Posté le 21 mars 2020 - par dbclosc
Thierry Froger, la mauvaise réputation
À Lille, on ne peut pas dire que Thierry Froger ait laissé un souvenir impérissable : son nom est en effet associé à l’échec de la saison 1997/1998, au cours de laquelle le LOSC ne monte pas après avoir passé quasiment toute la saison 3e (le LOSC avait même 6 points d’avance sur le 4e à 6 journées de la fin), et à un début de saison 1998/1999 catastrophique où, malgré des renforts importants, l’équipe s’est enlisée en fond de classement et semblait avoir « lâché » son coach. Rappelons-nous aussi qu’au-delà des objectifs sportifs non-atteints, le LOSC, à cette époque, ne proposait pas un jeu sensationnel. Alors certes, c’était la D2, un championnat réputé physique, et on nous objectera qu’il est peut-être préférable de monter en jouant mal que de bien jouer en D2. Nous objecterons aux objecteurs que cette saison là, Lorient et Nancy sont montés en jouant.
Dans ces conditions, et d’autant plus après coup quand on voit ce qu’a fait son successeur, il est facile de pointer Thierry Froger, son travail, son manque de communication à l’égard des joueurs, ses choix d’une semaine sur l’autre, ou la faiblesse mentale du groupe à laquelle il ne peut être complètement étranger. Oui, c’est facile, et d’ailleurs nous ne nous sommes pas privés de le faire chaque fois que nous avons traité cette période. Parce que non seulement c’est facile, mais en plus ça défoule.
Cette attention sur les résultats obtenus, bien que nécessaire, empêche toutefois de se rappeler qui était Thierry Froger, ce qu’il a voulu mettre en place, et quel était l’état du club au moment où il est arrivé. Car on a beau se moquer, c’est un entraîneur qui ne peut pas avoir que des défauts, ne serait-ce que parce que c’est à lui qu’on doit l’arrivée de Laurent Peyrelade ou de Carl Tourenne. Alors focalisons-nous ici sur ses idées et les messages qu’il a tenté de faire passer, notamment lors de son arrivée comme coach du LOSC en 1997.
Rappelons d’abord que, comme bon nombre d’entraîneurs du LOSC, Thierry Froger est un ancien joueur du LOSC : sollicité par C. Samoy et J. Arribas, il fréquente en effet le tout nouveau centre de formation du club dès 1978. Après quelques apparitions dans l’équipe B du club, il débute en première division le 24 mai 1983, à Toulouse, en remplaçant Jean-Paul Delemer à la 68e, alors que le LOSC est mené 0-3 depuis la 12e minute. Une semaine plus tard, pour la dernière journée de championnat, il connait sa première titularisation, contre Metz : ce jour-là, sont également titulaires Jean-Pierre-Mottet et Pierre Dréossi, qu’il retrouvera plus tard dans l’encadrement du club. La saison 1983/1984 est la plus aboutie pour lui : il participe à 26 rencontres de championnat, et une en coupe.
Au stadium, saison 1983/1984. Thierry Froger est debout, au milieu
Un jeune et prometteur entraîneur
Sur les deux saisons suivantes, il ne joue que 26 matches toutes compétitions confondues. Sa carrière se poursuit puis s’achève en deuxième et troisième divisions, d’abord à Grenoble, puis au Mans à partir de 1990, où il effectue une dernière saison de joueur professionnel en 1990/1991, tout en étant en charge de la formation, à partir de l’âge de 27 ans. C’est tôt, mais Thierry Froger n’a pas hésité : « j’étais prêt, dans ma tête. Ce métier était en moi, dans mon inconscient. En fait on peut dire que j’ai fait une carrière de joueur pour être entraîneur ensuite. J’ai toujours eu envie de donner quelque chose. Voir une personne heureuse, c’est bien. En voir deux, trois quatre, c’est encore mieux ! ». Cette vocation est en effet arrivée précocement, puisque lorsqu’il était au centre de formation du LOSC, Thierry Froger en a profité pour passer son BE1 à Wattignies en 1981, à l’âge de 18 ans.
Thierry Froger s’occupe donc de la formation mancelle de 1990 à décembre 1993, moment où le MUC72, en difficulté en D2, l’appelle pour prendre les rênes de l’équipe première. Il parvient in extremis à maintenir le club en D2, grâce à une ultime victoire lors de la dernière journée en mai 1994. La saison suivante commence de façon tonitruante : lors de la première journée, Le Mans s’impose à 3-2 à Marseille, qui a été relégué. Les Manceaux signent une saison tranquille qu’ils terminent à la 12e place (sur 22). Puis, lors des deux saisons suivantes, Le Mans s’installe dans le haut de tableau, en terminant 6e à chaque fois, malgré un effectif limité. Ces performances offrent à Thierry Froger le titre France Football de meilleur entraîneur de Division 2 sur l’année civile 1996. Et c’est peu dire qu’il a la côte car la VDN rapporte que Thierry Froger aurait été courtisé par le FC Nantes pour remplacer Jean-Claude Suaudeau, qui se retire.
« Tout a commencé par un coup de fil de Charly Samoy, il y a une quinzaine de jours, raconte Froger. Il voulait savoir quelle était ma situation au Mans.Cequi m’importait alors était de savoir si les Lillois étaient vraiment intéressés ou s’il s’agissait d’un simple contact, comme d’autres. J’ai eu ensuite des discussions au téléphone avec Pierre Dréossi. Je me suis alors inquiété de savoir si mon club me libérerait. Comme c’était le cas, j’ai enfin rencontré Bernard Lecomte à Lille et voilà.. ». Même s’il est encore jeune (35 ans), c’est un entraîneur relativement expérimenté qui débarque au LOSC qui, 19 ans après, retrouve la D2. Il est présenté officiellement avant même que la saison 1996/1997 ne soit terminée : le mardi 20 mai 1997, juste après le nul contre Le Havre qui officialise la relégation du LOSC en D2.
« La jeunesse au pouvoir ! » s’emballe la Voix du Nord, conquise par ce coach à la « tenue chic décontractée, regard droit et barbichette de pédagogue ». Il est vrai qu’on peut noter une tenue qui dénote avec celles utilisées par les précédents entraîneurs du LOSC, bien plus à l’aise en survêtement. Thierry Fourny, de Ouest-France, l’assure à la VDN : Thierry Froger est un homme « efficace, sain et honnête ». Tout le monde a l’air content, et Froger y va aussi de ses flatteries : « c’est là que j’ai appris mon métier, je ne voulais aller qu’à Lille. J’étais parti par la petite porte. Mais aujourd’hui, je veux recréer quelque chose ». Pour Bernard Lecomte, « Thierry Froger était le candidat qui avait le vent en poupe. C’est un pari sur la jeunesse, un pari sur la modernité. Sa démarche, parfois un peu scientifique en matière de préparation, m’a plu. Ses idées aussi » ; Samoy voit en lui un « profil de bâtisseur ».
La D2, un autre monde
Dès mai 1997, l’annonce de la venue du nouveau coach est donc vue positivement, y compris chez les joueurs comme Jean-Marie Aubry, dont l’avenir lillois est incertain à ce moment-là : « il y a une bonne chose, c’est d’avoir pris un entraîneur qui a l’expérience de la Division 2 ». En effet, selon le gardien lillois, cette expérience est indispensable car « la D2, c’est un autre monde. C’est dur, chaque match est un combat, plus encore qu’à l’étage au-dessus ». Une rhétorique martiale qu’utilise également l’entraîneur, pour qui « il faut se préparer dans la tête et être prêt à lutter ». Il insiste sur l’état d’esprit à changer, car l’objectif est clair : il faut remonter dans les deux ans, et le plus tôt sera le mieux. Désormais, le LOSC va joueur la tête, et non le maintien, comme une vieille manie qu’il faut à présent abandonner : « le club doit comprendre qu’on ne joue plus pour ne pas descendre, mais pour monter. C’est un nouveau départ ! ». Le calendrier du championnat a pourtant réservé pour les 4 premiers matches des Dogues (dont 3 déplacements) des adversaires qui ne les plongeront pas d’emblée dans l’ambiance de la D2 : Saint-Etienne, Martigues, Sochaux et Nîmes. Mais il faudra aussi préparer des matches contre Niort, Mulhouse, Louhans-Cuiseaux… et Wasquehal, qui vient d’accéder à la D2 ! Dès lors, avoir pris un entraîneur qui connaît les spécificités de ce championnat est unaniment considéré comme un atout. Il arrive avec Jean-Pierre Mottet, lui aussi ancien de la maison, et qui a l’expérience de la D2 puisqu’il a été l’adjoint de René Girard à Nîmes, et arrive tout droit de Gueugnon, où il était en charge de la préformation : « c’était un désir de travailler au LOSC et c’est plaisir de travailler avec Thierry. On a eu un peu le même parcours tous les deux. Nous sommes arrivés à Lille en même temps et nous sommes partis au même moment. Et puis ici, il y a aussi Charly Samoy et Pierre Dréossi, des gens dont je connais les compétences. Je crois qu’il est très important de travailler avec des gens qu’on estime ». Un tandem uni, une expérience passée au LOSC, l’expérience de la D2 : sur le papier, ça se présente bien.
Finalement, peu de monde connaît Thierry Froger. Il le reconnaît aisément : « On ne me connait pas. Cela ne me dérange pas. J’ai conscience d’avoir quelque chose à prouver. C’est à moi de satisfaire la curiosité des gens ! ». On l’a écrit plus haut, sa carrière de footballeur, y compris à Lille, est relativement effacée. Le 26 juin 1997, jour de reprise de l’entraînement, c’est donc avec beaucoup de curiosité que les médias régionaux attendent le discours du nouvel entraîneur. Comme l’écrit la Voix des Sports, « on gardait de lui une image diffuse. Celle d’un joueur solide, dur sur l’homme, sérieux, entiché de ses couleurs, dont la carrière n’avait pourtant jamais réellement décollé en dépit d’une cinquantaine de matches joués au plus haut niveau ».
Un effectif à affiner
Au moment de la rentrée, l’effectif des Dogues n’est pas encore définitif : Thierry Rabat, Geza Meszoly ou Bojan Banjac, autant de joueurs susceptibles de partir, sont encore là ; des recrues doivent arriver ; d’autres joueurs seront mis à l’essai. On peut toutefois noter qu’hormis les inéluctables départs de Garcion et de Becanovic (et, finalement, la non-arrivée de Jestrovic, qui avait pourtant signé un contrat début 1997), il y aura assez peu de mouvements. Au rayon des bonnes nouvelles, Jean-Marie Aubry et Patrick Collot, en dépit d’une baisse de 20% de leur salaire, restent ; des jeunes pointent le bout de leur nez et sont intégrés à l’effectif professionnel (Denquin, Sanz, Coulibaly – seul manque à l’appel Raguel pour obligations militaires) ; les finances sont presque assainies ; enfin, la saison dernière, le public est revenu et, phénomène étonnant toutefois encouragé par une politique tarifaire attractive, il semble que l’on va battre le record du nombre d’abonnés cette saison. L’environnement du club semble donc bon, reste désormais aux joueurs à s’impliquer : « ce qui m’importe, tout de suite, c’est de voir la façon de travailler des uns et des autres. Savoir s’il y a concentration ou pas. Ensuite, je verrai qui s’investit en match, à l’entraînement. J’ai besoin de joueurs qui s’expriment à 100%. Les conditions pour le faire sont requises. Tout viendra d’eux ».
À la demande de Thierry Froger, les joueurs se présentent un à un devant la presse. L’occasion de découvrir les trois principales recrues du club, dont deux sont arrivées du Mans, dans les bagages de Froger : Laurent Peyrelade et Al-Habo dit « Bob » Senoussi, ainsi que Samuel Lobé, venu de Créteil. Peyrelade précise : « bien sûr, Thierry Froger est pour quelque chose dans ma venue au LOSC. J’avais eu quelques contacts avec Jean-Michel Cavalli, avant, mais quand j’ai su que ce serait lui, disons que ça a facilité et accéléré les choses. Avec lui, ça se passe bien. Et quand ça va moins bien, tout de suite, on en parle ».
Un collectif à créer
Et sur le terrain alors ? L’entraîneur insiste sur le collectif. Il parle bien sûr de jeu (« j’ai trouvé des lacunes dans le potentiel collectif. Tout est à faire. L’équipe manque de repères » ;« c‘est essentiel : en D2, on défend à 11 et on attaque à 11 »), mais pas seulement : il s’agit de créer une dynamique de groupe, qui va bien au-delà du football. En clair, il faut bien s’entendre, sur le terrain entre footballeurs, hors du terrain entre hommes. Un point essentiel rappelé par Laurent Peyrelade : « avec le potentiel que nous avons, nous pouvons monter. Mais attention, avoir de bons joueurs, ce n’est pas forcément avoir une bonne équipe. Au Mans, nous n’avions pas de grands joueurs, pas de stars, pas de types très bien payés, mais il y avait quelque chose qui passait entre nous et nous formions une bonne équipe ». Cela signifie-t-il alors que Froger sait créer une bonne ambiance de travail ? Quoi qu’il en soit, au bout de quelques jours d’entraînement, il pointe déjà les problèmes qu’il a observés à son arrivée : « dès mon arrivée à Lille, j’ai dit aux joueurs que pour aller au bout de notre projet, il fallait une adhésion totale de leur part. Dans un premier temps, la descente a fait mal. Mais maintenant, cette déception doit nous servir de tremplin pour repartir ! J’ai très vite ressenti un manque flagrant de communication au sein du groupe. Les joueurs ne parlent pas assez ! Les entrainements n’étaient pas assez vivants. Il y avait une sorte de blocage que la découverte d’un nouvel entraîneur accentuait. À présent, cela va mieux. J’essaie toujours d’avoir un avis sur leurs sensations, après une séance de travail ». Il semble aussi que les premiers contacts entre Thierry Froger et son groupe aient perturbé certains. D’abord parce que l’homme a changé depuis son précédent passage à Lille : c’est en forgeant qu’on devient Thierry Froger et Charly Samoy affirme ainsi qu’il ne l’a pas reconnu. Ensuite parce qu’il a l’air de dénoter avec la norme du milieu. C’est ce qu’on comprend dans des interviewes données au cours de l’été 1997, par exemple par Jean-Pierre Mottet mi-juillet (« c’est vrai que certains ont été surpris au départ, mais ce n’est pas un système venu de la planète Mars ») ou par Bob Senoussi fin juillet (« les gars adhèrent bien aux méthodes de Thierry Froger. Au départ, certains ont un peu tiqué. On sentait bien également que chez beaucoup il y avait une certaine déception après la descente. Mais maintenant le courant passe bien. Il y a beaucoup plus de sourires. Le groupe revit ! »). C’est avec cette volonté de créer un collectif que, dès la deuxième semaine de travail, le groupe est parti en stage : « c’est un prétexte pour être ensemble. Les joueurs ne se sont pas quittés de 9h à 19h »
Quelles méthodes ?
On peut dire que Thierry Froger montre ses muscles à son arrivée, comme s’il anticipait les difficultés qu’il craint le plus (« la plus grosse difficulté dans ce métier, c’est d’aborder un groupe ») et adoptait alors le comportement qui fait précisément se réaliser ce qu’il craint. C’est peut-être cette posture qui a perturbé : « ma stratégie est toute simple : je mets des règles en place. Si on s’en écarte ou si on veut me marcher sur les pieds, les sanctions tombent aussitôt ». Voilà qui fait penser au nouveau prof qui débarque le premier jour en hurlant « Interro-surprise ! ». Mais bon, n’extrapolons pas et laissons Thierry Froger poursuivre : « les gens se demandent souvent si je ne suis pas un peu jeune pour imposer mon autorité. Mais l’autorité, ce n’est pas seulement ouvrir sa bouche. C’est aussi une façon de communiquer ». En l’occurrence, cette façon de communiquer se révèle à mesure que ses paroles sont relayées dans la presse : des réponses souvent brèves, pour ne pas dire sèches ; il cite Aimé Jacquet, Fabio Capello ; la Voix des Sports lui trouve « un flegme tout britannique » ; contrairement à ce qu’on a laissé entendre jusque là, il ne semble pas rétif à la confrontation : « au départ, le joueur de football a un rôle passif à l’entraînement. Il attend un signe, une impulsion, alors que l’entraîneur doit agir, expliquer sa démarche, créer un élan, convaincre, dynamiser. Ce qui me sidère, c’est qu’on puisse – de loin – émettre des avis négatif à propos d’ une équipe dès l’instant où un petit problème apparait. Je dis non ! Une équipe ça doit vivre, ça doit bouillonner. Et la passion, c’est parfois des excès ! ». En effet, et il le vérifiera… souvent à ses dépens !
Au niveau du jeu, Thierry Froger annonce son intention de jouer en 3-5-2. Durant les premiers jours de préparation, il insiste sur la « récupération » : « il ne s’agit pas vraiment d’un pressing mais d’un gros travail de replacement ». En outre, il lance des tests inédits au LOSC, grâce aux installations du CREPS à Wattignies, qui consistent à « doser la valeur physique des joueurs afin de déterminer les rythmes de travail. On a pu faire les tests VO2 max et mesurer le seuil anaérobie ». Bernard Lecomte est séduit : « il a un niveau de professionnalisme étonnant. Sa démarche est presque scientifique. Il donne beaucoup d’importance à tous les aspects de la personnalité du joueur. Ça me plaît bien ».
Des matches amicaux encourageants
Pendant ce temps, les matches de préparation présentent un LOSC séduisant. Le 9 juillet, les Dogues font un nul au Mans, avant de battre facilement les Belges de La Louvière (3-0, doublé de Lobé et Peyrelade). Un match joué sans Djezon Boutoille, écarté du groupe pour « comportement non professionnel » selon les dires de son entraîneur : « il ne reprendra certainement pas avec moi de suite. Il fera un stage en réserve. J’avais pourtant prévenu le groupe, il y a des règles ! La priorité est l’engagement et le professionnalisme ». Difficile de savoir ce qu’il s’est passé, mais on reconnaîtra à Froger le mérite de mettre ses consignes à exécution. Vient ensuite la première manche du challenge Emile-Olivier, à Berck, où le LOSC écarte Wasquehal. Lille bat ensuite Sedan, avant de jouer le 26 la finale du challenge contre Lens, au Stadium. Et Lille gagne 1-0, ce qui n’est pas une mince performance, grâce à un but de… Djezon Boutoille, pour qui le stage en réserve semble avoir été bénéfique.
L’équipe alignée à Berck, contre Wasquehal, le 20 juillet. Et donc Djezon était déjà de retour.
C’est donc sur un premier trophée que s’achève la préparation. Thierry Froger n’est pas encore complètement satisfait car il souhaiterait que son effectif descende à 22 éléments, tout en souhaitant un autre attaquant : « pour l’instant, on va disputer un match par semaine, mais très vite on va passer à trois, et dans le secteur offensif il faudra de la percussion ».
Le 1er août, veille de la reprise du championnat pour le LOSC à Geoffroy-Guichard, Bernard Lecomte convoque la presse et son effectif, et rappelle la situation du LOSC et ses objectifs : « rêvons un peu. En mai 1998, le LOSC remonte et les comptes sont remis à zéro. Une autre ère commence. Le club peut reconstituer ses capitaux propres. Il est à nouveau crédible et des investisseurs potentiels frappent à la porte… Il y a une grande attente et une grande confiance en vous… »
Se froger une mauvaise réputation
On le sait désormais, Thierry Froger n’aura pas au LOSC la réussite escomptée. On l’a rappelé au début de cet article, ni les résultats, ni la manière, ni la personnalité de l’homme n’ont convaincu. On se rappelle que le public a demandé sa démission ; qu’il a été physiquement agressé en août 1998 par un supporter à l’entraînement ; que son dernier match à Grimonprez-Jooris contre Cannes s’est déroulé dans un climat délétère, des dizaines de supporters s’étant même déplacés jusque derrière son banc pour s’en prendre à lui ; que, même parti depuis des mois, il a eu droit à un comité d’accueil hostile quand il est revenu à Lille, avec Châteauroux, en janvier 2000 ; et que parmi les joueurs que nous avons rencontrés, certains, comme Arnaud Duncker ou Roger Hitoto, ont été très critiques à son égard.
Dans un sport où c’est en général celui qui gagne qui a raison, Thierry Froger, au même titre que Marcelo Bielsa, s’est donc forgé une mauvaise réputation dans le cœur des supporters des Dogues. Pourtant, les mots qu’il emploie et les objectifs qu’il fixe ne sont pas très éloignés de ce qu’a pu dire son successeur, Vahid Halilhodzic. Ainsi, après une première saison dont on a rappelé l’issue et ses circonstances, Thierry Froger, à l’aube du nouvel exercice 1998/1999, déclarait : « je retire de l’échec de l’année dernière beaucoup de choses : il m’a surtout conforté dans mes convictions de travail et de solidarité. Je reste persuadé qu’en respectant ces deux valeurs, ce point qui nous a manqué, nous l’aurions eu depuis belle lurette (…) Je regrette de ne pas avoir réussi à faire comprendre à certains la nécessité de travailler tous les jours et d’accepter la concurrence (…) à partir du moment où tout le monde se met au travail chaque jour et a la volonté de bien faire son métier, la réussite se trouve souvent au bout (…) Ce groupe a deux visages. Il vit à peu près bien, mais peut se transformer à l’approche de la compétition, avec la pression ». Autrement dit, on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir cerné le problème, et de ne pas mettre en avant des valeurs auxquelles on ne peut qu’adhérer.
Nous, qui essayons en général de ne pas individualiser les événements et de les rapporter à des dynamiques organisationnelles et sur le temps long, nous ne nous satisfaisons pas de l’équation trop facile Froger = raté. En tentant de replacer un peu plus finement le contexte de l’époque et ce qu’était le club quand Thierry Froger, on peut souligner les points suivants :
Le dernier point évoqué nous laisse penser que le coach semble avoir perdu son groupe sur des problèmes de forme plutôt que sur des problèmes de fond, même si on peut considérer que la forme est fondamentale, et que manager et communiquer à un groupe fait partie du métier. Mais si la communication est le produit d’une rencontre entre deux entités, ce n’est peut être pas la faute que de l’une d’elles.
Thierry Froger a repris un groupe qui venait juste de descendre, et qui sortait, pour certains de ses membres, de plusieurs années de lutte contre la descente. On peut estimer que cela a pu provoquer une certaine usure et une certaine lassitude de quelques joueurs à l’encontre du club. Il est d’ailleurs significatif que Vahid Halilhodzic explique une partie de l’échec de la remontée en 1999 par un effectif qui comportait encore trop d’éléments des déceptions passées. Il disait ainsi lors de l’été 1999 : « la génération qui était en place n’avait connu que des déceptions. En trois saisons, ils ont vécu une descente et deux accessions manquées. En plus, ils ont évolué durant des années dans un environnement relativement hostile. Certains étaient usés, psychologiquement atteints. Ils avaient perdu la confiance, le plaisir de s’entraîner. Il fallait donc procéder à un changement radical »
En relisant la presse de l’époque, on se rend compte que l’année 1998, au cours de laquelle la LOSC a prévu de retrouver des finances apurées (pour acheter les frites), est à juste titre brandie comme une échéance importante pour le club. Et Bernard Lecomte a peut-être le tort de trop répéter qu’il souhaite faire coïncider cette date avec la remontée, y compris la veille de la reprise du championnat quand il convoque la presse. On le défend suffisamment par ailleurs pour se permettre de dire qu’en dépit de ses ambitions légitimes, un seul objectif à la fois était suffisant, sans ajouter de pression outre mesure à un groupe qui avait compris les enjeux.
Quand Thierry Froger annonce qu’il souhaite faire jouer la concurrence : on peut là aussi souscrire à cette idée, mais au lieu de dégager un onze type, cette concurrence a souvent conduit a faire des changement brutaux d’une semaine à l’autre, et même à recourir plusieurs fois à des changements à la mi-temps, parce que personne ne s’imposait vraiment dans l’effectif. L’entraîneur en est-il là aussi l’unique responsable ?
Si comparer Halilhodzic et Froger est cruel, on peut souligner que Vahid a eu davantage de pouvoir sportif que n’en a eu Froger. Roger Hitoto nous l’avait rappelé, et c’est vérifiable par ailleurs : les rôles ont été éclaircis entre Halilhodzic, Dréossi et Lecomte, et Vahid a eu quasiment toute latitude pour appliquer ce qu’il souhaitait. Ce changement est-il un enseignement de la période Froger, ou est-ce que Froger n’avait pas assez la confiance des dirigeants ? Rappelons-nous tout de même qu’à l’été 1998, Adick Koot, entraîneur-joueur de Cannes, qui n’a que 5 mois de moins que Froger, arrive au LOSC… en tant que défenseur, mais la question s’est posée si on ne recrutait pas déjà une roue de secours (ce à quoi Froger avait répondu : « J’ai rencontré Adick plusieurs fois avant sa venue et si je n’avais pas voulu qu’il nous rejoigne, il ne serait pas là. J’ai toujours voulu travailler avec des gens compétents et il en est un. Il va nous apporter beaucoup. Il nous a manqué un homme comme lui la saison dernière, un relais capable de faire la cohésion. Maintenant, s’il redevient entraîneur, eh bien, je redeviendrai joueur »). On ne peut pas dire que ce soupçon vous place dans des conditions de travail optimales.
Ainsi, les personnes compétentes qui ont placé le génial Halilhodzic en septembre 1998 sont les mêmes incompétents qui avaient placé l’odieux Froger 1 an et demi auparavant : tout ne peut pas être réduit à un individu. Ces éléments n’exonèrent pas Thierry Froger de ses responsabilités et, répétons-le, de son échec à Lille. Mais ils permettent de replacer de manière compréhensive que des éléments qui ne sont pas liés à ses qualités propres (ou ses défauts) ont forcément influencé sur les performances de l’équipe qu’il a dirigée. Si la réussite en football consiste à placer les bonnes personnes au bon endroit, au bon moment, on peut dire que, pour Thierry Froger, ce n’était – au moins – pas le bon moment. Le reste…
Visiter mon site web
20 mars 2021
Permalien
Julien 92 a dit:
Excellent article comme d’habitude. Félicitations à toute l’équipe de rédacteurs.