Archiver pour avril 2020
Posté le 30 avril 2020 - par dbclosc
Au bon souvenir de Vahid (1/2)
Rennes/Lille, une affiche sans éclat particulier en temps ordinaire. Mais ce 30 novembre 2002, se dresse face au LOSC la silhouette de celui qui l’a emmené très haut : Vahid Halilhodzic, désormais entraîneur du Stade Rennais. Une soirée de cauchemar pour les Dogues, défaits 1-5.
« Il revient ! » : que la nomination d’un nouvel entraîneur à Rennes fasse la Une de la Voix des Sports en dit long sur l’empreinte que Vahid Halilhodzic a laissée dans la région. Ce lundi 14 octobre 2002, l’hebdo choisit de faire ses gros titres avec celui qui a ramené tant de fierté au football lillois. « Beaucoup font appel à Vahid pour essayer de redresser la barre, mais moi j’ai envie d’autre chose » déclarait-il pourtant lors de l’intersaison. Appelé à la rescousse d’un navire rennais en plein naufrage, il a accepté, faute de meilleures propositions.
On s’en doutait depuis longtemps, mais l’annonce n’a été officialisée que début mai, après un nul à Sochaux et avant le dernier match contre le PSG : Vahid Halilhodzic quitte le LOSC. Après avoir emmené le LOSC en Ligue des Champions, c’est le temps des adieux, sur une nouvelle qualification européenne, même si ce n’est que l’Intertoto. Des performances inimaginables à son arrivée en septembre 1998, quand le club était 17e de D2. Autant dire que l’émotion sera à son comble pour la dernière, le 4 mai. Mais il n’est pas encore temps de se relâcher : « on va encore travailler sérieusement toute la semaine. Tout le monde a à coeur de termine sur une victoire, moi le premier. Ce serait la moindre des choses pour remercier les supporters dont l’accueil et le soutien m’ont toujours fait chaud au coeur ». En attendant, on craint de se retrouver orphelin à Lille. Même si le nouvel entraîneur, Claude Puel, est déjà désigné, et est considéré comme un bon choix, le départ de celui qui a redonné une âme au vieux club lillois et a tant incarné la réussite du club, sans manquer de relater ses joies, colères et frustrations sur la Grand’place publique au point d’être guignolisé, fait naître la peur du vide. Sans lui, le LOSC redeviendra-t-il un club banal ?
Après une ultime victoire (1-0), Vahid quitte Lille sous de dernières acclamations, lassé des moyens trop limités du club. Fort de sa réussite, Vahid voulait toujours plus de moyens, un nouveau stade de suite, des recrues plus prestigieuses, mais tout cela allait sans doute trop vite : « je quitte le club à mon corps défendant et en y laissant un peu de mon coeur ».
Il n’a pas encore choisi sa destination ; mais pense-t-on, il n’aura que l’embarras du choix. Annoncé dans divers clubs européens, notamment au Bayer Leverkusen, Halilhodzic ne trouve pourtant pas de point de chute. On le voit alors rebondir à Lyon, que Jacques Santini vient de quitter pour prendre la tête des Bleus, précocement éliminées de la coupe du monde. Mais Jean-Michel Aulas lui préfère un personnage plus « consensuel » (comprendre : plus docile) : Paul Le Guen. La saison 2002/2003 a repris et Vahid est toujours chez lui, à Marcq-en-Baroeul, où il s’entretient physiquement et prend des cours d’anglais pour séduire d’éventuels clubs britanniques. Fin septembre, il a assisté au derby Lens/Lille à Bollaert où, signe de sa popularité, il a signé de nombreux autographes. Quelques semaines après, sa signature se retrouve sur un contrat avec le Stade Rennais, dernier du championnat avec 5 points en 10 matches, et qui vient de limoger Philippe Bergeroo. Fidèle à sa réputation, Halilhodzic y est allé franco après son premier entraînement, en déclarant à la presse : « physiquement, ce n’est pas terrible ; tactiquement et psychologiquement, certains joueurs sont dans un état critique ». Son premier match chez les Bretons est une réussite : victoire 3-1 à Sedan. « Tout ce que l’entraîneur avait dit avant le match s’est retrouvé durant la partie » confie Laurent Battles.
Mais la suite immédiate est plus terne : 2 défaites et 3 nuls, 0 but marqué, 3 encaissés. Après 16 journées, Rennes, qui a la plus mauvaise attaque du championnat, est toujours dernier et s’apprête à recevoir le LOSC. Les Lillois, de leur côté, sont (forcément) mieux lotis : ils pointent à la 12e place. Après un début de saison raté, notamment marqué par deux défaites 0-3 à Grimonprez-Jooris (Lille jouait l’Intertoto en même temps), le LOSC s’est repris et a même récemment signé 2 victories convanicantes à domicile, contre Marseille puis Lyon, et s’est même imposé pour la première fois à l’extérieur, à Sedan. Mais Rennes est l’une des rares destinations où les Lillois ont perdu 2 fois depuis leur retour en D1 : d’abord 0-2 en 2000/2001, puis 0-4 en 2001/2002, en fin de saison, au moment où il apparaissait certain que la Ligue des Champions était hors de portée après avoir perdu face à Auxerre (2-3). Grégory Wimbée se rappelle : « nous étions totalement passés au travers, sans jamais jouer. Nous n’avions eu qu’une seule occasion dans ce match ».
Le match qui s’annonce semble se jouer à deux niveaux : sportif et sentimental. Si Vahid, bien sûr, n’oublie pas Lille, il évacue cependant très vite la première dimension pour se concentrer sur l’urgence sportive de son équipe : « je vivrai un grand moment d’émotion. À Lille, j’ai vécu des moments merveilleux et j’ai connu une aventure humaine inoubliable. Désormais, je suis entraîneur de Rennes et je dois tout faire pour gagner ». S’il fait dans le sentimental, c’est davantage pour flatter le LOSC et lui mettre un petit coup de pression : « j’estime que le LOSC d’aujourd’hui, avec les arrivées de Tapia, Manchev, Abidal et Baciu, est aussi fort et même plus technique que celui de la saison dernière. D’autant lus que Landrin est vraiment impressionnant ». Alors que les Lillois, de leur côté, semblent peu concentrés sur l’aspect sportif et obsédés par la présence dans le camp d’en face d’Halilhodzic. Il est vrai que les journalistes orientent leurs papier sur « les retrouvailles » et ce « match pas comme les autres », et leur posent inévitablement la question, mais on sent qu’on oscille entre nostalgie et crainte de la confrontation, comme si Vahid était déjà en train de gagner l’avant-match. Même si Christophe Landrin dit qu’« il ne faut jamais vivre avec le passé », les Dogues sont forcément touchés. Stéphane Pichot souligne ainsi : « il sait tout de nos qualités et de nos défauts. Il est l’entraîneur qui m’a permis de vivre des émotions fortes en Ligue des Champions. La première fois que je l’ai rencontré, c’est quand j’ai signé mon contrat au LOSC. Il m’avait immédiatement expliqué ce qu’il attendait de moi » ; Grégory Wimbée : « la présence de Vahid Halilhodzic, qui connait parfaitement la majorité des joueurs du LOSC, sera une force supplémentaire pour Rennes. Et une difficulté de plus pour nous. Il est un entraîneur terriblement exigeant qui a toujours expliqué qu’il est impossible de réussir en ne faisant rien ».
S’il y en a un qui tente de recentrer le match sur les enjeux sportifs, c’est bien évidemment Claude Puel, dont on peut imaginer qu’il n’est pas tout à fait à l’aise : « Rennes est une lanterne rouge qui n’a rien d’une lanterne rouge. Depuis l’arrivée de Vahid Halilhodzic, l’équipe bretonne affiche un autre état d’esprit qui ne s’est cependant pas matérialisé au plan comptable. C’est pourquoi je m’attends à un match difficile. De tous les championnats européens, le français est le plus disputé et aucune équipe ne lâche ».
Signe que la situation est particulière : à son arrivée sur le terrain au cours de l’échauffement, Vahid Halilhodzic rencontre l’indifférence générale du public rennais mais est ovationné par… la centaine de supporters lillois qui ont fait le déplacement.
Claude Puel réserve quelques surprises dans sa composition : alors que les rennais craignaient énormément Christophe Landrin, il lui préfère Nicolas Bonnal. De là à dire que Vahid arrive à perturber son homologue… En attaque, Valdimir Manchev est préféré à Marc-Antoine Fortuné, titulaire contre Lyon. Abidal et Beck sont blessés, Tapia est en CFA. Voici la composition lilloise :
Wimbée ;
Pichot, Baciu, Delpierre, Tafforeau ;
N’Diaye, D’Amico, Bonnal, Brunel ;
Boutoille, Manchev
Sur le terrain, le LOSC vit un chauchemar. À la 21e minute, l’arbitre, M. Moulin, qui a remplacé au dernier moment M. Kalt, souffrant, accorde un pénalty aux Rennais pour une faute supposée de Grégory Wimbée : les images montrent très clairement que l’attaquant tombe seul, mais Monterrubio transforme, 1-0 pour Rennes. « Absents, maladroits, battus dans les duels et en manque d’inspiration », les Lillois subissent. 5 minutes plus tard, une frappe peu dangereuse d’Echouafni est contrée par Delpierre et prend Wimbée à contrepied, 2-0… Puis Piquionne élimine très facilement la défense centrale Delpierre-Baciu pour faire 3-0 après 36 minutes. Dès la reprise, Piquionne marque encore, entre les jambes de notre gardien (4-0, 49e). Un double changement (sorties de D’Amico et N’Diaye, entrées de Fortuné et de Be. Cheyrou) ne change rien : Piquionne marque encore, de la tête, à la 63e (5-0). Les Lillois profitent d’un moment de déconcentration rennais pur marquer : une belle incursion de Bonnal permet à Manchev de marquer de justesse, de près (5-1, 65e). Le Bulgare se dépêche de récupérer le ballon a fond des filets, mais ce n’est peut-être pas nécessaire ! C’est le score final, en dépit d’un ultime coup-franc de Delpierre, sur le poteau (93e)
C’est la 7e fois d’affilée que Lille perd à Rennes. Et c’est la première fois depuis février 1997 que le LOSC encaisse 5 buts dans un match de championnat (C’était à Marseille. Et il faudra attendre avril 2018 pour revivre une telle branlée, toujours à Marseille). « Les Lillois ont tout simplement oublié de jouer sous les yeux d’Halilhodzic » ; « un naufrage » ; « une pathétique sortie » ; « le collectif lillois a explosé » souligne la Voix des Sports, qui note tout de même deux satisfactions : N’Diaye et Manchev.
L’entraîneur lillois, Claude Puel, « blême de rage contenue », ne souhaite pas s’étendre outre mesure sur le match : « au vu de cette rencontre, le score est tout à fait logique et nous chercherons les explications plus tard ». La Voix des Sports souligne qu’un joueur du LOSC, qui n’ pas connu l’ère Vahid, a déclaré que « la résonance médiatique qui a entouré le match explique le naufrage ». Une explication facile, et qui ne peut pas suffire.
Quant à Vahid Halilhodzic, qui a reçu une dernière ovation du kop lillois après le match, sa joie est mesurée « par respect pour le LOSC » dit-il. Son après-match ressemble davantage à un commentaire sur le jeu des Dogues plutôt que sur la performance de son équipe : « on n’ a pas vu le vrai LOSC », assure-t-il ; « je ne suis pas inquiet pour eux ». Les Rennais enchaînent avec 3 autres victoires et passent Noël hors de la zone de relégation.
Rendez-vous en mai pour les retrouvailles à Grimonprez.
Posté le 23 avril 2020 - par dbclosc
Quand le football mondial et le showbiz sauvaient le LOSC
Le 24 mars 1970, Anderlecht affronte l’Olympique de Marseille. Très belle affiche pour l’époque certes, mais on est sur un blog du LOSC, alors on s’en fout, non ? Effectivement, non. Car ce match amical, premier du genre, est organisé par le Comité de Soutien du Football de la Métropole, dont il s’agit ici de la première preuve d’activité, dans le but de « rendre aux sportifs de la région un spectacle de qualité ».
Alors que le LOSC a abandonné son statut professionnel quelques mois plus tôt et affronte chaque week-end des équipes amateures, des équipes professionnelles françaises, belges, néerlandaises et brésiliennes vont venir fouler la pelouse d’Henri-Jooris, tandis que des personnalités des milieux sportif et du divertissement se mobilisent pour retrouver « le LOSC d’antan ».
Après une dizaine de saisons fastes (5 Coupes, 2 Championnats), le LOSC enchaîne avec une autre décennie de saisons faite de hauts et de bas. Les présidents (Henno, Klès, Denis, Barbieux) et les entraîneurs (Cheuva, Vandooren, Baratte, Poitevin, Bigot, Langrand) se succèdent. Vers 1965, soit au moment du départ de Jules Bigot, le LOSC s’enlise lentement dans les sables mouvants du déficit, à cause du manque de réalisme financier de ses responsables successifs, disons-nous poliment.
« Nord, qu’as-tu fait de ton football ? »
En janvier 1970, un mensuel régional publiait sous ce titre une enquête consacrée au déclin du football professionnel dans le nord de la France. En 1968/1969, le club retrouve la Division 2 et s’entête à maintenir une équipe professionnelle nécessitant des ressources d’un club de l’élite. Installée à la 7e place au terme des matchs aller, l’équipe tourne correctement, sans panache ni relief, et sans avant-centre. Mais une élimination en Coupe de France contre Strasbourg (D1) déclenche la colère du président Barbieux. Excédé, il prend la décision de baisser les salaires des joueurs au SMIG (l’équivalent de 700 euros en 2020, en prenant en compte l’inflation), complétés par des revenus fluctuant selon les recettes de billetterie.
Evidemment, cette réaction impulsive fut assez mal perçue par les joueurs et par le groupement des clubs professionnels. Cet éclat parfaitement inopportun mène à un climat fâcheux et de graves conséquences : alors que la dette du club a été divisée par deux, le groupement ne réclame plus 80 000 francs de caution à Robert Barbieux, mais 250 000 ! Ce dernier s’entête, s’isole. Daniel Langrand, l’entraîneur, démissionne le 22 avril 1969. Puis les joueurs menacent de faire grève, réclamant leurs salaires tels que contractuellement convenus. Barbieux cherche à calmer le jeu, noue des liens pour renforcer l’équipe. Mais le 23 juin, constatant les bâtons mis dans les roues du club à tous les niveaux, le LOSC annonce renoncer au professionnalisme. Il évoluera en 1969/1970 en division amateur, la seule de son histoire.
Si la presse régionale dénonce le traitement du dossier lillois, une lecture de la presse nationale nous apprend que le problème est bien plus général. Ainsi, les principaux clubs professionnels du pays s’inquiétaient de la situation du football français. Le public déserte les tribunes (819 000 spectateurs de moins sur la saison écoulée) et le nombre trop élevé de clubs au statut professionnel (39), notamment dans des villes relativement modestes, n’apporterait rien au football national. Leur volonté de réduction du nombre de ces clubs (16 ou 18) n’étant pas entendue, plusieurs clubs avaient auparavant choisi la même voie que le LOSC : Paris voit le Racing Club abandonner le professionnalisme en 1966, le Stade Français en 1968 et le Red Star fusionner avec Toulouse (!). Le Havre, après avoir retrouvé l’amateurisme à partir de 1962, descendra jusqu’en 4e division. En 1969, Montpellier abandonne le professionnalisme, tout comme le RC Lens, lâché par les Houillères, son principal investisseur.
Magnusson, Skoblar et Van Himst
C’est dans ce contexte de régression nordiste et de « persistance de tactiques négatives » que se forme le comité de soutien. Formés de fanatiques du LOSC, ils sont ingénieurs, commerçants, directeurs de société… Tous ont une vision commune : une organisation méthodique et rationnelle doit permettre au LOSC de renaître de ses cendres encore chaudes. Mais les membres de ce comité de soutien arrivent les poches vides.
Sa première action publique, et donc d’officialisation de son existence, est la mise en place d’un match amical Anderlecht-Marseille. Malgré le titre qui lui a échappé en 1969 pour la première fois depuis 1963, Anderlecht n’est pas une étoile qui pâlit. Le club vient d’être repris par Constant Vanden Stock et est emmené par son leader technique, Paul Van Himst, légende du football belge au même titre qu’Enzo Scifo et Eden Hazard. Malgré les appels du pied du Real Madrid et du FC Barcelone et des offres qui auraient constitué un record mondial sur le marché des transferts, Van Himst a choisi de rester à Anderlecht. Autour de lui, un futur entraîneur du LOSC, Georges Heylens. Sur le banc, le Français Pierre Sinibaldi doit se souvenir de son duel avec René Bihel pour le titre de meilleur buteur, il y a près de 25 ans. Les Mauves viennent de se qualifier en Coupe des Villes de foire sur le terrain de Newcastle, dans une ambiance délirante et un match arrêté à deux reprises, avant de décrocher leur ticket pour le tour suivant grâce à un but marqué à la 88e (2-0 ; 3-1).
Côté marseillais, le club continue de se structurer après sa remontée en D1 en 1966. L’équipe a terminé 7e du dernier championnat mais a remporté la Coupe de France. Dans cette saison 1969-1970, l’OM est 2e, derrières d’intouchables Stéphanois. Outre Joseph et Loubet, les meilleurs buteurs du club, ou encore Jean Djorkaeff, les présences de Skoblar et de Magnusson, assurées contractuellement, sont une attraction alléchante. Ces deux joueurs ont d’ailleurs permis à l’OM de multiplier l’affluence par 7 au Vélodrome. Magnusson est alors comparé à Garrincha, à George Best, ou encore à Stanley Matthews.
La Voix du Nord l’assure : « manquer un tel spectacle serait témoigner d’une élémentaire ignorance des choses du football ». La demande en billets dépasse d’ailleurs largement les frontières de la métropole. Les autocars viennent de Boulogne, de Calais, de Béthune, de l’Avesnois… Déjà, la métropolisation du club, qui sera effective beaucoup plus tard, est évoquée : s’il veut redevenir grand, le LOSC ne doit plus être le club de Lille, mais le club de la métropole, alors que la création d’une ville nouvelle autour d’Ascq permettrait la création ou la modernisation des installations en tout genre, et donc sportives. On comprend d’ailleurs, ici et là, qu’émerge l’idée de débaptiser le LOSC pour un fade « Football Club de la Métropole du Nord ».
Ce sont au final plus de 13 000 spectateurs qui prennent place à Henri-Jooris. Et si tous sont d’accord pour reconnaître la grande qualité du match qui vient de leur être proposée (score final : 2-2), ils le sont aussi pour pointer du doigt un problème majeur : comment faire naître un sentiment de renouveau sportif local lors d’un affrontement entre une équipe étrangère et une équipe du Sud ?
Guy Lux, Michel Sardou et le football mondial à la rescousse
L’idée est désormais de continuer à proposer au public nordiste des matchs censés donner un nouvel élan (orignal, pour nos ami·e· québécois·e·s). Dès lors, le comité de soutien multiplie les contacts pour trouver deux équipes disponibles le 24 avril. Saint-Etienne ? Impossible avec un tel calendrier. Le Standard de Liège ? Six joueurs vont partir à la Coupe du Monde, pas question de les fatiguer. Séville, Prague ? Forfaits. Les Corinthians ? Ils ne seront en France qu’en mai. Chelsea, pour un retour des Blues à Henri-Jooris ? 8 millions, complètement hors budget. Alors les Lillois se tournent vers l’Ecosse. Aberdeen, récent vainqueur la Coupe d’Ecosse aux dépens d’un Celtic qui survole totalement le championnat (quadruple champion en titre, cinq autres suivront) et la Coupe d’Europe (finale de Coupe d’Europe à jouer), accepte de venir sur les bords de la Deûle. Dans la foulée, un accord est trouvé avec Bordeaux. Les Girondins cherchent un nouvel orignal (élan, pour nos ami·e·s francophones non-québécois·e·s) lors d’une saison compliquée. Ils sont également intéressés par deux Lillois, Paul-Charles Lestringuez et Pierre Lechantre, alors autant en profiter pour faire d’une paire de couilles.
Oui mais voilà, Aberdeen est victime de son succès : trois de ses joueurs sont retenus en équipe d’Ecosse. Le Bayern Munich est prêt à remplacer les Ecossais, mais fait grimper les prix. Aucun accord n’est trouvé. Aucun match n’aura lieu le 24 avril, Lestringuez et Lechantre n’iront jamais à Bordeaux.
Une bonne nouvelle balaie toutefois la déception : au terme d’une réunion commune aux dirigeants du LOSC et du comité de soutien, il est annoncé que le club est prêt à redevenir professionnel dès l’été 1970, si la 2e division est maintenue en l’état. Il est toutefois précisé que « cette décision est liée, d’une part, à la réussite des diverses manifestations de propagande qui seront organisées à partir du 15 mai dans la Métropole Nord, et d’autre part, au soutien que la ville de Lille apportera au club nordiste ».
Le comité de soutien a en effet imaginé une grande campagne de publicité à l’occasion de cette opération « Renouveau du football ». Avec pour objectif de réunir suffisamment de fonds, une tombola est mise en place : 2 millions de tickets doivent être vendus. En réalité, cette tombola est un referendum payant sur le thème « Voulez-vous du football à Lille ? ». Le « oui » se vend 1 franc et donne le droit à un tirage au sort avec de nombreux lots. Pour assurer la réussite de cette ambitieuse loterie, le comité de soutien a prévu la venue d’une « grande vedette » par jour, pendant 11 jours. Sans que le LOSC ne soit cité, tou·te·s doivent permettre à la métropole de retrouver un grand club de football, de la sportive Christine Caron au déjà vieux Michel Drucker, en passant par Guy Lux avec mes sabots.
Le 15 mai, l’événement est lancé par un match de gala. Face à Marseille, qui a enthousiasmé le public contre Anderlecht et a convaincu le Comité de revenir, une équipe brésilienne. En tournée depuis le 30 avril, les Corinthians sont à Henri-Jooris, après des passages par Nice, Liège, Casablanca et la Yougoslavie. Le public raffole des équipes sud-américaines. Voilà quelques temps, Lens avait convaincu le club de Bangu de venir à Bollaert : 18 000 spectateurs pour un match amical. Devant un tel succès, Bangu est revenu : 20 000 spectateurs. Alors ce 15 mai, tout le monde attend les « félins, adroits et jongleurs » Brésiliens. Leur entraîneur, Dino Sani, champion du monde 1958, aligne sa meilleure équipe, dont 2 joueurs deviendront champions du monde au Mexique quelques semaines plus tard.
Dans les coulisses de ce supposé spectacle, une réalité moins glamour : les clubs brésiliens multiplient les tournées européennes pour survivre. Si ces équipes ne sont plus capables d’apporter de « l’exotisme », les tournées disparaîtront et les budgets ne seront pas bouclés. D’autre part, elles ont également compris que la technique ne suffisait plus pour dominer la scène mondiale : la Coupe du Monde 1966, où le Brésil a subi l’engagement physique (souvent très agressif) de ses adversaires et a été éliminé dès le premier tour, fut un traumatisme, après les victoires en 1958 et 1962. Affronter des équipes européennes est ainsi un moyen de s’adapter, parfois à contre-cœur, à ces méthodes qui l’ont provisoirement écarté des premiers rôles.
Le match est dans un premier temps la preuve des carences brésiliennes : la technique est précise, mais l’impact physique et l’intensité moindres limitent cette qualité. Marseille ouvre le score mais subit l’engagement très maladroit des Corinthians : Joseph sort sur blessure, bientôt rejoint par Skoblar, dont la jambe « est ouverte sur 10cm ». Une fois privé de deux de ses meilleurs éléments, Marseille cherche surtout à éviter les contacts. Les Brésiliens en profitent et égalisent après une série de dribbles, avant de remporter le match grâce à un but dans les dernières minutes.
Après Michèle Torr, dont on avait déjà oublié ce qu’elle chantait, c’est au tour de Michel Drucker de venir se la raconter. Les personnalités, généralement oubliées aujourd’hui, défilent, parfois sans idée précise de ce qu’ils sont venus soutenir. Le 23 mai, Guy Lux réunit le souriant Michel Sardou et Jean Baratte, lors d’une grande journée de bals populaires. Le 26 mai, l’acteur Raymond Bussières, supporter du LOSC « depuis 25 ans », clôt cette période de festivités en tout genre.
« Que ceux qui avaient préféré le confort douillet du fauteuil se frappent la poitrine ! »
Après quelques jours sans manifestation, le Comité de soutien revient au premier plan avec un nouveau match amical à Henri-Jooris. Le 1er juin, le Feyenoord Rotterdam est annoncé à Henri-Jooris. Avec le légendaire Ernst Happel comme entraîneur, les Néerlandais viennent de remporter la Coupe des clubs champions en battant en finale le Celtic, vainqueur 1967, après avoir écarté l’AC Milan, champion d’Europe en titre. Il s’agit donc de la meilleure équipe européenne à cette époque qui se présente. Pour clôre cette belle saison, le Feyenoord s’est lancé dans une série de matchs amicaux. Devant 32 000 personnes réunies à De Kuip, Rotterdam vient d’ailleurs de surclasser les Corinthians (4-2, 3-0 à la mi-temps).
En face, l’adversaire semble modeste. La Gantoise, troisième du championnat belge, connaît de temps à autre de belles saisons, récompensées par un podium (1954, 1955, 1957, 1958), une victoire en Coupe (1964) ou une bonne performance en Coupe d’Europe (élimination de Bordeaux en 1966). Mais l’irrégularité se traduit par un passage d’un an en 2e division, en 67-68.
Cet affrontement, qui se ferait entre deux équipes d’un même pays si elles n’étaient pas étrangères l’une pour l’autre, est considéré comme « le plus beau, le plus extraordinaire que l’on ait vu depuis fort longtemps ». Les Néerlandais s’imposent 4-2, malgré l’honorable résistance gantoise. Malheureusement, le public n’était pas au rendez-vous : 6700 spectateurs sont venus, alors qu’un record autour de 15 000 personnes était attendu. A se demander si les prévisionnistes de recettes de billetterie du stade Pierre-Mauroy n’étaient pas déjà au LOSC quarante ans plus tôt[1].
« De quoi demain sera-t-il fait au LOSC ? »
Un mois après l’officialisation de l’existence du Comité de soutien, où en est l’opération Renouveau ? Avec qui ? Quand ? Rebondissant sur la faible affluence du dernier match, la Voix du Nord s’interroge : « L’esprit sportif est tombé bien bas dans cette région. Les Nordistes seraient-ils incapables de discerner la qualité, ne connaitraient rien au football européen ? Triste. Parfois, on se demande même s’il est opportun de leur offrir un spectacle de cette qualité ». PAF, dans vos gueules les Nordiss’ !
En réalité, on comprend que le Comité, malgré ses louables intentions, s’est construit en deux mois là où il en fallait six. En résulte une organisation imparfaite, et notamment la mise en place de cette ambitieuse tombola devant écouler deux millions de tickets qui n’atteint pas le résultat escompté, en raison d’un manque de personnel. Si les chiffres ne sont pas publiés, il est assez facile de connaître le nombre de tickets vendus : le règlement prévoit un véhicule à gagner par tranche de 200 000 tickets et…deux Renault 4L ont été achetées par le Comité. 400 000 tickets ont donc été vendus, cinq fois moins que ce qui était espéré… Les lots sont à retirer avant le 31 octobre 1970. Alors si certains d’entre vous comptaient les retirer au secrétariat du Stade Henri-Jooris, dépêchez-vous !
Tout n’est pas à jeter pour autant. En direct à la radio, Guy Lux a ainsi relayé l’idée d’une « Tribune 2000 » : pour baisser la moyenne d’âge des supporters, il imagine un moyen de faire venir gratuitement au stade 2000 jeunes durant la saison prochaine. Fidèle à lui-même, Sardou n’a pas esquissé pas un rictus. Mais les entreprises suivent et s’arrachent les 2000 places à 10 francs l’unité (alors même qu’un billet arraché n’est plus valide, c’est malin). De même, la médiatisation de l’événement, à défaut d’apporter une manne financière suffisante, semble avoir des effets positifs sur la constitution de l’effectif de la saison à venir.
Toutefois, l’échec de la loterie entraîne en conséquence un manque à gagner. La question d’une subvention revient lors du conseil municipal. A moins d’un an des élections municipales, la mairie peut-elle refuser l’octroi d’une subvention de 800 000 francs ? Si un prêt est envisagé, l’opposition rappelle judicieusement que les fonds accordés au club ne sont jamais réapparus et n’ont servi qu’à éponger dettes et déficit. Et surtout, à qui s’adresser ? L’équipe dirigeante du LOSC est en pleine mutation et les interlocuteurs ne sont pas encore bien identifiés. Surtout, la présence de Robert Barbieux à la présidence est un véritable obstacle à la réalisation de projets communs au club et à la municipalité.
Pommerolle propulsé président
Ces derniers doutes ne tarderont pas à être levés : mi-juin, il est annoncé que Robert Barbieux et ses associés démissionnent, en abandonnant 2/3 de leurs créances. Max Pommerolle prend la direction du club, « avec l’intention de lui donner, dès que possible, une structure métropolitaine et régionale ». Ainsi, l’équipe de l’ancien joueur de Fives et de l’Olympique Lillois est constituée de Georges Verriest, ancien président du RC Roubaix, du CO Roubaix-Tourcoing, ancien joueur et sélectionneur de l’Equipe de France (1960-1964) ; de Paul-Marie Delannoy, seul rescapé de l’équipe dirigeante précédente ; de Roger Deschodt, ancien joueur du LOSC, arrivé lors de la création du club ; d’Yves Bonhomme, inspecteur de la Jeunesse et des Sports ; Pierre Dubuissez, chef des finances de l’Académie de Lille. Outre le comité directeur, le comité d’honneur accueille le maire de Lille, le recteur d’académie Guy Debeyre et le président de la chambre du commerce et de l’industrie de Lille-Roubaix-Tourcoing, Pierre Decoster.
Dans la foulée, le conseil municipal, qui se déroule devant 16 personnes (« un beau résultat »), vote à l’unanimité l’aide demandée par le LOSC, tout en se défendant d’avoir obéi à toute considération d’ordre électoral. En attendant, Pommerolle a obtenu ce qui avait refusé à Barbieux trois ans plus tôt. Voici la déclaration intégrale de Raymond Allard, adjoint aux sports :
« C’est en se rappelant ces temps glorieux que des hommes de bonne volonté ont conçu le projet de faire renaître le grand LOSC ; d’autres sont venus prolonger leurs intentions en concevant pour le grand club local des structures nouvelles de fonctionnement et des formes nouvelles de gestion. Un mouvement d’opinion a été créé qui se prolonge. La ville, par l’intermédiaire d’un nouveau Comité directeur installé, est invitée à participer à ce renouveau par un appui moral et financier, et à prendre une attitude résolument tournée vers l’avenir. Il y a certes des choses qui dépendent de la ville, et d’autres ne dépendent pas d’elle. Parmi ces dernières, faut-il souligner la nécessité impérieuse pour le sport professionnel de se réformer fondamentalement ? L’obligation, pour les groupements des clubs professionnels, d’élaborer un statut du joueur faisait à la fois la part de ses devoirs vis-à-vis du public et de ses droits quant à son avenir ? Est-il nécessaire d’indiquer que la pratique du football professionnel a, depuis des années, dépassé les limites de la ville pour atteindre aux dimensions communautaires sinon métropolitaines ? Certes, la ville ne nie pas le caractère de « ville-pilote » qu’elle joue et qu’elle doit continuer à jouer, et les devoirs que lui impose son rôle de capitale. La demande présentée par les dirigeants du LOSC est donc parfaitement recevable.
Son examen nous conduit à vous présenter une série de mesures qui devraient permettre, dans des délais raisonnables, la mise à la disposition de la société de liquidités importantes, susceptibles, avec d’autres appuis financiers, d’apporter les capitaux immédiatement nécessaires à la constitution d’une grande équipe. En agissant comme nous le faisons, nous sommes guidés par la préoccupation de ne pas surcharger le contribuable, de veiller au bon emploi des fonds mis à la disposition du LOSC, d’assurer un redémarrage satisfaisant à une entreprise courageuse. Nous avons, enfin, la conviction d’agir dans le sens des intérêts bien compris de la cité.
Après avoir recueilli les informations nécessaires sur la situation financière du club, et compte tenu des avis émis antérieurement par les commissions municipales intéressées en fonction des éléments d’appréciation dont elles disposaient, nous vous proposons : d’alléger de façon substantielle les charges auxquelles le LOSC a à faire face ; de permettre à ce club de reformer une équipe de joueurs valables et pour faciliter sa remontée en division nationale, par les mesures suivantes :
• Mise à disposition du stade Henri-Jooris et de ses installations dans la mesure nécessaire à l’entraînement des joueurs et au déroulement des matchs, suivant convention à intervenir.
• Octroi d’une aide financière de la ville en portant de 160 000 à 250 000 francs le montant de la subvention à allouer eu LOSC dans le cadre des subventions de fonctionnement aux sociétés sportives et d’éducation physique, au titre de l’année de l’année 1970, et en décidant à cet effet l’inscription d’un crédit supplémentaire de 90 000 francs au budget complémentaire de 1970 ; en prenant dès à présent l’engagement d’allouer pour 1971 une subvention d’égale importance ; en consentant en 1971 un prêt de 750 000 francs sans intérêt, remboursable en un an et assorti des sûretés légales requises. »
M. Pommerolle, pour en avoir demandé moins que M.Barbieux, a sans doute obtenu plus. Car outre les efforts consentis par la municipalité, le LOSC bénéficiera à l’avenir des recettes produites par la location des emplacements publicitaires d’Henri-Jooris. Ce changement de « propriétaire » s’est d’ailleurs traduit immédiatement par une augmentation du prix de location et Pommerolle estime à 120 000 francs par an l’apport de cette subvention indirecte. En contrepartie, la ville n’a posé qu’une seule condition, mais de taille : un fonctionnaire des finances de la municipalité exercera chaque année un contrôle du budget de fonctionnement du LOSC.
Enfin, la présence de Georges Verriest est un atout important dans la métropolisation du club. La notion de « métropole » étant relativement récente, des réserves apparaissent, notamment venues de Roubaix et Tourcoing, qui eurent jadis de glorieux clubs. Mais en tant que Roubaisien, Verriest peut servir d’intermédiaire intéressant pour Pommerolle. Désormais doté d’un support juridique, la communauté urbaine (900 000 habitants) a, aux yeux du nouveau président, beaucoup plus d’arguments à faire valoir que la seule ville de Lille (190 000 habitants).
Le complot belgo-polonais
Le football français étant en plein doute sur la réforme de ses championnats, le LOSC en profite pour déposer un dossier, accepté, en D2 après une saison en amateur terminée à la 10e place.
La nouvelle direction ne fait pas table rase du passé : dans la lignée des festivités de mai 1970, Max Pommerolle organise un nouveau match amical. Sa volonté est d’attirer les clubs des villes jumelées avec Lille depuis 1958 : Leeds, Turin, Cologne et Liège, Rotterdam et Esch-sur-Alzette.
Rotterdam étant déjà venu et Esch-sur-Alzette ne répondant pas aux critères de « promotion du football de qualité », des contacts sont entrepris avec les quatre autres villes. En attendant, le premier club étranger que le LOSC reçoit en cette nouvelle saison est Katowice, 6e du dernier championnat polonais. Qualifié en Coupe d’Europe, le GKS a accepté de faire un détour par Lille avant de jouer le match retour contre le FC Barcelone, vainqueur 0-1 en Pologne. Quoi de mieux pour se préparer, effectivement ?
Ce match a toutefois une particularité : si le spectacle proposé jusqu’alors par les Corinthians, Anderlecht, Marseille, le Feyenoord et La Gantoise était de haut niveau, il manquait au public une équipe en laquelle il était possible de s’identifier. Face à Katowice, c’est donc l’équipe locale, qui jouera sur son terrain. Leader de D2, le LOSC a ainsi l’occasion de se tester contre une équipe du niveau de première division.
Enthousiasmé par un début de saison réussi (2 matchs, 2 victoires, 7 buts marqués), le public répond présent. Et alors même que le match à Barcelone est reporté de 3 semaines, Katowice confirme souhaiter honorer son engagement et venir dans le Nord. Alors c’est bon, coup d’envoi ? Et bien non. Les Polonais ne sont pas là. A 24h du match, ils ont appelé : les visas ne sont pas arrivés. Alors dans l’urgence, les Lillois font ce qu’ils peuvent pour autoriser Katowice à quitter la Pologne et entrer en France. Les négociations sont même tant en bonne en voie qu’il est annoncé que le match est décalé de 48h. Rendez-vous est donc pris dimanche 6 septembre, à 20h30.
Samedi 7 septembre, bonne nouvelle : les Polonais doivent arriver en France dans la matinée. Mauvaise nouvelle : ils sont attendus à Bollaert pour un match face au RC Lens à 16h30 ! Ah les bâtards ! En fait, en l’espace de 3 jours, Katowice a prévu 3 matchs amicaux : Lens donc, Lille le dimanche soir, et Boulogne mardi soir. Seulement, les Lensois se font également prendre au piège de la technique du « bien fait pour ta gueule » : les joueurs et les 3500 spectateurs apprendront durant l’échauffement que l’équipe polonaise n’est jamais arrivée en France, faute d’autorisation de sortie du territoire. Pour la petite histoire, après avoir mené 0-2, Katowice s’inclinera 3-2 à Barcelone, passant donc très proche d’un très bel exploit.
Une nouvelle fois confrontée à l’urgence, Max Pommerolle, Max pour les intimes, se démène pour dénicher un adversaire valable. Il a 24h devant lui. Et rapidement, une équipe accepte : le Cercle Brugge, « un très bon de seconde division belge ». Les Groen-Zwart sont présentés comme solides, candidats à la montée grâce à un excellent recrutement, dont l’international roumain Ion Ionescu.
Alors cette fois c’est bon, coup d’envoi ? Oui ! Rapidement, les Lillois se montrent plus rapides, plus précis. Les Brugeois sont dépassés. Les buts défilent. 1, 2, 3… 9-0 ! Alors qu’est-ce qui a pu se passer ? Les Lillois sont-ils effectivement inarrêtables et foncent-ils vers la D1 ? La D2 belge est-elle si faible que ça ? La réponse est beaucoup plus décevante : la première journée du championnat belge s’est déroulée quelques heures plus tôt. Le Cercle est donc venu avec son équipe réserve. Si la volonté était d’avoir des adversaires de qualité et un public nombreux, ce match amical est donc un échec total, puisque 2100 spectateurs ont assisté à cette branlée.
Samoy mis à l’honneur
Alors pour se rattraper, le LOSC fait coup double : la venue du Standard de Liège, leader du championnat belge, sera l’occasion de mettre à l’honneur le fidèle Charly Samoy, qui fait désormais les beaux jours de Mouscron, alors leader de la 3e division. Arrivé au LOSC en 1963, les déboires financiers du club l’ont empêché de terminer sa carrière là où il l’aurait voulu. Mais c’est tout de même sur cette pelouse qu’il souhaite organiser son jubilé. Alors le LOSC met les petits plats dans les grands (ce qui ne sert à rien, rappelons-le) et met à disposition du gardien de but l’équipe, le stade et toutes ses facilités. En première partie a lieu un match opposant les Va-Nu-Pieds (une équipe créée par Charly Samoy, réunissant ses amis, dont Claude Brasseur, Alain Barrière et Jean-Pierre Beltoise) aux anciens du LOSC, emmenés par Bigot, Bourbotte, Dubreucq et Lechantre.
Et pour ce dernier « match de promotion » de l’année, le LOSC fit mieux que se défendre face à une équipe de calibre européen : rapidement mené au score, l’équipe trouve les ressources pour passer devant au marquoir. Supérieurs physiquement, les Liégeois retournèrent la situation dans les dernières minutes pour finalement s’imposer 2-3.
Malgré la défaite et l’affluence modeste (5000 spectateurs), la prestation de l’équipe était de nature à rassurer la qualité du groupe et les objectifs de montée en première division. La bonne série de résultats continua d’ailleurs de longues semaines, permettant au LOSC de décrocher la première place du Groupe Nord et d’assurer son retour en première division.
[1] Michel Seydoux avait annoncé avant l’entrée dans le Grand Stade attendre 35 à 40 M€. Lors de la première saison à Pierre-Mauroy, avec l’effet nouveauté, une affluence supérieure à 40 000 personnes, la Ligue des Champions et une équipe a priori solide, les recettes de billetterie étaient de 15M€. Record toujours à battre en 2020.
Posté le 16 avril 2020 - par dbclosc
Lille/Lens 2005 : en route vers la Ligue des Champions
Le 16 avril 2005, le LOSC bat son voisin 2-1 et s’ouvre une voie royale vers une deuxième participation en Ligue des Champions. Nicolas Fauvergue inscrit son premier but en professionnel.
Après 18 premiers mois compliqués en termes de jeu et de résultat, le travail de fond de Claude Puel manifeste des effets franchement positifs à partir du début de l’année civile 2004. À la faveur d’un mercato hivernal qui, en dépit d’inévitables « loupés » (qui sont aussi une marque des mercatos de Puel, comme en 2002), voit notamment arriver Tavlaridis et Acimovic, le LOSC parvient enfin à allier solidité défensive et créativité offensive. Encadrés par les expérimentés Tafforeau, Wimbée, Pichot ou Brunel, les jeunes joueurs régulièrement lancés par le coach depuis son arrivée s’installent comme titulaires, à l’image de Moussilou, qui « profite » de la blessure de Manchev pour évincer définitivement le Bulgare ; les Makoun, Bodmer, Be. Cheyrou, Dernis et Chalmé sont devenus de bons joueurs aux performances régulières ; et les Dumont et Debuchy pointent leur nez.
Cette dynamique se poursuit à l’aune de la saison 2004/2005 : en dépit de quelques départs majeurs (Wimbée, Abidal, Cheyrou), le LOSC s’appuie sur une ossature relativement jeune, qui s’étoffe avec des bonnes pioches (Sylva, Angbwa, Vitakic, Odemwingie), la percée régulière de jeunes joueurs (Cabaye, Fauvergue, Mirallas), et d’autres ayant franchement progressé, comme Rafael. La victoire en coupe Intertoto au mois d’août, qui sur le coup a pu paraître peu significative, laissait ainsi augurer une belle saison basée sur un jeu collectif très agréable et dans lequel, en dépit d’un important turnover, les performances ne changent pas. Après un mois d’août poussif (avec notamment une lourde défaite à Marseille 0-3 en ayant fini à 9, un 0-0 contre Bordeaux) laissant craindre une nouvelle saison mi-figue mi-raisin, le LOSC enchaîne une belle série, n’encaisse son premier but à domicile que mi-octobre, et se place même en tête du championnat à l’issue de la 9e journée. Parallèlement, le LOSC réussit un beau parcours en coupe UEFA, en terminant premier de son groupe devant Séville, et est donc qualifié pour les 16e de finale qui ont lieu en février. Et le LOSC réussit quelques « coups », comme l’élimination de Lyon en coupe de la Ligue (3-2).
Signe de la qualité collective de l’équipe : à mi-saison, en janvier, Claude Puel a utilisé 26 joueurs toutes compétitions confondues, dont 13 ont marqué au moins un but (Brunel, Dernis, Acimovic, Moussilou, Bodmer, Audel, Odemwingie, Dumont, Landrin, Debuchy, Tafforeau, Vitakic, et Manchev avant son départ).
C’est donc en deuxième position que le LOSC accueille le leader lyonnais, invaincu, le 23 janvier 2005. L’OL est 6 points devant et, au terme d’un match haletant et d’une grande performance de Tony Sylva, le LOSC s’impose 2-1. On aimerait s’emballer comme L’Equipe qui prétend que « Lille relance la L1 » (une expression courante de l’époque dès que Lyon perdait des points), mais on se réjouit surtout que l’équipe ait été à la hauteur dans ce sommet, et qu’elle semble manifestement entamer 2005 avec la ferme intention de maintenir sa place de dauphin.
Le LOSC va pourtant marquer le coup après ce match. À Caen, le gardien Planté détourne 13 frappes lilloises ; à Saint-Etienne, Rafael marque un but parfaitement valable mais refusé. Sans moins bien jouer, Lille n’a plus de réussite et enchaîne une série de 8 matches sans victoire, tout en ne perdant qu’une seule fois (ce qui fait 7 nuls si vous comptez bien – même si vous ne comptez pas bien d’ailleurs). En 8e de coupe UEFA, Auxerre élimine les Dogues. Le LOSC est redescendu 4e, tout en restant au contact du 2e : va-t-il rentrer dans le rang ? Claude Puel reste optimiste avec le retour du printemps : « nous avons atteint les limites d’un système sur des terrain en mauvais état. Balancer, on ne sait pas faire. La qualité du jeu revient avec les bonnes pelouses. On parvient à nouveau à déstabiliser l’adversaire ». Début avril, la pauvre équipe d’Istres va alors servir d’éxutoire : 8-0. Comme le dit Jean Makoun, « tous les buts qu’on n’a pas marqués depuis trop longtemps, on les a mis en seul match ».
Le LOSC est relancé et espère poursuivre à Monaco, deux points derrière, sa marche en avant. Mais le match est reporté pour cause de… décès du Prince Rainier. Le match suivant se joue donc contre Lens.
Si, au début des années 1990, on était au coeur d’une série de derbies pénibles et peu spectaculaires, on peut dire que, depuis la remontée du LOSC en 2000, à de rares exceptions près, les matches entre Lillois et Lensois offrent régulièrement un duel où au moins une des deux équipes est en haut de tableau, et ce jusqu’à la descente de Lens en 2008, comme l’illustre cet astucieux tableau :
Pour cette saison 2004/2005, à l’aller, au stade Bollaert, les deux équipes se sont séparées sur un nul 1-1, un score plutôt flatteur pour les Lensois, largement dominés en seconde période. Ce 16 avril, ce sera la troisième confrontation de la saison entre les deux équipes puisqu’en février, durant la série de non-victoires du LOSC en championnat, les Dogues ont battu les Sang & Or en coupe de France (3-2).
Avec un match en moins, les Dogues sont toujours deuxièmes, à égalité de points avec Marseille, tandis que les Lensois connaissent une saison moyenne : ils sont 10e mais peuvent encore espérer jouer l’Europe, même si Auxerre, 5e, est à 7 points.
Claude Puel aligne l’équipe suivante :
Sylva ;
Chalmé, Tavlaridis, Rafaël, Vitakic ;
Dumont, Makoun, Landrin ;
Dernis, Brunel, Moussilou
Le match est équilibré et pauvre en occasions. Le LOSC ouvre le score à la 39e minute : bien lancé par Geoffrey Dernis, et avec l’aide d’une lourde défense centrale, Moussilou s’échappe et trompe Itandje, parti trop tard, d’un tranquille plat du pied droit. Mais les Lensois égalisent 4 minutes plus tard par Jérôme Leroy. À la mi-temps, les deux équipes sont à égalité (1-1).
En seconde période, Lille domine de façon stérile, sans se créer d’occasion franche. Les entrées d’Odemwingie à la place de Dernis (59e) et de Debuchy à la place de Landrin (78e) n’y changent rien : on se dirige vers un nul. Le buteur, Matt Moussilou, est remplacé par Nicolas Fauvergue à la 88e minute.
Formé à Lens à partir de l’âge de 13 ans, Nicolas Fauvergue a quitté la formation lensoise deux ans plus tard en raisons de « lacunes techniques », selon ses formateurs. Après deux années à Béthune, il rejoint le LOSC, sous la direction de Rachid Chihab puis de Pascal Planque, et signe pro à Lille en 2003. Il a jusqu’alors été peu utilisé : il fait ses 30 premières minutes en L1 en octobre 2003 contre Ajaccio, en remplaçant Hector Tapia, puis ne réapparaît que durant la campagne Intertoto de l’été 2004, où il entre en jeu en fins de match, contre Minsk puis contre Leiria. Il fait également une apparition en championnat contre Bordeaux (août 2004), puis en UEFA contre Auxerre (mars 2005) : chaque fois, il est sur le terrain pour une dizaine de minutes.
Nicolas Fauvergue effectue donc sa 6e apparition sous le maillot lillois. La plus courte, et la plus décisive. Sur son premier ballon, il réceptionne un centre de Brunel et fait un mauvais choix en ne plaçant pas sa tête sur un ballon qu’il semble pouvoir reprendre ; son contrôle de la poitrine est approximatif, mais il semble garder le contrôle du ballon. Seulement, Jérôme Leroy revient et le lui enlève… du bras ! Pénalty pour Lille.
Le tireur attitré est Philippe Brunel : il en déjà transformés 4 depuis le début de saison, dont un lors du match de coupe contre le même adversaire. C’est toujours tiré à gauche du gardien, sans que ce ne soit très bien placé… Charles Itandje a peut-être bien révisé et renvoie le tir prévisible de Brunel : explosion dans le kop lensois. Mais ce n’est pas fini : Debuchy et Gillet se jettent sur le ballon, sans pouvoir le toucher. Ça arrive finalement à l’entrée de la surface, où Fauvergue arme du pied droit : le ballon est dévié sur la ligne des 6 mètres par Gillet, au sol avec Debuchy, et trompe le gardien lensois. 2-1 pour Lille, explosion dans le Stadium ! Nicolas Fauvergue est le 11e buteur lillois de la saison en championnat (le 14e en tout).
Avec cette victoire, le LOSC conforte sa position car, le soir, Monaco coule à Ajaccio (0-3). En dépit d’une défaite au stade Louis II lors du match en retard et d’un faux pas à domicile contre Ajaccio, le LOSC parvient à assurer sa deuxième place en s’imposant à Strasbourg, contre le PSG (avec un nouveau buteur : Mirallas), à Nantes (avec un nouveau buteur : Rafael), et enfin à Auxerre. Lille, pour la première fois de son histoire, se qualifie directement pour la phase de poules de la Ligue des Champions.
En juin 2018, quand il a raccroché les crampons, Nicolas Fauvergue confiait que le meilleur souvenir personnel de sa carrière était son premier but en pro, comme une revanche sur Lens où le coup des « lacunes techniques » « résonne toujours dans [s]a tête ».
Posté le 14 avril 2020 - par dbclosc
Le LOSC passe la Seconde
Pour le retour du LOSC en D1 le 29 juillet 2000, Grimonprez-Jooris présente un nouveau visage à son public : au cours de l’été, le stade a été réaménagé et les « Secondes » ont été surmontées de 2000 places, condition imposée par la Ligue pour jouer dans l’élite. Une belle occasion de remuer la poussière accumulée sous le tapis avant d’entrer dans une nouvelle dimension.
Dans le serpent de mer que constitue la question des stades du LOSC, Grimonprez-Jooris occupe une place privilégiée : stade construit à la hâte, en quelques mois en 1974/1975, la nostalgie qu’il suscite aujourd’hui semble inversement proportionnelle au consensus dont il a peu fait l’objet au cours de ses 30 ans d’existence : mal placé, trop grand, trop petit, trop vétuste, mal desservi, peu accueillant pour la presse ou les hôtes « de marque »… à partir des années 1990, le stade apparaît clairement désuet. À tel point qu’il compromet un temps l’accession du club en première division, acquise sur le terrain sportif. Grimonprez-Jooris et ses 15 000 places ne sont plus aux normes, et il faut trouver une solution.
De 25 000 à 13 400 places
La situation peut paraître incongrue car, à l’origine, le stade Grimonprez-Jooris a été conçu pour accueillir 25 000 spectateurs, dont une majorité debout. D’ailleurs, cette affluence a parfois été atteinte à la fin des années 1970 et au début des années 1980, quand le pétillant LOSC de José Arribas sut attirer les foules. Officiellement, le record d’affluence du stade est de 25 578 spectateurs, le soir d’une mémorable victoire contre Saint-Etienne, le 7 avril 1979 (3-0).
Mais quelques catastrophes dans les années 1980 ont alimenté une législation plus restrictive en matière d’accueil du public, au nom de la sécurité. Ainsi, progressivement, la capacité officielle du stade diminue, jusqu’à tomber à 13 400 places après Furiani. En 1995, la loi dite « Pasqua » fait des organisateurs des manifestations sportives les responsables. Autrement dit, ce sont les clubs et la ligue qui sont chargés d’organiser les conditions d’accueil des spectateurs et, logiquement, cette législation incite à la prudence, même si au même moment, la LNF se fait de plus en plus pressante pour inciter le LOSC et la ville de Lille à « moderniser » l’enceinte. Seulement, le club a bien d’autres chats à fouetter : l’urgence est de rétablir des fonds propres pour le club (selon le président Lecomte, ce sera fait en 1998) ; quant à la mairie, quand elle s’intéresse au LOSC, c’est pour presser ce processus et préparer la transition vers une société privée.
Grimonprez-Jooris en octobre 1975, juste avant son inauguration. Photo La Voix du Nord.
Par petites touches, Grimonprez-Jooris gagne quelques sièges, à force d’aménagements mineurs. Mais c’est dans l’urgence que, en en cas d’affluence comme ça a été le cas au début de la saison 1996/1997, le club procède à des travaux et demande des dérogations. Ainsi, lors du derby Lille/Lens du 6 novembre 1996, et alors que le LOSC a déjà dû refuser du monde à deux reprises depuis le début de saison, Bernard Lecomte demande une autorisation pour que la capacité du stade soit de 18 500 places : le matin même du match, une commission de la LNF se rend à Grimonprez-Jooris et accorde au LOSC, en dernière minute, 16 311 places, le temps d’un match. Ce n’est donc que par à-coups, et toujours de façon dérogatoire, que Grimonprez-Jooris s’adapte, tant bien que mal. Et il faudrait que la question soit résolue le 1er janvier 1998 : à cette date, la Ligue impose aux clubs de D1 20 000 places assises, sous peine de rétrogradation. La descente du LOSC en mai 1997 permet de masquer le problème dans l’immédiat et de laisser les non-projets dans les cartons.
En D2, d’autres aménagements se font : on se rappelle qu’au cours de la saison 1998/1999, le gros panneau d’affichage à points rouges et verts (ci-dessous) est remplacé par un écran plus moderne (et plus compréhensible) ; les grillages sont supprimés. Mais c’est encore insuffisant, et maintenant que le LOSC cartonne au cours de la saison 1999/2000 et s’apprête à retrouver la D1, la configuration de son stade l’empêcherait administrativement de monter. Une première solution envisagée serait de se replier au Stadium Nord mais à part le maire de Villeneuve d’Ascq, ça fait chier tout le monde.
L’entrée de Grimonprez-Jooris en février 1998. Source : nos belles archives
4 ans que la Ligue tanne le LOSC afin de monter la capacité de Grimonprez-Jooris à 20 000 places assises : la descente avait assoupi le projet et, désormais, le club et la ville ne peuvent plus surseoir à l’échéance, ou alors la Ligue refusera la montée éventuelle. Signe indéniable que le LOSC va mieux : Pierre Mauroy est de retour au stade ; il ne s’y était pas pointé depuis 3 ans.
Dans le Magazine du LOSC de novembre 1999, Bernard Lecomte est clair : « il nous faut 20 000 places, sinon la Ligue nous refusera la montée en D1, ne serait-ce que pour éviter un recours d’un autre club ayant satisfait à cette exigence ». Il existe encore des dérogations aux règles, mais elles concernent des villes de taille modeste (comme Guingamp) où le président du club est aussi président de la Ligue mais ça n’a sûrement rien à voir ; mais en aucun cas la Ligue ne souhaite faire de cadeau à une métropole de la taille de celle de Lille, qui n’a de plus que trop traîné les pieds.
Dans l’urgence, encore et toujours, la LNF propose au LOSC une porte de sortie : il est possible de compléter la capacité de Grimonprez-Jooris en 1999 par des équipements provisoires, tolérés durant quelques années, en attendant le choix définitif du futur stade : il s’agirait alors de surmonter la tribunes « Secondes » d’une structure de 5 000 places. C’est cette dernière issue qui est proposée par la ville le 30 novembre 1999, avec toutefois une structure inférieure à 5 000 places, d’autres places pouvant être gagnées dans d’autres tribunes. Deux représentants du club (Bernard Lecomte et M. Hubeau) et deux de la ville (M. Circo, architecte, et M. Lebrun, secrétaire général adjoint de la ville) se rendent au siège de la LNF le 8 décembre pour présenter le projet et obtenir son feu vert.
Le Magazine du LOSC, Novembre 1999
Un premier projet de 20 268 places
Voici ce que présente la délégation lilloise : à ce jour, Grimonprez-Jooris dispose de 15 485 places aux normes de sécurité, dont seulement 9000 assises. Il est possible d’ajouter 8000 sièges vissés dans les virages (ce qui fait 17 000) ; on peut ajouter 2 rangées de gradins autour du terrain, à 50 centimètres au-dessus des panneaux publicitaires (pour un total de 1000 sièges, on arrive donc à 18 000). Manquent 2 000 places : on a le compte en ajoutant 14 gradins au-dessus de la tribune « Secondes ». Dans un premier temps, l’architecte a privilégié une structure amovible, sur le modèle de ce qui a été fait à Créteil ou au Mans, mais cette piste a été abandonnée car « cela ne donnait pas une impression de grande sûreté ». Selon Circo, « techniquement, ça ne pose aucun problème, on peut faire ce qu’on veut. Mais comme nous sommes dans une zone inscrite à l’inventaire des Monuments historiques, nous avons des contraintes ».
Ces contraintes sont principalement d’ordre esthétique : faut pas que ce soit moche. Il s’agit de faire en sorte que la structure s’intègre harmonieusement dans l’environnement proche : « cette structure doit être le plus léger et le plus transparent possible. Elle est métallique, soutenue par des crémaillères très discrètes. Il est important de soigner la façade : c’est la vitrine. C’est cette face qu’on voit depuis l’esplanade ». Quant à la hauteur, le débat avec l’architecte en chef des Bâtiments de France (qui a aussi ses exigences) porte sur la hauteur de l’extension : « jusqu’à présent, un compromis avait été trouvé, souligne Pierre-Marie Lebrun : les tribunes et leur couverture ne devaient pas dépasser les plus hauts arbres ». Le dernier rang serait ainsi à 15,5 m du sol, au niveau de la couverture des autres tribunes (et à 133 mètres du but opposé).
Au total, comme chez le boucher, y en a un peu plus et on le met : 20 268 places assises. Le coût de l’opération est estimé à une fourchette de 10 à 12 MF.
Si tout va bien, le compte à rebours sera enclenché sans tarder, et voilà l’échéancier qui se profile : le conseil municipal donne son aval ; un appel d’offres publiques est lancé fin décembre ; le choix des entreprises retenues est pour février ; le lancement d’ordres en mars ; et les premiers coups de pioche arrivent dès après la dernière journée de championnat, en mai.
Surprise : la Ligue pousse ses exigences
L’audition de la délégation lilloise se déroule bien, du moins pour ce qui était prévu, hormis quelques critiques que la Voix du Nord juge « tatillonnes » : il semble que les ¾ des places ne seront pas couvertes, comme le demande le règlement de la Ligue. Il en manque 1000 ; et l’installation de 2 rangées de gradins supplémentaires amènerait le public à 4,8 m de la ligne de touche : or, la ligue ne veut voir aucune tête à moins de 6 m ! Il faudra donc prévoir quelques aménagements supplémentaires (et des dérogations) qui, selon Bernard Lecomte, feront passer le coût du projet à 15-20 MF.
Mais la commission des stades de la Ligue a réservé une surprise, par la voix de son président, Charles Girardot. Elle a formulé une exigence qui ne semblait pas au programme : oui, la Ligue va permettre au LOSC de jouer en D1, mais à la condition que la ville s’engage, dans les 3 ans, à construire un grand stade ! De quoi faire grimper la tension chez les élus lillois. Selon la Voix du Nord, il faut probablement voir dans cette demande un retour de bâton de la Ligue, « excédée par les atermoiements loscistes qui renâclent depuis plusieurs années à se mettre aux normes ». Le quotidien rapporte ce qu’aurait dit Girardot, en substance : « nous voulons rendre service à la ville en la forçant à investir dans un équipement d’avenir, pour lequel elle obtiendra des crédits et des subventions ». Et la Ligue demande à la ville un « billet d’engagement » pour le mois de février ! Revoilà donc cette affaire de grand stade « espéré par les supporteurs, redouté par les contribuables ». Se dirige-t-on vers un bras de fer entre la Ligue et la ville ?
Lille/Louhans-Cuiseaux, août 1999
Lecomte ravi, Roman un peu moins
Le président du LOSC, qui a maintes fois demandé que le projet du « grand stade » avance, est ravi : « je n’imagine pas une seconde que l’équipe ne soit pas autorisée à rejoindre la D1 si elle gagne ce droit sportivement et je me réjouis de l’intransigeance de la Ligue. Car pour moi il va de soi qu’il n’y aura pas de grand club à Lille s’il n’y a pas un stade digne de ce nom, c’est-à-dire une enceinte moderne, fonctionnelle, qui accueille autre chose que du football et qui, les soirs de matches, puisse rassembler 35 00 à 40 000 spectateurs ».
Dans le Magazine du LOSC de décembre 1999, il surenchérit : « la mise en chantier d’un stade de 30 000 voire 40 000 places doit être clairement inscrite dans les priorités de la mairie de Lille. De grands sponsors ne viendront pas soutenir le LOSC si son stade n’offre pas les moyens de valorisation imposés, aujourd’hui, pour tous les clubs professionnels : des espaces VIP, le merchandising, les parkings, etc. Ce contexte n’exclut pas de faire de Grimonprez-Jooris un chaudron à l’anglaise mais sans traîner : dans moins d’un an, le LOSC pourrait recevoir Marseille, Lens, Saint Etienne, Il y aura du monde dans le stade et des besoins de stationnement ». On comprend qu’avec cette demande inattendue, Bernard Lecomte a trouvé un allié de poids pour faire pression auprès de la mairie…
Et du côté de la mairie, on souligne que Bernard Roman, adjoint en charge du dossier du LOSC, n’a que « modérément apprécié » la manœuvre et ne cache pas son « agacement ». Selon lui, la réunion à Paris était d’ordre technique et devait se borner à avaliser le plan d’extension de Grimonprez-Jooris : « les responsables de la commission des stades étaient parfaitement au courant des points qui nécessitaient une dérogation, comme la distance insuffisante entre les premiers gradins et la ligne de touche, et la couverture incomplète du stade, et ils m’avaient personnellement donné quitus ». Oulà, quand on sort les mots latins, c’est que l’affaire est grave. Elle vient surtout télescoper une autre actualité du LOSC : la privatisation.
« J’étais à deux doigts de conclure un beau mandat, et sur un malentendu la LNF a décidé d’un commun accord qu’on devait avoir un grand stade… J’sais pas ce qui me retient de leur casser la gueule »
Après avoir temporisé, tout le monde temporise
À force d’avoir traîné, on se retrouve avec un chevauchement de la question du stade avec celle du statut du club. Avec les attentes de la LNF, c’est un peu une rencontre entre tout le bordel qu’a pu être le LOSC et les questions liées à son avenir.
L’identité des repreneurs du LOSC est entérinée en conseil municipal le 13 décembre 1999, soit 5 jours après l’audition du LOSC à la LNF. Avant que le choix de la mairie ne soit annoncé, Bernard Lecomte avait annoncé son départ prochain, pour éviter tout soupçon sur une éventuelle préférence. C’est donc en homme « libre » que Lecomte met la pression sur la mairie, à un moment où on ne sait pas encore quelles sont les intentions du duo Dayan/Graille quant à la question du stade : nouvelle enceinte ou agrandissement de Grimonprez-Jooris ? À un peu plus d’un an des municipales (en mars 2001), on voit mal la mairie (qui par ailleurs réaffirme sa volonté, sur le principe, de voir un grand stade à Lille) s’engager dans les dépenses nécessaires à l’une ou l’autre solution, et aimerait temporiser pour se débarrasser du problème en même temps qu’elle refourguera ses dernières parts dans le club, donc quand le LOSC sera une SA. Et les repreneurs aimeraient bien un dernier coup de main des contribuables pour alléger les futurs coûts… Ou alors, puisque la loi « Chevènement » l’autorisera à partir de janvier 2001, une autre solution serait de faire financer une construction ou une rénovation par le biais de la métropole, qui peut s’emparer de la compétence des installations sportives. En cas de « complexe sportivo-commercial à Fives », on parle tout de même de 400 à 500 MF ; un peu moins si on agrandit Grimonprez par une ceinture supplémentaire au-dessus des tribunes actuelles. Alors, qui paiera ? La ville, la région, la CUDL, le privé ? Bernard Lecomte en profite pour rappeler que Lille s’était engagée dans la course de Lille 2004 avec un budget prévisionnel de 10 milliards, et que sans cette « occasion manquée », le problème était réglé.
Bref, la ville n’a aucune envie de s’engager seule sur ce projet, à ce moment-là. Pierre Mauroy va donc écrire à Noël Le Graët, président de la LNF, pour avoir davantage de précisions sur ses exigences ; entre maires socialistes, on devrait parvenir à s’entendre.
« Président, tirez sur mon doigt »
On bricole
En attendant, le conseil municipal valide la délibération qui projette d’accroître la capacité du stade à 20 000 places. En revanche, les élus disent non au grand stade « dans l’immédiat », ce que la Voix du Nord traduit par « tant que le LOSC ne sera pas une des vedettes de la première division ».
En gros, ce que le uns posent comme condition correspond à ce que les autres posent comme conséquence : pour Lecomte, ce sont les infrastructures qui permettront au LOSC de jouer les premiers rôles ; pour la mairie, ce sont les résultats qui autoriseront d’avoir de grandes infrastructures. On se dirige donc vers un pis-aller, où on exploite au maximum les structures d’un stade vieillot, en attendant mieux, un jour, par quelqu’un. Ainsi, pour ce qui est des parkings, la Voix indique que « la municipalité se pose la question mais ne s’en inquiète pas vraiment ». Lors du match au sommet contre Guingamp, en novembre 1999, 15 000 spectateurs étaient présents. Les services de la ville ont compté 5000 voitures ; par une astucieuse règle de 3, on estime que 20 000 spectateurs, c’est 6 000 voitures : « ce n’est pas beaucoup plus. En outre, 1000 véhicules étaient sur le champ de mars, qui peut en contenir 2000. Il faut bien les ranger pour en sortir vite » indique P-M Lebrun. À partir de janvier, on étudie comment Grimonprez peut respecter le cahier des charges de la D1 au niveau de la sécurité et des chaînes de télé (pour lesquelles il faut 1 200 m2 de parkings pour les 27 caméras).
Quelques dérogations et un nouveau report de la question du « grand stade » permettent au LOSC de retrouver la D1 avec un stade dont la capacité d’accueil est finalement de 21 128 places, dont 2/3 sont couvertes, et dont 14 435 sont assises. Bien entendu, ce réaménagement sera insuffisant pour satisfaire aux exigences liées aux ambitions du club et aux normes du football les plus récentes. Pour la réception de Parme, d’autres restrictions européennes limitent l’accueil à 14 700 places, et il faudra jouer la Ligue des Champions à Lens, avant de migrer au Stadium Nord en 2004 en attendant que la question du « grand stade » soit enfin réglée.
Et voici les « Secondes hautes » !
Le changement le plus spectaculaire est donc l’apparition de la tribune « Secondes hautes », qui a pour conséquence de transformer les « Secondes » en « Secondes basses ». Après un gros orage en fin d’après-midi, c’est sous un franc soleil que, ce 29 juillet 2000, elle se révèle au public lillois : Lille reçoit le champion de France monégasque pour son retour en D1, et on doit bien dire que cette tribune, pourtant pas bien grande, est impressionnante. Officiellement, il y a 19 146 personnes au stade : une affluence probablement inédite depuis près de 20 ans. Des spectateurs en « Secondes Hautes » qui auront l’occasion de chavirer une première fois cette saison quand à la 52e minute et à environ 130 mètres de là, Bruno Cheyrou inscrit le premier but lillois de la saison et égalise.
Patrick Collot nous a raconté que, du point de vue des joueurs, l’érection de cette tribune avait un effet important sur l’image que le club renvoyait : « il y avait une dynamique à l’intérieur du club. Je me souviens qu’à cette période, cette tribune derrière les buts a été construite. On sentait un club qui commençait à bouger, à s’améliorer pour accueillir ses supporters dans de meilleures conditions. C’est bête à dire, mais c’est quelque chose que nous, joueurs, on ressent aussi : que le club évolue, qu’il fait des efforts, qu’il veut progresser ».
Dans un premier temps, on ne sait pas si elle porte la poisse, mais personne ne marque du côté de cette tribune jusqu’au 4e match, en septembre 2000, où Bruno Cheyrou transforme un coup-franc et égalise contre Troyes.
Migrations vers le Nord
Le réaménagement du stade a une conséquence importante et peut-être inattendue sur le placement des sections de supporters, qui migrent progressivement en « Secondes basses » au cours de la saison : les virages étant désormais des places assises (même si on a le droit d’être debout), aussi bien les DVE (à l’est, donc), que les Dogs United, placés depuis quelques temps en face, se tournent alors vers la seule tribune officiellement « Debout ». On peut ainsi penser que l’installation de sièges a tendance à aseptiser un lieu, le rendant alors peu compatible avec la pratique d’une culture de supporters ; et que le caractère désormais relativement impressionnant des tribunes « Secondes » créent un effet de masse à la fois visuel et sonore bien plus propice à cette pratique et susceptible d’impressionner les adversaires ; dernière hypothèse possible : la grandeur de la tribune permet de réunir un nombre important de supporters, au-delà des concurrences et rivalités.
De nos archives : Lille/Lyon, avril 2001, où un groupe important est déjà constitué
Durant 4 ans, l’apparition de cette nouvelle tribune n’a donc pas eu que des conséquences en termes d’affluence : elle a déplacé le centre de l’activité du stade vers les « Secondes », amenant de plus en plus de supporters « actifs » et d’animation, supporters qui ont connu leurs moments de joie et de fierté avec l’ère Vahid, des moments plus compliqués avec les 18 premiers mois de Puel, leurs embrouilles, leurs provocations avec les supporters adverses placés à côté ; bref, comme l’ont illustré les les festivités organisées le 15 mai 2004 pour la dernière, c’est ici que pendant 4 ans battait le cœur de Grimonprez-Jooris.
Un résumé de Lille/Monaco sur notre chaîne Youtube :
Lille-Monaco (1-1), 29 juillet 2000 (youtube.com)
Posté le 8 avril 2020 - par dbclosc
Où sont les derbies d’antan ?
En 1992/1993, le LOSC signe son record du plus petit nombre de buts marqués au cours d’une saison (26), loin des promesses offensives de l’été. Même la réception de Lens ne suffit pas à galvaniser les Dogues : en octobre 1992, Lille et Lens offrent un derby indigent, sévèrement jugé par la presse.
Après un nouvel épisode tumultueux au printemps 1992 avec les départs de Santini, Gardon et Dusé, le président Besson place Metsu (entraîneur), Gianquinto (direction sportive) et Defferez (centre de formation). Or, Tony Gianquinto a gardé quelques contacts en Amérique du Sud où, paraît-il, il va aller trouver les joueurs qui symboliseront le renouveau du LOSC.
Et c’est peu dire que la saison 1992-1993 a fait naître bien des espoirs pour le public lillois. Espoirs notamment suscités par quelques recrutements en attaque : si Lille peut encore revendiquer une réputation d’équipe solide grâce à sa défense, ça pêche (Gardon doit y être pour quelque chose) devant : 31 buts marqués en 91/92, et 39 en 90/91 malgré une belle 6e place. Le club parvient ainsi à maintenir l’ossature de son équipe (Nadon, Buisine, Rollain, Fichaux, Frandsen…) en la complétant par des éléments offensifs présentés comme prometteurs : Walquir Mota, qui vient d’inscrire 18 buts en D2 ; Samba N’Diaye, un jeune espoir prêté par Metz « amené à prendre la relève d’Abedi Pelé » selon la Voix des Sports en août, et Edgar Borgès, un milieu offensif Uruguayen. Ainsi, le nouvel entraîneur, Bruno Metsu, prépare une équipe a priori plus offensive que ce qu’on a vu depuis deux saisons, avec deux attaquants (Mota-N’Diaye) et deux milieux offensifs (Frandsen et Borgès ou Assadourian). Et les espoirs d’un LOSC offensif sont entretenus par une audacieuse campagne de publicité à coups de « Show devant ! », illustrée par le duo Mota-Borgès.
Une belle prise estivale (et, au premier plan : Edgar Borgès)
Dans le même temps, sur le terrain, les matches amicaux d’avant-saison semblent confirmer ces belles intentions. Lille marque et achève sa préparation estivale en explosant Lens 6-0 en finale du challenge Emile-Olivier ! Les buteurs sont N’Diaye, Borgès, et deux doublés de Mota (qui avait déjà permis de gagner la demi-finale 1-0) et d’Assadourian. Deux mois plus tard, le 3 octobre 1992, les deux équipes se retrouvent à Grimonprez-Jooris, qui accueille le premier derby de la saison en championnat (en vrai, c’est le deuxième, car il y a eu Valenciennes/Lille en août, mais on se comprend).
Le LOSC au Challenge Emile-Olivier 1992
Debout : Bray, Buisine, Rollain, Dieng, Oleksiak, Nadon
Assis : Mota, Borgès, Friis-Hansen, N’Diaye, Tihy
Lors de la dernière édition du derby en championnat, en avril, les Sang & Or sont venus s’imposer 2-1. Mais maintenant que le LOSC a une attaque de feu, cela ne devrait pas se reproduire ! Qu’en est-il d’ailleurs, après les 8 premières journées de championnat ?
Eh bien… Lille a 7 points (2 victoires, 3 nuls, 3 défaites). Jusque là, on reste dans les normes traditionnelles. En outre les Dogues ont conservé une solidité défensive avec 8 buts encaissés. Seulement, ils n’en ont inscrit que 3 ! On est bien loin des standards annoncés, et même largement en dessous de ce qu’a pu faire le LOSC au cours de toute son histoire. Dès la fin du mois d’août, après seulement 3 journées, le capitaine Thierry Oleksiak dressait un premier bilan qui pointait les lacunes devant : « plusieurs d’entre eux [les attaquants] découvrent la division 1. Il faut leur laisser un peu de temps. De toutes façons, il faut une période d’adaptation. Ce qui est sûr, c’est qu’après les matches amicaux, on a tous pensé très tôt que ça allait bien se passer ». Si Mota semble présenter quelques qualités (on en a parlé ici), les regards se tournent surtout vers Borgès, dont les prestations en championnat ont été « assez peu convaincantes » selon l’hebdo sportif régional. Au point qu’elles ont poussé Metsu à envoyer son joueur faire un petit stage avec la réserve en septembre. En raison de la limitation du nombre d’étrangers sur une feuille de match, il faut de toute façon en écarter un, et le choix paraît ici assez facile. Comme l’indique la Voix des Sports, « de deux choses l’une : ou l’Uruguayen est le bon joueur annoncé et il est censé mettre son talent au service de l’équipe professionnelle, ou sa réputation est surfaite et l’on peut s’inquiéter de son recrutement ». Les problèmes de l’équipe ont aussi contraint Metsu à revoir ses plans, en reculant Friis-Hansen libéro, en plaçant Frandsen en 10, et en écartant Fiard et Brisson.
Mets ton pull, et le survet’ tu le mets d’sus
Un match à enjeu peut être l’occasion de révéler les capacités jusque là enfouies d’une équipe. Ce derby tombe bien : après une défaite à Auxerre (0-2), il est l’occasion de rassurer le public, face à un adversaire lui aussi mal en point, qui n’a pas encore gagné (4 nuls, 4 défaites), et qui a l’avant-dernière défense de division 1, avec 14 buts encaissés. Les Lensois restent en outre sur 4 matches où ils ont encaissé au moins 2 buts, mais sortent d’un nul contre Marseille (2-2) après avoir égalisé en fin de match alors qu’ils étaient en infériorité numérique depuis la 33e minute. Bref, d’un côté comme de l’autre, ça ne va pas fort et Nord-Eclair annonce « un derby fiévreux » entre deux équipes malades : ça promet.
Voici la composition de Bruno Metsu, sans Leclercq, expulsé à Auxerre, et donc suspendu :
Nadon ;
Tihy, Dieng, Oleksiak, Rollain ;
Fichaux, Friis-Hansen, Bray ;
Frandsen, Borgès, Mota
Si les équipes étaient fiévreuses avant le match, la tournure du match aura au moins permis de confirmer ce diagnostic, sans pour autant trouver pour le moment de remède. Le derby n’aura accouché que d’une seule occasion, en seconde période, en faveur des Lensois : « à la suite d’un excellent travail préparatoire de Sirakov, Boli ratait l’immanquable » (57e). Pour le reste, rien, et il aura fallu chercher dans des événements extra-sportifs pour avoir de quoi sortir de sa torpeur avec, par exemple, la spectaculaire blessure de Cyrille Magnier après un choc aérien, ou l’interruption du match en première période après des jets de fumigènes en bord de pelouse, réprimés par… des jets de gaz lacrymogènes qui, pour les dirigeants lillois, provenaient du kop lensois, là où pour d’autres ils venaient « d’un policier un peu trop zélé ».
La presse régionale est consternée devant le « spectacle » proposé. On trouve pêle-mêle, dans la Voix des Sports, les passages suivants : « misère, misère… » ; « ce match n’en fut pas un tant il y eut d’approximations, de faiblesses techniques, de pannes de cerveau » ; « Encore un ou deux rendez-vous du même sceau et il faudra créer l’association « SOS Derby ». Que Lillois et Lensois aient dépensé beaucoup d’énergie n’est pas douteux, mais pour quel résultat ! Sans relief, sans saveur, sans but : il a manqué au spectacle tous les ingrédients indispensables. Le public de Grimonprez-Jooris a grondé. On le comprend ». La presse nationale lui emboîte le pas : L’Équipe évoque un match « triste à pleurer » : « le derby du Nord a été ennuyeux d’un bout à l’autre ».
Quant à la performance lilloise, elle est jugée « sans relief, terne et même franchement désolante en certaines circonstances », la faute à un « manque d’inspiration, d’organisation, de maîtrise technique ». Au cours de la deuxième période (« la plus lénifiante »), « les lillois furent presque toujours à côté du sujet, étant incapables de bâtir, incapables de lier leurs actions, incapables de jouer au ballon » ; « L’occasion était belle pour la bande à Bruno Metsu de tuer le scepticisme et la morosité qui l’enveloppent. Or, non seulement il eut échec sur toute la ligne, malgré le point du nul, mais encore la méthode lilloise, face au voisin lensois, a sûrement laminé les dernières illusions entretenues ici ou là ». À l’arrivée, ce sont les lensois qui ont fait la moins mauvaise impression.
Dans ces circonstances, les Sang & Or sont plutôt satisfaits, même s’ils sont conscients de n’avoir pas fourni une prestation de qualité. Leur entraîneur, Arnaud Dos Santos, souligne : « après coup, on a quelques regrets, évidemment, mais croyez bien que ce point nous procure un immense plaisir. Les gens auraient sûrement aimé un autre spectacle, mais en l’état actuel des choses, on ne pouvait certainement pas mieux faire ». Et leur président, Gervais Martel, est « content. Entre nous, sur ce que l’on a vu ce soir, il n’y a pas 3 points d’écart entre Lens et Lille. Dans ce derby, on se crée les meilleures occasions et, logiquement, on aurait dû gagner si Roger la met au fond sur le centre de Nasko ». Les voisins peuvent se satisfaire de la bonne prestation de Slater : « dans un derby souvent terne et ennuyeux, le rouquin fut le roi du flanc droit, multipliant les centres qui ne furent pourtant jamais de grands dangers de but pour Jean-Claude Nadon », mais l’Australien n’a tout de même « pas prononcé sa phrase-fétiche : « c’est sioupeeeer » », étant bien conscient que « le public ne s’est pas beaucoup amusé et c’est dommage. De telles rencontres devraient être des fêtes et c’est tout le contraire qui fut proposé aux spectateurs ». L’Australien peut désormais son concentrer sur son activité dominicale : il est juré du concours de Miss Artois à Méricourt.
Inévitablement, on pointe les criantes lacunes, notamment offensives, du LOSC, et on raille les promesses estivales : « voilà des années que ça dure ! À l’intersaison, le problème avait, pensait-on, été cerné. En gros, il suffisait de changer les hommes du devant, tout en continuant à assurer ses arrières. Tout faux. On invitera donc les « grands communicateurs » à réfléchir à deux fois avant de concocter leur prochaine campagne d’affichage ! ». Le courrier des lecteurs n’est pas tendre envers les Lillois, comme celui de G. Gosse, de Seclin : « les saisons se suivent et se ressemblent pour des Lillois qui n’arrivent pas à marquer. Où est donc l’équipe que les dirigeants avaient promis ? » ; « heureusement que la défense tient bon, sinon bonjour les dégâts ! Bruno Metsu ne fait guère mieux que Jacques Santini » selon E.Vandaele de Villeneuve d’Ascq. La Voix des Sports s’amuse à compter que le LOSC marque toutes les 4 heures et demi… L’entrée d’Assadourian à la pause à la place d’Oleksiak n’a rien changé : les Dogues ne se sont créé aucune occasion après la pause, et celui qui n’est pas encore titulaire indiscutable est le premier à s’en désoler : « en 45 minutes, j’ai eu un ballon, un seul. Un attaquant a besoin de 4 ou 5 ballon négociables par mi-temps pour pouvoir s’exprimer. Nous n’avons pas de fond de jeu (…) Nous sommes incapables de produire des décalages, des une-deux. Vous en avez vu vous, des une-deux ce soir ? On le sentait venir. Ce soir, ça a explosé aux yeux de tout le monde (…) Si on ne se ressaisit pas, le pire est à craindre ». Son compère d’attaque, Mota, insiste sur la dimension collective du problème lillois : « dans le football aujourd’hui, ce qui compte, c’est de bien préparer les actions. Pour pouvoir faire la bonne passe, décisive, au bon moment, et dans de bonnes conditions. L’attaque ne marche pas ? Mais c’est toute l’équipe qui est responsable. Nous sommes incapables d’aligner 3 ou 4 passes. On se précipité, on ne réfléchit pas, on balance. Il nous faudrait 4 ou 5 actions nettes par match pour conclure ». Cette belle ambiance est également partagée par Hervé Rollain : « on a vraiment touché le fond. C’est terrible des moments comme ça. On se dit que ce n’est pas possible, qu’il faut s’accrocher et puis rien ne vient. Toute l’équipe plonge ».
0-0, ça peut quand même faire deux satisfaits
Même l’entraîneur ne blâme pas spécifiquement les attaquants et assure que « le problème ne vient pas de là. Le drame dans l’histoire, c’est qu’entre l’envie d’aller de l’avant et la peur de perdre, le doute s’installe. On fait alors n’importe quoi, on n’attaque plus, on ne défend plus. En première mi-temps, on a fait illusion avec notamment 2 ou 3 bonnes inspirations de Borges. Mais après on a plongé. Ce fut une répétition de Lens/Lille de l’an dernier. Finalement, on constate que peu de choses ont changé. Des joueurs sont arrivés, d’autres sont partis, mais les lacunes demeurent ». Le lensois Slater a lui aussi souligné que « ce triste derby [lui a] a étrangement rappelé le 0-0 de l’an dernier au stade Bollaert ». Entre un LOSC qui est parti pour durablement s’installer en fond de classement, jusqu’à la chute finale en 1997, et un RCL encore faiblard mais qui va progressivement monter en puissance jusqu’à son titre national en 1998, on est en effet au coeur d’une série de derbies quelconques, que l’enjeu ne parvient pas à électriser : le match retour, juste après le licenciement de Metsu, accouchera aussi d’un immonde 0-0, tout comme le premier derby de la saison suivante, avant deux matches nuls 1-1 sans réelle saveur en décembre 1993 puis en juillet 1994. Mais n’est-ce pas toujours mieux que pas de derby du tout, comme c’est le cas depuis plusieurs années, le derby du Nord (au-delà de Lille/Lens) étant par ailleurs une espèce en voie de disparition ?
Technique moyenne ce Borgès, qu’en pensez-vous Arsène ?
Dans l’immédiat, ça ne s’arrange pas pour les Lillois, qui n’inscrivent que 2 buts lors de leurs 7 matches suivants : l’arrivée d’un joker s’impose. Début novembre, on profite d’une trêve internationale pour mettre à l’essai Chérif Oudjani : son but vainqueur (sur pénalty) contre Amiens n’est pas suffisant pour convaincre les dirigeants lillois, qui jettent finalement leur dévolu (car ils avaient un dévolu à l’époque) sur Pascal Nouma. Mais les Lillois resteront dans le brouillard toute la saison et l’année sera scandée par diverses affaires témoignant de la mauvaise santé du club. Au contraire des Lensois qui, s’ils ne gagnent qu’au bout de 14 journées, se classent 3e sur les matches retour et terminent le championnat à la 9e place.
Mota ne marquera jamais en championnat avec le LOSC ; Borgès inscrit son seul but fin octobre contre Lyon ; Nouma parviendra à marquer 2 fois ; et Samba N’Diaye 4 fois. Saluons notre meilleur buteur, Eric Assadourian : 6 buts. Avec 26 buts marqués en 38 matches, c’est un miracle que Lille ne soit pas relégué.
Bref, contre Lens et durant toute la saison 1992/1993, on aura plutôt été « manchots devant » : de quoi alimenter durablement, chez les faibles d’esprit, les pires fantasmes sur le climat de la région.
Posté le 6 avril 2020 - par dbclosc
À jamais les premiers ! L’Olympique Lillois premier champion de France professionnel (1932-1933)
Comme un symbole du grand complot contre le football lillois, le premier championnat professionnel de football débute officiellement un 11 septembre, en 1932. Dès leurs débuts, les ancêtres du LOSC allaient découvrir que rien n’allait leur être épargné par les forces obscures qui n’allaient reculer devant rien pour empêcher la consécration du football de la grande métropole nordiste. Mais ces mêmes complotistes découvraient en parallèle qu’il leur faudrait être plus coriaces pour contrecarrer les velléités de succès de nos chers footballeurs.
Henri Jooris, qui est à la fois président de la Ligue du Nord et de l’Olympique Lillois est l’un des acteurs les plus mobilisés autour du projet de création d’un premier championnat professionnel. Il est voté le 17 janvier 1931 lors du conseil national de la Fédération Française de Football. Un an plus tard, la Fédération définit les règles permettant aux clubs de postuler au Groupement des Clubs Autorisés. L’Olympique Lillois fait bien sûr d’abord partie des 24 premiers candidats ainsi que des 17 premiers à être autorisés à rejoindre le Groupement. Ils seront rejoints en mai et juin par le Red Star, le CA Paris, le RC Paris et le Stade Rennais.
Pourtant, en raison de tensions entre le Groupement et la Ligue du Nord, l’Olympique Lillois, le RC Roubaix et Amiens vont finalement se désengager le 27 juin, moins de trois mois avant le début du premier championnat professionnel. Le SC Fives, qui est alors un club modeste qui navigue entre haut de classement en PH Nord et bas de classement de DH (Nord, là encore), profite de ces désistements pour déposer un dossier de candidature qui … sera accepté le 22 juillet 1932 ! Louis Henno en profite pour débaucher plusieurs joueurs de l’Olympique Lillois, dont l’international André Cheuva, qui viennent alors renforcer l’effectif de ce qui devient le premier club lillois professionnel.
Cet évènement imprévu amènera Henri Jooris à changer à nouveau son fusil d’épaule et à déposer un nouvelle candidature, bien que les délais officiels soient dépassés. Le 1er août, cette candidature est déjà acceptée. L’OL fera ainsi bien partie des 20 clubs qui disputeront le premier championnat professionnel de l’histoire.
Huit victoires de suite après la défaite initiale
Ce premier championnat est alors organisé en deux poules de dix équipes qui s’affrontent en matchs aller-retour, les vainqueurs de chacune des deux poules devant s’affronter en finale au Stade de Colombes au mois de mai 1933. La découverte du professionnalisme débute bien mal pour ceux qui sont déjà surnommés les « Dogues ». Ils s’inclinent ainsi à domicile au Stade Victor-Boucquey contre un autre Olympique, celui de Marseille (1-2). Fallait-il y voir le signe d’une domination à venir des Marseillais sur la saison, lesquels pourraient en conséquence revendiquer d’avoir été « à jamais les premiers » champions de France professionnel ?
Bélinogramme du match OM-Lille publié dans Match l’intran en septembre 1932
En tout cas, après ce premiers revers, les Dogues allaient montrer qu’ils ne comptaient pas se laisser faire. La semaine suivante, les Lillois repartaient ainsi dans le bon sens à la faveur d’une victoire sur le terrain du RC Paris. Les Dogues montraient alors quelles allaient être leurs qualités comme le résume le journaliste de Match en charge du compte-rendu. « A quoi Lille dut-il sa victoire ? A sa défense et à son cran. Le trio Défossé-VanDooren-Théry a été magnifique […]. Les Dogues Lillois peuvent avancer qu’on ne leur marquera pas beaucoup de buts ».
Les Lillois n’allaient pas s’arrêter en si bon chemin et allaient battre la totalité de leurs adversaires suivants jusqu’à la fin des matchs aller, leur permettant d’atteindre la mi-championnat en tête avec trois points d’avance sur leur dauphin marseillais. Le 11 décembre 1932, c’est donc en position de force que l’OL se rend au Stade Vélodrome pour affronter la seule équipe qui a jusqu’ici réussi à contrecarrer ses plans de victoires. Comme annoncé par le journaliste de Match, la défense est effectivement leur point fort puisqu’elle n’a cédé qu’à 7 reprises en 9 rencontres, à une époque où la moyenne de buts par match (3,95) est bien plus élevée qu’aujourd’hui.
Le scandale du Vélodrome
Il était dit que ce match au sommet ne se passerait pas sans tension. Voyons le compte-rendu qu’en fait Le Grand Echo du Nord de la France le 12 décembre 1932. On y apprend d’abord que les Marseillais dominent la rencontre et mènent déjà par 2 à 0 à la pause. On y lit ensuite que les Phocéens inscrivent le troisième but en début de seconde mi-temps quand intervient « un premier incident, opposant Lutterlock et Rabih. L’intérieur lillois eut le tort de chatouiller les chevilles de Rabih et ce dernier lui porta un coup de tête. L’arbitre mis les deux hommes dehors ». Si l’on n’est pas bien sûr de comprendre ce que Lutterlock a fait, on comprend en revanche que notre Anglais s’est pris un gros coup de boule en retour et que les deux équipes se retrouvent alors désormais à dix.
Sur ce, les Marseillais inscrivent un quatrième but quand survint le deuxième incident opposant Barrett et Trees – l’article n’évoque ici aucune chatouille ni le moindre coup de boule, même métaphoriquement – valant également aux deux joueurs l’expulsion. Les Lillois protestèrent et, semble-t-il, souhaitaient que le match s’arrête là, ce que refusa l’arbitre. S’ensuivit une mascarade de football, les Lillois décidant de concert de ne plus jouer le jeu. Défossé, par exemple, bloqua un tir puis le mis volontairement dans ses filets ; solidaire, le Marseillais Boyer profita des largesses volontairement données par la défense lilloise pour aller jusqu’à la ligne de but de Défossé pour enfin … revenir en arrière ! Alcazar – qui allait ensuite jouer à Lille – en profita pour inscrire un doublé et porter la marque à 7-0, ce qui resta le score final.
Si de nombreux articles ont relaté avant nous cet épisode – Patrick Robert parle par exemple à ce propos d’un match « assez scandaleux » – un détail manquant nous a cependant toujours chiffonnés. Pourquoi les Dogues se sont-ils rebellés de la sorte après la deuxième série d’expulsions ? Certes, on pourrait avancer que le score à ce moment-là (4-0) leur donnait un mobile évident pour trouver prétexte à faire arrêter le match. Mais cela n’explique pas tout. Or, l’article du Grand Echo nous donne sur ce point une information importante.
En fin d’article, on apprend ainsi que le journaliste est allé voir un certain M.Hochart, « membre du comité-directeur de l’O.Lillois » après la rencontre, lequel nous en dit un peu plus sur l’appréciation faite par les Lillois sur ce match. « La rencontre a été gâchée par l’arbitrage. M.Féron manqua de sévérité dès le début et eut le tort de ne pas réprimer plus vite les irrégularités. Après un quart d’heure de jeu, nous avions déjà MacGowan, Delannoy, Amanet Wattrelos blessés. Nous ne pouvions plus espérer grand chose ». On peut bien sûr s’interroger sur la nature réelle des blessures des joueurs Lillois, mais le témoignage permet en effet de restituer l’état d’esprit des Lillois quand ils perdent Barrett. Déjà handicapés par les blessures de quatre joueurs, ils se retrouvent amputés de deux autres joueurs, seuls Défossé, Meuris, Beaucourt, Winkelmans et Théry restant à la fois valides et autorisés à rester sur le terrain.
En tout cas, le groupe A du premier championnat de France était alors relancé…
Pour vous aider à mieux vivre ce confinement, DBC LOSC vous offre en exclusivité de calendrier illustrant les vainqueurs nordistes de l’année 1933 (publié dans Le Grand Echo)
Malheureusement pour le suspense, les Lillois continueront sur le rythme infernal qu’ils imposaient à leurs adversaires Marseillais (sauf bien sûr quand ils jouaient contre eux). Lille enchaîne par des victoires contre le Racing (4-1), le Club Français (5-3), Nice (3-0), Mulhouse (2-1) et Nîmes (4-0). A trois journées du terme, ils sont déjà presque assurés de la première place, avec 5 points d’avance sur l’OM, et ont remporté la totalité des 13 rencontres de championnats non jouées contre leur dauphin. Les Dogues s’autorisent un petit relâchement contre Sète (0-1) qui leur suffit toutefois pour assurer la première place, Marseille s’étant incliné. Ils terminent par une défaite contre Roubaix (1-2) avant une ultime victoire contre Hyères (2-1).
Lille-Antibes en finale ?
Lille est donc qualifié pour la finale du premier championnat de France professionnel de football ! Mais, qui donc affrontera-t-il en finale ? Pour le savoir, rendons-nous à Antibes, où un certain « Allègre » rend compte de la victoire des locaux contre l’autre club lillois, le SC Fives, lequel reçoit ce jour-là une belle raclée (5-0). « Antibes a justement mérité, par sa brillante saison, l’honneur d’aller à Colombes disputer aux ‘’Dogues Lillois’’ le titre envié et inédit de champion de France professionnels ». Et bien, certes, pour nos références contemporaines, cela ressemble un peu à une affiche de Pro B en basket mais, soit, va pour Antibes !
Sauf qu’un malheureux imprévu viendra ruiner les espoirs des joueurs d’Antibes de disputer le titre aux Lillois. Le 8 mai, la Commission d’organisation du Championnat de France professionnel décidait de déclasser Antibes, premier du groupe B, au profit de Cannes. La raison ? Valère, l’entraîneur d’Antibes, et Rodriguez, l’un de ses joueurs, se voient reprocher d’avoir offert une grosse somme d’argent à des joueurs fivois pour qu’ils lèvent le pied lors de la dernière rencontre de la phase régulière du championnat le 30 avril 1933. Une banale affaire de corruption en somme.
Comme on peut le lire sur cette coupure de presse, la raclée fivoise sur fond de corruption a été immortalisée par une photo transmise par « Système Belin », l’autre non du bélinographe
Par ailleurs, Antibes perdra aussi un match sur tapis vert contre le Red Star pour avoir aligné des joueurs non-qualifiés ainsi que six étrangers (contre quatre autorisés). Sans doute un problème de phobie administrative.
A jamais les premiers
Le 14 mai 1933, l’OL dispute la première finale du championnat de France professionnel de football au Stade de Colombes. Il s’agit là potentiellement de parachever le succès du football nordiste en cette saison 1932/1933. En effet, une semaine plus tôt au même endroit, c’est l’Excelsior de Roubaix qui avait remporté la finale de la Coupe de France contre … le RC Roubaix, pour ce qui reste encore la seule finale de l’histoire de la Coupe à avoir opposé deux clubs d’une même ville.
– Messieurs, serrez-vous la main. Je suis l’arbitre de cette rencontre, M.Rodolphe Mitler.
- Comment ?! Vous êtes Ad…
- Je répète, j’ai bien dit: je suis Rodolphe Mitler!
C’est très bien parti pour les Lillois qui dominent outrageusement la première période. C’est l’avant-centre Britannique Barrett qui donne l’avantage aux Lillois (25è) avant que l’inter hongrois Varga ne double la mise (2-0, 30è). Et, comme le fait remarquer le journaliste du Miroir des Sports dans son compte-rendu, « seul le brio du gardien cannois Roux […] empêcha [les Lillois] d’acquérir une plus nette avance à la marque. Au repos, la victoire définitive de l’OL ne faisait guère plus de doute que celle de l’Excelsior sur le Racing Club de Roubaix le dimanche précédent ».
Mais la deuxième mi-temps débuta sous la pluie, ces conditions semblant déstabiliser les joueurs de l’OL. Pourtant, selon le journaliste ces conditions devraient au contraire avantager les Dogues qui seraient « habitués aux champs de jeu détrempés ». Ben Voyons ! Faut-il le rappeler – apparemment oui – mais, clichés mis à part, le Nord connaît un niveau de précipitations inférieur à la moyenne et plus de trois fois inférieur à celui observé dans les Alpes-Maritimes, le département des Cannois !
Quoi qu’il en soit Fecchino réduisit l’écart pour Cannes (2-1, 59è), mais Winkelmans sembla enterrer définitivement les espoirs des Azuréens (3-1,76è). Pourtant, dans la minute suivant l’ailier cannois Calecca ramena à nouveau les siens à un but de leur adversaire (3-2, 77è). C’est la stupeur dans le camp lillois – enfin, on l’imagine – quand, sur un corner, le défenseur Tourniaire égalisa d’un tir à ras de terre (3-3, 82è).
Même si, comme le souligne cette fois fort opportunément le journaliste « beaucoup d’autres équipes auraient […] perdu la tête » en de pareilles circonstances, cela n’a pas été le cas des Dogues. Urbain Decottignies déborda ainsi côté droit et centra pour la reprise de Winkelmans (4-3, 86è).
Illustration publié on ne sait dans quel journal, diffusée sur Footnostalgie.com par Bukovi
L’Olympique Lillois devenait alors le premier champion de France de l’ère professionnelle et ce malgré l’action conjuguée des nombreux complotistes qui, déjà, cherchaient mille et une manière de nous mettre des ballons dans les roues.
Bientôt, on vous parlera des héros de l’équipe dirigée par l’entraîneur belge Robert De Veen.
Posté le 2 avril 2020 - par dbclosc
1899, le premier complot contre le football lillois
En 1899, un enchaînement d’événements farfelus transforme la première participation de l’Iris Club Lillois au championnat de France en gigantesque fiasco, non seulement pour l’ICL, mais aussi pour le football national. Une généalogie du complotisme anti-lillois qu’il fallait raconter.
Imaginez : les joueurs sont venus, se sont équipés et sont désormais prêts : on va faire une belle partie de foot. Sauf… qu’il n’y a pas de ballon : personne n’a songé à en amener un. Fort heureusement, après quelques temps, un ballon arrive, mais le temps est désormais très limité car le terrain doit être libéré pour d’autres sportifs qui jouent après. On joue la première mi-temps et, en dépit d’âpres négociations, il faudra s’arrêter là : l’heure, c’est l’heure, et hors de question de sacrifier ses loisirs sur l’autel de l’étourderie des autres.
Voici décrite une scène que tous les footballeurs du dimanche ou de cour de récréation ont connue un jour. Sauf que nous évoquons ici un épisode du 19 février 1899 : nous sommes au Parc des Princes, et pour la première édition du championnat de France ouvert aux clubs « de province », ni les Lillois ni les Havrais n’ont pensé à prendre un ballon. On ne peut pas jouer. Et quand, après l’arrivée tardive du ballon, la mi-temps est sifflée, des hockeyeurs squattent le terrain et refusent de le rendre. Il faudra rejouer un autre jour… Mais on ne jouera jamais car les Lillois vont être frappés par une épidémie de grippe, délaissant ainsi la possibilité d’obtenir le titre.
Revenons sur ces faits, qui montrent combien le complotisme contre le football lillois a des racines historiques profondes.
Comme on n’a pas trop d’illustrations footballistiques de l’époque, on va mettre autre chose : ici, un plan de la ville de Lille (1898)
La création d’un championnat de France de football
Un détour par l’organisation du championnat de France est tout d’abord nécessaire. La période est relativement peu documentée, mais des lectures de la presse de l’époque nous ont permis de comprendre à grands traits comment cela se passait.
Jusqu’alors, il n’existe pas réellement de championnat de France au niveau national : il existe des championnats régionaux dits « comités régionaux » (et donc il existe des champions régionaux), et un championnat dit « de France » mais qui ne concerne en réalité que des clubs parisiens, et ce depuis 1893, année au cours de laquelle l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), prend le football sous son aile, comme tous les autres sports. Jusque là, elle y était plutôt réticente car, attachée à l’amateurisme, elle constatait la professionnalisation du football en Angleterre depuis 1888, et sa pratique en France est le fait de beaucoup de Britanniques, comme l’indiquent les noms des équipes (club, racing, athletic…). Mais le développement du football en région parisienne (où elle est implantée) et la menace de certains clubs parisiens de créer une fédération concurrente convainquent l’USFSA, qui ne veut pas perdre son monopole sur les activités sportives, d’intégrer en son sein le football. C’est désormais la porte ouverte à un « championnat de France », qui, comme on l’a écrit précédemment, ne concerne en réalité que Paris. Le premier est organisé en 1895.
L’Iris Club Lillois champion du Nord
Dès lors, le champion de France est en réalité le champion du championnat parisien. Cela ne veut pas dire que ce champion parisien ne soit pas réellement la meilleure équipe nationale : régulièrement, des confrontations amicales montrent effectivement la supériorité, en France, du football parisien, suivi de près par le football nordiste, représenté notamment par le Sporting Club Tourquennois le Racing Club de Roubaix, et l’Iris Club Lillois. En 1898/1899, l’Iris Club Lillois remporte le comité régional du Nord. Comme on peut le constater ci-dessous, c’est un championnat très embryonnaire, réduit à 5 équipes, et le championnat n’est d’ailleurs pas l’activité principale des équipes, toutes amateures, qui jouent bien davantage des confrontations amicales.
Voilà donc l’Iris Club Lillois champion régional. Or, en 1898, l’USFSA a décidé de réformer le championnat et a annoncé que pour que la compétition soit vraiment « nationale », elle ne doit pas se jouer uniquement entre parisiens et doit donc s’ouvrir à la province. Les équipes non-parisiennes sont donc invitées à participer à ce nouveau championnat dont les modalités ne sont pas très précises, mais il semble que ce « championnat » (qui ressemble en fait davantage à un tournoi final), qui doit se dérouler à Paris, consiste en des matches à élimination directe, et une confrontation finale entre le champion parisien et le champion des provinces.
Seuls l’Iris Club Lillois et le Havre Athlétic Club répondent à l’appel de l’USFSA : le premier championnat de France national se fera donc à 3, avec une équipe parisienne qui doit encore valider son billet. Voici donc comment cela va se dérouler : Lille et Le Havre vont s’affronter à Paris ; le vainqueur de cette confrontation affrontera le champion parisien.
Un football en quête de crédibilité et de reconnaissance
Le match entre Nordistes et Normands est fixé au 19 février 1899. Le nouveau championnat de France intéresse particulièrement deux journaux, dont nous tirons les extraits qui vont suivre : La Presse, quotidien généraliste du soir, et Le Vélo, « journal quotidien de vélocipédie ». Dès le 8 février, La Presse annonce comme un événement la venue de « la province à Paris » : « les deux teams en présence sont très renommées ». En effet, le quotidien rappelle que, pas plus tard que la semaine dernière, les Lillois ont battu les parisiens du Racing Club de France en match amical, tandis que toutes les équipes parisiennes qui se sont jusqu’alors mesurées au HAC ont été battues. En attendant le 19, l’ICL va se mesurer à une autre équipe parisienne : United Sports Club, qui a récemment triomphé du Standard Athletic Club, champion de France 1898 (donc en fait champion de Paris si vous avez bien suivi). La multiplication de ces confrontations et la concrétisation prochaine de ce championnat national réjouissent les amateurs de football, qui y voient là le signe indéniable de son envol, alors qu’il est encore dans l’ombre du rugby et du football-rugby. Ainsi, on peut lire dans La Presse du 14 février : « jamais saison de football ne fut, en France, aussi brillante que la présente. Tandis que le Stade Français est occupé outre-Manche à jouer contre les Irlandais et les Anglais, les équipes de provinces et les équipes parisiennes effectuent un véritable quadrille en allant jouer les unes chez les autres et réciproquement. Et il ne s’agit pas ici – comme pour le cyclisme et la lutte – d’un engouement subit et sans chance de durée. Le football a progressé très lentement mais sûrement, et il est loin d’être à l’apogée du succès ! »
Lille, le théâtre rue des Manneliers, photographie d’Alphonse Le Blondel vers 1870
Premier complot : un odieux contre-feu venant de l’Elysée
Et alors qu’à l’approche du match ICL/HAC, La Presse semble bien décidée à couvrir quotidiennement l’actualité footballistique, très marginale dans ses colonnes, survient un épisode majeur : le 16 février 1899, Félix Faure, président de la République, meurt. Et voilà que la couverture de l’événement monopolise le travail journalistique ! D’autant que les circonstances supposées du décès provoquent de nombreuses supputations et moqueries, dont nous ne piperons mot ici. Résultat, on apprend en seulement 3 lignes que Lille et United Sports Club ont fait match nul 1-1 et que « les deux équipes ont fait une très jolie partie ». Si on avait voulu taire la participation du football lillois à l’élite du football, on ne s’y serait pas pris autrement.
Le Jour J, pendant que la presse généraliste s’en donne à coeur joie sur Faure, la presse sportive, qui sait rappeler où est l’essentiel, rappelle les enjeux du match, et pronostique que « Le HAC doit gagner, mais de bien peu ». Le match se déroule au Parc des Princes, qui n’est évidemment pas le stade que l’on connaît aujourd’hui : d’une capacité de 3 200 places, il s’y passe pas mal de choses, et ce sont les hockeyeurs du Racing Club de France qui en ont la jouissance en hiver. Sinon, le sport vedette y est le cyclisme sur piste ; d’ailleurs, le Parc est systématiquement nommé « vélodrome » dans la presse. Sont également donnés dans Le Vélo quelques détails pratiques qui, comme on va le voir, seront d’une importance cruciale : le coup d’envoi sera donné à 13h30, « le terrain devant être libre à 15h pour le match de championnat de hockey entre Racing Club de France et Hockey club de Paris »
Voici les compositions alignées :
Iris Club Lillois
But : C. Favier ;
Arrières : H. Heyes, A. Favier ;
Demis : Basquin, Bramwell, Grimonprez ;
Avants : P. Heyes, Veilletet, Fowler, Barbour, Ch-A Wuillaume (cap)
Havre Athletic Club
But : Meyer ;
Arrières : A. Wilkes, Parmentier ;
Demis : C. Wilkes, Frank Mason (cap), Ferris ;
Avants : Muir, J. Carré, Lewis, Guignard, W. Taylor
Alors, qu’a donné ce match, qui allait révéler la grandeur naissante du football national ? Comme nous l’indiquions plus haut, La Presse étant un journal du soir, c’est lui qui va offrir un premier aperçu de cette mémorable rencontre, sans encore pouvoir entrer dans les détails : « on n’a pu jouer que la première partie. À la seconde partie, le terrain était occupé par un match de hockey. Les joueurs de hockey n’ont pas voulu céder leur tour de sorte que les équipes provinciales ont dû se retirer sans terminer la partie. Dans la première manche, l’équipe du HAC avait marqué un point ». Avant d’évoquer le fond, signalons que, sur la forme, l’écriture révèle soit la relative distance qu’entretient le journaliste au football, soit le fait que le football n’est pas encore bien différencié d’autres sports, dont on reprend le vocabulaire : est-ce parce que le football n’est pas encore autonomisé « sur le terrain », ou n’est-ce qu’un problème de langage ? Quoi qu’il en soit, il faut bien entendu comprendre que « première partie » et « première manche » signifient « première période », et le « point » est un « but ».
Bon, et sur le fond, même si les faits rapportés sont parcellaires, ils ont déjà de quoi interpeller : comment est-ce possible ? La presse du lendemain va achever de livrer les détails d’une histoire qui dépasse l’entendement.
Même si la légende est en partie erronée, il est fort probable qu’on ait là l’équipe du Havre du 19 février 1899. Grand merci au compte twitter Tic et T’Hac, archiviste du Havre, de nous avoir fourni cette image issue d’un ouvrage sur le 80e anniversaire du club Normand (1952)
À fond les ballons
Le 20 février 1899, Le vélo annonce qu’il est « inutile de faire un compte-rendu de cette rencontre manquée » marquée par de « regrettables incidents » aboutissant à un « désastreux résultat ». Comme La Presse l’annonçait dès la veille, on a en effet joué seulement la première période. Voici le déroulé des événements : le match devait avoir lieu à 13h30 et « à l’heure exacte, les deux équipes étaient là mais ni l’une ni l’autre n’avaient pensé à apporter un ballon comptant, on ne sait pourquoi, qu’il serait fourni par l’Union ». Le dévoué M. Moignard, président de la commission de football association, saute alors dans une voiture et file chercher un ballon à Billancourt, où réside le Standard Athletic Club. À son retour, à 14h40, le match Lille/Le Havre commence. Sur le terrain, les Havrais sont plutôt dominateurs et, après s’être vu refuser un but, ils marquent par Guignard. Mais, dans le même temps, sur le bord du terrain, « les joueurs de hockey du RCF et du HCP, qui devaient disputer un match de championnat à 15 heures précises, s’agitent et réclament le terrain. C’est avec peine qu’ils consentent à attendre la mi-temps pour l’envahir ». Sont présents quelques membres de la commission football de l’USFSA qui tentent vainement d’obtenir des clubs de hockey « que leur match soit reculé d’une heure ou remis à une autre date. Ils ne veulent rien entendre. Après avoir perdu 10 minutes en pourparlers inutiles, le match de hockey commence au milieu de l’indifférence générale ». Et le match Lille/Le Havre est donc terminé après 45 minutes !
À qui la faute ?
Bien évidemment, la presse est unanime pour dénoncer ce fiasco. En revanche, il n’y a pas de consensus sur les responsables. On rappelle tout de même que s’il y avait eu un ballon à l’origine, il n’y aurait pas eu d’incident (Le Vélo : « les Havrais et les Lillois étaient furieux, il y avait de quoi ! Mais aussi pourquoi n’avaient-ils pas de ballon ? Tout le mal vient de là » ; La Presse : « certes, s’ils avaient apporté leur ballon l’incident aurait été clos »). Mais tantôt ce sont les hockeyeurs du RCF qui ont fait « acte de mauvaise camaraderie » (Le Petit Parisien), tantôt les hockeyeurs des deux équipes pour Le Vélo : « voilà deux équipes parisiennes qui laissent inutilement deux clubs venir l’un de Lille, l’autre du Havre, et fortes d’un droit que nous ne nions pas, ne veulent faire aucune concession pour faciliter la rencontre ! C’est au point de vue sportif d’une courtoisie discutable ! (…) Voilà un mauvais vouloir peu digne de sportsmen », espérons que l’USFSA leur infligera un blâme » ; pour Le Soleil, « le match a piteusement échoué par suite d’un manque de bonne volonté et de courtoisie qu’on ne saurait reprocher trop à ceux qui en ont fait preuve ».
Tout cela est probablement vrai mais, surtout, on souligne aussi le manque d’organisation de la commission de football, qui a initialement manqué de la plus élémentaire courtoisie en n’accueillant pas les équipes du Havre et de Lille à leur arrivée en gare à Paris ; ensuite, il semble que la commission n’ait pas alerté le RCF que son stade était réquisitionné pour une rencontre de football : « quand on songe que M. Raymond, secrétaire général du RCF, n’a pas été prévenu, et que c’est par hasard qu’averti il a donné des ordres pour que des poteaux d’association fussent plantés, c’est faire preuve d’une incurie par trop grande (…) Comment ! Deux équipes provinciales viennent à Paris et aucune publicité n’est faite, rien n’est préparé et c’est le secrétaire général du Racing qui est obligé, le matin même, de faire aménager le terrain ! »
Bref, à l’arrivée Lillois et Havrais repartent sans avoir réalisé ce pour quoi ils étaient venus : « mais que les Lillois et les Havrais vont donc avoir une excellente opinion de l’hospitalité parisienne après le peu de courtoisie qu’on a montré vis-à-vis d’eux ! ». Seul point positif de cet après-midi, et on trouve cette info dans The New York Herald, preuve de la gravité de l’affaire : « le public a fortement protesté et a demandé le remboursement du prix d’entrée ou la fin du match. Mais le Racing club n’a rien voulu entendre. Cependant, il a été annoncé que la recette serait versée au bureau de bienfaisance, ce à quoi le public a consenti ».
Une parenthèse en pleine affaire Dreyfus
Le surlendemain des événements, soit le 21 février, ce qui est désormais nommé « l’incident du Parc des Princes » occupe une grande place, notamment dans Le Vélo, journal par ailleurs réputé pour sa défense d’Alfred Dreyfus, et qui a trouvé là un combat d’une autre envergure, celui contre la commission de football de l’USFSA : « il y avait plusieurs membres présents, pourquoi ne se sont-ils pas réunis et pourquoi n’ont-ils pas tout simplement décidé que le match de hockey était remis ? Ils avaient le droit de le faire. S’ils ne l’ont pas fait, c’est probablement que personne n’a songé à cette solution ou que personne n’a voulu prendre la responsabilité d’un acte d’autorité ». Dans La Presse, un édito de Gustave de Lafreté sobrement intitulé « Les incidents d’hier – défaut d’organisation – il faut agir » se permet également quelques critiques car, comme il l’écrit si bien, « on rend un mauvais service au gens – et aux sociétés – que l’on aime en ne leur signalant pas leurs défauts et en ne les adjurant pas de s’en corriger ». Sans omettre de souligner l’absurdité de ne pas prendre un ballon quand on veut jouer au foot, il s’en prend donc aux mêmes et pointe l’« incurie parfaite dont la commission de football association doit assumer en partie la responsabilité (…) J’eusse applaudi à la générosité des équipiers parisiens s’ils eussent cédé la place à leurs collègues de province. Mais j’estime que la faute première incombe à l’USFSA en général et à la commission de football association en particulier qui auraient dû prendre leurs dispositions à l’avance et faire commencer le match à temps (…) Non seulement la commission est coupable de ne pas avoir prévu le cas du ballon (il devrait y en avoir toujours sur le terrain ces jours-là), mais on doit surtout lui reprocher de n’avoir pas reçu, comme c’était son devoir, les équipes de province qui s’étaient dérangées pour venir jouer à Paris ». Ce bon vieux Gustave en profite pour dénoncer tout ce qu’il peut, comme le fait que les résultats de foot ne sont jamais annoncés à temps1, qu’il n’y a pas de programme prévu pour spécifier les couleurs des équipes ou pour marquer les joueurs « au moyen d’une numérotation qu’on pourrait restituer sur les programmes ». En somme, « l’USFSA ressemble un peu aux gouvernements parlementaires : personne ne semble y être responsable des actes accomplis (…) Il ne faudrait pas tomber dans le gâchis de l’anarchisme où gît actuellement le sport vélocipédique. Le principal ennemi de l’USFSA est le je-m-en-fichisme », une version ancienne du je-m’en-foutisme.
Au-delà des faits qui nous semblent improbables aujourd’hui, cet événement a le mérite de nous exposer un état du football, avec des équipes qui se déplacent manifestement sans avoir l’intention de s’entraîner ou de s’échauffer avec le principal outil de leur sport.
L’hypothèse du complot
Et qu’en pensent les Nordistes, et les joueurs eux-mêmes ? L’affaire prend encore une autre tournure quand le Nord Sportif écrit un violent article intitulé « Free Kick », dans lequel l’Union est accusée d’avoir volontairement fait foirer le match pour « barrer la route à la province ». On devine que derrière le texte s’expriment des dirigeants régionaux, qui menacent l’union d’une scission des clubs du Nord ! Cet article provoque un réflexe de défense de l’Union par la même presse qui l’accusait de tous les maux la veille. Ainsi, Le Vélo s’étonne de l’interprétation du Nord Sportif et de sa volonté de scission , « tout ça parce que deux équipes ont oublié d’apporter un ballon et que deux équipes de hockey ont manqué de la plus élémentaire courtoisie ! Car il n’y a rien de plus dans l’incident de dimanche dernier. C’est déjà assez raide comme cela, sans qu’on y voit on ne sait quels machiavéliques projets contre les clubs provinciaux ».
Quant aux joueurs de l’ICL, ils prennent l’initiative, via leur capitaine Wuillaume, d’envoyer une longue lettre au Vélo, dans laquelle on lit que les joueurs ne rejettent pas la faute sur les hockeyeurs du RCF (comprendre : c’est donc la faute à l’Union). Ils rappellent ensuite qu’ils n’ont pas déclaré forfait et qu’ils étudient en ce moment, avec les Havrais, la possibilité de rejouer le match. Enfin, ils ont saisi l’USFSA d’une « énergique protestation ».
Changement de formule : voici le « championnat des départements »
L’affaire se tasse un peu et on réfléchit désormais à la meilleure solution à trouver : en effet, « il serait navrant qu’à la suite de cet incident, l’ICL et le HAC ne puissent participer au championnat ». Le bureau du conseil de l’USFSA se réunit le 25 février et affirme qu’il faut absolument jouer les matches à Paris. Pour quelle raison ? Parce que le généreux donateur du trophée (qui officiellement s’appelle challenge Gordon-Bennett) serait embêté d’abîmer ledit trophée en le déplaçant. Donc voilà l’idée : les équipes provinciales s’arrangent entre elles pour jouer dans leur campagne, et on appelle ça le « championnat des départements » ; puis, si elles le souhaitent, elles montent à la capitale pour affronter le vainqueur du championnat parisien. La Presse estime que cette décision est en mesure de satisfaire tout le monde, et notamment l’(les?) auteur(s) de la tribune « Free Kick », « qui doit être un honorable sportsman, qui devrait faire sienne la devise de la Belgique « l’union fait la force » ». À croire que, vu de Paris, Lille est en Belgique, mais bon. Selon le journal, en agissant de la sorte, le conseil de l’Union réaffirme son soutien au développement du football en France, en plus des challenges qu’il crée et des « médailles et diplômes » qu’il donne. Pas sûr que le Nord Sportif apprécie la condescendance !
Deuxième manche
« Les Provinciaux » se sont donc arrangés et ont fixé un nouveau match le 25 mars, au vélodrome d’Amiens, qui est grossièrement à équidistance du Havre et de Lille. Nous n’avons pas trouvé de précision à ce sujet, mais à défaut on suppose qu’on redémarre un nouveau match à 0-0, ce qui est tout à fait digne de « sportsmen ». On annonce étonnamment un arbitre havrais, M. D’Estremont, et la composition lilloise suivante :
Favier, Wattine, Basquin, H. Heyes, Bramwell, Grimonprez, P. Heyes, Veilletet, Fowler, Smith, Vuillaume (cap)
En fait, non
Quelle n’est donc pas notre impatience pour savoir, enfin, qui va remporter cette confrontation ! Eh bien cette confrontation n’a pas eu lieu. Le 26 mars, Le Vélo, qui a pris contact avec l’USFSA, indique : « l’Iris Club n’ayant pas une équipe complète se voit obligée de déclarer forfait ». Alors, après les ballons, on a cette fois oublié les joueurs ? En fait, les joueurs lillois ont été victimes « d’une épidémie d’influenza », autrement dit de la grippe. Mais un ouvrage de Patrick Robert et de Jacques Verhaeghe2 évoque une autre hypothèse : les joueurs lillois n’auraient pas été libérés par leurs employeurs respectifs pour jouer ce match. Les Havrais se sont-ils retrouvés seuls à Amiens ? À défaut de faits précisément établis, nous posons des questions et restituons les différents versions, qui par ailleurs se cumulent peut-être.
Dans un premier temps, le match est remis à une date ultérieure. Sauf qu’on a beau parcourir la presse, on ne trouve plus de nouvelles du match… jusqu’au 2 avril, où l’on apprend dans Le Vélo que « le match ICL/HAC est définitivement abandonné pour cause de forfait ; Le Havre est donc titulaire du championnat départemental, et jouera contre le champion parisien le 23 ou le 30 avril ». Ah bon, d’accord. Nous n’avons pas compris pourquoi les Lillois ont déclaré forfait et pourquoi il n’a pas été possible de fixer le match à une date ultérieure, mais on peut en déduire, sans juger de la légitimité de cette décision, que les Lillois ont été considérés comme fautifs. C’est ainsi : l’aventure des Lillois dans le championnat de France est terminée.
Le 16 avril, à Paris, le Club Français bat le Standard Athlétic Club 3-2 et remporte le championnat parisien. La première finale du championnat de « France national » opposera donc le Club Français au Havre, le 30 avril. Enfin, un dénouement sportif à cette histoire ?
Bouquet finale
Non, bien sûr. Le 28 avril, Le Vélo relate les premiers doutes : « on ne sait pas encore si la partie sera disputée ». Ça faisait longtemps ! Après l’absence de ballon, le match de hockey, la grippe, les employeurs-geôliers, à quoi va-t-on avoir droit ? Une tempête de neige, l’intervention d’Emile Zola, une attaque martienne ?
Cette fois, ce sont les Parisiens qui refusent de jouer, et la première raison avancée dans le journal est effectivement celle que retiennent les quelques sites qui évoquent cette grandiose aventure : les joueurs du Club Français arguent du fait qu’ils ont disputé un nombre important de matches pour avoir le droit de disputer cette « finale », alors que les Havrais n’ont eu pour seul « mérite » que de s’inscrire à ce championnat de France. Ce n’est pas complètement faux : les Parisiens ont joué et remporté le championnat de Paris. Oui mais vous allez dire : les Havrais ont dû gagner le championnat de Normandie. Eh bien non : le championnat de Normandie n’existe pas encore, ce qui est là aussi le symptôme d’un football qui n’en est qu’à ses balbutiements et connaît une institutionnalisation différenciée selon les territoires. Même si on peut supposer que Le Havre est la meilleure équipe normande, rien ne vient l’étayer objectivement par un classement. Donc Le Havre a candidaté au championnat de France sur sa réputation (on évoqué plus haut les matches amicaux remportés contre des Parisiens), mais sans se prévaloir d’aucun titre officiel (ce qui laisse d’ailleurs penser que Rouen, Caen, Bayeux ou n’importe quel trou normand aurait pu candidater, même si la réputation du Havre les a peut-être découragés de le faire). Donc l’argument des Parisiens, résumé par Le Vélo, est le suivant : « ils disent qu’ils ont joué nombre de matches pour réussir à être en tête du classement du championnat tandis que les Havrais n’auraient qu’un match à disputer pour gagner le titre de champion s’ils en sortaient vainqueurs ». On entre donc dans une nouvelle phase de négociation.
Le 30 avril, jour théorique du match, et alors que les rumeurs d’annulation du match vont bon train, Le Vélo publie une lettre de Lucien Huteau, capitaine du Club Français. Il y confirme que le CF ne souhaite pas disputer le match, avec tout d’abord l’argument avancé l’avant-veille dans la presse, comme le rappel d’une évidence : « c’est en effet une raison puisque le nombre des points doit faire foi pour établir un classement ». Mais, et il nous semble ici apporter un élément que nous n’avons pas vu ailleurs, ce n’est pas l’argument principal des clubistes, qui avancent également ceci : « permettez-moi de vous dire qu’il en est une [raison] que personne ne pourra loyalement contester : l’engagement du HAC a été fait arbitrairement par l’Union seule un mois après la clôture officielle, alors que la commission avait refusé celui du Red Star pour un retard de 24h. De plus, le jour du match entre le SAC et le CF, les capitaines des deux équipes ont déclaré à M. Fabens, délégué officiel de l’USFSA, que quelle que fût l’issue du match, le gagnant s’engageait formellement à ne pas jouer contre le HAC, qui n’était pas dans les conditions du règlement ».
Voilà donc ce que reprochent les Parisiens : non seulement les Havrais ne sont issus d’aucun championnat, mais en plus leur inclusion dans la compétition aurait été tardive, beaucoup plus tardive que le Red Star, à qui on a pourtant fermé la porte. De là à y voir, tout de même, un réflexe de défense et de solidarité des intérêts parisiens, forcément contre la « province », il n’y a qu’un pas que nous franchissons allégrement. De là à y voir une tentative de sabotage du championnat pour tenter d’en conserver le titre, il n’y a aussi qu’un pas. Avec cet argument, il y a fort à parier que le CF aurait alors eu la même attitude à l’égard de l’ICL, si celui-ci avait gagné contre Le Havre, quand bien même l’ICL était issu d’un « vrai » championnat.
Quoi qu’il en soit, un certain M. Fabens, de l’Union, est interpellé dans ce courrier, et voici sa réponse, en 3 points, car l’important c’est les 3 points :
_Le HAC s’est engagé en même temps que l’ICL quand le règlement a été changé pour permettre aux clubs de province de participer au championnat de France ;
_On lui a parlé de l’entente conclue entre les deux capitaines parisiens APRÈS le match du 16 avril ;
_Il a reçu cette semaine le forfait du CF.
Le Vélo s’indigne de l’attitude des footballeurs parisiens qui ne daignent pas se déplacer à Bécon-les-Bruyères pour jouer ce match, et en profite pour louer à l’inverse les valeurs des joueurs de rugby (déjà!) : dans une configuration similaire et au même moment, le Stade Français, champion parisien, ne rechigne pas à aller affronter le champion des départements à Bordeaux !
Le dénouement est donc le suivant : pour avoir eu la bonne idée de s’inscrire à une compétition qu’il n’a pas jouée, le HAC, sur tapis vert, remporte le premier championnat de France « national » de football. Félicitations aux vainqueurs !
Les champions de France de football 1899, apparemment entraînés par Landru
Pas trop fatigués les gars ?
1 La coupure de presse précédente avec le classement du Nord est issue du Vélo du 2 mai, alors que le championnat est terminé depuis janvier.
2 La grande histoire du LOSC, Hugo Sport, 2012