Posté le 11 mars 2020 - par dbclosc
1997, la descente en chantant
Après un match nul contre Le Havre (2-2), le LOSC est officiellement en deuxième division. Le public envahit le terrain pour… célébrer ses joueurs et son président.
Samedi 17 mai 1997, aux alentours de 22h00, le match entre le LOSC et Le Havre s’achève. Il aurait fallu gagner et compter sur d’autres résultats favorables pour entretenir l’espoir, mais les Dogues n’ont même pas assuré le service minimal. En concédant le match nul à domicile, ils sont désormais condamnés à retrouver la D2 qu’ils avaient quittée en 1978. Après des mois de dégringolade au classement, une déliquescence progressive dans le jeu et ce sentiment de démission collective chez les joueurs, c’est une issue logique. L’arrivée du duo Samoy/Gautier fin mars à la place de Cavalli n’aura rien changé à cette infernale spirale (qu’on a relatée ici) : alors que le LOSC comptait 28 points à l’issue de la phase aller et était sur un rythme « européen », il n’a pris que 7 points sur la phase retour, dont seulement 5 en 1997 : une performance presque invraisemblable, d’autant plus incompréhensible que la première partie de saison avait suscité d’immenses espoirs. Comme le résume Jean-Marie Aubry, « on a sans aucun doute joué au-dessus de nos moyens en première partie de saison. Et ensuite… c’est incroyable. N’importe quelle équipe, même une D2, se serait sauvée à notre place. Elle aurait grappillé des points, 2 ou 3 victoires ici où là. Mais nous, nous n’avons pas su le faire ».
Résumé du match (Téléfoot) :
Voilà déjà quelques minutes que les supporters les plus excités se sont placés au bas des tribunes pour envahir le terrain, comme c’est la tradition pour le dernier match à domicile de la saison. On craint le pire. Comme l’indique la Voix des Sports du 19 mai, « tout le monde s’attendait à ce que l’atmosphère soit lourde, voire malsaine », à l’image du violent orage qui s’est abattu sur Lille durant la seconde période du match. Au coup de sifflet final, des centaines de personnes pénètrent sur la pelouse, les joueurs font face et semblent prêts à affronter l’hostilité attendue. Et pourtant : « au lieu des visages tendus, des crispations d’usage, de la colère parfois qui s’empare d’un public frustré et déçu par la tournure des événements, rien ni personne ne vint rappeler que les Lillois venaient officiellement de redescendre en division 2 ». Au contraire, une troupe se forme sous la tribune officielle, et chante à la gloire du LOSC et de Bernard Lecomte. Sur le terrain, les joueurs semblent presque étonnés que les supporters ne leur en veuillent pas. Accolades et serrages de mains : l’ambiance est bon enfant.
« Merci Cédric pour cette belle saison ! »
« Scène surréaliste » ; « on croit rêver » relève la presse régionale. Alors, contents de descendre ? Peut-être pas quand même. Mais on peut avancer trois explications à cet étonnant moment.
Premièrement, le public vient de voir une équipe qui a dégagé de l’envie. Face à des Havrais venus pour jouer, et qui ont marqué deux jolis buts, le LOSC, mené 0-1 puis 1-2, n’a pas baissé les bras. C’est d’abord Dindeleux qui égalise une première fois, et célèbre son but devant les DVE qui ont déroulé une banderole « Faites-nous plaisir » ; puis Miladin Becanovic marque son 13e but de la saison, sur un service de Banjac, comme pour rappeler que cette association a fait un malheur pendant… un tiers de la saison. Charly Samoy, qui s’est vu confier une mission quasi-impossible quelques semaines avant, souligne l’état d’esprit : « vous avez vu, ce soir, nous n’avons jamais renoncé. Nous avons parfois été malmenés, mais nous nous sommes battus avec courage. Dans ces moments-là, le public est toujours prêt à pardonner ». Alors ce n’est que 2-2 contre Le Havre, mais cette façon de s’accrocher a mis du baume au cœur. Et, événement notable, qui a posteriori pouvait préfigurer l’envahissement amical d’après-match : pas un spectateur n’a manifesté son mécontentement. Par ailleurs, le club semble avoir gagné une bataille : même en cette triste fin de saison, la moyenne des spectateurs à Grimonprez-Jooris était supérieure à 10 000, bien au-delà de la moyenne des dernières saisons.
Ce point amène à la deuxième raison : si aucun sifflet n’a marqué la rencontre, c’est, finalement, parce que le temps n’est plus aux reproches. Depuis janvier, le public a eu l’occasion de manifester son mécontentement et sa désillusion, notamment après les indigentes prestations contre Strasbourg (2-4) ou Montpellier (0-4). La défaite à Lens, fin avril, outre la déception qu’elle a suscitée en raison de la rivalité avec le voisin, ne permettait déjà plus guère de doute sur l’issue de la saison. Puis, lors de la réception du PSG, ponctuée par une nouvelle défaite (0-1), le faible espoir était réduit à peau de chagrin (qui fait plus littéraire que peau de zob, pour une signification identique). On a eu le temps de pester sur les blessures (Hitoto, Aubry et Becanovic), sur les erreurs d’arbitrage (le pénalty à Nantes), sur les boulettes défensives à Caen, sur le niveau d’Arphexad, sur la suspension de David Garcion, sur l’irrégularité de certains (Banjac, malgré tout son talent), le manque de prise de conscience de Cavalli, et la presse a évoqué des tensions dans le vestiaire : voilà tout ce qui fait qu’une équipe tombe inexorablement, sans jamais être en capacité d’inverser la tendance, et nous donne un gros chagrin (qui fait plus littéraire que gros zob, pour une signification différente). Bref : la D2, on l’a vue venir depuis longtemps et on est fatigués d’être en colère, alors à quoi bon, encore, siffler ? Comme le résume Bernard Lecomte après le match, avec un certain sens de la formule : « la période de deuil est déjà passée ».
Enfin, et c’est certainement la raison principale : Bernard Lecomte a pris la parole après la défaite à Lens. Pour, dans un premier temps, répondre à la sortie de Gervais « euh » Martel qui évoquait la possibilité d’une fusion, la veille du derby dans France Football. Gervais Martel qui, pour Lecomte, « a peut-être peur du lendemain, lui ». Paf, dans tes dents longues ! Et pour rappeler l’essentiel : on l’a déjà souligné sur ce blog (ici par exemple), depuis sa prise de fonction en 1994, Bernard Lecomte expose régulièrement la situation financière du LOSC, et sa stratégie, notamment dans des éditoriaux au sein du Magazine du LOSC. Et cette stratégie, en l’occurrence, n’a pas varié : avec du travail et du temps, il s’agit de reconstituer les capitaux propres du club pour 1998. D’ici là, les profits réalisés sont consacrés à reconstituer ces capitaux, et non à l’investissement : il s’agit ni plus ni moins de la survie du club. Depuis 3 ans, Lecomte ne s’arrête pas au résultat et au court terme : l’échéance, c’est 1998. Et à la limite, peu importe que ce soit en D1 ou en D2 : « c’est clair, aujourd’hui, il faut bien parler de division 2. Mais si on veut rebondir, il faut des moyens ! C’est ce que j’ai dit, en substance, à Pierre Mauroy récemment au téléphone. Je dois le voir prochainement pur connaître ses intentions. Il est clair que si je n’ai pas de réponse claire à mes demandes, je prendrai d’autres dispositions. On peut tenir en D2 mais nous ne pouvons plus vivoter ».
On le savait : eu égard à la situation financière du club, la D2 serait peut-être un jour le prix à payer. La défaite à Lens semble avoir paradoxalement éclairci la situation : plutôt que d’être sur le fil comme depuis des années en enchaînant de fades saisons, le LOSC va changer de statut à l’étage inférieur, avec une ambition retrouvée : jouer la montée, avec ses jeunes formés au club (Raguel, Landrin, Coulibaly, Dindeleux, Carrez, Boutoille, Machado), des cadres décidés à rester (Collot, Aubry, Duncker), et un entraîneur déjà désigné, Thierry Froger, qui sera présenté dans deux jours. Vu comme ça, la D2 est une opportunité : c’est reculer pour mieux sauter. Et peut-être que, par bonheur, l’assainissement des finances coïncidera avec une remontée : « j’ai toujours dit que je ne partirais du club que sur une trajectoire de succès ».
Dans le Magazine du LOSC de ce Lille/Le Havre, le président rappelle encore, au-delà du verdict sportif : « nous défendrons les objectifs que nous nous sommes fixés : le redressement financier en 1998. C’est alors et seulement que nous pourrons véritablement oeuvrer à la reconstruction complète d’un grand LOSC ». Gageons qu’à force de transparence, Bernard Lecomte avait gagné la confiance des centaines de supporters sur le terrain. Encore quelques mois, quelques crises, et ils en récolteront les fruits : ce 17 mai 1997, c’était déjà demain.
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