Posté le 8 avril 2020 - par dbclosc
Où sont les derbies d’antan ?
En 1992/1993, le LOSC signe son record du plus petit nombre de buts marqués au cours d’une saison (26), loin des promesses offensives de l’été. Même la réception de Lens ne suffit pas à galvaniser les Dogues : en octobre 1992, Lille et Lens offrent un derby indigent, sévèrement jugé par la presse.
Après un nouvel épisode tumultueux au printemps 1992 avec les départs de Santini, Gardon et Dusé, le président Besson place Metsu (entraîneur), Gianquinto (direction sportive) et Defferez (centre de formation). Or, Tony Gianquinto a gardé quelques contacts en Amérique du Sud où, paraît-il, il va aller trouver les joueurs qui symboliseront le renouveau du LOSC.
Et c’est peu dire que la saison 1992-1993 a fait naître bien des espoirs pour le public lillois. Espoirs notamment suscités par quelques recrutements en attaque : si Lille peut encore revendiquer une réputation d’équipe solide grâce à sa défense, ça pêche (Gardon doit y être pour quelque chose) devant : 31 buts marqués en 91/92, et 39 en 90/91 malgré une belle 6e place. Le club parvient ainsi à maintenir l’ossature de son équipe (Nadon, Buisine, Rollain, Fichaux, Frandsen…) en la complétant par des éléments offensifs présentés comme prometteurs : Walquir Mota, qui vient d’inscrire 18 buts en D2 ; Samba N’Diaye, un jeune espoir prêté par Metz « amené à prendre la relève d’Abedi Pelé » selon la Voix des Sports en août, et Edgar Borgès, un milieu offensif Uruguayen. Ainsi, le nouvel entraîneur, Bruno Metsu, prépare une équipe a priori plus offensive que ce qu’on a vu depuis deux saisons, avec deux attaquants (Mota-N’Diaye) et deux milieux offensifs (Frandsen et Borgès ou Assadourian). Et les espoirs d’un LOSC offensif sont entretenus par une audacieuse campagne de publicité à coups de « Show devant ! », illustrée par le duo Mota-Borgès.
Une belle prise estivale (et, au premier plan : Edgar Borgès)
Dans le même temps, sur le terrain, les matches amicaux d’avant-saison semblent confirmer ces belles intentions. Lille marque et achève sa préparation estivale en explosant Lens 6-0 en finale du challenge Emile-Olivier ! Les buteurs sont N’Diaye, Borgès, et deux doublés de Mota (qui avait déjà permis de gagner la demi-finale 1-0) et d’Assadourian. Deux mois plus tard, le 3 octobre 1992, les deux équipes se retrouvent à Grimonprez-Jooris, qui accueille le premier derby de la saison en championnat (en vrai, c’est le deuxième, car il y a eu Valenciennes/Lille en août, mais on se comprend).
Le LOSC au Challenge Emile-Olivier 1992
Debout : Bray, Buisine, Rollain, Dieng, Oleksiak, Nadon
Assis : Mota, Borgès, Friis-Hansen, N’Diaye, Tihy
Lors de la dernière édition du derby en championnat, en avril, les Sang & Or sont venus s’imposer 2-1. Mais maintenant que le LOSC a une attaque de feu, cela ne devrait pas se reproduire ! Qu’en est-il d’ailleurs, après les 8 premières journées de championnat ?
Eh bien… Lille a 7 points (2 victoires, 3 nuls, 3 défaites). Jusque là, on reste dans les normes traditionnelles. En outre les Dogues ont conservé une solidité défensive avec 8 buts encaissés. Seulement, ils n’en ont inscrit que 3 ! On est bien loin des standards annoncés, et même largement en dessous de ce qu’a pu faire le LOSC au cours de toute son histoire. Dès la fin du mois d’août, après seulement 3 journées, le capitaine Thierry Oleksiak dressait un premier bilan qui pointait les lacunes devant : « plusieurs d’entre eux [les attaquants] découvrent la division 1. Il faut leur laisser un peu de temps. De toutes façons, il faut une période d’adaptation. Ce qui est sûr, c’est qu’après les matches amicaux, on a tous pensé très tôt que ça allait bien se passer ». Si Mota semble présenter quelques qualités (on en a parlé ici), les regards se tournent surtout vers Borgès, dont les prestations en championnat ont été « assez peu convaincantes » selon l’hebdo sportif régional. Au point qu’elles ont poussé Metsu à envoyer son joueur faire un petit stage avec la réserve en septembre. En raison de la limitation du nombre d’étrangers sur une feuille de match, il faut de toute façon en écarter un, et le choix paraît ici assez facile. Comme l’indique la Voix des Sports, « de deux choses l’une : ou l’Uruguayen est le bon joueur annoncé et il est censé mettre son talent au service de l’équipe professionnelle, ou sa réputation est surfaite et l’on peut s’inquiéter de son recrutement ». Les problèmes de l’équipe ont aussi contraint Metsu à revoir ses plans, en reculant Friis-Hansen libéro, en plaçant Frandsen en 10, et en écartant Fiard et Brisson.
Mets ton pull, et le survet’ tu le mets d’sus
Un match à enjeu peut être l’occasion de révéler les capacités jusque là enfouies d’une équipe. Ce derby tombe bien : après une défaite à Auxerre (0-2), il est l’occasion de rassurer le public, face à un adversaire lui aussi mal en point, qui n’a pas encore gagné (4 nuls, 4 défaites), et qui a l’avant-dernière défense de division 1, avec 14 buts encaissés. Les Lensois restent en outre sur 4 matches où ils ont encaissé au moins 2 buts, mais sortent d’un nul contre Marseille (2-2) après avoir égalisé en fin de match alors qu’ils étaient en infériorité numérique depuis la 33e minute. Bref, d’un côté comme de l’autre, ça ne va pas fort et Nord-Eclair annonce « un derby fiévreux » entre deux équipes malades : ça promet.
Voici la composition de Bruno Metsu, sans Leclercq, expulsé à Auxerre, et donc suspendu :
Nadon ;
Tihy, Dieng, Oleksiak, Rollain ;
Fichaux, Friis-Hansen, Bray ;
Frandsen, Borgès, Mota
Si les équipes étaient fiévreuses avant le match, la tournure du match aura au moins permis de confirmer ce diagnostic, sans pour autant trouver pour le moment de remède. Le derby n’aura accouché que d’une seule occasion, en seconde période, en faveur des Lensois : « à la suite d’un excellent travail préparatoire de Sirakov, Boli ratait l’immanquable » (57e). Pour le reste, rien, et il aura fallu chercher dans des événements extra-sportifs pour avoir de quoi sortir de sa torpeur avec, par exemple, la spectaculaire blessure de Cyrille Magnier après un choc aérien, ou l’interruption du match en première période après des jets de fumigènes en bord de pelouse, réprimés par… des jets de gaz lacrymogènes qui, pour les dirigeants lillois, provenaient du kop lensois, là où pour d’autres ils venaient « d’un policier un peu trop zélé ».
La presse régionale est consternée devant le « spectacle » proposé. On trouve pêle-mêle, dans la Voix des Sports, les passages suivants : « misère, misère… » ; « ce match n’en fut pas un tant il y eut d’approximations, de faiblesses techniques, de pannes de cerveau » ; « Encore un ou deux rendez-vous du même sceau et il faudra créer l’association « SOS Derby ». Que Lillois et Lensois aient dépensé beaucoup d’énergie n’est pas douteux, mais pour quel résultat ! Sans relief, sans saveur, sans but : il a manqué au spectacle tous les ingrédients indispensables. Le public de Grimonprez-Jooris a grondé. On le comprend ». La presse nationale lui emboîte le pas : L’Équipe évoque un match « triste à pleurer » : « le derby du Nord a été ennuyeux d’un bout à l’autre ».
Quant à la performance lilloise, elle est jugée « sans relief, terne et même franchement désolante en certaines circonstances », la faute à un « manque d’inspiration, d’organisation, de maîtrise technique ». Au cours de la deuxième période (« la plus lénifiante »), « les lillois furent presque toujours à côté du sujet, étant incapables de bâtir, incapables de lier leurs actions, incapables de jouer au ballon » ; « L’occasion était belle pour la bande à Bruno Metsu de tuer le scepticisme et la morosité qui l’enveloppent. Or, non seulement il eut échec sur toute la ligne, malgré le point du nul, mais encore la méthode lilloise, face au voisin lensois, a sûrement laminé les dernières illusions entretenues ici ou là ». À l’arrivée, ce sont les lensois qui ont fait la moins mauvaise impression.
Dans ces circonstances, les Sang & Or sont plutôt satisfaits, même s’ils sont conscients de n’avoir pas fourni une prestation de qualité. Leur entraîneur, Arnaud Dos Santos, souligne : « après coup, on a quelques regrets, évidemment, mais croyez bien que ce point nous procure un immense plaisir. Les gens auraient sûrement aimé un autre spectacle, mais en l’état actuel des choses, on ne pouvait certainement pas mieux faire ». Et leur président, Gervais Martel, est « content. Entre nous, sur ce que l’on a vu ce soir, il n’y a pas 3 points d’écart entre Lens et Lille. Dans ce derby, on se crée les meilleures occasions et, logiquement, on aurait dû gagner si Roger la met au fond sur le centre de Nasko ». Les voisins peuvent se satisfaire de la bonne prestation de Slater : « dans un derby souvent terne et ennuyeux, le rouquin fut le roi du flanc droit, multipliant les centres qui ne furent pourtant jamais de grands dangers de but pour Jean-Claude Nadon », mais l’Australien n’a tout de même « pas prononcé sa phrase-fétiche : « c’est sioupeeeer » », étant bien conscient que « le public ne s’est pas beaucoup amusé et c’est dommage. De telles rencontres devraient être des fêtes et c’est tout le contraire qui fut proposé aux spectateurs ». L’Australien peut désormais son concentrer sur son activité dominicale : il est juré du concours de Miss Artois à Méricourt.
Inévitablement, on pointe les criantes lacunes, notamment offensives, du LOSC, et on raille les promesses estivales : « voilà des années que ça dure ! À l’intersaison, le problème avait, pensait-on, été cerné. En gros, il suffisait de changer les hommes du devant, tout en continuant à assurer ses arrières. Tout faux. On invitera donc les « grands communicateurs » à réfléchir à deux fois avant de concocter leur prochaine campagne d’affichage ! ». Le courrier des lecteurs n’est pas tendre envers les Lillois, comme celui de G. Gosse, de Seclin : « les saisons se suivent et se ressemblent pour des Lillois qui n’arrivent pas à marquer. Où est donc l’équipe que les dirigeants avaient promis ? » ; « heureusement que la défense tient bon, sinon bonjour les dégâts ! Bruno Metsu ne fait guère mieux que Jacques Santini » selon E.Vandaele de Villeneuve d’Ascq. La Voix des Sports s’amuse à compter que le LOSC marque toutes les 4 heures et demi… L’entrée d’Assadourian à la pause à la place d’Oleksiak n’a rien changé : les Dogues ne se sont créé aucune occasion après la pause, et celui qui n’est pas encore titulaire indiscutable est le premier à s’en désoler : « en 45 minutes, j’ai eu un ballon, un seul. Un attaquant a besoin de 4 ou 5 ballon négociables par mi-temps pour pouvoir s’exprimer. Nous n’avons pas de fond de jeu (…) Nous sommes incapables de produire des décalages, des une-deux. Vous en avez vu vous, des une-deux ce soir ? On le sentait venir. Ce soir, ça a explosé aux yeux de tout le monde (…) Si on ne se ressaisit pas, le pire est à craindre ». Son compère d’attaque, Mota, insiste sur la dimension collective du problème lillois : « dans le football aujourd’hui, ce qui compte, c’est de bien préparer les actions. Pour pouvoir faire la bonne passe, décisive, au bon moment, et dans de bonnes conditions. L’attaque ne marche pas ? Mais c’est toute l’équipe qui est responsable. Nous sommes incapables d’aligner 3 ou 4 passes. On se précipité, on ne réfléchit pas, on balance. Il nous faudrait 4 ou 5 actions nettes par match pour conclure ». Cette belle ambiance est également partagée par Hervé Rollain : « on a vraiment touché le fond. C’est terrible des moments comme ça. On se dit que ce n’est pas possible, qu’il faut s’accrocher et puis rien ne vient. Toute l’équipe plonge ».
0-0, ça peut quand même faire deux satisfaits
Même l’entraîneur ne blâme pas spécifiquement les attaquants et assure que « le problème ne vient pas de là. Le drame dans l’histoire, c’est qu’entre l’envie d’aller de l’avant et la peur de perdre, le doute s’installe. On fait alors n’importe quoi, on n’attaque plus, on ne défend plus. En première mi-temps, on a fait illusion avec notamment 2 ou 3 bonnes inspirations de Borges. Mais après on a plongé. Ce fut une répétition de Lens/Lille de l’an dernier. Finalement, on constate que peu de choses ont changé. Des joueurs sont arrivés, d’autres sont partis, mais les lacunes demeurent ». Le lensois Slater a lui aussi souligné que « ce triste derby [lui a] a étrangement rappelé le 0-0 de l’an dernier au stade Bollaert ». Entre un LOSC qui est parti pour durablement s’installer en fond de classement, jusqu’à la chute finale en 1997, et un RCL encore faiblard mais qui va progressivement monter en puissance jusqu’à son titre national en 1998, on est en effet au coeur d’une série de derbies quelconques, que l’enjeu ne parvient pas à électriser : le match retour, juste après le licenciement de Metsu, accouchera aussi d’un immonde 0-0, tout comme le premier derby de la saison suivante, avant deux matches nuls 1-1 sans réelle saveur en décembre 1993 puis en juillet 1994. Mais n’est-ce pas toujours mieux que pas de derby du tout, comme c’est le cas depuis plusieurs années, le derby du Nord (au-delà de Lille/Lens) étant par ailleurs une espèce en voie de disparition ?
Technique moyenne ce Borgès, qu’en pensez-vous Arsène ?
Dans l’immédiat, ça ne s’arrange pas pour les Lillois, qui n’inscrivent que 2 buts lors de leurs 7 matches suivants : l’arrivée d’un joker s’impose. Début novembre, on profite d’une trêve internationale pour mettre à l’essai Chérif Oudjani : son but vainqueur (sur pénalty) contre Amiens n’est pas suffisant pour convaincre les dirigeants lillois, qui jettent finalement leur dévolu (car ils avaient un dévolu à l’époque) sur Pascal Nouma. Mais les Lillois resteront dans le brouillard toute la saison et l’année sera scandée par diverses affaires témoignant de la mauvaise santé du club. Au contraire des Lensois qui, s’ils ne gagnent qu’au bout de 14 journées, se classent 3e sur les matches retour et terminent le championnat à la 9e place.
Mota ne marquera jamais en championnat avec le LOSC ; Borgès inscrit son seul but fin octobre contre Lyon ; Nouma parviendra à marquer 2 fois ; et Samba N’Diaye 4 fois. Saluons notre meilleur buteur, Eric Assadourian : 6 buts. Avec 26 buts marqués en 38 matches, c’est un miracle que Lille ne soit pas relégué.
Bref, contre Lens et durant toute la saison 1992/1993, on aura plutôt été « manchots devant » : de quoi alimenter durablement, chez les faibles d’esprit, les pires fantasmes sur le climat de la région.
Laisser un commentaire
Vous pouvez vous exprimer.
0 commentaire
Nous aimerions connaître la vôtre!