais pas si ils seront d’accord du côté de Montpellier !
Merci à Morgane Nicoli pour sa disponibilité, et au service de presse du MHSC !
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