Posté le 2 mai 2020 - par dbclosc
Au bon souvenir de Vahid (2/2) : retrouvailles à Grimonprez-Jooris
Après avoir affronté le LOSC pour la première fois après son départ de Lille en novembre 2002, Vahid Halilhodzic retrouve les Dogues pour le match retour, le 3 mai 2003. Et cette fois, c’est devant le public qui l’a tant adulé.
Depuis les premières retrouvailles entre les Lillois et Vahid Halilhodzic, qui ont tourné au naufrage en Bretagne pour les Dogues, les clubs du LOSC et du Stade Rennais flirtent avec la zone de relégation. Loin du standing qu’il a connu avec l’entraîneur bosniaque depuis son retour en D1, le LOSC se traîne péniblement entre la 12e et la 17e place. Et la tendance est plutôt à un rapprochement avec la zone de relégation. Car depuis ce match à Rennes, Lille n’a gagné que deux fois (contre Le Havre juste avant la trêve, puis contre Montpellier). Voilà donc l’équipe de Claude Puel 16e avant ce match, 3 points devant Ajaccio, 19e, et un seul point devant Sedan, 18e et premier relégable.
Quant aux Rennais, ils sont un poil mieux lotis : une série de victoires fin 2002 a permis aux Bretons de sortir de la zone de relégation, mais sans pour autant aller bien plus haut depuis. Depuis deux journées, ils sont tout de même passés devant le LOSC, en se classant 14e, 1 point devant. Ils viennent en outre de se faire éliminer de la coupe de France, en demi-finales à Auxerre, à cause d’un but dans le temps additionnel : « nous sommes passés à côté de quelque chose car Rennes avait une chance de retrouver, à travers une finale de coupe de France, honneur et crédibilité » déplore Halilhodzic.
L’année 2003 est bien sombre pour le LOSC : de la reprise à début mars, les Dogues ont même enchaîné une série de 7 défaites consécutives, en ne marquant qu’un seul but. Et on comprend bien que Claude Puel n’est pas passé loin d’un licenciement. Sans marquer beaucoup de points, on sent pourtant pointer quelques améliorations dans le jeu : ainsi, à Sochaux, pourtant menés 0-2 à la pause, les Lillois sont revenus avec le point du nul (et auraient même pu gagner) en utilisant des circuits de jeu qu’on retrouvera ensuite régulièrement avec Claude Puel ; 15 jours avant ce match décisif contre Rennes, le LOSC est allé chercher un nul à Lyon (0-0), qui du coup a perdu la tête du championnat. Une trêve internationale a permis aux Lillois de travailler dans une ambiance entre insécurité mathématique et la certitude d’une meilleure consistance dans le jeu. Ils en ont également profité pour jouer un match amical contre Beauvais, 19e de Division 2, en 3 tiers-temps. Le score : 2-2, de quoi faire le plein de confiance ! Le LOSC menait pourtant 2-0 à l’issue du premiers tiers (Brunel 23e Sterjovski 26e)1. La Voix du Nord s’interroge : « Rennes déjà dans les esprits ? ».
Vahid, Vahid, Vahid
Comme pour le match aller, la presse régionale du Nord évoque le retour de Vahid Halilhodzic plusieurs jours avant le match, contribuant à polariser l’attention sur un duel Halilhodzic/Puel qu’elle présente pourtant dans le même temps comme un piège qui fait oublier l’essentiel : le maintien du LOSC en D1. La Voix du Nord consacre de nombreux articles au « marchand de bonheur d’une autre époque dont les tribunes du stade Grimonprez-Jooris gardent toujours un souvenir ému », au « docteur miracle , à « l’homme qui a redonné une fierté au football lillois », symbole d’une « époque dorée aux frontières de l’irréel ». Voilà donc « un match tellement particulier » d’une grande « charge émotionnelle » : « comment ignorer l’impact de la seule présence de Vahid Halihodzic ? ». Les lecteurs nordistes ont donc droit à un récit du parcours en Bretagne de Vahid. Vahid a fait ci, Vahid a fait ça, tel un « Martine » du football. On y apprend ainsi qu’il a boudé la presse bretonne pendant un mois (son adjoint Bruno Baronchelli l’a remplacé durant les points presse), tandis que des rumeurs persistantes l’envoient au PSG depuis que celui qui est encore son ami, Francis Graille, en a pris la présidence. Arrivé à Rennes faute de mieux alors qu’on l’attendait dans un club jouant l’Europe, il affirme de nouveau ses ambitions : « j’en ai marre des saisons galères. Je rêve d’entraîner un jour un grand club ». Le 30 avril, la Voix publie même une interview avec Halilhodzic. Au programme, bien entendu : l’évocation du passé et du retour à Grimonprez-Jooris. « En 4 ans, on a fait ce que d’autres réalisent parfois en 10 ans ! Cette époque fut tout simplement grandiose, d’autant qu’aux résultats s’ajouta une aventure humaine peu banale (…) Je vais être ému, peut-être même nostalgique. En suivant le match Manchester/Real devant mon téléviseur, je n’ai pu m’empêcher de regarder le passé. Il y a un an ou presque, on était là-bas. Ce sont de beaux souvenirs. Le simple fait d’en parler me donne des frissons ».
18 septembre 2001, à Manchester
« J’ai toujours des amis dans ce club. Des supporters m’envoient aussi régulièrement des messages d’amitié. Je serai forcément embarrassé vis-à-vis de tous ces gens car, aujourd’hui, je suis entraîneur de Rennes. Et Rennes a besoin de points. Une victoire à Lille me ferait donc plaisir ». En effet, une défaite mettrait Rennes dans de sales draps : on imagine que Vahid aurait aimé des retrouvailles moins chargées d’enjeux sportifs, aussi bien pour son équipe que pour le LOSC. Alors qu’il bénéficiait à l’aller de son aura acquise à Lille et d’une étiquette de « sauveur » pour un groupe à la dérive, il semble cette fois bien moins serein, après quelques mois laborieux. Comme à son habitude, et probablement à raison, il place la pression du côté de l’adversaire : « le LOSC aura vraisemblablement plus de pression que nous, car à domicile, on a l’obligation de gagner ». Vu la position de Lille et son incapacité à briller à l’extérieur (une seule victoire : à Sedan), les Dogues seraient en effet bien inspirés de prendre les 3 points. La Voix du Nord, confiante, rappelle un épisode de 1955, où Lille avait sauvé sa place en D1 à la faveur d’un barrage remporté contre Rennes : « Rennes, symbole du déclin, il y a presque un demi-siècle ». Mieux : en 1951, le LOSC a battu les Bretons 9-1.
Seydoux et Puel au front
« Si on est encore hors de danger pour l’instant, c’est parce que derrière, il y a également eu des manques » : Claude Puel ne veut pas se contenter de la faiblesse des oppositions. Les améliorations dans le jeu évoquées plus haut semblent lui donner confiance : « nous devons tout mettre en œuvre pour ne pas casser ce que nous avons fait à Lyon. Car ce match est LA référence de la saison. L’équipe se doit d’être animée de la même rigueur, du même plaisir de jouer qu’à Gerland ». Surtout, concernant l’émotion extra-sportive, la stratégie a changé par rapport au match de novembre, où l’encadrement du LOSC avait semblé complètement écrasé par l’ombre d’Halilhodzic. Michel Seydoux sent le danger et appelle le public à soutenir son équipe : « Vahid est toujours apprécié à Lille, par rapport à ce qu’il a fait. C’est normal. Mais maintenant, si les Lillois aiment leur club, c’est derrière lui qu’ils doivent être ». Sur l’aller, « il est évident que sur cet épisode, il y a une partie qui a été gagnée par le psychologique ». Pas question de se laisser avoir cette fois. Puel : « on me parle souvent de revanche par rapport à l’épisode aller. Or, je n’ai pas l’habitude de raisonner ainsi. Tomber dans ce piège, ça peut être la preuve d’un manque de discernement et de lucidité. À mes yeux, il est plus important de gommer tout ce qui a pu être négatif à l’époque – nous nous sommes notamment trop dispersés – que de songer à régler nos comptes ». Il n’empêche : il attaque à son tour et envoie un message aux arbitres, en rappelant que Piquionne a plongé à l’aller pour obtenir un pénalty, et qu’il a récemment remis ça à Strasbourg : « se faire respecter, c’est tout ce qui m’intéresse »
Place au match. 17 177 personnes sont venues. Le temps est clément, la pelouse est belle, et Grimonprez-Jooris offre une grosse ambiance. Du côté de Lille, Fahmi, Tapia, et Boutoille sont blessés, tandis que D’Amico, en froid avec son entraîneur, est écarté et voit son aventure à Lille s’achever discrètement. À Rennes, Maoulida est suspendu. Durant l’échauffement des joueurs, ni Halilhodzic, dont le nom a été scandé, ni Puel ne sont apparus sur la pelouse. En tribunes, Grimonprez réserve un accueil chaleureux à Vahid avec de nombreuses affiches : « bienvenue chez toi, Vahid », « Vahid, on ne t’oubliera jamais », « Vahid, reviens », et « Vahide ostraces zauwiteg unasiu scrima » en Honneurs, qui doit signifier quelque chose du même genre. À 19h57, Vahid monte les quelques marches qui séparent les vestiaires de la pelouse. On sent une certaine retenue dans le public, qu’on sent prêt à bondir, mais qui souhaite ne pas donner le sentiment de prendre fait et cause pour l’entraîneur adverse alors que le LOSC joue sa peau. Tel un empereur romain, Vahid salue le stade, une main en l’air, l’autre sur la poitrine. Des « Vahid !Vahid ! » descendent des tribunes.
Consciente du danger que représenterait un plébiscite, la direction avait prévu le coup et avorte la standing ovation qui allait sans nul doute arriver en appelant à applaudir Jules Bigot, qui donne le coup d’envoi ! Licencié à l’Olympique Lillois dès 1931, l’ancien avant-centre a remporté trois coupes de France et un titre de champion avec le LOSC. Un opportun contre-feu, et l’hommage à Vahid s’évapore aussi vite qu’il était venu. Les souvenirs restent, et Grimonprez-Jooris a choisi son camp
Un maintien quasi-assuré
Devant les sapeurs-pompiers et gendarmes intervenus lors de l’incendie de la « ferme Luchin » quelques jours avant, invités par le club, Rennes ne semble pas déterminé à mettre le feu à la défense lilloise et est venu pour défendre. Exceptée une percée de Piquionne (10e), les Bretons attendent et le LOSC, après un premier quart d’heure d’hésitation, se montre plus consistant. Sur un corner de Sterjovski, la tête de Manchev trouve le poteau (15e). Au bout d’une demi-heure de jeu, au moment d’une nette montée en puissance des Dogues, une ouverture d’Abidal dans l’axe est mal repoussée par Escudé. À 18 mètres, Sterjovsi reprend de volée. Le ballon rebondit plusieurs fois et va dans le petit filet droit du but de Cech (1-0) ! Les Lillois multiplient alors les occasions jusqu’à la pause, et c’est un miracle si la tête de Brunel est repoussé par Cech (42e). Le LOSC mène à la pause.
Le même scénario se dessine en seconde période : sans être brillants, les Lillois dominent et ne pêchent que par maladresse (Manchev, 49e, 51e). La Voix du Nord déplore des « duels à la limite de l’acceptable », notamment entre Jeunechamp et Pichot. L’expulsion de Jeunechamp facilite la fin de match (70e), marquée par la sortie de Grégory Wimbée, touché à la pommette (74e). Vahid s’agite sur son banc. À défaut de maîtrise complète, les joueurs du LOSC font preuve d’une volonté de s’en sortir, mais tremblent tout de même sur un dernier centre de Jay (92e). Finalement, « un LOSC parfaitement équilibré, froid et conquérant » prend les 3 points et s’assure désormais une avance de 3 points sur le premier relégable : ça devrait passer. « La bonne affaire » ; « Les Lillois ont lavé l’affront breton » titre la presse, qui salue la « copie parfaite » rendue par le défenseur roumain Marius Baciu. « Tout le monde avait bien travaillé cette semaine, on est récompensés, se félicite Claude Puel. On a fait un très gros match, on a été solidaires, appliqués, c’est dans la lignée de ce qu’on avait fait à Lyon il y a 15 jours ». Michel Seydoux tient de son côté un langage auquel on va devoir s’habituer : « vous ne pouvez pas savoir comme je suis soulagé ! Si vous n’avez pas de projet dans une entreprise, vous n’avancez pas. Or, le match de ce soir a démontré que tous les joueurs adhéraient aux idées et aux plans visant à préserver notre place parmi l’élite (…) Notre crédibilité d’investisseurs passe nécessairement par notre crédibilité sportive ».
Vahid s’est effacé
Dans les tribunes, se trouvait également Bernard Lecomte, ancien président du LOSC : « revoir Vahid sur un banc de touche, à Lille, fut d’abord très fort car on a vécu une grande époque ensemble et on s’est battus pour trouver des relais. Voir ensuite le LOSC se battre pour sauver l’essentiel me réconforta pleinement. Malgré toute l’affection que je porte à notre ancien entraîneur, je suis content d’avoir assisté à cette victoire lilloise. Je l’avais eu au téléphone ces derniers jours. On devait se retrouver après le match. Mais il est parti… Il ne faut pas se faire trop de soucis pour lui. Son avenir est tracé ». En effet, Halilhodzic a esquivé l’après-match médiatique : était-il en colère, ému, inquiet pour son équipe, déçu de n’avoir pu profiter de Grimonprez ? Sans doute un peu de tout ça. Contrairement à l’aller où son fantôme semblait avoir hanté les joueurs lillois, c’est cette fois lui qui a défailli dans le stade qui l’a fait roi. La Voix du Nord l’a décrit « ulcéré par l’arbitrage » en précisant « que l’arbitre aurait en effet dû expulser Jeunechamp plus tôt ». « Gêné par la piètre prestation de son équipe, tactiquement faible et inutilement agressive », il a évité de discuter du match, de son avenir, et de commenter ses retrouvailles avec Grimonprez-Jooris. Dès lors, c’est Pierre Dréossi, manager du Stade Rennais, qui s’est présenté à la presse et a assuré la corvée, évoquant les difficultés sportives de son club, et les incertitudes sur son avenir, elles-mêmes liées aux décisions que l’entraîneur doit prendre. Pendant ce temps, Vahid était aperçu du côté du parking, discutant avec les supporters du LOSC, signant des autographes, posant de bonne grâce pour des photos. D’un côté un Vahid râleur, renfrogné, indigné ; de l’autre un Vahid chaleureux, convivial, émotif. Une façon de souffler sans cesse le chaud et le froid qu’il s’agira désormais d’éprouver à Paris, nouvelle destination qu’il officialise trois jours après.
Note :
1 À noter l’apparition de Stéphane Dumont dans le dernier tiers-temps, alors qu’il n’a pas encore joué en D1.
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