Posté le 31 mars 2020 - par dbclosc
Division des tâches offensives. Sur les rôles respectifs des joueurs du LOSC sur phases d’attaque (1986-1990)
Comment les transmissions du ballon s’effectuaient sur les phases offensives du LOSC entre 1986 et 1990 ? Derrière cette interrogation, nous avions un double objectif. D’une part, nous souhaitions faire une analyse des rôles respectifs des différents joueurs du LOSC dans la construction de ses attaques et plus spécifiquement sur une période qui n’est pas nécessairement bien connue des supporters lillois actuels. D’autre part, l’ambition était méthodologique en montrant que, à partir d’un corpus de courts comptes-rendus issus de France Football, on pouvait produire des connaissances permettant d’objectiver certaines réalités du jeu lillois de la fin des années 1980 en combinant les données issues de ce corpus avec d’autres données comme les vidéos des matchs de l’époque.
Profitant du confinement, nous évitant fort opportunément des sorties au parc ou en forêt (ainsi qu’au stade), nous nous sommes rendus sur l’excellent site footnostalgie.fr pour y trouver l’ensemble des comptes-rendus des matchs de D1 du LOSC au cours des saisons 1986 à 1990. Dans ceux-ci, on trouve les descriptions des buts et des principales occasions des Lillois sur un total de 152 matchs. Ce matériau ne porte donc pas sur l’ensemble des actions lilloises mais uniquement sur les actions les plus dangereuses ou, en tout cas, sur celles qui sont apparues comme telles aux journalistes en charge de ces comptes-rendus.
Ces comptes-rendus décrivent les actions lilloises et nous permettent alors d’objectiver le déroulé de ces actions (en réalité surtout la fin de ces actions), quels sont les joueurs qui y ont pris part le plus activement et, pour ce qui nous intéresse en particulier, quels ont été les échanges de passes ayant eu lieu entre joueurs. Ceci nous donne un aperçu des schéma privilégiés entre joueurs et nous informe sur les rôles respectifs de chacun sur ces phases offensives.
Buisine et Mobati ne se faisaient jamais une passe. Cela ne les empêchait pas de très bien s’entendre.
Nous présentons ici les rôles respectifs de six joueurs du LOSC ayant disputé au moins trois saisons sur la période d’étude (à l’exception de Pelé, resté un peu moins de deux ans).
Cette présentation débute par la présentation des milieux défensifs. S’ils sont moins présents dans notre échantillon, d’abord parce que les courts descriptifs des comptes-rendus de FF ne décrivent que la fin des actions ou en tout cas leurs parties qui apparaissent les plus significatives aux yeux des journalistes qui en ont la charge, l’analyse du matériau permet toutefois de restituer le rôle spécifique qu’ils jouent sur les phases offensives. On verra ainsi que Philippe Périlleux et Alain Fiard ne jouent pas exactement le même rôle en la matière, le premier jouant de sa puissance de frappe pour envoyer de longs ballons à ses coéquipiers ou de lourdes frappes en direction du but adverse, tandis qu’Alain Fiard participait en apportant le surnombre sur les coups de pieds arrêtés et sur les attaques.
On abordera ensuite le rôle des milieux offensifs, Abédi Pelé et Jocelyn Angloma. On verra que le premier se caractérise par une grande mobilité sur le terrain ce qui contribue à rendre son jeu bien moins prévisible que les autres notamment parce qu’il n’a pas a priori de schéma d’échanges privilégiés avec l’un ou l’autre de ses partenaires. Le rôle de Jocelyn Angloma est lui plus stéréotypé mais il n’en est pas moins complémentaire du jeu du Ghanéen. Angloma avait ainsi pour rôle de faire des appels pour des passes de ses coéquipiers occupant des positions défensives pour ensuite transmettre le ballon aux attaquants.
On terminera par le rôle des attaquants, Philippe Desmet et Erwin Vandenbergh. On verra que le rôle de Desmet est alors celui d’un dynamiteur dont les accélérations ouvraient des espaces pour ses coéquipiers auxquels il servait de bons ballons et à Vandenbergh en particulier. Ce dernier, en position de pointe jouait en particulier sur son sens de l’appel.
Alain Fiard, d’abord milieu défensif, parfois en soutien des attaquants
Alain Fiard est pour sa part bien moins présent dans les phases offensives que l’ensemble de ses partenaires que nous évoquons ici. En trois saisons, on relève pour lui 13 passes effectuées pour 21 reçues. Ceci s’explique par le fait que l’essentiel de son rôle est celui d’un numéro 6 qui a la charge de la récupération du ballon et de sa transmission à ses camarades les plus proches sur le terrain.
Contre l’intuition première à propos d’un milieu défensif, Fiard reçoit ainsi davantage de passes qu’il n’en effectue lui-même et il en reçoit en priorité en provenance des attaquants. Ainsi, Vandenbergh, Sauvaget, Desmet, Mobati, Boli et Pelé lui font près des deux tiers des passes qu’il reçoit sur ces phases offensives. Ceci s’explique par le fait que, des deux milieux défensifs, c’est lui qui avait pour rôle de monter pour prêter main forte aux attaquants. Très souvent, il reçoit des passes en retrait d’attaquants excentrés après qu’il soit monté pour créer le surnombre, et il joue un rôle analogues sur les coups de pieds arrêtés.
Sur cette passe de Desmet, on voit clairement l’intention d’Alain Fiard de tenter d’apporter le surnombre en attaque.
Erwin Vandenbergh est le joueur avec lequel il échange le plus de ballons, lui faisant 5 passes et en recevant autant. Presque toujours, il s’agit de passes en retrait de l’attaquant belge qui, se retrouvant esseulé, voit arriver en trombe celui qui était fort peu opportunément surnommé « le Chinois ».
La « spéciale Fiard » : Erwin reçoit le ballon, mais je vois qu’il s’excentre et que mes autres coéquipiers sont solidement marqués. Je monte donc pour créer le surnombre, Erwin me la remet et je marque.
Philippe Périlleux : loin devant
La lecture des comptes-rendus de France Football montrent à propos des actions de Philippe Périlleux des descriptifs qu’on ne trouve presque pour aucun autre : « longue ouverture pour Hansen », « frappe lourde des 30 mètres sur la barre », « tir de mule », « Pelé met en retrait pour la fusée de Périlleux ».
Première caractéristique du rôle de Philippe Périlleux sur les phases offensives : il ne se retrouve presque jamais à proximité du but adverse. Deuxième caractéristique : le milieu lillois est doté d’une puissance de frappe et d’une précision peu communes. Il en découle un rôle offensif simple et efficace pour Philippe : soit, il envoyait des patates de 30 mètres, soit il envoyait de longue passes.
Philippe Périlleux sur le point de tenter une reprise des 80 mètres
Puisque ses passes sont presque toujours de longs ballons, ses bénéficiaires sont presque toujours les joueurs les plus hauts sur le terrain : Mobati, Pelé, R.Boli, Vandenbergh, Desmet et Angloma reçoivent ainsi 23 des 28 passes du milieu lillois. Ces six joueurs ne lui renvoyant l’ascenseur qu’à 10 reprises (dont 4 du seul Pelé).
C’est également en raison de ce style de jeu qu’il reçoit peu de ballons. Ses tirs ont ainsi souvent pour origine une percée de sa part au milieu de terrain, Périlleux profitant d’espaces au milieu adverse dans lesquels il s’engouffre. Périlleux n’est alors pas un joueur dont le rôle offensif consiste à faire des appels mais, au contraire, à répondre aux appels de ses coéquipiers afin que le jeu se projette rapidement vers l’avant. Il avait plus généralement pour rôle de créer le déséquilibre dans la défense adverse. Ainsi, une fois le premier rideau adverse franchi, les qualités de Périlleux placent ses adversaires face à une douloureuse alternative : soit monter sur lui pour empêcher sa lourde frappe au risque de libérer des espaces pour les autres Lillois (et, au passage, de se manger un missile dans la cuisse), soit maintenir leur marquage sur les attaquants lillois et risquer que le milieu défensif fasse usage de sa puissance de tir.
La « spéciale Périlleux » : Buisine récupère le ballon et me le transmet au milieu, j’enrhume mon vis-à-vis et j’envoie un long ballon à Angloma côté droit.
Angloma, le lien entre l’attaque et les milieux défensifs
Sur les actions offensives, Jocelyn Angloma reçoit d’abord les passes des joueurs défensifs. Alain Fiard, Philippe Périlleux, José Pastinelli et Dominique Thomas lui font ainsi 14 passes (pour 5 dans le sens inverse). S’il reçoit également beaucoup de passes de Philippe Desmet (6), c’est le reflet du rôle spécifique du Belge dans l’utilisation du ballon (cf. plus loin), ce qui explique qu’il transmet souvent le ballon au Guadeloupéen mais qu’il est rarement en position de le recevoir en retour (Desmet ne reçoit qu’une passe de la part d’Angloma).
C’est en revanche aux joueurs offensifs qu’il transmet le ballon. Il fait ainsi 20 de ses 31 passes au trio Mobati-Vandenbergh-Pelé et ne reçoit en retour que 10 passes de leur part. Du trio, c’est avec Vandenbergh qu’Angloma échange le plus de ballons (10 passes réalisées pour 3 ballons reçus), mais c’est avec Pelé que les échanges sont les plus équilibrés, puisqu’il fait 5 passes au Ghanéen pour 6 reçues.
Jocelyn Angloma a donc pour rôle de faire le lien entre les joueurs défensifs, dont il reçoit les passes, et les attaquants, auxquels il fournit de bons ballons.
La « spéciale Angloma » : je fais un appel, Périlleux me la transmet et je centre pour l’avant-centre qui marque.
Abédi Pelé, le chef d’orchestre
Le meneur de jeu ghanéen est celui qui occupe la position la plus centrale sur les phases offensives du LOSC. Avec 32 passes effectuées en moins de deux ans, il présente des statistiques en la matière assez proches de celles de P.Desmet et, avec 35 passes reçues, sa moyenne est très proche de celle d’E.Vandenbergh.
La force du jeu de Pelé tient en grande partie à son imprévisibilité, bien sûr objectivable à travers ses séries de dribbles ravageuses, mais également au niveau des échanges de passes avec ses collègues. Sa mobilité sur le terrain lui permettait d’aller chercher les passes de ses coéquipiers un peu partout sur la zone allant des milieux défensifs aux attaquants. Il en découle que Pelé pouvait recevoir des ballons de n’importe qui et le transmettre à n’importe qui sans que l’on parvienne à identifier des schémas dominants. Il échange ainsi dans des quantités équivalentes avec le milieu défensif Philippe Périlleux (4 passes effectuées pour 5 reçues), le milieu offensif Jocelyn Angloma (6 effectuées et 5 reçues) et les attaquants Erwin Vandenbergh (6 et 4), Gaston Mobati (5 et 4) et Patrice Sauvaget (3 et 4).
Alors que son compère du milieu offensif lillois Jocelyn Angloma joue pour l’essentiel sur la verticalité du terrain (il reçoit le ballon de derrière et le transmet aux avants), Pelé joue à la fois sur son horizontalité et sa verticalité. Pelé disposait en outre d’une palette très large pour déstabiliser les défenses adverses : qualité des appels, vision du jeu et des espaces et, bien sûr, grande qualité de dribble.
La « spéciale Pelé » : je viens récupérer le ballon au milieu de terrain et je le transmets à Périlleux, je fais un long appel et quand Périlleux m’envoie un long ballon, soit je la mets au fond après avoir dribblé un adversaire ou deux, soit je la passe à un copain qui a suivi. Ou encore, je tire des 40 mètres quand personne s’y attend. J’ai pas encore décidé en fait.
Philippe Desmet, le dynamiteur
De tous les joueurs du LOSC de l’époque, Philippe Desmet est celui pour lequel on recense le plus de passes effectuées à ses camarades (59 entre 1986 et 1989). Il se distingue également de ses camarades par le nombre des joueurs différents auxquels il délivre ses passes (22 au total), ainsi que par le fait qu’il reçoit très peu de passes et en particulier de la plupart de ceux auxquels il fournit le plus de ballons. Le trio Mobati-Pelé-Angloma reçoit ainsi 14 passes de la part de Desmet, mais ne lui en rend que 4.
Ainsi, les deux joueurs qui font le plus de passes à Desmet sur ces actions sont Philippe Périlleux (4 passes transmises) et surtout Erwin Vandenbergh (13) qui distribue a lui seul près de 40 % des 33 passes reçues par l’ancien de Waregem. Périlleux est le seul de tous les joueurs du LOSC à avoir fait plus de passes à Desmet qu’il n’en a reçu de lui et Vandenbergh celui qui a le plus bénéficié de ses passes (19 en trois saisons). Avec 32 échanges entre eux, les deux attaquants belges constituent, et de loin, le duo le plus prolifique en la matière.
Au cas où on ne s’en serait pas rendu compte avant, nos statistiques confirment le lien privilégié entre Vandenbergh (à gauche) et Desmet (à droite). Au centre, Georges Heylens, l’entraîneur belge du LOSC de 1984 à 1989.
Ces statistiques traduisent le profil de « dynamiteur » de l’attaquant belge : s’il reçoit peu de passes, c’est parce que son jeu se caractérise peu par la réalisation d’appels dans le dos de la défense mais plutôt par un travail de percussion. Il est alors un attaquant partant d’assez bas sur le terrain dont les accélérations attirent les défenseurs adverses, créant un déséquilibre ouvrant des espaces à ses partenaires auxquels il peut alors transmettre le ballon en bonne position.
La « spéciale Desmet » : je percute dans l’axe, j’attire à moi deux défenseurs, j’en profite pour transmettre le ballon à Vandenbergh qui profite de l’espace ainsi libéré, il me la remet en retrait et je marque.
Erwin Vandenbergh : l’attaquant de pointe
En bout de chaîne, Erwin Vandenbergh est le joueur du LOSC qui reçoit le plus de ballons sur phases offensives (76) que l’on compte en valeur absolue ou en moyenne par saison. Il reçoit pour l’essentiel ces ballons des joueurs les plus proches de lui sur le terrain, attaquants et milieux offensifs. Ainsi, les attaquants lui fournissent 31 passes et les milieux offensifs 21.
S’il réalise moins de passes qu’il n’en reçoit, Vandenbergh se distingue toutefois par le fait qu’il en effectue justement à des joueurs qui en reçoivent peu : dans notre corpus, personne d’autre que lui ne fait autant de passes à Desmet (13) et Fiard (5) et seul Abédi Pelé en fait plus à Périlleux que lui. Et aucun autre joueur que lui ne reçoit autant de passes de Desmet et Fiard, un tiers des 72 passes du duo parvenant dans les pieds (ou sur la tête) de Vandenbergh. Il existe donc une relation spécifique entre ces joueurs.
Toutefois, de par son positionnement d’attaquant de pointe, il reçoit des ballons de la plupart des joueurs. Vandenbergh est aussi le joueur qui reçoit le plus de passes de Mobati (7) et d’Angloma (10), de Victor Da Silva (4) et de Jean-Luc Ribar (4). La relation de l’avant-centre belge avec ces joueurs est cependant relativement unilatérale puisqu’il ne rend au total que 9 passes à ce groupe de joueurs dont il en reçoit 25.
La « spéciale Vandenbergh » : je fais un appel dans le dos de la défense, Desmet ou Angloma me la donne et, soit je marque si je suis bien placé, soit je la remets à Desmet ou à Alain Fiard.
Laisser un commentaire
Vous pouvez vous exprimer.
0 commentaire
Nous aimerions connaître la vôtre!