Posté le 27 février 2020 - par dbclosc
Sachy dans la colle
En 2000, après une défaite 0-2 à Lille, le gardien sedanais, Nicolas Sachy, a des propos peu amènes à l’égard du LOSC. Probablement déçu à chaud, Sachy écrit quelques jours après dans la Voix des Sports et fait amende honorable. Une polémique en soi pas très intéressante et vite réglée que nous tenions pourtant à raconter pour plutôt tenter d’approcher de quoi elle est le symptôme.
9 décembre 2000 : au stade Grimonprez-Jooris, le LOSC reçoit Sedan pour la 20e journée du championnat de France. Surprise : c’est un match au sommet. En effet, les Sedanais, emmenés par Cédric Mionnet, Olivier Quint ou Luis Satorra, sont leaders du championnat, juste après avoir explosé le PSG (5-1). Un parcours étonnant pour un club qui est montée en D2 en 1998, a retrouvé la D1 en 1999 (tout en arrivant cette même année en finale de la coupe de France), et qui a terminé 7e pour son retour dans l’élite lors de la saison 1999/2000 (on a un peu évoqué cette trajectoire dans cet article sur le Lille/Sedan de 1999). En face, le LOSC, promu, ne vient pas de si loin mais semble suivre les traces des Sangliers : les Lillois, avec un match en moins, sont 5e à 3 points des Ardennais. Depuis la victoire contre Lens en septembre, les Dogues se sont tranquillement installés dans le haut de tableau et gâtent leur public. Mais qui du Dogue ou du Sanglier l’emportera ? Eh bien c’est le Dogue, 2-0.
Ça n’a pas souvent été le cas durant cette saison, mais on peut dire que le LOSC s’en tire bien sur ce match : plutôt dominés, les Lillois ont eu la bonne idée de marquer d’entrée, grâce au premier but sous les couleurs du club de Mile Sterjovski, avant de subir et de concéder de nombreuses occasions : mais les poteaux (3 fois!) et un Wimbée impérial dans le but ont permis de garder la cage inviolée, même à 10 après l’expulsion de D’Amico. En fin de match, Collot double la mise alors que Nicolas Sachy a déserté son but.
Un résumé de la rencontre :
On aperçoit tout le désarroi de Nicolas Sachy au moment du deuxième but encaissé : alors que le raisonnement présidant à la montée devait être « bon, au pire on perd 0-1, alors je tente d’égaliser » et que finalement on se retrouve avec 0-2, il y a de quoi se sentir floué, et même un peu bête quand on court vainement derrière les attaquants adverses filant vers votre but (« hé mais c’est pas ce qui était prévu ça ! On avait dit 0-1 ou 1-1 ! »). Tout le monde ne peut avoir la réussite de Greg Wimbée, mais c’était le jeu.
Au passage, c’est le 18e et dernier but de Patrick Collot avec le LOSC
Nicolas Sachy est un joueur qui correspond bien à l’image qu’on a du groupe ardennais de l’époque : gardien à la carrière ponctuée par des moments d’incertitude, qui a connu le chômage et des clubs en galère financière, il retrouve de la stabilité à Sedan, qu’il contribue donc largement à faire remonter en D1, avec des joueurs au même parcours chaotique, désormais désireux de revanche. Son franc-parler, sa proximité avec les supporters, la mise en avant de la camaraderie dans son métier, et toute cette aventure sedanaise sponsorisée par les voitures Smart en font un bonhomme sympathique, sympathie « récompensée » par une chronique régulière dans Téléfoot durant cette période. Alors, quel est le problème ?
Le problème est qu’à l’issue de ce Lille/Sedan, il déclare : « le LOSC n’a pas été dangereux. Il a joué avec les seules armes qu’il connaît. Les joueurs lillois balancent devant et dévient. Je préfère jouer comme Sedan et perdre 2-0 que jouer comme Lille et gagner ». Une déclaration, en effet, pas des plus malines, mais pas de quoi fouetter un chat non plus, ni même un sanglier. Et pourtant : s’il a voulu déclencher l’ire des supporters lillois, c’est gagné : la semaine suivante, la Voix des Sports est inondée de courriers mécontents. Il est toujours difficile de savoir qui fait la démarche d’écrire à un journal, avec quelles informations, quelles intentions, quelles prétentions, et donc de quoi c’est représentatif, mais c’est toujours fascinant de lire ce que peut déclencher le football et à quel point il suscite des vocations d’experts en divers domaines.
Parmi les lecteurs, il y a ceux qui démarrent au quart de tour et se sentent gravement attaqués dans leur identité dès lors qu’on s’en prend au LOSC : ainsi, J-M, de Lesquin, expert juridique, évoque un Sachy « diffamatoire » envers « cette brillante et courageuse équipe du LOSC » ; mais J-M est aussi psychologue puisqu’il estime que le gardien « s’est senti ridicule en s’inclinant une seconde fois alors qu’il avait déserté son but » ; l’expertise est telle qu’elle se risque à une explication des méandres du raisonnement du gardien de but qui, « probablement, se considère comme une star depuis ses apparitions dans Téléfoot ». M. L., de Beaucamps-Ligny, s’adresse directement à Nicolas Sachy en lui indiquant ses insuffisances physiques : « vous n’avez réussi qu’à trottiner pour tenter, en vain, de revenir dans les buts (…) M. Sachy, sachez désormais que lorsqu’on ne sait pas courir, on reste sagement à sa place. Et si, par la suite, votre équipe se met à enchaîner les défaites, restez-y : vous avez le parfait profil du perdant ». Un autre n’hésite pas à disqualifier le gardien sedannais : « j’ai cru quelques temps que Nicolas Sachy était grand… C’est sans doute un grand dans la victoire, mais un petit dans la défaite ». N’omettons pas l’importante contribution de R.F., de de Saint-Pol-sur-Mer, qui préfère orienter le débat vers quelque chose qui n’a rien à voir : « [Nicolas Sachy] oublie qu’à aller, l’injuste expulsion de Grégory Wimbée avait donné 2 points à Sedan ». Une posture assez proche de celle de M.F., de Flines-lez-Raches, qui après avoir dit tout le mal qu’il ou elle pense de Nicolas Sachy, en profite pour poser la question que personne ne se pose à ce moment-là : « et pourquoi vouloir un stade de 30 à 40 000 places alors que nous n’étions que 15 500 spectateurs pour recevoir le leader ? »
Bref, Nicolas Sachy, c’est un mauvais, c’est caca, c’est pas LOSC, c’est même « contre le LOSC », et tant mieux s’il ne veut pas jouer à Lille, selon R.F d’Auberchicourt : « qu’il se rassure, le LOSC a Grégory Wimbée et n’est certainement pas preneur au mercato. Voilà ce que je pense et… c’est mon choix », l’occasion de souligner que l’année 2000 a vu le lancement, sur France 3, d’une émission de « débat » dont la logique est assez similaire à ce que nous observons : une affirmation fracassante ou une position « hors-norme », volontairement choisie pour sa capacité à polariser des « opinions » dont la logique d’expression, en retour, aboutit bien souvent à la prime aux plus outrancières. Un format dont on peut en partie trouver l’origine dans le football au moment où, ce sport prenant une place médiatique grandissante dans les années 1990, ont essaimé çà et là des émissions comme « on refait le match » sur Europe 1. Le décès d’Eugène Saccomano a opportunément permis de poser la question de son « embarrassant héritage », aujourd’hui généralisé sur les chaînes d’information en continu, quand il s’agit de parler de politique.
Jérôme Latta, sur le site Arrêts sur Images, à propos du talk-show de Saccomano
Pour résumer : une déclaration maladroite, point de départ d’une myriade de réactions épidermiques qui ne cherchent pas à comprendre son contexte d’énonciation, et qui autorise les jugements tactiques, personnels et psychologiques sur une personne, sans compter ce qui est à côté de la plaque. Aucun doute : certains lecteurs ont tendance à s’engluer (des Ardennes) dans des interprétations insensées. Et bien entendu, cette énergie et ce temps ne servent pas à prendre un peu de recul sur des évolutions plus lourdes du football, à propos desquels, précisément, Nicolas Sachy et le LOSC de cette époque sont de parfaits contre-exemples qu’il aurait été plus opportun de louer, au lieu de s’indigner d’une rafraîchissante déclaration au premier degré et de foncer tête la première dans le mur. Manquer sa cible à ce point et s’en prendre à ceux qu’on devrait défendre, ça défoule et puis la semaine d’après, plus personne ne se rappelle de ce qu’il s’est passé.
Sauf que, cette fois…
…l’intéressé répond ! S’il fallait trouver une confirmation que Nicolas Sachy n’est pas un joueur ordinaire, voilà de quoi alimenter cette thèse. Qu’il lise la Voix des Sports (ce qui semble peu probable) ou qu’on lui ait signalé l’abondance du courrier qui lui était destiné, cette démarche est peu banale. En guise de cadeau de Noël, voici donc ce qu’on peut lire dans le journal du 25 décembre :
« Après la lecture du courrier des lecteurs de la Voix des Sports du 18 décembre, je voudrais préciser que je n’ai rien contre le LOSC ni ses joueurs (Wimbée est un des gardiens que je mets le plus souvent en avant dans Téléfoot). Les gens m’ont mal compris. Mes propos se résument seulement au match Lille-Sedan, où il est vrai que Lille m’avait paru très en dessous de niveau habituel, et non sur l’ensemble de la saison, car je sais que l’on n’est pas en haut du classement sans joueurs ni jeu de qualité.
Pour ce qui est du second but encaissé, j’avais trouvé vaine une course de 80 mètres, qui n’aurait de toute façon pas empêché ce but.
Lille, comme Sedan, pratique un jeu offensif, et je pourrais aussi bien y jouer.
Etant Nordiste d’origine, je me réjouis donc des résultats de Lille et de Lens cette année. J’aime cette région. D’ailleurs, je viens passer mes deux semaines de vacances à Dunkerque pour Noël, et je vais faire les magasins à Lille.
Joyeux Noël et bonne année sportive à tous ».
On trouve également dans le courrier des lecteurs de ce 25 décembre une réaction de F .M., de Charlevilles-Mézières, qui apporte son soutien à Nicolas Sachy : « vous ne connaissez pas Nicolas Sachy, chers lecteurs, pour vous permettre de le critiquer aussi violemment. Il est toujours comme ça et c’est tant mieux. C’est le gros rayon de soleil à l’image de toute l’équipe de Sedan d’ailleurs, de notre championnat de France. Vive le beau jeu et Sedan et Lille en coupe d’Europe ! »
Aux dernières nouvelles, Nicolas Sachy est à la tête d’un « bar d’ambiance » à Charlevilles-Mézières. C’est sur l’excellent site Foot d’avant que nous avons appris cette information, et avons eu le plaisir de lire les propos de Nicolas Sachy retraçant sa carrière.
Quant aux lecteurs et lectrices qui se sont bien défoulés sur l’instant, nous n’avons pas de nouvelles. On peut imaginer qu’ils et elles ont un compte twitter très actif, ou participent à des émissions de radio interactives sur le sport, qui contribuent quotidiennement à donner plus d’ampleur à des histoires qui n’en valent vraiment pas la peine. Il est bien dommage, hier comme aujourd’hui, de voir autant de personnes et de médias consacrer tant de temps, tant d’espace et tant d’énergie au football vu par le petit bout de la lorgnette.
Un commentaire
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1 avril 2020
Permalien
Xylophène a dit:
Oui, ce genre de vaines polémiques, à l’époque, présageait de la fragmentation progressive du public footballistique.
Pour les classes populaires : le populisme, les débats sans fin, le buzz.
Pour les classes supérieures : l’idéalisme, la mythologie politique, sociale et intellectuelle, l’intellectualisme de bas étage.
Mais c’est un fossé qui s’est creusé justement lors de ces années-là et qui s’applique à de nombreux domaines (le domaine marchand, en particulier).
PS : et bravo encore pour ce blog, toujours au top.