Posté le 27 janvier 2020 - par dbclosc
1950, la première double confrontation entre le LOSC et Chelsea
Et dire que certains ont fait de la confrontation en Ligue des Champions 2019/2020 une affiche inédite…! En mai puis en novembre 1950, le LOSC et Chelsea s’affrontaient pour la première fois.
Le 4 mai 1950, le LOSC reçoit Reims, champion en titre, au stade Henri-Jooris. Il s’agit d’un match avancé de la 33e journée du championnat, qui devait se dérouler dimanche 14 mai. Or, ce jour-là, les Rémois ne seront pas disponibles puisqu’ils disputeront la finale de la coupe de France. Face à des Rémois privés de Penverne, Flarmont et Appel, le LOSC s’impose 4-0 (buts de Vuye 40e, Strappe 48e et 61e, et Vandooren 80e). Mais 3 jours plus tard, le LOSC s’incline à Sochaux, malgré un nouveau but de Jean Baratte (1-3) : dès lors, avec 33 matches joués sur 34, les Lillois sont désormais à 4 points du leader bordelais, qu’ils ne peuvent donc plus rejoindre. Et, cette année, il n’y aura pas de finale de coupe pour se consoler, car l’adversaire des Rémois est le RC Paris, qui a éliminé le LOSC en quarts de finale. Après 5 années consécutives de présence, c’est la première fois depuis la Libération que les Dogues ne jouent pas la finale de la coupe de France ! Mais les dirigeants lillois ont trouvé une autre consolante : dimanche 14 mai à 15h30, le stade Henri-Jooris sera le théâtre d’une affiche amicale entre le LOSC et le Chelsea FC.
C’est une semaine d’honneurs pour le LOSC, puisqu’elle débute le dimanche précédent par la remise à son président, Louis Henno, des insignes d’officier de la Légion d’Honneur (kebab), par l’entremise d’Emmanuel Gambardella, reconnaissable à sa coupe, et président de la Fédération Française de Football Association et du Groupement des clubs autorisés. Assurant que « le LOSC demeurerait un des phares du football français », Louis Henno, dans une ambiance très mondaine, a effectué un bref discours devant 130 convives « dont cent au moins sont des dirigeants sportifs connus et tous aimablement accueillis et répartis par le maître de cérémonie, qui n’était autre que M. Dupont » assure la Voix du Nord1, qui ne se doute pas que « M. Dupont » n’est pas très connu des lecteurs du XXIe siècle.
Revenons à l’essentiel. Il y a bien longtemps que le Nord n’a pas vu une équipe anglaise : avant guerre, l’Olympique Lillois, avant la reprise du championnat, avait eu l’occasion d’offrir à son public un match international. Ainsi, Sunderland, Shieffield Wednesday ou encore Düsseldorf étaient venus au stade Victor-Boucquey, qui ne s’appelait pas encore Henri-Jooris, sinon on aurait écrit Henri-Jooris. Depuis la Libération, sont venus les Young Fellows de Zurich, puis l’équipe de Göteborg mais, selon René Massinon de la Voix du Nord, « le football pratiqué par ces formations, nous devons le reconnaître, est loin d’avoir le même panache que celui des Britanniques dont la technique leur a permis d’être des maîtres en ce sport ». Il paraît qu’à cette époque, parmi les équipes anglaises, seul Arsenal dispute annuellement un match à Paris. La venue de Chelsea, qualifié de « Red Star de Londres », est donc un événement qui permet, à une époque où la coupe d’Europe n’existe que via la première édition de la coupe latine en 1949 (avec 4 participants) de mettre aux prises deux équipes de pays différents et, au-delà, deux cultures, voire deux façons de jouer, dont on se demande si les descriptions journalistiques sont fidèles ou exagérées. Probablement que, en effet, on peut, bien plus qu’à notre époque, déceler des styles de jeu nationaux. Il n’empêche, la lecture systématiquement culturaliste des événements, y compris hors du terrain, prête bien à sourire aujourd’hui. La Voix du Nord et la Voix des Sports se languissent de voir « le visage du football anglais ». L’arrivée de la délégation de l’équipe de Chelsea, vendredi 12 mai, par le train de 16h47 venant de Calais, suscite un grand enthousiasme : ces Britanniques, 12 joueurs et 6 dirigeants, sont « pareils aux collégiens d’un grand orchestre (..) même pantalon de flanelle grise, même cravate aux couleurs du club, même veste bleue marine ornée de l’écusson de Chelsea » ; « dès que l’on entre en conversation avec ces hommes, on est frappés par la discipline qui règne chez eux ». Hé ben on espère que ça fait pas trop mal !
Sur le plan sportif, les différences sont revendiquées par le président du club lui-même : « c’est surtout la technique qui nous distingue », tandis que l’entraîneur, Norman Smith (que la Voix appelle « coach » avec le sentiment d’une immense transgression, comme à chaque fois qu’un anglicisme est utilisé), assure de la spécificité de son organisation tactique : « nous ne connaissons pas très bien le football français. Quant à nous, le WM que nous pratiquons est souple, aéré ; le marquage étant sensiblement sacrifié au bénéfice de l’interception et du placement rationnel ». Jean Chantry, de la Voix du Nord, qui a vu ces « remarquables athlètes » s’entraîner samedi 13, l’assure : « s’ils répondent assez parfaitement à l’image du footballeur britannique, ils brillent essentiellement par leurs qualités techniques. Feintes, amortis, contrôles, précision et frappe de balle sont quasi-naturels chez ces hommes ».
http://www.dailymotion.com/video/x2r2dmf
Accueillie à la gare par les dirigeants lillois, la délégation anglaise file à l’Aubette, siège du club, puis à l’hôtel, avec l’aide de M. Wilson, un anglais, arbitre national en France, qui sera au sifflet lors de la confrontation. Le souper est prévu à 19h, puis départ en groupe au spectacle : « nos amis Britanniques, lorsqu’ils descendent à Paris, filent d’emblée aux Folies-Bergères. À Lille, ils retinrent immédiatement leur place au Casino, où un accueil très chaleureux leur fut réservé ». Le lendemain, samedi, après un entraînement matinal, les Anglais se rendent à Ypres, où sont tombés bon nombre de leurs compatriotes durant la première guerre mondiale. Comme les Lillois, ils sont déjà en vacances, à la différence près que leur championnat est déjà terminé. Chelsea s’est classé 13e en championnat, et a fait bonne figure en coupe, n’étant éliminé que par le vainqueur de l’épreuve, Arsenal (2-2, 0-1, après 240 minutes). Selon la Voix du Nord, les joueurs de Chelsea sont « dignes de l’équipe nationale française. Et Pourtant chez eux, ils ne sont que 13e du championnat. Il est vrai que le dernier de la seconde division anglaise laisserait sur place Montpellier ou Metz ». Allez hop, dans la gueule de Montpellier et de Metz, qui n’ont rien demandé !
La vedette annoncée de l’équipe de Chelsea est l’avant-centre Roy Bentley, « idole de toutes les foules britanniques », malheureusement absent à Lille pour cause de sélection nationale. Mais les talents ne manquent pas : le gardien Harry Medhurst a un jeu « presque parfait » ; Stam Willemse, arrière gauche « possède une technique remarquable » ; John Harrts, le capitaine, est un « joueur complet », international écossais tout comme Campbell Robert, demi « à la technique incomparable » ; Benny Jones possède « un tir puissant des deux pieds » ; en outre, Chelsea peut compter sur Sydney Bathgate, 30 ans, au club depuis ses 16 ans, ou sur Ken Armstrong, qui n’a pas manqué un match depuis 2 ans.
Avant la rencontre, c’est déjà l’heure des festivités : « les joueurs du LOSC ont remis à André Cheuva une magnifique pendulette. Ce geste toucha profondément l’entraîneur losciste. Quant à Jadrejak, depuis 10 ans au même club, il reçut un splendide et énorme briquet de salon ».
Du côté du LOSC, seul Prévost, claqué, est indisponible.
15 000 personnes sont présentes à Henri-Jooris. Voici les compositions :
LOSC
Angel, Van Cappelen, Vuye ; Vandooren, Sommerlynck, Dubreucq ; Walter, Strappe, Baratte, Tempowski, Lechantre
Chelsea
Medhurst ; Willemse, Bathgate ; Amstrong, Harris, Mitchell (puis Dickson) ; Gray, Goulden, Billington, Williams, Jones
C’est Chelsea qui se montre dangereux le premier. Le gardien du LOSC, Pierre Angel, intervient dès la 5e minute pour repousser une frappe de Goulden. Puis deux occasions de Strappe, qui frappe à côté (7e, 12e), promettent un match emballant. Mais en première période, il n’y a pas photo : les Anglais dominent, et sans un excellent Angel, décisif sur une frappe de Williams détournée en corner (30e), sur un « centre-shoot » de Gray (33e), ou encore devant Williams (42e), les locaux seraient menés. Pour René Massinon, chargé du compte-rendu pour la VDN, « la qualité de spectacle est exceptionnelle » et les spectateurs sont « emballés par la maîtrise des Britanniques » : « les Britanniques n’appliquent point le WM avec une rigueur absolue, parce qu’ils misent sur l’interception, sur le remarquable placement de leurs défenseurs et surtout sur la puissance de leur ‘tackling’ ». L’opposition de styles annoncée semble se vérifier, avec des Anglais bien plus techniques, qui se permettent de faire jouer Goulden, 37 ans, car « la technique leur permet de faire voyager la balle vite, de manière précise », face à des Lillois qui misent davantage sur leur rapidité et sur des percées individuelles. Ainsi, après une première période « magnifique », « nettement à l’avantage des Anglais dont la maîtrise étonnait la foule », le score est de 0-0. Car si Chelsea a des « techniciens hors pair », son équipe « se contentait de construire un football qui plut », mais qui n’a pas permis de marquer en dépit de sa domination. On peut imputer une partie de la stérilité offensive des Anglais à l’absence de ses deux grands animateurs de l’attaque, Campbell et Bentley. Si bien que le vent a commencé à tourner dès la fin de la première période.
En effet, à mesure que le match avance, les Dogues développent « conviction et alacrité dans le jeu : le football britannique en fut désorganisé en un rien de temps à la fin de la première période ». Quand les joueurs de Chelsea reviennent sur la pelouse pour la seconde période, « les applaudissements fusaient dans le stade » : fair-play, le public d’Henri-Jooris ? « Il se demandaient ce qu’ils avaient bien pu faire pour mériter de tels encouragements. S’ils avaient su, les pôvres ! ». En fait, le speaker du stade venait d’annoncer le deuxième but de Reims en finale de coupe de France.
En deuxième période, c’est un « LOSC déchaîné en attaque » qui se réveille. Si Billington frappe un coup-franc dangereux, arrêté par Angel (48e), les Anglais sont de plus en plus débordés par « l’interpénétration, c’est-à-dire les dédoublements » des Dogues. Strappe, Lechantre et Tempowski attaquent par les ailes. Seul Walter est bien pris par son « garde-chiourme Bathgate qui ne lui épargnait pas les coups dans les jambes ». À la 53e, Baratte trouve Strappe, qui tire de peu à côté. Chelsea passe alors à une défense de zone, mais les Anglais semblent avoir perdu leurs repères, en laissant seuls, à plusieurs reprises « Baratte et Lechantre démarqués dans une portion de terrain qu’ils n’avaient pas jugé bon de surveiller. Et la pointe de vitesse des Nordistes les désempara ». 58e minute, dernière occasion pour Chelsea, avec un coup-franc tiré par Harris, dégagé en catastrophe par la défense lilloise. Désormais, les vagues offensives lilloises se succèdent.
Medhurst s’interpose devant Baratte
À 20 minutes du terme, les Dogues trouvent la faille : sur un centre de Strappe, Lechantre et Willemse sont surmontés ; la balle arrive au second poteau sur Vuye qui reprend instantanément du gauche et marque (1-0, 70e). Quelques minutes après, Lechantre est proche du break, qui ne tarde pas à arriver : une passe de Lechantre dans l’axe que Baratte laisse filer permet à Tempowski de filer au but, d’éviter la sortie du gardien et d’inscrire le deuxième but des Dogues (2-0, 81e). « Précisons que sur le second but, un bon gardien français n’eut pas été battu : Tempo, ayant réussi à passer Willemse, arrivait seul devant le goal, la balle roulant à un mètre de lui. Un Da Rui eut plongé dans les jambes ; Medhurst sortit en courant et se fit battre à la course par le Lillois, lancé en pleine foulée ». Une minute plus tard, Lechantre frappe sur le poteau ; puis Baratte reprend de volée un centre de Lechantre (3-0, 84e). À l’issue d’une superbe deuxième période, le LOSC s’impose 3-0.
Comme pour mieux mettre en valeur le LOSC, la Voix des Sports et la Voix du Nord insistent surtout sur la qualité de l’équipe adverse, exception faite de sa ligne d’attaque, assez lente, prise par les rapide Van Cappelen et Vuye. Seul se détache le grand Williams « dont la grande carcasse se promena durant les 90 minutes dans tous les coins du ground ». Mais dans l’ensemble, Chelsea a été « très brillant » : « peu soucieux du résutat, les Anglais cherchèrent constamment la beauté de l’action, l’impeccabilité technique, la précision du geste ». Surtout, les journalistes français ont été impressionnés par la pratique du « tackling », une « arme de défense ». Jean Chantry note : « vraiment, les foules françaises ignorent ce qu’est le véritable football. Parce qu’elles ont l’habitude de voir Montpellier, Sète, ou des ‘matraqueurs’ du même acabit, elles ont perdu la notion de la faute volontaire ou de la faute involontaire. Si l’on excepte le bouillant arrière-gauche, aucun joueur de Chelsea ne commit une incorrection. Leur jeu, certes, est rude. Le joueur dribblé tente de reprendre la balle en passant la jambe, mais ne bloque pas le pied de l’adversaire. Les ‘tackles’ ou tentatives de blocage de la balle lorsqu’elle se trouve dans les pieds d’un adversaire, sont empreints d’une certaine force qui, fréquemment, envoie le possesseur du ballon à terre. Il arrive même que les Britanniques bondissent littéralement dans la direction de l’adversaire. Dans les deux cas, c’est le ballon qui est visé, et non les jambes de l’adversaire. Le tackling, principal instrument de défense des Britanniques, surprit quelque peu les Lillois. Mais il ne les déçut jamais car il était pratiqué très régulièrement ».
Ainsi, tout le monde est satisfait de l’opération. « J’aime mieux jouer 10 matches contre Chelsea qu’un seul à Montpellier ou Béziers », déclare André Strappe, qui comme tout le monde en veut à Montpellier. Harris, à qui on demande à quel niveau se situerait le LOSC en championnat d’Angleterre, trouve une réponse qui met en valeur son football national : « facilement aux environs de la 10e place ». Billy Birrell, le manager de Chelsea, met de côté le résultat et préfère affirmer que son équipe était à Lille en démonstration : « les rencontres officielles ont, en Angleterre, un autre caractère d’âpreté ; ici, nous avons cherché à montrer aux spectateurs comment nous jouons bien au football. Nous espérons y être parvenus, et le résultat nous importe peu (…) Lille possède une très belle équipe, elle pratique un excellent football, rapide au point qu’il nous désempara en deuxième mi-temps. Les nôtres construisaient, mais ne terminaient pas l’action ébauchée. Il convient de ne point nous juger d’une manière formelle sur cette rencontre. D’ordinaire, nos avants de pointe sont d’une tout autre valeur. Nous aurons l’occasion de prendre notre revanche, puisque nous recevrons, à notre tour, l’équipe de Lille en novembre ou en décembre... ». Rendez-vous est donc pris : pour la seconde manche, il faudra traverser la Manche !
Une semaine plus tard, le LOSC termine son championnat à la deuxième place, après un nul à Paris (1-1), avant de partir en tournée en Allemagne et d’être enfin en congé mi-juin.
Debout : Angel, Dubreucq, Prévost, Jadrejak, Somerlynck, Carré
Assis : Walter, R. Vandooren, Baratte, Strappe, Lechantre, Cheuva
Photo extraite de l’ouvrage de Paul Hurseau, Soixante ans de football au stade Henri Jooris, 1975
L’intersaison est marquée par les départs de Roger Vandooren au CORT et de Roger Carré au RC Lens. En outre, Joseph Jadrejak prend sa retraite et reprend un café à Saint-André. Arrivent le Néerlandais Van der Hart et l’Argentin Carlos Verdeal, tandis qu’éclosent les jeunes Bieganski, Taisne ou Lefèvre. Cet amalgame donne des performances assez similaires à celles de la précédente saison. Nous sommes au tiers du championnat et le LOSC est deuxième, derrière Strasbourg. Le LOSC vient de jouer à Rennes, ce qui occasionnait la présence des 3 meilleurs buteurs du championnat sur le terrain du Parc des Sports de Rennes (les Rennais Grumellon et Combot, et le Lillois Baratte, tous 3 à 11 buts) : du coup, ça a fait 0-0. Preuve que les Dogues font toujours recette, littéralement : la venue du LOSC a attiré 18 817 spectateurs et le record de la recette à Rennes a été battu (pour info : 3 222 050 francs). Pour la Voix des Sports, si le score est resté vierge, c’est en raison de la pluie qui s’est abattue sur Rennes en deuxième période : « le sol, déjà meuble auparavant, fut plus gluant encore ». C’est après cette rencontre qu’arrive la deuxième confrontation amicale contre les Anglais de Chelsea, le 15 novembre. Chelsea, de son côté, reste sur une belle perf : les Blues ont battu Manchester United 1-0. Ils sont cependant 19e (sur 22).
Les Lillois sont au complet, hormis Walter, qui souffre d’une entorse. La délégtion du LOSC, composée de 50 personnes, rejoint Londres en 6 heures. La traversée en bateau jusque Folkestone a été un baptême de l’eau pour quelques-uns des Dogues, baptême un peu nauséeux pour certains, ainsi que le raconte Jean Chantry : « la mer, assez houleuse, provoqua chez Lechantre quelques malaises, tandis que Vuye, Angel et Dubreucq, qui n’ont pas le pied marin, durent gagner le pont supérieur, où l’air vif du large leur évita de ‘laisser l’appétit à la mer’ ». L’arrivée en gare de Londres-Victoria offre une belle surprise : un large comité d’accueil notamment composé de « sympathiques joueurs de Chelsea » et, cerise sur l’Hitoto, la « délicieuse Sylvie Saint-Clair », célèbre actrice, animatrice et chanteuse de l’époque, dunkerquoise d’origine.
De gauche à droite : Dubreucq, Baratte, Saint-Clair, Harris, Poitevin
Photo issue de l’ouvrage de Patrick Robert : 1944-2014, L’album anniversaire, 70 photos originales, Hugo Sport
« À peine étions nous débarqués à la gare Victoria qu’une armée de photographes vêtus dans le plus pur style dandy britannique et naturellement coiffés du traditionnel melon fixaient pour la postérité cette reprise de contact entre clubs anglais et français sur le sol britannique ». La venue du LOSC en Angleterre n’est pas un événement moindre que la venue de Chelsea à Lille quelques mois plus tôt : un seul autre club français est venu ici depuis la fin de la guerre, mais à en croire la presse régionale, ça ne compte pas : « hormis un insignifiant voyage du Havre AC, qui joua contre une formation de 3e division, il y a 2 ans, aucun club français n’était venu en Grande Bretagne depuis la Libération ». Décidément, ces Anglais sont très bien éduqués, à l’instar de Harris qui « nous ayant reconnu, s’en vint spontanément nous serrer la main ». Les deux délégations échangent quelques amabilités, et Dubreucq arbore dans un premier temps une « mine réjouie » lorsque Harris l’informe de la blessure de Williams, « ce grand diable d’inter qui avait emballé le public nordiste ». Mais il déchante vite : son remplaçant est Bentley, qui n’avait pas joué à Lille pour cause de sélection. Il est considéré comme la Rolls des attaquants et, à ce titre, comme un redoutable adversaire : « ‘enfin, on verra bien !’ déclara philosophiquement le Lambersartois ».
Stamford Bridge impressionne l’envoyé spécial de la Voix : « comparé à bien des stades français, c’est une merveille : 50 000 places, tant pour les matches de football que pour les courses de lévriers qui passionnent une foule de parieurs et font chaque fois le plein ». Les installations dernier cri du stade « ont étonné les Lillois : dans chaque vestiaire on trouve des salles d’hydrothérapie ; le chauffage est électrique et les instructions communiquées par haut-parleur ».
Devant les 10 000 spectateurs de Stamford Bridge, voici la composition des équipes :
Chelsea FC
Pickering ; Bathgate, Hugues ; Armstrong, Harris, Mitchell ; Dyke, Campbell, Billington, Bentley, Gray
LOSC
Angel ; Van Cappelen, Vuye ; Dubreucq, Poitevin, Somerlynck ; Strappe, Meerseman (puis Tempowski) Baratte (puis Mersemen), Verdeal, Lechantre
C’est le scénario inverse du match aller. Cette fois, le LOSC débute très bien, notamment en attaquant par son côté droit : Strappe, Meerseman, Baratte, appuyés par Dubreucq, combinent à merveille et utilisent, comme à Lille, l’arme du redoublement que les Anglais semblent ne pas maîtriser. Baratte, dès la 6e minute, seul, frappe à côté. Ainsi, durant la première demi-heure, le LOSC « n’a rien à apprendre » des Anglais : « nous avions peine à le croire. Et pourtant, ces joueurs au maillot chevronné rouge et blanc étaient bien les Lillois qui manoeuvraient avec autorité sur la pelouse glissante du Chelsea FC. Baratte, Meerseman, Strappe, se riaient du marquage britannique, désaxaient la défense, par des permutations (peu pratiquées par les Britanniques), se ruaient dans les espaces libres, tandis que le bloc arrière, grâce à un excellent placement, étouffait la majeure partie des attaques. Dubreucq, Van Cappelen, Poitevin, Somerlynck même, réussirent certains dribbles ou contrepieds qui leur valurent les applaudissements d’une foule extrêmement ‘sport’, sensible à la beauté du spectacle, fût-il donné par des Français (…) seul le shoot, cette arme britannique, laissait à désirer ». Et en effet, si les Dogues font le spectacle, les tirs sont Anglais, si bien qu’« Angel réussit des parades transcendantes qui lui valurent de nombreux applaudissements » : aux 2e, 5e et 15e, il repousse brillamment les tentatives de Billington. À la 14e, suite à une charge du même Billington, il reçoit un coup dans l’oeil et se foule le pouce droit : après ce match (qu’il termine), il sera absent 6 semaines. Dans la foulée, sur un centre de Dyck, c’est Gray qui ouvre la marque pour les Anglais (1-0, 16e). À partir de la demi-heure, la supériorité du jeu collectif anglais s’affirme : hormis une belle action Verdeal/Barratte/Strappe à la 30e, les Lillois ne procèdent alors plus que par des actions individuelles, notamment grâce à un Strappe « très à l’aise ». Progressivement, Verdeal est dépassé par la rapidité des mouvements de jeu, son jeu devient « terne », « et tout le côté gauche (Somerlynck surtout) en souffrit ». à la 34e, « Lechantre perce, dribble arrières et goal mais ne peut empêcher la balle de sortir » : c’est la dernière action dangereuse des avants lillois. Juste après, Bentley trouve le poteau d’Angel (38e). C’est la pause et Chelsea, qui est monté crescendo, mène 1-0.
Bentley domine Dubreucq et Van Cappelen
Mis à rude épreuve physique, les Lillois, auteurs pourtant d’une belle entame, se désorganisent. Victime d’une déchirure, Baratte est contraint de sortir à la pause : il est remplacé par Tempowski, qui prend la place de Meerseman, qui prend la place de Baratte. Il y a un « déséquilibre dans l’équipe de Lille, plus lente dans sa conception » ; « tout en se dépensant bien moins, les Anglais obtenaient un rendement nettement supérieur, car ils ne gardaient jamais la balle et la font progresser par déviation de trajectoire vers un partenaire qui n’a pratiquement aucun effort à faire pour la capter, tant la passe est précise ». En somme, la confrontation permet de nouveau d’opposer deux styles de football nationaux : les Anglais jouent collectivement alors que « les Français attendent trop d’un partenaire chargé d’organiser le jeu (…) Alors qu’en France les joueurs se démarquent lorsqu’un partenaire est entré en possession de la balle, les Britanniques anticipent constamment, se démarquent avant que le partenaire ait contrôlé. Mais leur technique est telle qu’ils peuvent se permettre pareilles anticipations. Un seul contrôle raté par Harris lui valut une sévère observation de Smith ». Jean Chantry, quant à lui, profite de la pause pour se goinfrer : « thé et cakes nous ont été offerts. Ne cachons pas que ces coutumes nous ont paru fort courtoises et agréables ». Tu m’étonnes !
La seconde période repart sur les mêmes bases : les rares incursions lilloises dans le camp anglais sont toutes « bloquées par des arrêts corrects, mais très secs » : c’est encore l’application du fameux « tackling anglo-saxon » qui a tant impressionné en mai ! « Verdeal, dont les échappées balle au pied paraissent chez nous un trait de génie ne fit jamais plus de 20 mètres sans avoir été chargé (et de quelle manière!) par les défenseurs anglais. Hargneux, il eut d’ailleurs plusieurs discussions qui se terminèrent par un vigoureux ‘shakehands’, après intervention de l’arbitre ». Devant, Bentley fait forte impression : « sa finesse de jeu et son travail de construction sont de beaucoup supérieurs à ceux de Williams à Lille ». Logiquement, Armstrong double la mise : « profitant d’une remise en touche, il courut en pointe et reçut le balon alors que les défenseurs nordistes s’appliquaient à pratiquer le marquage individuel ». Pas trop réussi le marquage individuel apparemment ! Puis Bentley lobe Angel, sorti à sa rencontre (3-0). La dernière occasion du match permet à Angel de briller une ultime fois en détournant sur le poteau un tir de Gray.
La Voix du Nord souligne que la presse britannique s’étend très peu sur cette rencontre. Mais elle ne manque pas de mentionner l’excellente performance de Pierre Angel, dont les interventions au poing (et d’un seul poing, souligne-t-elle) ont impressionné les journalistes britanniques : « il stoppa de nombreux shoots qui étaient des modèles de puissance et de précision (…) Bentley, réputé en Angleterre pour la puissance de ses reprises de volée, nous assura qu’il avait rarement vu un keeper aussi talentueux ».
Ainsi s’achève cette parenthèse européenne. Chelsea profite d’un goal-average favorable pour se sauver in extremis en fin de saison (20e sur 22), tandis que le LOSC termine la saison à la deuxième place, devancé par Nice au goal-average. Mais comme le champion niçois décline l’invitation à la Coupe latine, c’est le LOSC qui s’y colle et qui retrouve un adversaire étranger dès juin 1951.
Premier rang : Walter, Strappe, Baratte, Verdeal, Lechantre
Deuxième rang : Meerseman, Dubreucq, Poitevin, Somerlynck, Van Lent
Troisième rang : Angel, Van Der Hart, Ben Amar, Van Cappelen, Prevost, Vuye, Piatek
Photo extraite de l’ouvrage de Paul Hurseau, Soixante ans de football au stade Henri Jooris, 1975
1 Sauf indication autre, les citations, extraits et documents reproduits ici sont issus de La Voix du Nord et de La Voix des Sports.
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