Posté le 9 janvier 2020 - par dbclosc
Le coup de barre du LOSC
Le 24 mai 1959, le LOSC reçoit Nîmes au stade Henri-Jooris. Le piètre résultat (0-0) condamne le LOSC à la D2. C’est la deuxième relégation en 3 ans : un déclin durable après la glorieuse décennie d’après-guerre. Ce coup de barre est symbolisé ce jour-là par un incident : une barre transversale cède en plein match.
Après une décennie de trophées nationaux, le LOSC est en sérieuse perte de vitesse. Déjà en 1955, malgré une cinquième coupe de France, il avait fallu passer par les barrages pour se maintenir en championnat ; la sanction tombe en 1956 : le LOSC en D2, c’est la chute d’un monument. Mais les Dogues remontent immédiatement et signent même une belle 6e place en 1958. Ce sont malheureusement les derniers soubresauts du club avant plusieurs décennies de turbulences, marquées par des montées, des descentes, et bien souvent le ventre mou comme ambition.
En cette fin mai 1959, les Lillois sont bien mal en point : ils sont 18e, relégables avec 28 points. Devant, ils peuvent encore doubler Nancy, Lens (29 points) et Limoges (31 points) – la victoire est à 2 points. Alès et Marseille sont déjà condamnés. Rien d’insurmontable, mais 4 équipes descendront en D2… Or, c’est Nîmes qui se présente, deuxième, à 4 points du leader, Nice. Mathématiquement, les Crocodiles peuvent donc encore décrocher le titre, même si la différence de buts par rapport aux Aiglons leur est très défavorable (+35 contre +45).
Comment en est-on arrivé là ? Les Dogues marquent beaucoup, mais ils encaissent encore plus : déjà 75 buts concédés, dont 13 par le seul RC Paris (1-6 à Henri-Jooris, et 2-7 là-bas). 5 à Limoges, 4 à Reims, contre Rennes et Saint-Etienne… Les quelques coups d’éclat à domicile (5-0 contre Limoges, 6-1 contre Valenciennes) et les 17 buts de René Fatoux ne peuvent compenser un parcours chaotique, avec seulement 8 points pris à l’extérieur. Pour la première fois, le LOSC a changé d’entraîneur en cours de saison : André Cheuva, qui était sur le banc pour la 13e saison consécutive, a été remplacé en décembre 1958 par Jacques Delepaut, lui-même ancien joueur du LOSC. Insuffisant, pour le moment, pour redresser la barre.
D’ailleurs, Lille, quelle que soit l’issue de cette saison, va de nouveau changer d’entraîneur : un accord de principe a été trouvé avec Jules Vandooren, qui d’ailleurs assistera au match. Il semble par ailleurs que cette nouvelle saison décevante signe la fin de l’ère Louis Henno. Nous y revenons en fin d’article.
Jacques Delepaut et Jules Vandooren
(Photographies extraites de l’ouvrage de Paul Hurseau et Jacques Verhaeghe : Olympique Lillois, Sporting Club Fivois, Lille OSC, coll. Mémoire du Football, Alan Sutton, 1997)
Les Nîmois, entraînés par Kader Firoud, sont intraitables à domicile et ont déjà gagné 8 fois à l’extérieur. À l’aller, les Crocos ont gagné 3-0. Autant dire que ce ne sera pas une partie du plaisir face à une équipe que la Voix du Nord qualifie de « rapide et volontaire (…) Nîmes va très vite, pousse ses attaques à fond et donne généralement le ton par son football de mouvement et d’engagement physique total ». Mais il y a une petite lueur d’espoir pour le LOSC : Nîmes est privé de 3 de ses titulaires : Henri Skiba qualifié de « multiplicateur », Bernard Rahis et André Schwager.
Kader Firoud fut joueur (1948-1954) puis entraîneur (1955-1964 ; 1969-1978) du Nîmes Olympique. Avec 782 matches sur le banc, il est seulement devancé par Guy Roux au nombre de matches dirigés en D1.
Le LOSC joue donc une partie « capitale, sinon décisive », estime la Voix du Nord : « s’il veut se sauver – et c’est encore très possible – il faut absolument remporter les deux dernières rencontres ».
Voici les équipes annoncées :
Il fait très beau temps. 7 642 personnes ont pris place dans les tribunes d’Henri-Jooris, et M. Devillers donne le coup d’envoi. Les Dogues réalisent une belle première mi-temps : ne manque que l’efficacité. C’est même une succession de maladresses que vont présenter les Lillois, qui attaquent principalement par la droite car l’arrière gauche Nîmois (Charles, pas annoncé par la VDN) est un amateur « loin de la force de ses partenaires Lafont et Bettache ». Chaque attaque sur ce côté est une menace, et Rozak, le gardien des Crocos, a « 10 fois plus à s’employer que son vis-à-vis Van Gool ». C’est d’abord Devlaminck, bien servi par Clauws, qui tente un lob qui termine à côté ; puis Heutte, servi par Bourgeois, tombe sur Rozak. On ne compte pas les occasions lilloises : Devlaminck de la tête, à côté (16e), Heutte qui manque un face-à-face (20e), un retourné de Devlaminck arrêté par le gardien (30e), un centre-tir de Viaene mal estimé par Rozak que le demi-droit dégage en catastrophe (36e), une nouvelle tête de Devlaminck au dessus (38e), une frappe de Bourgeois sur Rozak (41e), puis Devlaminck, toujours maladroit (44e). En face, privé de 3 attaquants, les Nîmois présentent une « ligne offensive plutôt boiteuse » ; il n’empêche : « Akesbi, fin joueur à la technique excellente, aurait pu être très redoutable s’il avait été mieux appuyé ». On s’en rend compte quand il envoie une demi-volée que Van Gool dévie en corner (21e), ou quand il inquiète encore le gardien lillois (45e). Auparavant, Van Gool avait également repoussé un tir de Emilio Salaber.
À la mi-temps, c’est 0-0, et ça ne fait pas les affaires du LOSC, incapable de profiter des handicaps de Nîmes, amputé de son attaque qui ne vaut que par Akesbi. La maladresse des attaquants lillois saute aux yeux : « Devlaminck était réputé, à juste raison, pour son habileté dans les reprises de la tête. Dimanche, il les manqua toutes, expédiant à côté ou au-dessus des balles qu’en d’autres temps il aurait facilement placées au fond des filets ». Rozak, quant à lui, est « excellent », multipliant « parades et plongeons dans les pieds de ses adversaires ». Les spectateurs devisent sur l’issue du match. Roger Boury, joueur de Lens, est présent, et dit, à propos des Dogues : « s’ils ne gagnent pas ce match aujourd’hui, ils n’en gagneront jamais d’autre ».
Jules Vandooren, qui a l’air de bien rigoler, et Pierre Klès en tribunes
La deuxième période reprend sur un tout autre rythme. Les Lillois paraissent découragés, tandis que les Nîmois semblent se contenter d’attendre : « les Nîmois, n’espérant probablement plus rejoindre les Niçois à la première place, semblèrent jouer sans grande conviction. Les Lillois non plus d’ailleurs, et c’est bien triste ». Au déluge d’occasions de la première période succède une partie monotone, qui s’enfonce dans un profond ennui. Jusqu’à l’heure de jeu, où une séquence inattendue va réveiller le public.
Devlaminck botte un corner. Le ballon, rentrant, est dangereux pour le gardien, qui renvoie du poing et offre un nouveau corner aux Dogues. Mais Rozak est mal retombé : il faut dire qu’il a eu la mauvaise idée de se suspendre avec son autre main à la barre transversale de son but, qui a cédé. Impossible de continuer à jouer dans ces conditions ! Le terrain est investi par les officiels, qui regardent le but avec circonspection. Que faire ?
L’initiative vient du « brave Max », concierge du LOSC, qui tente une réparation de fortune avec des planches, opération que la VDN qualifie d’ « antiréglementaire ». Mais cet arbitre-là a l’air de valider le procédé.
Seulement, « lorsqu’on éprouva la réparation, la barre craqua de nouveau ». Il faut trouver une barre de remplacement, et Henri-Jooris n’en a pas. Quelle stade, d’ailleurs, à cette époque, en possède une ? Une délégation se rend illico au stade Guy-Lefort de Lambersart, à quelques dizaines de mètres de là, pour voir si l’Iris Club n’aurait pas une barre à prêter. Bonne nouvelle : on a trouvé une barre !
« Le public était en joie. Un spécialiste commanda la manœuvre, et tandis que l’on jouait de la masse pour desceller la barre , les spectateurs scandaient le mouvement :’ oh hisse ! Oh hisse !’ ». Au bout de 34 minutes de joyeuse interruption, l’opération était terminée, et une nouvelle barre, plus mince mais intacte, était en place.
Devant un public hilare, les Dubreucq se font la courte échelle pour remettre le filet en place
Une barre et ça repart : le match reprend. Dans la lignée du début de seconde période, c’est un festival d’approximations : « lorsque le jeu put reprendre, les maladresses se multiplièrent des deux côtés : mauvaises passes, tirs imprécis, lenteur d’exécution ». Les seuls moments d’intérêt consistent à savoir, quand le ballon approche le but nîmois, si Rozak va remettre ça. Il faut attendre les 5 dernières minutes pour que les Dogues se créent d’ultimes occasions, mais ni Heutte, sur une passe de Bourgeois (85e), ni Clauws (87e), ni Devlaminck (88e) ne parviennent à marquer le but de l’espoir. Le match se termine sur le score de 0-0. Avec les autres résultats de la journée, le LOSC est condamné à la D2.
Pour la Voix du Nord, les meilleurs à Lille ont été : Zamparini, Nowotarski, Clauws, Viaene ; à Nîmes : Bettache, Lafont, Bariaguet, Rozak, Akesbi.
Rozak s’interpose face à Viaene
La Voix du Nord regrette les nombreuses occasions manquées par le LOSC : « les loscistes ont eu, au cours de la partie, des occasions de but comme rarement on peut en avoir. Ils les gâchèrent toutes (…) On ne peut certes reprocher aux Lillois de n’avoir pas lutté, mais ce ne fut pas avec la foi, l’enthousiasme, que nécessitait leur situation ». Jules Vandooren, futur entraîneur des Dogues, pointe les lacunes de l’équipe : « ils ne savent pas changer de rythme ! C’est comme une voiture qui n’aurait qu’une seule vitesse ». Et même Kader Firoud, l’entraîneur de Nîmes, souligne que ses Crocos étaient prenables : « on n’aurait jamais cru que l’équipe lilloise jouait le match de la dernière chance, et pourtant ma formation, excepté en défense, ne tournait pas rond ! »
Finalement, heureusement que l’épisode de la barre a égayé la rencontre, et permet de voir descendre le LOSC avec un petit sourire. La VDN ironise : « on n’a pas idée de jouer les Tarzan quand on pèse 87 kg et quelques hectos ! », tandis qu’André Guilcher souligne toute la maladresse de son équipe : « pas étonnant que ces barres ne résistent pas. Nous les fatiguons tellement en shootant dessus à l’entraînement… ! »
Il n’empêche : cette descente est bien la fin d’une époque. Le LOSC termine la saison une semaine plus tard avec une nouvelle et lourde défaite : 0-3. 78 buts encaissés, c’est encore à ce jour la pire performance de son histoire. Le crédit obtenu depuis 1944 s’effrite progressivement. Lundi 26, la lettre de démission de Louis Henno est arrivée au secrétariat du club. C’était dans l’air depuis un moment : « Louis XIX » a fait son temps. Le club accuse un déficit de 45 à 50 MF. Il faudra se séparer de nombreux joueurs, sans garantie de pouvoir recruter. Le jour-même, le comité directeur accepte la démission et nomme Pierre Klès, tandis que Henno ne sera plus « que » président d’honneur, bien en retrait. Au cours d’une brève cérémonie, la Voix du Nord indique que le LOSC a opéré une « véritable révolution et a fait table rase de tous les principes qui régissaient le club jusqu’alors », dans une salle où « des escouades de coupes et des fanions » rappellent au club sa « gloire passée ».
4 commentaires
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8 février 2022
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Stanaszek Eddie a dit:
J’étais avec mon père juste derrière le but de Rozak, j’avais 10 ans et demi.
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22 mars 2020
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Louis Lemaire a dit:
Je m’en souviens comme si c’était hier.
J’étais derrière le but de Rosak.
À l’époque les joueurs s’échauffaient derrière cette tribune et on les côtoyaient comme des joueurs de district aujourd’hui !!!
Vraiment une autre époque !!
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19 mars 2020
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delmare a dit:
j’y etait juste derrire le but avec mon pére j’avais 11 ans
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20 mars 2020
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BEERNAERT a dit:
J’allais avoir 13 ans, j’y étais aussi, tribune latérale coté opposé au but concerné! je me rappelle de cette cavalcade des gars revenant avec la barre et du public mort de rire!!!
comme quoi le LOSC c’est une histoire et une belle histoire