Archiver pour juillet 2020
Posté le 19 juillet 2020 - par dbclosc
Djezon Boutoille (3/3) : « Le football doit d’abord apporter du plaisir »
Première partie de l’entretien : « Il fallait faire un choix, j’ai choisi le LOSC »
Deuxième partie de l’entretien : « On avait une équipe qui ne renonçait pas »
Tu pars en cours de saison 2003-2004, au mercato hivernal. Qu’est-ce qui a motivé ton départ ?
Après la première année avec Puel, pendant la préparation, il me dit qu’il veut faire confiance aux jeunes. Je n’ai que 27 ans, donc je ne suis pas très vieux. Mais je peux comprendre. C’était une fin de cycle, il fallait redémarrer, et des joueurs de qualité arrivaient en-dessous : Moussilou, Cabaye, Debuchy… Il y a un cycle, c’est normal. Il y a la relève. Moi, quand je suis arrivé, j’en ai fait partir quelques-uns. La manière dont on a échangé a été très correcte. C’était au mois de juillet ; je lui ai dit que c’était un peu tard, parce que j’aurais préféré savoir à la fin du championnat précédent, et pas la reprise. Après, il me dit que si je souhaitais rester, je ferais partie du groupe, et qu’il y aurait pas de souci. Et que si je méritais de jouer, je jouerai. Et ça a été le cas : j’ai encore fait quelques matchs avec lui. Après, j’ai eu l’opportunité de signer deux ans à Amiens. Et comme je voulais davantage de temps de jeu, je me suis dit « pourquoi pas »…
« Je n’aurais pas dû partir du LOSC. C’est mon seul regret »
Comment ça s’est passé à Amiens ?
Je n’ai fait qu’un an et demi à Amiens, je ne m’y suis pas plu. Durant la première année, les six premiers mois se passent super bien avec Denis Troch. La deuxième année, moins avec Alex Dupont. On retrouvait un peu Thierry Froger dans Alex Dupont. Ça s’est dégradé. Il me restait un an de contrat : le président voulait me garder, mais je n’avais plus envie de rester. Ça reste un bon club, mais la mentalité était différente, l’entraîneur aussi. C’était compliqué de passer d’Halilhodzic/Puel à… ça. Donc j’ai préféré rentrer chez moi.
Est-ce que ça veut dire que tu aurais vécu ça dans n’importe quel autre club, parce que ça n’était plus Lille ?
Oui, je pense ! Je pense que je suis parti à contre-cœur parce qu’il fallait que je joue. J’étais un compétiteur, donc avec des difficultés à accepter de moins jouer, à partager mon temps de jeu avec quelqu’un d’autre. L’orgueil fait que je voulais avoir du temps de jeu, parce que c’est ce que j’aime : être sur un terrain. Quelques années après, avec la réflexion, c’est un choix que je regrette d’avoir fait. Je n’aurais pas dû partir. C’est le seul regret que j’ai aujourd’hui, c’est d’être parti. Je ne dénigre pas Amiens, ça reste un club de qualité avec des hommes de qualité et de valeur, mais partout où je serais allé, ça ne se serait pas bien passé. Donc autant rentrer chez soi à Calais, et c’est ce que j’ai fait.
« L’épopée de Calais 2000 a été difficile à digérer »
Tu as participé à la deuxième épopée de Calais et tu as joué avec des joueurs de la première épopée …
On est arrivés en quarts de finale en 2006. On en a fait des tours de Coupe de France ! On médiatise beaucoup à partir des 32èmes, mais il y a les 3ème, 4ème, 5ème, 6ème, 7ème tours … On fait ce quart de finale, et pour en arriver là, on s’en est sortis de justesse face à des équipes de niveau inférieur, grâce à notre gardien. C’est là qu’on voit la qualité du gardien de but, Cédric Schille. Et à l’inverse, on peut faire des exploits. La coupe, c’est vraiment ça, à un moment donné, il n’y a que le résultat qui compte, la manière quelque part on s’en fout un peu. On se fait éliminer par Nantes, 1-0, en fin de match. Le bourreau de Calais, c’est Nantes.
L’année suivante, tu marques contre Lorient, Ligue 1 !
Un doublé ! Contre Troyes ensuite… Il y avait beaucoup de qualité dans le groupe, et beaucoup de joueurs venant des centres de formation de Lille et de Lens. Il y avait Sébastien Pennacchio d’ailleurs.
Tu passes ensuite de l’autre côté, en devenant coach du CRUFC. Comment s’est faite la transition ?
On a d’abord retrouvé le National, avec une structure semi-professionnelle, mais avec un esprit amateur. Mais le club descend, avec des soucis administratifs, une première fois en CFA2. Là, mon ami Pascal Joly, qui est président, me demande de reprendre le club. J’ai 33-34 ans, je n’ai plus les cannes, ça commence à peser. Alors je me dis « pourquoi pas ? ». Et donc je demande à Didier Popieul de m’accompagner et ça marche. Ça démarre comme ça, sur une idée lancée comme ça. Ça s’est mal terminé parce qu’il y a le dépôt de bilan. Les parcours en Coupe de France, pour les clubs amateurs, c’est difficile à gérer. Parce que les clubs n’ont pas forcément les structures adaptées pour gérer les sommes d’argent qui sont gérées par la fédé, comment les gérer sur les joueurs. Les après-Coupe de France sont difficiles à gérer sur l’aspect humain, financier, à Calais mais aussi à Quevilly ou aux Herbiers. Sur l’instant T, c’est vraiment génial sur le plan humain. Mais financièrement c’est compliqué, et Calais l’a payé.
Pourquoi ?
En fait, sur la première année, en National, la présidence change. Le déficit est annoncé à 200 ou 300 000 €. Sauf que quand les nouveaux présidents font un état des lieux des comptes, on se rend compte que le déficit est de 1M€ ! Une SASP doit se créer pour avoir des fonds propres, pour avoir des sponsors privés et non plus vivre sur des fonds publics. Un remboursement est mis en place par l’association, via les moyens donnés par la mairie. Ça dure 8-9 ans. Et quasiment quand le remboursement est terminé, on descend, on est punis par la DNCG, apparemment parce qu’on est négligents dans nos documents. Ils nous enlèvent 11 points en CFA et on est rétrogradés en CFA, puis R3. Parce qu’en fait, les CFA2 sont gérées par les Ligues, et les Ligues ne reconnaissent pas les SASP, elles ne reconnaissent que les associations. Il n’y avait donc aucun moyen juridique de pouvoir se défendre. Donc pour eux, l’équipe première n’existe pas, alors on repart au niveau de l’équipe B, qui était en R3 à l’époque. Et le club dépose le bilan en 2017 plutôt que de payer les 200 ou 300 000 € qui restent. C’est vraiment un problème juridique. C’est dommage parce que c’est une identité qui se perd. C’est aussi Calais 2000 qui se perd à travers ce dépôt de bilan. Malheureusement, le sportif a très peu d’influence sur ça.
« Julien-Denis, c’était l’âme du parcours de 2000, mais aussi l’âme de Calais »
Parce que sportivement, ça s’était plutôt bien passé, avec des montées refusées !
On fait 4 ou 5 ans de CFA2. On est champion la première année, mais on nous interdit de monter parce que ça ne suffit pas de rembourser. La 3e et la 4e année, on se dit qu’on va continuer à payer tout en restant là, et une fois que les comptes redeviennent acceptables (toujours en déficit, mais acceptables pour la fédé), on remonte la 5e année. Donc une 3e fois en 5 ans. On est en CFA. Les deux premières années se passent bien. On termine 4 ou 5e la première année, 5e ou 6e la deuxième. Après, c’est la débandade. Pour les clubs amateurs, c’est compliqué.
C’est à cause de l’exigence du cahier des charges, d’un stade démesuré ?
Les clubs amateurs fonctionnent beaucoup avec les recettes de billetterie ou avec la buvette. C’est un peu de black, mais c’est ce qui permet aussi de les faire vivre. On a quitté le stade Julien-Denis, qui était quand même l’âme du parcours de Calais 2000, mais aussi l’âme de Calais. On part dans un stade qui coûte 30M€, 12 000 places. Vous vous retrouvez à 200 dans un stade de 12 000 places. Vous perdez votre âme. Sur l’aspect financier, à Julien-Denis, vous faisiez entre 1200 et 1500 spectateurs tous les quinze jours. Donc entre la buvette, les entrées à 5€, c’est cette manne financière qui disparaît. Et puis la CFA coûte cher. Les joueurs de CFA, ce sont des joueurs quasiment pro : ils ont des contrats fédéraux. Un contrat fédéral de 1200 € sur la fiche de paie, ça coûte 1800 ou 2000€ pour le club. Les clubs aujourd’hui, pour exister en CFA, ont besoin d’un budget d’environ 1M€. C’est énorme ! Il y a des charges, il y a tout à payer… Les joueurs sont de plus en plus chers, et donc c’est compliqué de continuer à exister. A partir de là, certains vivent au-dessus de leurs moyens pour continuer à exister. Et puis à un moment donné, vous le payez. Il y a de la mauvaise gestion aussi hein ! Mais c’est compliqué pour les clubs de CFA.
« On veut du football qui vit, du mouvement ! »
Et sur ton expérience d’entraîneur : tu as dit à deux reprises durant cet entretien, à propos de Laurent Peyrelade, qu’il avait une « sensibilité jeu ». Toi qui es passé entraîneur, de l’autre côté, qu’est-ce que tu entends par là ?
Quand je parle de sensibilité jeu sur le terrain, c’était être en capacité de jouer juste. Laurent Peyrelade savait se déplacer dans le bon tempo. Même si la méthode nantaise s’est très mal exportée ! Il y en a très peu qui ont réussi ailleurs qu’à Nantes. Aujourd’hui, c’est une compétence qui s’est généralisée au haut niveau : les extérieurs rentrent à l’intérieur. Mais à l’époque, on était assez figés dans notre zone. Laurent avait cette capacité intellectuelle d’analyser très vite la situation et de se déplacer dans le bon tempo. C’était facile de jouer avec lui. Mais pourquoi c’était facile ? On se rendait compte qu’il était constamment en train d’anticiper. Il avait une lecture du jeu qui était au-dessus de la moyenne, et donc il avait une sensibilité jeu avec Nantes qui était poussée à l’extrême. Parfois trop ! La répétition des passes, tout le temps… Lui avait cette capacité à se déplacer en fonction des autres. Il prenait l’information avant de recevoir. Quand j’étais dans une zone, si je la quittais, il allait dedans. Et tout le temps durant lequel je restais dans ma zone, il ne venait pas. À Lille, on n’était pas formés de cette manière-là. Il avait cette sensibilité qui était bien supérieure à celle que nous pouvions avoir.
D’accord ! Et du coup, avec les différents entraîneurs que tu as eus ou les équipiers que tu as côtoyés, ce sont des expériences qui te servent aujourd’hui, ou c’est totalement dépassé ?
Ça sert ! Même si les méthodes ont évolué. On est davantage sur l’aspect du jeu aujourd’hui. Avant, c’était beaucoup plus sur des blocs bas, c’est-à-dire que l’important était d’abord de bien défendre… et ensuite on verra ! Aujourd’hui, c’est « d’abord on attaque bien, et ensuite on verra ». Aujourd’hui, on est contents de gagner un match 5-4. Avant, on voulait 1-0, en se disant que prendre 4 buts était une catastrophe. On aurait travaillé que l’aspect défensif, alors qu’on en avait mis 5 ! Aujourd’hui, tout le monde trouve ça génial ! Les spectateurs sont contents.
La méthode physique est aussi totalement différente ! A l’époque, on vous dit que quand vous jouez le samedi soir, il faut impérativement faire un décrassage le dimanche. Aujourd’hui, on vous dit que ça ne sert à rien. Aller courir le lendemain du match, ça ne sert strictement à rien ! Ça évolue, c’est normal. Il y a quelques années, on était sur le jeu qu’avaient modélisé les Espagnols, un jeu de possession qui pouvait être extrêmement ennuyant. Mais tant qu’on gagnait, on le faisait. Aujourd’hui, on bascule sur du jeu de transition, comme le font Liverpool ou le Real.
Ma carrière de joueur m’a servi pour me construire comme entraîneur. J’ai mes idées, mais les bases viennent de mon vécu. Après, quand vous avez Halilhodzic et Puel, je pense que vous avez de bonnes bases ! Même sur la préparation athlétique, avec Philippe Lambert. Même si chaque année, c’est une remise en cause, parce que le foot va vite et il y a des règles qui n’existaient pas à l’époque et dont il faut tenir compte. Les gens veulent voir des buts, pas des 1-0. On le voit avec René Girard, quand il était à Lille et que le LOSC gagnait 1-0… C’était compliqué. Aujourd’hui, Lille, ça vole, ça court, ça va vite. Les gens se prennent de sympathie. Ça vit car il y a du mouvement ! On veut du football qui vit, pas qui ronronne ! Parce qu’en plus, j’imagine qu’au stade Pierre-Mauroy, ça caille en hiver ! (rires)
Moins qu’au Stadium !
Oui (rires) ! Mais en tout cas, ça m’a servi. J’ai eu la chance d’avoir de bons entraîneurs. Je pense que Vahid aurait mérité d’avoir un parcours plus important que ce qu’il a fait. Il a fait un bon parcours, avec Rennes, le PSG aussi. Mais il aurait mérité d’entraîner un grand club européen, parce qu’il en avait les capacités. C’est aussi une question d’image. Comme il a une image rigide, ça a dû lui desservir.
Aujourd’hui, tu entraînes Gravelines, en R1. Comment se passe ton intersaison et comment as-tu vécu cette saison tronquée ?
C’est comme chez les pros : je travaille pour avoir des accords avec les garçons ! Avec les deux mois de confinement, on a pu avancer extrêmement vite. Tout est bouclé, et on reprend aux alentours du 20 juillet. Donc on œuvre à convaincre les garçons de rester, à les empêcher d’aller dans les clubs à côté, à discuter du projet qu’on a mis en place depuis quelques années, à les convaincre de travailler. Et puis je m’occupe du recrutement, sur la base des besoins qu’on a pu établir durant la saison. Le but n’est pas de ramener 15 joueurs, mais simplement ceux capables de nous apporter une plus-value. Discuter avec ces garçons-là et les convaincre de nous rejoindre et de faire un bout de chemin avec nous. Et ensuite, c’est du classique : la planification de la reprise, des matchs amicaux. Sur les dernières semaines, on aurait préféré jouer que traverser cette période, mais il y aura encore plus de plaisir à se retrouver.
Quelles sont les ambitions pour Gravelines ?
C’est un club qui a connu la N3 il y a 7-8 ans, qui est descendu en R2. Le projet est, en 2-3 ans, de former un groupe de joueurs de qualité. Mais encore une fois, c’est toujours une question de moyens. On est parti sur un projet « jeunes », avec beaucoup de jeunes. Comme à Lille, avec des jeunes issus de la région, voire local… Il en manque toujours un ou deux, mais on essaie toujours d’avoir une identité forte du secteur géographique dans lequel on se trouve. Le projet est d’être ambitieux. C’est ce que je dis à mes garçons : « je peux vous vendre du rêve, vous faire venir chez moi et vous proposer de la merde ». Donc je suis le plus honnête avec eux : on ne sera pas les meilleurs, mais on sera toujours exemplaires. La notion de plaisir est importante, surtout dans le monde amateur : le plaisir en match, le plaisir à l’entraînement. Après ce qu’on a vécu, encore plus ! Il faut profiter, parce que demain on ne sait pas ce qui peut nous tomber dessus. Même si les joueurs commencent à gagner leur vie et que ça peut arrondir les fins de mois. Mais la notion de plaisir doit être la notion numéro 1. Sur un tableau noir, je n’ai jamais perdu un match : donc il y a certes un projet sur le papier, mais le plus important est d’être présent sur le terrain.
Est-ce que tu as gardé des contacts avec des joueurs du LOSC que tu as connus pendant ta carrière ?
Pas vraiment. Le seul avec qui j’ai gardé contact, ça a duré plusieurs années, c’est Jérémy Denquin, quand il jouait à Clermont, et aussi à Feignies. Mais on commence à se retrouver un peu. Je n’aime pas trop les réseaux sociaux mais je commence à m’y mettre. Là, j’ai retrouvé Stéphane Pichot, on a commencé à discuter un peu, ça fait du bien. Chacun balance quelques photos ou vidéos ! Je croisais régulièrement Dagui Bakari quand il était à Lambersart avec ses jeunes. Je croise souvent Greg Wimbée sur Lille. Quand le LOSC a perdu son entraîneur des gardiens il y a quelques mois, j’aurais aimé qu’il soit promu. C’est un mec de qualité, qui a donné beaucoup pour le club, et il est diplômé ! Finalement, il a fait un match et est retourné en réserve.
Ça n’a pas l’air d’être la politique des dirigeants de mettre en valeur les anciens ou ceux qui se sont investis de longue date pour le club.
Non. Quand on voit Pat’ Collot, qui a fait un peu tout au club, ou Jean-Michel Vandamme ! Pascal Cygan a entraîné des jeunes à Lille, avec Stéphane Adam, puis avec Rachid Chihab. Puis le LOSC ne lui a rien proposé. C’est dommage. On est désormais sur un projet qu’a initié Monaco, en prenant des jeunes et en faisant des plus-values. Tout le monde se dit que c’est un moyen de gagner rapidement de l’argent, et beaucoup ! Le jour où ça se casse la gueule, qu’est-ce que tu as ? Le LOSC a toujours été un club formateur, mais en ce moment, ça ne sort pas beaucoup. Le souci qui guette, c’est la perte d’identité.
Un grand merci à Djezon Boutoille pour sa disponibilité et son accueil
Posté le 18 juillet 2020 - par dbclosc
Djezon Boutoille (2/3) : « On avait une équipe qui ne renonçait pas »
Première partie de l’entretien : « Il fallait faire un choix, j’ai choisi le LOSC »
Troisième partie de l’entretien : « Le football doit d’abord apporter du plaisir »
Qu’est-ce qui a changé avec l’arrivée de Vahid Halilhodzic ?
Ça a permis de remettre de l’ordre dans la maison. Et au-delà de Vahid, au-delà des joueurs, il y avait eu une grande importance de la relation entre Pierre Dréossi et Vahid Halilhodzic. Même si leurs relations pouvaient être parfois celles de deux hommes de caractère, je pense que ces deux hommes-là ont apporté énormément de bien à Lille car chacun était extrêmement compétent dans son domaine. Et au-dessus, je n’oublie pas Bernard Lecomte, un homme de grande qualité. Il est arrivé dans les moments les plus compliqués, où je pense que pas grand monde ne voulait prendre la présidence du club. C’était un homme passionné, qui a découvert le foot à travers le LOSC. Il a remis le club sur le bon chemin. Parce que c’est lui qui fait le choix d’Halilhodzic, c’est lui qui va le récupérer ! Il nous en avait parlé un peu avant son arrivée, je m’en rappellerai toujours : on l’avait croisé avant qu’Halilhodzic n’arrive, le dimanche matin au décrassage, il avait parlé à quelques-uns il avait dit « on va enfin marquer des buts ! » si je me souviens bien, « on fait venir un grand attaquant » ! On n’avait jamais trouvé qui arrivait !
Et ensuite, Bernard Lecomte a permis l’arrivée dans de bonnes conditions de Francis Graille et de Luc Dayan. Je n’en garde que des bons souvenirs, sur un plan humain aussi.
« Vahid symbolise le renouveau du club. Il cherchait des hommes de devoir »
Et donc la rencontre avec Vahid s’est passée comment ?
Bien ! Le lundi, quand t’es tout jeune, que t’as 20 ans et que tu vois ce qu’en dit La Voix des Sports, tu te dis « oh, la vache ! ». Et toute compte fait, je le vois et ça se passe super bien. Après, il a un discours tout de suite… pas militaire, mais on voit que ça va être carré. Il a d’emblée des décisions qui sont dures parce qu’à des garçons qui ont été recrutés comme Olivier Pickeu, très vite il va leur dire « trouve-toi quelque chose d’autre, parce que tu ne corresponds pas du tout à ce que je recherche ». Et à l’inverse, des garçons comme moi qui jouaient un peu moins avec Froger, jouent davantage. Du coup, on grandit un peu, on ne se tasse plus. Par contre, qu’est-ce qu’on a souffert… ! Il disait que notre physique n’était pas apte au haut niveau.
Oui, il avait eu notamment des mots assez durs pour toi. Il pointait tes kilos en trop…
Oui, tout de suite il avait été clair, il avait dit « il va falloir perdre du poids, va falloir faire plus, va falloir devenir un vrai professionnel ». Avec ses exigences, on se disait qu’on était loin de ça. Et puis tout compte fait, les choses décollent. Même si la première année a été compliquée parce qu’on n’avait pas un effectif extrêmement grand, qu’on a eu beaucoup de blessés, on a tout de même réussi à terminer quatrièmes, à égalité avec le troisième, au goal-average. Ça a été une nouvelle déception, et Vahid, qui est un sanguin, avait remis sa démission après un match perdu contre Amiens. En dehors du terrain, il était totalement différent. Sur un plan humain, c’est un mec bien, quelqu’un de très proche de ses joueurs, même s’il a un faciès qui parfois peut faire dire qu’il n’est pas drôle. Alors, c’est vrai, il est pas toujours drôle, mais c’est quelqu’un, un peu comme le président Lecomte, ce sont des hommes qui aiment l’Autre, qui ne pensent pas uniquement à eux. Il symbolise le renouveau du club, avec des principes un peu différents, des joueurs moins payés. Quand on va récupérer Dagui Bakari au Mans ou Johnny Ecker à Nîmes, ce ne sont pas forcément des noms très connus, mais on voit ce que ça a apporté. Il cherchait des hommes de devoir.
« Être capitaine m’a fait franchir un cap »
Et tu symbolises aussi bien ce nouvel état d’esprit : justement, Johnny Ecker a déclaré dans une interview qu’il avait été agréablement surpris par l’accueil que tu lui as réservé à Lille. Tu peux nous raconter ?
À Nimes, la saison précédente, il avait voulu me découper. Mais il m’avait raté, et je crois même qu’il s’était fait mal en essayant de m’attraper. Je lui avais dit : « t’es vraiment trop con ! ». Et à la fin du match, ça avait chauffé entre lui et moi, il y avait eu des mots, et c’est vrai que quand il avait signé chez nous, j’ai fait… « ah ! » (rires). Alors je suis allé l’accueillir parce que j’étais capitaine, c’était mon rôle. Il avait défendu ses couleurs, moi je défendais les miennes, et maintenant on avait les mêmes. Et puis pour éviter que ça traîne. Moi, j’avais vécu avec Froger le manque de communication : c’était chacun de son côté, on n’osait pas dire qu’untel ne mettait pas un pied devant l’autre et, au final, ça ne rendait pas service au groupe. L’avantage de ce groupe-là c’est qu’on était capables de tout se dire. S’il fallait dire « ta gueule ! Tu casses les couilles », bon ben c’était « ta gueule ! Tu casses les couilles ! ». Et après on allait boire une bière. On était vraiment en capacité de se dire les choses telles qu’elles étaient. On ne se cachait rien. C’est pour ça que le groupe a bien vécu. On était vraiment devenus une bande de potes. Et sur le terrain, chacun savait ce qu’il avait à faire dans sa zone, chacun se connaissait par cœur. Comme Johnny jouait latéral gauche et que moi, j’étais reparti extérieur droit à un moment donné, il me disait « Djez, quand je la touche comme ça, tu sais que je vais te mettre une longue diagonale ». Les affinités se sont créées très vite parce qu’il y avait beaucoup de communication.
Tu deviens capitaine à l’aube de cette saison 1999/2000. Tu avais déjà des qualités de leadership avant quand t’étais plus jeune ?
Oui, même tout au début quand j’ai démarré, je pouvais dire à un vieux de se bouger, ce qui m’a valu quelques remontrances. Quand ça ne se passait pas bien sur le terrain, je râlais et j’encourageais aussi souvent, je disais les choses, ce sont des choses que j’avais naturellement. Mais je crois qu’Halilhodzic m’a donné le brassard aussi pour me permettre de franchir un cap, car en dehors des terrains, je suis quelqu’un d’assez réservé. Il me disait : « tu vas devoir d’exprimer devant les gens, devant les journalistes, pas uniquement devant le groupe, tu vas devoir prendre des responsabilités différentes ». Et ça consistait aussi à faire le lien entre l’entraîneur et le groupe, donc quand il a annoncé ça, c’était un match contre le Red Star je crois, il me nomme capitaine et demande : « est-ce que quelqu’un est contre ça ? ». Personne n’a rien dit … sauf Pat’ Collot, qui a eu cette réflexion : « ben, il était temps ! », parce qu’il disait que j’incarnais vraiment l’esprit club et les valeurs du club. Ça reste une fierté parce que c’est mon club, mais ça a pas changé grand-chose en moi.
Lille/Louhans-Cuiseaux, août 1999, avec un extrait de la causerie du capitaine lors de l’échauffement
Sur le terrain, cette année-là est exceptionnelle, tu as toi-même marqué 12 buts. Est-ce que tu préfères le but que t’as marqué contre Valence ou celui que t’as mis à Niort ?
Je préfère le but que j’ai mis à Laval ! Parce que c’est le premier match de la saison, parce qu’on gagne 1-0, et parce que sincèrement, je fais vraiment un très bon match. Et ce but, c’était le fruit du travail fait à l’entraînement. Aux entraînements, il y avait toujours la ligne blanche, feinte de frappe pied droit, feinte de frappe pied gauche, donc il avait toujours ces gestes techniques qu’il nous apprenait et la répétition a permis que je marque ce soir-là, grâce à une feinte de frappe. Et le lendemain… je me suis fais pourrir par Halilhodzic ! Je me fais démonter. Je suis sorti à la 80ème ou à la 85ème parce que j’étais carbo, j’en pouvais plus. Le dimanche matin, il vient me voir, et la première chose qu’il me dit c’est « heureusement que tu marques », parce que comme je peux la mettre en première intention … « heureusement que tu marques ! ». Je pensais qu’il allait me dire que c’était un bon match et il me dit « bon, c’est pas trop mal, mais physiquement c’est pas ça. Physiquement, tu vas travailler encore plus que les autres parce que c’est pas possible de sortir à la 80ème ! » (Rires). Je dis « ah merde ! ». C’était toute l’exigence de Vahid, en particulier avec moi, mais ça me faisait plaisir parce que ça me permettait de repousser mes limites et de travailler encore plus.
Le but contre Valence (« quel but contre Valence ! ») à 3’03 ; le but à Laval à 12’55 ; et pour le but à Niort, c’est ici
« On était soudés et solides. Et on avait enfin la réussite »
Comment s’est passée la préparation de l’été 1999 ?
On est allés en Bretagne, à Saint-Cast : c’était la légion étrangère ! C’était dès 6 heures du matin, un truc de fou … De toute façon, quand on est rentrés, nos compagnes ont dû dire « oh non ça c’est pas toi ! » On était tous comme ça (Il mime quelqu’un de fin et affûté). Mais on était dans la continuité de la saison d’avant, même si on restait sur un échec puisqu’on ne monte pas, et tout se passe bien. On récupère des garçons comme Fernando D’Amico, Ted Agasson, et ça prend à une vitesse folle. Après le début de saison est compliqué : on gagne 1-0, 1-0, 1-0, et puis la confiance vient et après c’est parti.
Début de saison « compliqué », mais après 10 journées, c’est 9 victoires et 1 nul !
Oui, mais on gagne les matchs à l’arrache. Je me rappelle Ajaccio1 ou Nîmes2, où on marque à la 88ème, ou Niort où on gagne en fin de match. On gagne sur des fins de matchs parce que physiquement, on est prêts, et puis on est soudés et on est solides. Greg Wimbée fait un début de saison exceptionnel ; Abdel Fahmi qui est arrivé du Maroc, on le connaissait pas, forme avec Pascal Cygan une charnière centrale de qualité. Et la réussite qui nous fuyait les saisons précédentes est désormais avec nous.
À quel moment vous prenez conscience que c’est la bonne saison cette fois ?
Le déclic pour nous, c’est à Toulouse. On va à Toulouse, deuxième, pour la 7e ou 8e journée. Et on bat Toulouse 2-0 chez eux, et là on se dit « ah ouais, quand-même ! ». Et le coach de Toulouse, Alain Giresse, dit « ils sont déjà en Ligue 1 ». Tout nous paraissait facile en fait ! Laurent Peyrelade était bien, devant, avec Dagui. Alors ce n’était pas facile toujours dans le jeu, mais on défendait tellement bien que pour attaquer c’était facile. La plus belle époque pour moi c’est celle-ci. Après, il y a à la Ligue des Champions, mais cette année-là de D2, pour moi, c’est la plus belle. Ah ouais ! Sur le plan humain… parce qu’on perd un peu de monde par la suite.
Le seul regret qu’on a eu à cette époque, c’est qu’on aurait aimé voir cette équipe-là faire quelque chose en coupe…
Je crois que justement on n’était vraiment pas une équipe de coups, on était vraiment sur un vrai championnat où c’est la régularité qui allait faire en sorte qu’on soit dans les trois premiers, et non sur des coups. Sincèrement, nous aussi, on en a quelques fois discuté quand on s’est revus, on s’est dit qu’on aurait bien aimé faire un parcours de coupe, parce que une Ligue 1, avec cette équipe-là si on la joue à domicile, oui je crois qu’on aurait pu faire chier beaucoup de monde.
Et cette année-là, tu vois de quel œil ce qui se passe à Calais, qui va en finale ?
Déjà, on se fait tordre … Aux penaltys, avec une tempête ! Je les suis de loin au début, parce que je me rappelle on les joue un peu après la reprise en janvier, trois jours après on a un match hyper-important contre Louhans-Cuiseaux, et après on fait le derby contre Wasquehal. En plus quand on les joue, Halilhodzic qui est malade et n’est pas présent. Et puis après, on s’intéresse de plus en plus à leur aventure, leur épopée. Quand ils sont arrivés en quart de finale contre Strasbourg, on se dit « ils sont en capacité de le faire » : ils gagnent logiquement ! La demi-finale, on se dit bon, ça reste Bordeaux mais encore là le score est quasi logique ; et la finale, ils ne méritent pas forcément de la perdre ! Au départ, j’ai suivi ça de loin puis, comme un vrai supporter, au fur et à mesure que les tours passent, un peu comme tout le monde, on se prend au jeu, ils vont peut-être aller au bout ? Non, c’est trop gros ! Mais si quand-même ! Ils le font et chaque obstacle qui est mis qui est un peu plus haut, ils sont en capacité de le franchir. Après, quand on connaît les gars, parce que j’ai joué avec certains d’entre eux, on n’est pas surpris parce que c’est aussi une bonne bande de copains. Des joueurs de qualité, mais des joueurs énormément issus de la région, avec des valeurs communes, et puis ils ont un déclic, ils le disent : ils nous éliminent en 32e et puis après c’est parti.
« Collectivement, notre équipe formait une belle partition »
Retour du LOSC en D1. On est impressionnés par la saison en D2, mais on se dit que la saison en D1 va être compliquée il n’y a pas de grand nom qui est recruté : Mikkel Beck qu’on ne connaît pas, Sylvain N’Diaye et Stéphane Pichot qui viennent de D2, et Christophe Pignol est le seul joueur confirmé. Et finalement, dès le premier match contre Monaco, il y a une belle qualité de jeu !
Quand on regarde, l’équipe est quasiment la même qu’en Division 2. Nos matches amicaux n’ont pas été bons, on prend que des tôles. Et là, on se dit « oh la vache, on a explosé … ». Mais Philippe Lambert, nous dit « non, vous allez voir, vous serez prêts ». Et donc on rencontre Monaco champion de France de D2 contre celui de D1. Giuly marque le premier but, et l’anecdote de ce match-là, c’est que la veille, je me fais aussi virer de l’entraînement ! Parce qu’en fait, je devais prendre Gallardo au marquage individuel.
Gallardo ?
Moi je joue attaquant, je devais jouer derrière Beck. Et Monaco avait une qualité : c’était de jouer les coups-francs extrêmement rapidement, c’est-à-dire que Gallardo donnait immédiatement. Donc, Halilhodzic m’avait dit : « dès qu’il y a un coup-franc, tu prends le ballon, tu te mets devant Gallardo très vite en individuel », et je dis « Mais, il est à l’opposé de moi !? ». Il répond « Je m’en fous ». Et donc, on avait travaillé comme ça la veille de match, et c’était Pat’ Collot qui faisait Gallardo. Et à un moment, on fait un jeu du stop-ball, on perd un ballon, et c’est Patrick Collot qui marque de l’autre côté. Et là, je me fais pourrir. Je dis : « mais enfin, je peux pas attaquer d’un côté et défendre alors qu’il est dans la zone totalement opposée à la mienne ? ». Et il m’a dit : « ah, tu veux pas défendre ? Tu veux pas défendre ? Allez, hop, tu dégages ! ». Et je me fais virer de l’entraînement. Et le lendemain, à la causerie, il m’a dit « non, c’est pas toi qui le prendra, c’est Fernando D’Amico » ! On était sereins parce que de là où on venait, on ne pouvait pas avoir de peurs, et on était sûrs de nos valeurs. On avait des joueurs de qualité, par exemple Bruno Cheyrou, Beck c’est quand-même un joueur fin, un international danois qui vient d’arriver, Sylvain N’Diaye sur l’aspect technique, et on savait qu’on avait des garçons à côté qui étaient en capacité de faire les efforts. Après c’était un premier match, c’était une belle fête, il faisait super beau, c’était le champion de France, donc on n’avait rien à perdre. On fait 1-1. Je fais la passe à Bruno Cheyrou qui marque.
C’est vrai qu’on avait fêté ce match nul quasiment comme une victoire.
Et puis, il y a eu le match contre Strasbourg. Lors de la première journée, Strasbourg avait joué au PSG. Et leur entraîneur, Claude Le Roy, avait déclaré que, malgré la défaite, ils avaient fait un super match. Et il déclare dans la presse que s’ils reproduisaient le même match que contre le PSG, ça serait une formalité contre nous. On en avait peut-être pas besoin, mais Halilhodzic s’est servi de ça : lors de la causerie, il nous a affiché la coupure de presse en surlignant en orange les propos ! On leur a mis 4-0.
Et ils sont descendus.
Et ils sont descendus. En gagnant la coupe. Et ils avaient une sacrée équipe. Voilà, ça fait partie de tous les petits détails qui font qu’on peut jouer sur ça, mais une fois encore, on avait fait une pré-saison qui, sur le plan athlétique, avait été très exigeante. On formait une équipe qui défendait bien, qui n’attaquait pas forcément très bien, mais qui collectivement était vraiment une belle partition, ce qui nous permettait, sur le plan athlétique, d’être mieux que les autres parce que comme on défendait très bien, on dépensait beaucoup moins d’énergie. Et c’est vrai qu’on a gagné beaucoup de fois en fin de rencontre, comme on travaillait super bien avec Philippe Lambert, ça nous permettait en fin de match de gagner.
« Les résultats sont là, le public nous soutient : on sent que ça bascule »
Avec ceux qui ont connu le LOSC de la saison 96/97, à aucun moment vous vous dites que ça pourrait recommencer ?
On a tout de même conscience de nos qualités, et aussi de la valeur collective de l’équipe. On se dit qu’on n’a pas pu survoler le championnat de D2 comme ça, et demain on repart avec les valeurs qu’on a et il ne faut pas les oublier. On se sert du passé et, avec les supporters, on sent qu’il y a quelque chose sur l’année de D2 qui a pris. On sent que les gens commencent un peu à se reconnaître dans l’équipe, dans les valeurs de générosité, Halilhodzic fait aussi le lien avec le public parce que les gens l’aiment bien, et donc, à travers lui, ils sont moins exigeants avec nous. Ils nous pardonnent plus de choses que par le passé. On sent vraiment qu’il y a une bascule qui est en train de se faire. Et on se dit qu’on ne veut pas repartir dans les années galères. Et parmi ceux qui sont là aujourd’hui, il y en a très peu qui l’ont connu, et ils ont une fraîcheur qui nous dit « on y va, on est le plus ambitieux possible » et, encore une fois, tout se passe bien. Lors de la préparation, on récupère Steph Pichot, on retourne à Saint-Cast. Pendant le stage, sur les repas, sur les petites fêtes qu’on peut se faire ensemble, c’est des choses qu’on se dit, maintenant qu’on y est, on a galéré pendant un an pour y être, on va pas repartir ! Il y avait cette cohésion qui faisait que l’on n’avait pas envie de redescendre en D2. Et on est comme tout le monde : on regarde les journaux. Tu regardes L’Equipe, tu regardes France Football, on t’annonce ceux qui vont redescendre, ceux qui vont faire l’ascenseur, et on se dit « tu vas voir si on va redescendre ». On sait que ça va être compliqué, on s’y prépare, mais dans nos têtes on a la conviction de vouloir aller le plus haut possible, avec nos valeurs, avec ce qu’on est capables de faire.
On a beaucoup de souvenirs marquants de cette saison-là, et notamment les deux matches contre Lens (ici et ici). Lens avait été champion en 1998, puis avait été demi-finaliste de coupe UEFA quelques mois avant qu’on les retrouve à Grimonprez. On se sentait là encore bien petits face à eux, et finalement, ça tourne cette fois en notre faveur.
Oui, c’était en septembre. Il y avait une belle équipe en face, avec Bejbl, Pierre-Fanfan… Sincèrement, c’était des équipes qui ne nous faisaient pas peur. Il y avait toujours le discours d’avant-match marqué par « on ne regrette rien », « pas de regrets à la fin ». C’est à notre image, c’est-à-dire qu’on ne renonce pas. Greg nous maintient à 1-0, il laisse l’équipe en vie en sortant une balle de Sibierski, et il laisse l’opportunité de pouvoir revenir. Je crois qu’au départ, c’est sur une touche, il y a une déviation dans la surface et Dagui égalise. Et après c’est parti : dans la foulée, ils prennent un rouge : je me rappelle que l’arbitre était Gilles Veissière. Ce sont quelques minutes de folie durant lesquelles on va marquer le deuxième.
Courbis avait dit, en gros, « le nul est mérité, mais la défaite c’est peut-être un peu dur ». En fait, on a revu le match récemment : le match est assez équilibré, et à partir de la 70ème, c’est incroyable comme tout le monde part à l’abordage. Lens ne passe plus ses trente derniers mètres. Et même après l’égalisation, on voit Cygan qui fait les touches hyper-rapidement pour aller mettre le deuxième et il nous semble que rien qu’au niveau de cet état d’esprit, la victoire est largement méritée.
C’est ce qui nous correspond. On n’a jamais survolé des matchs, on n’a jamais dominé de la 1e à la 90e, ça a jamais été facile pour nous, mais on le savait. On savait que, sur le papier, on était inférieurs aux équipes adverses. Il fallait bien qu’on compense par quelque chose. On se disait qu’on n’avait pas le droit de renoncer, et on verrait bien où ça nous mènerait. Et ça nous a quand même menés assez haut. C’était vraiment ce discours-là, on sait qu’on a moins de qualités que les autres, donc il faut donner plus, faire plus, et après on verra où ça nous mène. Et ça a fonctionné. On savait que dans la difficulté, on savait faire face, ce qui nous a permis de faire de bons résultats et d’engranger de la confiance et ça a permis aussi à certains de se révéler : Pascal Cygan, Bruno Cheyrou, qui ont pu se révéler à travers le collectif.
On termine aussi sur un coup de chance car Sakho frappe le poteau à la 95e…
Les lensois frappent le poteau ? Je ne m’en rappelle même pas ! J’avais revu les deux buts récemment et je me souvenais bien de ce match-là. Il y avait deux matchs de Lens qui m’avaient marqué, c’est celui-là et quelques années avant on les avait aussi battus 2-1, avec le doublé de Patrick Collot.
« Quand les Lensois ont fait un tour d’honneur avant le match, on s’est dits : ‘c’est pas possible !’ »
Au match retour en février, le LOSC se rend à Bollaert en leader !
À l’aller, on n’avait pas trop discuté avec les anciens sur le passif entre les deux clubs. En revanche, avant le retour, on se souvenait, pour ceux qui étaient là à l’époque, de cette fameuse banderole avec le cercueil dans les tribunes du stade Bollaert. C’était en 1997, on avait perdu 1-0, et cette défaite nous envoyait quasiment en D2. Encore aujourd’hui, j’ai l’impression de toujours voir cette grande banderole. Et nous, on l’avait un peu en travers ! Et donc ce soir-là à Lens, le match passait sur Canal + un dimanche soir, et pendant l’échauffement, les Lensois font un tour d’honneur3 ! On est à l’échauffement et ils font le tour. Nous, on s’est dit « c’est pas possible ! ». On était là, on s’échauffait, ils sont passés devant nous, on était fous ! Ils ont failli déclencher une bagarre ! C’était chaud ! Avec des insultes, c’est parti ! Ah, tu fais pas un tour d’honneur avant le match, c’est le derby (rires) ! On était déjà remontés comme des pendules donc il en fallait pas plus, il en fallait pas plus ! Il faut être maso pour faire ça ! Et on était en effet leader, mais comme on jouait le dimanche soir, Nantes était repassé devant la veille, avec un match en plus. Et le speaker annonce « Nantes leader ». Bon… Mais rien que le fait qu’ils fassent un petit tour d’honneur comme ça, on s‘est dit « c’est pas possible ! ». Et on gagne 1-0.
« C’est pas possible M. Sikora ! »
Et tu es passeur décisif !
Oui, je pique la balle à Pierre-Fanfan, je veux la mettre à Pat’ Collot et c’est Rool qui marque un super but ! C’était un match compliqué, fermé. On sentait qu’on maîtrisait le match, mais on n’avait pas beaucoup d’opportunités. Encore une fois, on était capables de gagner 1-0 à l’extérieur sans être exceptionnels, mais solides.
Ensuite, tu rates la fin de saison parce que tu es blessé, tu commences à être très embêté par des blessures récurrentes.
Oui, blessure à la cheville, je me fais opérer et je rate les cinq-six derniers matchs. On n’avait pas le choix et c’était aussi pour repartir sur de bonnes bases pour la saison d’après, mais l’opération se passe pas forcément bien et après je suis toujours emmerdé, même sur la saison suivante. Après, c’est comme ça.
Parlons coupe d’Europe : il y a bien sûr cette fameuse confrontation aller et retour contre Parme.
Avec Johnny Ecker ! Je suis sûr que s’il le retire aujourd’hui, ça part dans la tribune ! On a une part de réussite car un coup-franc de 35 mètres comme ça… Les Italiens ne sont pas prêts, ils reprenaient plus tard que nous, ils avaient une préparation totalement différente, bien plus lourde. Au match aller, ils avancent pas, ils sont en difficulté ! Quinze jours après, par contre, on souffre le martyr. Sensini qui n’avançait plus, il va plus vite qu’Usain Bolt. En quinze jours de temps, ils ont énormément progressé, ils ont récupéré de la fraîcheur, et leurs internationaux sont au niveau.
« Au retour contre Parme, cette fois on avait quelque chose à perdre »
Et sur l’aspect plus mental, comment a été faite la préparation de ce match retour ?
On a passé quelques jours à l’Hôtel Alliance, à côté du stade, qui est là en plein cagnard, il n’y a pas de clim’… Le jour du match, on est tous blancs comme la feuille alors que d’habitude, la pression extérieure ou du match, elle n’a pas beaucoup d’influence sur nous parce qu’on se dit « de là où on vient, on n’a rien à perdre ». Mais là, ça passe pas. Là, ce discours-là, « on n’a rien à y perdre », ne tenait plus après avoir gagné 2-0 à l’aller. On avait quelque chose à perdre ! Les jours d’avant à l’entraînement, on n’est pas très bons, on sent qu’il y a beaucoup de nervosité et de tensions, alors que depuis quelques années, c’est ce qui fait notre force, on est capable de faire abstraction de tout ça. Au-delà, c’est une période compliquée pour nous aussi parce que Christophe Pignol est gravement malade, il a une leucémie. Le groupe l’apprend quelques semaines avant, et même si on se dit « il faut le faire pour lui », ça reste marquant, parce qu’il y a des doutes : est-ce que notre ami va vivre ? On fait une première mi-temps correcte, ils marquent le but et après, à la mi-temps, on ne sait plus quoi faire. Est-ce qu’on attaque ? Est-ce qu’on défend ? Et puis Greg Wimbée fait des miracles en fin de match. Un grand gardien ! À l’aller il n’a pas grand-chose à faire, au retour, ce qu’il a à faire, il le fait superbement bien, ce qui permet au club de rentrer dans un univers qu’il n’avait jamais connu, celui de la Ligue des Champions.
Et comment tu vis les débuts en Ligue des Champions à Manchester ? Là pour le coup, on a l’impression qu’il y a moins de pression que contre Parme.
Oui, parce que là, on y est. On est en phase de poules, et de nouveau on est les « petits ». En plus tout le monde nous dit qu’on ne va pas prendre un point, je m’en rappelle hein, certains commentateurs radios disaient qu’il aurait peut-être fallu laisser Bordeaux jouer la Ligue des Champions et pas nous. Et on se dit encore une fois qu’on va pas passer pour des guignols et on va y aller. À Manchester on perd 1-0 sur un but de Beckham en fin de match. Et puis on prend quand même 6 ou 7 points, et ça se passe bien.
Vous n’êtes jamais ridicules.
Ah non ! On fait 1-1 chez nous contre Manchester, pareil contre La Corogne, on bat Olympiakos chez nous 3-1. Donc on a 6-7 points et on est reversés en coupe UEFA. C’est bien ! C’est des moments magiques, ça reste gravé. C’est la finalité d’une génération qui est là depuis 3-4 ans, parce qu’après ça, tout le monde quitte un peu le club, mais c’est la finalité d’une génération qui pendant 3-4 ans a vécu ensemble des choses exceptionnelles.
« On poussait notre curseur dans chaque domaine »
Tu disais, et c’est l’image que vous renvoyez, que sur le papier vous étiez moins bons, quand vous arrivez en D1, idem en En Ligue de champions. Mais on a jamais eu l’impression de voir une équipe qui était en dessous. On peut se dire qu’au départ les adversaires peuvent se laisser surprendre, mais finalement quand le temps passe et qu’on voit que le LOSC fait quelque chose malgré l’absence de grands noms, on se dit qu’il y avait vraiment de la qualité.
Je pense que le niveau moyen était bon. On avait de belles doublettes : prenons la charnière centrale Fahmi/Cygan, c’était une doublette de qualité ; la mienne avec Stéphane Pichot fonctionnait aussi à merveille ; de l’autre côté avec Johnny Ecker aussi avec Bruno Cheyou ; au milieu avec D’Amico et N’Diaye, on en a un qui court comme un chien et l’autre qui a un aspect technique de qualité, c’est deux joueurs complémentaires ; et offensivement, avec Dagui et Laurent Peyrelade, Dagui sur le plan athlétique c’est extrêmement puissant, et Lolo qui est passé par Nantes avec Suaudeau, qui dans le déplacement, dans la sensibilité jeu apportait aussi énormément à Dagui ; et puis Greg Wimbée, c’était Jésus ! Donc on avait vraiment des doublettes bonnes partout, c’est ce qui a fait qu’on a su mettre tout ça au service du collectif. Après, on avait des joueurs qui étaient au-dessus comme Bruno Cheyrou qui était capable de marquer des buts ou Pascal Cygan, présent défensivement. On avait surtout des joueurs qui avaient faim, donc on compensait par un peu plus de générosité, un peu plus de courses, un peu plus d’agressivité, on poussait notre curseur dans chaque domaine, ce qui nous permettait de pouvoir compenser, c’est pour ça qu’on se retrouvait au même niveau que les autres. Quand t’es au même niveau que les autres et que tu arrives à hausser ton niveau de jeu, et qu’en plus, sur le plan athlétique t’es en capacité de pouvoir répéter 4, 5, 6 voire 7 courses de plus que ton adversaire sur un match, ça peut paraître peu de se dire « tiens, je suis capable de faire 7 courses de 30 mètres de plus que lui », mais sur 90 minutes, c’est énorme, surtout quand ça arrive en fin de match, comme contre Lens. À un moment où ils ne sont plus en capacité de faire des efforts supplémentaires, nous on peut faire encore quelques courses.
On avait calculé qu’avec Vahid, en championnat, un quart des buts ont été marqués au-delà de la 80e minute.
Ça correspond à ce qu’on disait tout à l’heure : être au top sur le plan athlétique et ne jamais rien lâcher. Se dire « allez, on va au bout quoi », et ne pas se satisfaire de mener 1-0, d’être à 1-1, on voulait tout le temps gagner, peu importe l’équipe contre laquelle on jouait. On abordait les matches en se disant qu’on voulait d’abord être solides. Et on avait conscience aussi que les autres équipes disaient « ils sont durs à jouer, ils sont difficiles à bouger, ça défend bien » : à un moment donné, on l’entend et ça nous renforce dans nos convictions et notre identité. Et après on jouait quasiment tout le temps de face, on se projetait énormément vers l’avant. Là où Halilhodzic a été très fort, c’est qu’il a exploité les qualités de chacun.
Lille/Bordeaux, janvier 2002 (2-2) : le dernier but de Djezon en L1 sur France Bleu Nord
Lorsque Vahid Halilhodzic s’en va en 2002, beaucoup de joueurs partent, et toi tu restes, encore une fois. Est-ce que tu te poses des questions ? Comment tu vois arriver Puel ?
Il y a aussi le départ de Dréossi. En termes de repères pour nous, les anciens, même si on n’est pas très vieux, on a 26-27 ans, mais c’est une méthode différente. On découvre un entraîneur, avec des méthodes différentes d’Halilhodzic, on découvre un homme aussi. Le discours est bien. C’est le même homme qu’Halilhodzic, avec des méthodes différentes. On sent un homme ambitieux. Tout est carré, tout est professionnel. On ne retombe pas dans les travers de quelques années auparavant avec certains. On est dans l’exigence, le club reste avec un entraîneur de haut niveau. C’est quelqu’un qui veut s’appuyer durant la première année sur l’effectif qui est déjà là. Lui nous dit qu’il découvre un club donc il n’a pas envie de tout changer. Les choses se passent bien, même si ses débuts sont compliqués car c’est un changement de méthode. Sur le plan tactique, il y a aussi des choses à revoir.
Après moi, avec ma blessure, c’est plus compliqué en termes de temps de jeu, mais dans les rapports humains ça se passe bien.
« Avec Claude Puel, il fallait réapprendre »
Tu gardes quel souvenir du déplacement à Bistrita en coupe Intertoto, le premier match officiel de la saison 2002/2003 ?
C’était horrible ! Il faisait 40°C là-bas en Roumanie. C’était un match bizarre. Mais bon, c’était le début d’une campagne européenne aussi ! On était partis 2 ou 3 jours là-bas, il faisait une chaleur incroyable. Le principal était de gagner, de passer ce tour-là et d’aller le plus loin possible. C’est un bon souvenir parce qu’on gagne, et je marque de la tête, mais en dehors de ça, c’était pas facile !
C’est la première fois que vous étiez favoris en Coupe d’Europe.
Oui, parce qu’on sortait d’une saison de qualité en Ligue des Champions, Coupe UEFA et aussi en championnat ! En Europe, les gens commençaient à regarder un peu et se dire « tiens… ». Mais bon, ça ne nous dérangeait pas, parce que ça restait des équipes qui étaient aussi à notre portée, donc on savait très bien qu’en allant là-bas, on était favoris et il fallait s’imposer.
La saison est quand même compliquée. Ça commence par deux défaites 0-3 à domicile. Il y a peut-être la nostalgie des « années Vahid », mais le public est clairement contre Puel, sur la première saison et sur le début de la 2e saison. Seydoux, qui vient de devenir président, ne lâche pas Puel alors que les résultats ne sont pas bons. Comment le groupe tient dans ces cas-là ?
Le groupe ne l’a pas lâché, parce qu’on a un groupe de valeur. Le noyau reste là, et puis avec lui ça se passe bien ! C’est pas comme avec Froger. Même s’il discute moins qu’avec Halilhodzic, il y a moins de rapports, c’est différent. Mais tout est cohérent : les entraînements sont de qualité, les matchs sont de qualité. Donc il n’y a aucune raison de lâcher. Je crois qu’au premier match, on perd 3-0 contre Bordeaux chez nous. Je pense qu’il y a un relâchement, parce que la méthode de travail pendant 3-4 ans a été extrêmement exigeante sur l’aspect athlétique et mental, ce qui fait qu’à un moment donné, on est à la recherche d’un second souffle. Et ça prend du temps. Et aussi, il faut se remettre à une méthode totalement différente. Avec Halilhodzic, sur les phases de pressing, on devait surtout repousser l’adversaire, le renvoyer chez lui systématiquement. Avec Puel, il fallait récupérer le ballon le plus rapidement possible. Il fallait réapprendre à récupérer. Les interventions, les schémas étaient totalement différents sur l’aspect tactique, sur le pressing. Pendant 4 ans, on ne vous sort pas de votre cadre, on a un schéma bien défini. Il faut du temps pour changer ça, et ça a mis quasiment 1 an et demi, deux ans. Et après, on a connu la suite : On est derrière lui, parce que c’est un homme de qualité et qu’il ne mérite pas qu’on le lâche. On se sentait aussi responsables, parce qu’on sentait que notre niveau individuel et collectif avait baissé. Se prendre 3-0 et 3-0 à domicile, je pense que ça ne nous est jamais arrivés avec Vahid. Donc il y avait une remise en cause à faire de notre part. On n’était plus au niveau auquel on avait pu être les précédentes saisons.
Même si le groupe le soutient, Claude Puel a tout de même été sur le fil à un moment ?
Je crois que le tournant est à Rennes, où on va sur la deuxième année. On fait 2-2. Je pense que si on n’avait pas fait ce résultat, ça aurait été compliqué pour lui. On fait 2-2 alors que Rennes est à 9 : Piquionne se fait expulser à la mi-temps, il s’était battu dans la tribune avec un mec. Et c’est un miracle s’il font 2-2. Dans les buts, c’était Petr Cech. Il fait des miracles !
Ah oui, c’est Vladimir Manchev qui avait marqué les deux buts. Quel souvenir tu en as ?
C’était un buteur ! Il allait vite. Mais à l’entraînement, il n’en foutait pas une ! Il ne parlait pas beaucoup français, alors qu’aujourd’hui les joueurs étrangers sont quasiment obligés de le faire. Mais c’était un bon mec, tout comme Becanovic. Bien plus de qualités que Hector Tapia, qui est arrivé par la suite. Lui, on ne savait pas s’il était gaucher ou droitier.
C’est positif ou négatif de dire ça ?
Positif ! Il avait deux grands pieds ! On a vu aussi Nicolas Bonnal. Ce sont des joueurs qui ont fait 1 an, 2 ans… Ils étaient de passage. Dagui était parti à Lens, Peyrelade à Sedan, et Fernando D’Amico, je n’ai jamais compris, au Mans. Le club cherchait à remplacer ceux qui étaient partis. Il fallait reconstruire quelque chose, et on a connu quelque chose de tellement grand avec Halilhodzic…
Notes :
1 Granon ouvre le score pour Ajaccio (66è), Boutoille égalise (69è) puis donne l’avantage au LOSC (72è). Ajaccio égalise par Faderne (86è), mais Landrin (88è) et Peyrelade (90è) donnent la victoire au LOSC ; contre Châteauroux la journée suivante, Lille perd par 2 à 1 à un peu plus de cinq minutes du terme, mais Agasson égalise (85è) avant que Boutoille ne donne la victoire aux Lillois (90è).
2 Le LOSC s’impose 1-0 grâce à un but sur coup-franc indirect (très contesté par les Nîmois) à la 88e. On en a parlé ici.
3 Mal en point au classement avant ce match (13e sur 18), les joueurs du RC Lens ont tenté de « chauffer » leur public par un tour du stade avant l’entraînement. Les caméras de Canal + ont montré qu’en passant devant le parcage lillois, Cyril Rool a adressé un bras d’honneur. Roland Courbis, sur la sellette, avait pour la première fois titularisé Mathieu Bûcher, un jeune attaquant issu de la formation lensoise, histoire de jouer sur la fibre locale durant le derby. Bref, Courbis jouait ses dernières cartouches, et il a d’ailleurs été limogé 3 jours plus tard après une nouvelle défaite à Strasbourg.
Posté le 17 juillet 2020 - par dbclosc
Djezon Boutoille (1/3) : « Il fallait faire un choix, j’ai choisi le LOSC »
Djezon Boutoille : l’évocation de ce nom évoque bien des souvenirs pour celles et ceux qui ont connu l’époque au cours de laquelle Djezon a joué avec l’équipe première du LOSC (1993-2004). Et on peut supposer que celles et ceux qui ne l’ont pas connu « en vrai » ont forcément entendu parler de lui : non seulement pour l’excellent joueur qu’il a été, produit de la formation lilloise après avoir fait ses débuts dans son Calaisis natal, mais aussi pour l’image tellement sympathique que l’homme a renvoyé durant son passage au LOSC. Il y a quelques années, nous écrivions que Djezon Boutoille avait incarné le LOSC, sa trajectoire personnelle se confondant souvent avec celle du club : des débuts prometteurs qui laissaient entrevoir l’espoir que le club retrouverait un jour son lustre d’antan ; la descente en D2 et ce soir de septembre 1998 à Beauvais où le LOSC, comme Djezon, se sont retrouvés bien bas ; la renaissance progressive sous les ordres d’Halilhodzic jusqu’à des sommets inespérés à une période où il était devenu le capitaine d’une inoubliable aventure collective ; et enfin, le temps des doutes quand il fallut quitter le club, au moment même où le LOSC cherchait à digérer sa croissance presque trop rapide, et qu’il fallait reconstruire avec Claude Puel, pour de nouveaux horizons. C’est plus personnel, mais Djezon Boutoille, du fait de sa longévité au club, est aussi probablement le joueur sur qui on projette le plus nos souvenirs footballistiques d’enfance et d’adolescence.
C’est donc ravis qu’il ait répondu favorablement à notre sollicitation et avec une certaine émotion que nous l’avons retrouvé, et avons donc poursuivi notre série d’entretiens après être allés à la rencontre de Fernando D’Amico, Grégory Wimbée, Arnaud Duncker, Joël Dolignon, Roger Hitoto et Patrick Collot (partie 1 et partie 2).
Au regard de la longueur et de la richesse des propos de Djezon, nous publierons les échanges en trois parties qui, dans un ordre chronologique, forment trois grandes thématiques abordées durant l’entretien.
La première partie ci-dessous s’intéresse aux débuts de Djezon Boutoille : son enfance à Calais au quartier Beau-Marais, les premiers pas footballistiques, le CRUFC, l’arrivée au centre de formation du LOSC, les premiers pas en D1, l’équipe de France Espoirs, la vie d’un LOSC en difficulté, la descente en D2, et la première année en D2 avec Thierry Froger. Dans cette partie (donc en gros : 1975-1998), Djezon parle souvent au pluriel, associant à son propos ses copains « du quartier » et du centre de formation. Au-delà de la toile de fond, qui rappelle à quel point la cohérence d’un projet sportif et la solidarité d’un groupe sont fondamentales dans la réussite d’un club, on a la confirmation de l’attachement de Djezon Boutoille au LOSC : à certains moments-clés de sa carrière, le « choix du club » s’est imposé presque naturellement.
La deuxième partie se concentre sur une des périodes dorées du LOSC, qui correspond grosso modo à la présence de Vahid Halilhodzic. Djezon y souligne également l’importance de la collaboration entre Vahid, Pierre Dréossi et Bernard Lecomte pour remettre le club sur les bons rails. Promu capitaine, Djezon est à la tête d’un groupe qui file de la D2 à la Ligue des champions en quelques mois : il insiste sur la rigueur instaurée par Halilhodzic, et sur l’adhésion des joueurs à ces exigences. Cette partie est l’occasion de revenir sur quelques matches-phares, comme les confrontations contre Lens ou Parme. Nous avons également intégré dans cette partie l’année et demi avec Claude Puel, pour qui Djezon garde une grande estime.
Enfin, la troisième partie permet d’aborder des considérations plus générales sur le football et ses évolutions. Y revient souvent le terme de « plaisir », que Djezon a manifestement perdu en quittant « son » LOSC pour Amiens, l’incitant à revenir à Calais pour terminer sa carrière de footballeur, puis pour entraîner le CRUFC. Il revient sur la difficile digestion de l’épopée de 2000, achevée par un dépôt de bilan. Aujourd’hui coach de Gravelines, Djezon nous expose les ressources et les difficultés des clubs amateurs, ainsi que les principes qu’il tente de transmettre à son groupe. Il apporte enfin un regard critique sur l’évolution récente du LOSC.
Deuxième partie de l’entretien : « On avait une équipe qui ne renonçait pas »
Troisième partie de l’entretien : « Le football doit d’abord apporter du plaisir »
On a pour habitude de retracer les carrières et les parcours de vie de manière chronologique, donc on ne va pas déroger à la règle ! On va donc d’abord évoquer ton enfance : on sait que tu viens de Calais, et précisément du quartier Beau-Marais. Est-ce que tu peux nous raconter ce qu’a été ton enfance et comment tu as commencé à jouer au foot ?
C’est assez simple : le quartier Beau-Marais à Calais, c’est une cité, comme on en trouve beaucoup en France. Vous avez 4 immeubles, de très grands immeubles, on les appelle les tours. Donc quand vous descendez de l’immeuble, vous allez naturellement vers le seul espace vert que vous avez à plusieurs kilomètres à la ronde : c’est le terrain de foot, au milieu de ces tours ! Le foot a démarré comme ça, on était ensemble. Notre immeuble était composé de beaucoup de bons footballeurs, et c’est ici qu’on a démarré, nous, les garçons du quartier, on avait 5-6 ans. Mais au départ, on n’avait pas forcément très envie d’aller en club. Ce qui nous intéressait, c’était vraiment de jouer entre potes du quartier. À l’époque on avait encore cette liberté de pouvoir jouer où on voulait. Maintenant, les terrains sont fermés, et c’est plus compliqué pour y aller. Les mercredis et samedis après-midi, on avait des tournois inter-quartiers, organisés par les éducateurs des régies de quartiers. De fil en aiguille, on a joué au Beau-Marais, puis à Balzac.
Quand on a écrit notre article sur toi, on s’était renseigné sur le quartier Beau-Marais : on a vu qu’il était encore « étiqueté » comme « le plus pauvre du Pas-de-Calais » par l’INSEE. Au-delà du foot, quelles images en gardes-tu ?
Quand j’y repense, ça m’évoque un peu « la fête des voisins », qui rencontre du succès depuis plusieurs années. Moi quand j’avais 5 ans, la fête des voisins ça existait tout le temps ! Dès qu’il y avait du beau temps, chacun descendait le barbecue en bas de l’immeuble, et chacun pouvait se servir, peu importe à qui était le barbecue. Le Beau-Marais, c’est un bel apprentissage : il y a la dureté de la vie de tous les jours mais, à côté, le partage, l’entraide. Les gens ont peu de moyens, mais ce sont ceux qui en ont peu qui donnent le plus. Et on avait une même passion : le foot. Je m’y rends encore assez régulièrement pour pouvoir faire des tournois de sixte ou voir mes amis qui sont restés là-bas. Donc on a grandi dans cette ambiance-là qui était extrêmement sympa.
« Calais, construction de la ZUP Beau-Marais »,
Archives départementales du Pas-de-Calais, 1964
« En intégrant un club, j’ai appris que le foot était un sport collectif »
Avec tes copains de quartier, quand vous avez rejoint un club et que vous êtes sortis du cadre très libre de la rue, est-ce que vous avez rencontré des difficultés ?
On a toujours des difficultés, parce qu’en effet un cadre est posé : quand on joue en bas de son immeuble, il n’y a pas beaucoup de règles, c’est du vrai foot de rue ! Il y a même des fois des excès d’individualisme. Donc oui, au début, le fait qu’on soit 4-5 du même quartier à se retrouver dans le même club et dans la même équipe avait prolongé nos affinités, et il nous arrivait de laisser tomber les autres, car on ne leur faisait pas de passes ! En club, si on ne faisait pas de passe, à un moment on ne jouait plus. On nous disait : « faites des passes, faites des passes ! » (rires) ! Et nous on ne comprenait parce que, certes, on ne faisait pas de passes, mais on marquait des buts, donc on était contents ! Mais non, il fallait apprendre que le foot est un sport collectif ! Donc au début nos difficultés venaient de là car sur le terrain, on pouvait partir très vite, ça montait très vite : dès le plus jeune âge, on était des garçons extrêmement compétiteurs. On avait envie de tout le temps jouer. Après, par moments, le simple fait de sortir de notre quartier… Parfois, les mercredis, on préférait rester dans notre quartier plutôt que de jouer pour le club. Parce qu’on était entre nous et qu’on voulait rester entre copains. Mais on s’est adaptés car nos parents nous ont éduqués dans le respect des autres et des structures.
Il se passe combien de temps avant que tu ne rejoignes le CRUFC ?
J’ai dû avoir ma première licence à 5 ou 6 ans puis j’ai joué 3 ans, au Beau-Marais puis Balzac. Après, je suis parti au CRUFC. La difficulté avec le club de quartier à l’époque, c’est que bien souvent, il n’y avait pas assez de joueurs pour faire le nombre dans chaque catégorie. Donc il arrivait que certaines catégories d’âge n’existent pas : ça supposait d’aller jouer un temps dans un autre club, puis éventuellement revenir. Une fois, notre catégorie n’existait pas, donc il fallait aller jouer dans un autre club, pour revenir peut-être après. Mais c’était sympa ! J’ai fait 3 ans comme ça, et si on voulait continuer à avancer, il fallait aller dans le club le plus huppé du coin. Je suis donc arrivé au CRUFC en 1982, 1983, à peu près.
Et alors ça se passe comment au CRUFC ?
Ma première année est difficile, et on en revient à la question précédente : l’exigence monte d’un cran, on est dans le club-phare du Calaisis, et je me retrouve avec des garçons qui viennent d’horizons plus lointains. Je passais d’un club de quartier à un club où on a des garçons qui viennent des communes alentours, donc les mentalités sont différentes. Après, il y a eu aussi la séparation avec mes amis, parce que mes copains sont pas pris : je suis le seul à partir, tandis qu’eux retournent jouer dans le club de quartier, le club précédent. Pour moi, la cohabitation avec les autres n’est pas facile, et il y a toujours ces petits soucis de comportement, parce qu’on reste un « garçon de quartier », je ne dis pas ça de manière péjorative, mais j’avais peut-être un caractère plus compétiteur que les autres. Donc la première année est très compliquée, et je pense qu’on est à la limite que je retourne dans mon club de départ.
« J’allais à l’entraînement en vélo, 45 à 50 minutes aller/retour »
Qu’est-ce qui t’a fait finalement rester ?
L’arrivée de Bernard Placzek, un ancien professionnel qui a notamment joué à Lens, change quasiment tout dans l’apprentissage. Je ne jouais même pas en équipe première de pupilles à l’époque, car je ne venais pas aux entraînements. Et donc on me met en équipe B, avec lui. Et là, c’est la transformation. La bascule se fait là. C’est lui qui me permet de me structurer, de me canaliser. Il arrivait à me comprendre. Quand j’arrivais en retard à l’entraînement, ou que je n’avais pas envie de m’entraîner, il m’envoyait chier : « la prochaine fois, tu partiras plus tôt ». Et donc cette forme-là a fonctionné avec moi ! Le déclencheur, c’est lui.
Est-ce qu’il avait cette approche avec tout le monde, ou est-ce qu’il le faisait parce qu’il sentait quelque chose chez toi ?
Je pense que oui, il sentait qu’il y avait quelque chose avec moi, au niveau sportif. Et surtout, il m’avait identifié comme un garçon de quartier quoi. J’étais quasiment le seul dans cette situation. Et très concrètement, en pupilles, souvent les parents viennent conduire leur enfant à l’entraînement en voiture. Moi, mes parents n’avaient pas de moyen de locomotion, et mon père ne venait jamais me voir parce que le foot ne l’intéressait pas. Je devais me débrouiller pour aller à l’entraînement. Donc j’y allais en vélo. J’avais beaucoup de trajet à faire, ça me prenait quasiment 45 à 50 minutes aller/retour, au total. On finissait les entraînements à 20h30, 20h45, et il fallait bien que je rentre chez moi, même s’il pleuvait ou s’il neigeait. Et je pense que Bernard Placzek a eu cette sympathie de se dire : « ah, y a un gamin de quartier qui vient s’entraîner, il faut lui filer un coup de main » parce que je ne pense pas qu’ait eu la même attention avec tous, d’autant que j’étais un… un casse-couilles quoi (rires) ! Après voilà, j’avais des qualités footballistiques, mais tout de suite, ça a fonctionné avec lui.
En novembre 1998, Djezon retourne pour la première fois à Julien-Denis avec l’équipe première du LOSC pour la coupe de France. Il entre en jeu et inscrit le second but lillois. La saison suivante, le LOSC ne passera pas.
« Mon horizon, c’était juste Calais »
Tu restes quelques années à Calais et tu arrives au LOSC en 1990. Mais on sait que tu aurais pu partir ailleurs…
Oui ! En fait, tout va vite. Je rentre un soir à la maison, des dirigeants du RC Lens sont là et discutent avec mon père, il y avait notamment Jean-Luc Lamarche je crois. À ce moment-là, j’étais encore trop jeune pour signer dans un club professionnel, et il fallait donc attendre quelques mois pour le faire. Mais les lensois nous proposent de signer un contrat de non-sollicitation. Mon père, lui, sincèrement le foot ça le dépasse, et donc il signe le contrat et se dit « allez… tant qu’il peut partir de la maison.. ! » Non, je rigole (rires) ! Et quelques semaines après, Bernard Gardon et Régis Bogaert, cette fois du LOSC, arrivent à la maison et démarchent aussi mon père. Mon père explique la situation, et ils nous disent que le contrat n’a pas été homologué, c’est-à-dire que les Lensois ne l’ont pas déposé à la Ligue. Mon père, qui était quelqu’un d’assez fier, a alors resigné avec eux, et Régis Bogaert a fait un aller/retour jusqu’à la Ligue pour déposer mon contrat. Et là il a été validé.
Et tu as eu des nouvelles de Lens après ?
Jamais.
Toi, au départ, quand on te dit Lens et après Lille, est-ce que tu avais une préférence ?
Non, pas spécialement. Mon horizon, c’était juste Calais. L’équipe première était en D3, c’est nous qui allions sur le panneau d’affichage du stade Julien-Denis pour changer les scores ! En plus, on habitait juste à côté donc c’était génial pour nous. On reste des gamins de quartier et, pour nous, il n’y avait que le CRUFC. D’autant plus qu’à l’époque on n’avait pas toute la modernité qui donne la possibilité de se rendre aux matches ou même seulement de les voir, donc on n’inscrivait pas nos préférences en tant que « lillois » ou « lensois ».
D’accord, donc tu n’avais pas de connaissance particulière de Lille ou du LOSC avant d’y arriver.
J’étais tout de même dans la sélection du Nord, au sein de laquelle on croisait des jeunes joueurs d’équipes professionnelles. Moi, encore une fois, j’étais un des seuls, je crois qu’on était deux, à être issus d’équipes amateures. Et c’est vrai que je m’entendais bien avec quelques lillois, avec qui ça s’était vraiment bien passé. J’avais aussi fait un stage à Lille de quelques jours : Aliou Cissé était venu avec moi, on avait fait chambre commune, et ça c’était super bien passé. Aussi, avec le CRUFC on avait eu la possibilité d’aller jouer un match contre les U13 ou les U14 en lever de rideau d’un Lille/Bordeaux à Grimonprez. C’est vrai que ça nous avait fait un peu bizarre de voir le stade quasi-plein à la fin du match. C’était quand même, pour des garçons de 13 ans, impressionnant. Donc Lille m’avait plu par ces biais-là. De là à dire que j’avais une préférence à l’époque… en tout cas je pense que j’ai fait le bon choix !
« De très bons souvenirs du centre de formation au LOSC »
Comment se passe ton intégration au centre de formation du LOSC ?
Ça se passe bien. On logeait sous les tribunes du stade. Étant de fin d’année, j’étais le plus jeune : 14 ans. Tout le monde voulait veiller sur moi ! Monsieur et Madame Dusé, notamment, m’ont prêté beaucoup d’attention, car il fallait faire attention au « petit minot », comme ils disaient ! Il nous est arrivé de passer au-dessus de la grille : on allait à la station essence acheter des chips. On se faisait démonter par Jean-Noël Dusé ! Après, tout est allé vite : j’étais prévu pour être avec les 15 ans nationaux, mais j’ai basculé quasiment un mois après avec les 17 nationaux de Régis Bogaert. Après, on a eu Jean-Pierre Hénocq. On avait des permissions : toutes les 4 semaines, on avait le droit de rentrer du vendredi midi au dimanche 20h. Il y avait un téléphone en bas quand on rentrait. Si on n’appelait pas pour prévenir qu’on était rentrés, on se faisait démonter ! Il y avait une petite lucarne près de la cuisine du centre : et lui, petit, l’ouvrait et nous faisait signe de venir : il nous balançait les chaussures des pros en disant « vas-y, prends-les et casse-toi ! ». Parce que nous on payait nos chaussures ! Et lui il filait des affaires ! Je faisais les spécifiques attaquants avec lui. J’ai gardé de très bons souvenirs du centre. On a fait des conneries, mais on s’est bien amusés !
Jean-Noël « Neuneu » Dusé, au centre de formation du LOSC de 1987 à 1992, puis de nouveau à partir de 1994
Est-ce que tu as été assez vite en avance ? Est-ce qu’on pourrait finalement remonter plus avant, et constater que tu sortais du lot à un âge précoce, ce qui aurait pu faire naître l’idée d’une carrière professionnelle ?
Au Beau-Marais, il m’est arrivé de jouer le matin dans ma catégorie, puis de jouer l’après-midi dans des catégories supérieures, car on avait déjà la qualité pour jouer au-dessus. Avec le CRUFC, à part la difficile première année, j’ai aussi été très vite surclassé pour pouvoir aller jouer avec les garçons de deux ans de plus. Il y a même eu quelques arrangements pour que je joue avec les juniors, qui avaient 17 ou 18 ans, alors que je n’en avais que 13… Après à Lille, sincèrement, non, on n’a jamais pensé à la carrière pro. Ce qui nous intéressait, c’était déjà d’être avec les 17 ans nationaux, et on pensait à l’instant présent. Les pros donnaient envie parce qu’on les voyait s’entraîner, mais on avait davantage envie d’être avec eux pour jouer sur les terrains qu’ils avaient plutôt que dans l’idée d’être pro !
« Le club a valorisé la formation par défaut : il n’avait pas d’argent »
Tu débutes en D1 en décembre 1993, pour un match contre Cannes. Quel souvenir en as-tu ?
J’avais 18 ans. Avant ce match, j’avais déjà été présent sur le banc deux fois, sans entrer. Le matin du match contre Cannes, il y a une mise en place faite par Pierre Mankowski, et il double le poste d’attaquant avec Clément Garcia et moi. À midi, il nous dit qu’il ne sait pas encore lequel des deux va débuter le match. Le soir j’apprends que je démarre pas. Mais au cours de la première période, Clément Garcia se blesse, pas forcément très gravement, mais il faut le remplacer. Jean-Michel Vandamme était sur le banc. Dès que Clément Garcia se blesse, c’est lui qui m’envoie à l’échauffement, ce n’était pas Pierre Mankowski ou Georges Honoré. Il me dit « va t’échauffer tchiot, va t’échauffer ! ». Et je reviens et Pierre Mankowski me dit : « mais qui t’a dit d’aller t’échauffer ??? Bon, vas-y, tu rentres, déshabille-toi ! ». À la mi-temps j’étais carbo ! J’étais rincé. Je ne pouvais plus respirer (rires) ! Marc Cuvelier me dit « faut que tu respires, faut que tu respires ! Tu peux pas courir partout ! » (rires). En face, c’était le premier match de Pat’ Vieira comme titulaire.
Je pense que, à l’époque, les gens qui étaient au club avaient de plus envie de voir des joueurs qui étaient formés ici. Juste avant moi, il y avait eu Fabien Leclercq, Oumar Dieng, Antoine Sibierski…
C’était une question d’envie ou davantage pour faire face à la réalité financière du club ? Dans ces années-là, il y avait quelques problèmes… Est-ce qu’on en a conscience quand on est dans l’effectif ?
Je pense que c’était davantage pour des raisons financières que par philosophie. On reste quand même à des époques où, pour des jeunes, c’est compliqué de pouvoir percer. Et à Lille, il y a eu beaucoup de passage offensivement entre Garcia, Assadourian, Etamé, N’Diaye… Il y avait un besoin à ce poste-là, et moi je suis arrivé. Au départ, je ne pense pas être arrivé pour valoriser la formation du club, c’était vraiment par défaut, et le club n’avait pas d’argent pour aller chercher quelqu’un de confirmé.
Débuts en fanfare : une-deux avec Thierry Bonalair qui marque, et le LOSC gagne 1-0 !
Oui, on marque en fin de match. C’est un beau souvenir, car c’était à Grimonprez, et en plus on part en vacances là-dessus, sur les fêtes de fin d’année. C’est la première, ça se passe bien. Je me suis dit que c’était parti, et qu’il fallait avancer et confirmer. En deuxième partie de saison, j’aurais aimé jouer un peu plus, mais la jeunesse doit prouver encore bien plus que les anciens, et je n’ai pas eu le temps de jeu que j’aurais souhaité avoir.
Cette saison-là tu joues quand même avec une suite de « premières » : première titularisation, premier match complet. Et lors de ta première titularisation, contre Strasbourg, tu marques à moitié.
Ah oui ! Franck Leboeuf feint de laisser sortir le ballon en 6 mètres, et j’anticipe le fait qu’il ne va pas la laisser sortir et qu’il va revenir à l’intérieur du jeu ; je récupère, je centre fort devant le but et c’est un csc. On fait 1-1 sur ce match-là. C’était sur le but de droite quand on rentre sur le terrain. C’est des bons souvenirs, et quand t’es à l’origine de quelque chose comme ça, c’est intéressant.
Lors de ta deuxième saison (1994/1995), on pouvait imaginer qu’on te verrait beaucoup plus car tu t’étais mis en lumière pour un jeune de 18 ans. Or, ce n’est pas vraiment le cas. Comment tu l’as vécu ?
Oui, finalement j’ai davantage de temps de jeu en réserve qu’en D1. En 1994, Arnaud Duncker, Jérôme Foulon, et Lyambo Etschélé sont arrivés de Valenciennes. J’ai failli être prêté à là-bas, en D3, j’étais même d’accord, pour avoir du temps de jeu, mais ça ne se fait pas non plus pour diverses raisons. Il avait aussi été question d’un échange avec Wilfried Gohel. Et en décembre, il est même question de retourner à Calais, sous forme de prêt. Sauf qu’on peut pas prêter un joueur pro, ou du moins un stagiaire 3, à un club amateur, il aurait fallu que Calais soit en D3. Mais il est vraiment question de rentrer chez moi. Donc avec Jean Fernandez, je joue peu avec l’équipe première.
« L’arrivée de J-M Cavalli permet de me faire davantage jouer »
Alors quand commence la saison 1995/1996, tu es dans quel état d’esprit ?
Ça a très mal démarré. Début juin, je pars faire le championnat d’Europe en Espagne avec l’équipe de France Espoirs. Et je n’avais pas signé mon contrat pro avec le LOSC. Donc je suis parti au championnat d’Europe en n’étant sous contrat avec personne, et c’est la fédé qui m’a pris en charge avec ses assurances. Là, des clubs m’approchent pour me faire signer, notamment Lyon et Monaco, qui se sont même déplacés en Espagne, parce que le LOSC a oublié de me faire signer !
C’est une négligence du club ?
Oui. Le club m’a rappelé quand j’étais en stage, car la fédé avait appelé le LOSC : « on le prend avec nous, il a pas d’assurance et il peut pas jouer… » Donc le club m’a fait parvenir un contrat ensuite, mais j’aurais très bien pu signer ailleurs déjà à cette époque. Donc j’ai des doutes à ce moment-là. Quand je rentre mi-juillet, le championnat est sur le point de reprendre, et je signe mon contrat pro. Mais se confirme c’est ce qu’on disait tout à l’heure, c’est que les jeunes étaient là non pas parce qu’il y avait une politique en ce sens, mais davantage par obligation. Donc on avait des qualités, mais on était surtout là comme complément du groupe que Fernandez avait constitué. Et très vite, on parle de m’échanger avec Geza Meszoly, un défenseur central qui était au Havre, et qui finalement est venu à Lille. Moi, je refuse, parce que j’ai pas envie ! Donc après je ne joue quasiment plus.
Il faut dire aussi que l’attaque Simba/Pingel était très performante…
Le club a recruté beaucoup de joueurs expérimentés cet été-là, des joueurs de qualité comme le retour de Philippe Périlleux. Mais ça n’a pas pris, ça a pas fonctionné, les idées étaient totalement différentes. Il y a sans doute aussi eu des maladresses : l’arrivée de Jean-Marie Aubry est spéciale, parce que Jean-Claude Nadon restait un gardien de qualité qui était là depuis des années, et c’était le remettre en cause de faire venir un deuxième gardien de qualité, donc c’était pas facile pour les deux.
Finalement, Jean Fernandez se fait licencier. Cavalli arrive et la bascule se fait : on me refait jouer.
Oui, tu es titulaire pour le premier match de Cavalli, contre Nantes, champion en titre. Donc tu joues, mais sur ce début de saison 95/96, on espère ne pas te vexer mais tu commences à te faire une réputation : tu ne marques pas et tu rates beaucoup d’occasions.
Oui, c’est vrai. Il se passe l’inverse de quand j’étais chez les jeunes : je marquais beaucoup, alors que je n’avais jamais été un avant-centre en fait ! Et là, on me met avant-centre et je ne marque pas. À Calais ou chez les 17 ans nationaux, j’ai toujours joué sur un côté, jamais dans l’axe. Au cours d’une saison avec les jeunes du LOSC, avec Régis Bogaert, j’ai joué devant avec Sébastien Schotté, qui était totalement l’inverse de moi : un grand gabarit, très bon dans le jeu de déviation, dans le même style que tout ce que Kennet Andersson pouvait faire. Et je marque beaucoup de buts, en me servant de lui, sur des appuis, sur des déviations. Si bien qu’avec les pros, on me fait jouer devant. Mais ça ne correspondait pas à l’essentiel de mon parcours et de ma formation. Je peux être adroit dans la dernière passe, mais pas forcément sur le dernier geste face au but. Et c’est vrai que mon ratio occasions/buts est très faible. Je n’avais pas les qualités de, par exemple, Becanovic, qui lui était un vrai buteur.
Jusqu’au déclic à Auxerre !
Oui, en ayant débuté sur le banc en plus ! Cavalli me l’annonce au début du match. On est menés 1-0 je crois. Je rentre, et là j’ai deux situations : dans ces cas-là, il n’y a pas beaucoup de questions à se poser. En plus c’était marquage individuel à l’époque à Auxerre, ça veut donc dire que dès que vous éliminiez quelqu’un, on pouvait aller droit au but, il n’y avait plus personne (rires) ! Deux fois, je suis plein axe, sur mon bon pied, le droit, je frappe deux fois et je marque 2 fois. Mes deux premiers buts !
« Dans les années 1990, le LOSC est en perte d’identité »
Cette saison-là, le LOSC est très irrégulier. L’ensemble est médiocre, mais on reste capable de gagner à Auxerre (champion), à Guingamp (seule défaite à domicile de l’EAG), à Nantes (champion en titre et demi-finaliste de Ligue des Champions), et à Paris (vainqueur de la C2) en fin de saison. Est-ce qu’il y a une explication à ce qu’une équipe qui a du mal brille chez les gros ?
C’est cette année-là ou Pat’ Collot met ce but à Paris, où on ne sait pas s’il voulait centrer ou frapper ? Faudra que je lui repose la question ! Je crois que notre niveau était dû à l’adversaire. Je pense que l’équipe se mettait certainement au niveau de son adversaire, et quand on rencontrait des adversaires de qualité, on pouvait nous-mêmes augmenter notre qualité de jeu. Et à l’inverse, quand on rencontrait une équipe du même niveau que nous, on n’était pas capables de faire mieux qu’elle.
Décembre 1995 : Djezon ouvre le score contre Saint-Etienne
Et plus généralement, que penses-tu de l’état du club dans ces années 1990 ?
Il y avait eu une belle année avec Jacques Santini, puis les années suivantes n’ont été que les prémices de la descente en D2. Ce sont des années compliquées. On sent que le club est de plus en plus sur le reculoir, systématiquement à la limite. Le LOSC est aussi en perte d’identité : on a de plus en plus de joueurs venant de l’extérieur, on a ensuite du mal à les garder, ils restent un an ou deux puis repartent, pareil du côté des entraîneurs : Mankowski, Fernandez, Cavalli… Plus précisément, sur les années où je débute, c’est le moment où les anciens partent progressivement : les Buisine, Assadourian, Rollain, Brisson, Nadon, Friis-Hansen.. Donc malheureusement, c’est un LOSC qui allait en boitillant. En termes de mentalité, ça crée des difficultés pour les joueurs. Il fallait reconstruire et c’était compliqué.
Lille/Caen, saison 1996/1997. Victoire du LOSC 1-0, le but de Djezon sur Fréquence Nord
Et sur l’année suivante (1996/1997), comment ça se fait que l’équipe ait été si surprenante pendant 4-5 mois (on est 4e en novembre), et que la fin ait été si catastrophique ?
On a fait une préparation qui était légère : on a passé une semaine ou 10 jours dans les maquis, du côté de Bastia. Quand on revient, on est vraiment sur un effet de fraîcheur, sur un gros effet de fraîcheur, et les résultats arrivent vite. Et il me semble qu’en janvier, on refait une préparation, et là on sent que le groupe est en difficulté sur l’aspect athlétique. Et on explose totalement sur la deuxième partie de saison, on ne gagne plus un match. Et quand vous êtes sur la pente descendante, c’est extrêmement compliqué de la remonter, et ensuite tout se mêle : le doute, « Beca » ne met plus un but alors que dans la première partie il mettait but sur but. En ayant été quatrièmes en novembre, peut-être qu’on s’est vus arriver un peu trop vite et qu’on s’est dits « ça va aller ». Je pense aussi que le groupe n’avait pas suffisamment de qualités de valeur collective pour pouvoir se sortir de là. Hervé Gauthier et Charly Samoy sont arrivés pour sauver le club, mais ça voulait dire encore de nouvelles méthodes, on repart sur une préparation différente. Le mal était déjà fait.
On avait pourtant retrouvé les valeurs de l’équipe le temps de la coupe de France : sur 3 jours, il y a deux matches, l’un à Valence contre Marseille, l’autre contre Lyon, où tu marques d’ailleurs le but vainqueur à Grimonprez. Même s’il y avait eu de la chance, on avait retrouvé une certaine solidité, et on s’était dit que l’équipe était de nouveau en selle.
Oui on avait été capables sur une période très courte d’avoir un sursaut d’orgueil et d’offrir ce qui reste des matches-phares, mais je pense qu’à partir du moment où vous perdez le fil, c’est très compliqué de refaire surface. Et on manquait de réussite, car je me rappelle un match avec Charly et Hervé à Monaco, où on fait un super match, et on prend un but improbable, sur un exploit individuel. Je prends aussi le match contre Cannes cette année-là, on est mené 1-0 sur un but un peu bizarre, Milan » rate un pénalty… Quand vous jouez le bas du tableau, la réussite vous fuit.
Les résumés de OM/LOSC puis LOSC Lyon en février 1997
« Division 1 ou Division 2, je voulais jouer pour Lille »
Le LOSC descend en D2 à l’issue de cette saison. On se demande si toi, qui est International Espoirs, tu vas rester en D2. Est-ce que tu as des sollicitations ?
Oui. Ce qui a toujours bien fonctionné avec Pierre Dréossi, c’est sa franchise. Il m’a dit qu’il avait eu deux sollicitations de Strasbourg et de Bordeaux à l’époque, mais en me précisant clairement : « tu ne partiras pas. Tu resteras là, on a besoin de reconstruire et de repartir avec des jeunes ». Mais de toute façon je n’avais pas spécialement envie de partir (rires) ! Ça m’arrangeait bien qu’il me dise que je ne parte pas, moi j’étais bien ! Donc tant mieux ! Je lui disais « non, non, je comprends… » mais j’étais ravi de rester là ! Donc la question ne s’est pas posée. Ils avaient eu des sollicitations, moi je n’avais pas d’agent donc Pierre m’avait reçu et avait été honnête avec moi « on a 2 sollicitations : Bordeaux et Strasbourg pour toi, on va les refuser toutes les deux, les prix seront de plus en plus élevés parce qu’on va pas te laisser partir, et donc tu resteras là ». En plus j’avais signé sur le long terme, il me restait 3 ou 4 ans de contrat. Moi j’étais bien, y avait pas de souci : Division 1 ou Division 2, ce qui m’intéressait c’était de jouer pour Lille.
Est-ce qu’on te met la pression du côté des Espoirs ? Est-ce que Raymond Domenech te dit un truc du style : « si tu veux rester avec moi, il faut que tu joues en D1 » ?
Ah oui, c’est le discours qu’il a, c’est que pour être sélectionné, que ce soit en A’ comme il y avait à l’époque après les Espoirs, ou en Espoirs, il faut être en D1, parce qu’il n’y a pas de joueurs de D2 sélectionnés. Donc là il faut faire un choix, et mon choix était pour mon club. Je préférais rester en D2 à Lille. Après je ne sais pas ce qui se serait passé si j’avais fait un autre choix, mais mon choix était de rester à Lille.
Et c’est un choix évident pour toi, que tu n’a pas remis en question ? C’est un discours qu’on entend assez peu, dans un milieu où d’autres préfèrent atteindre un certain niveau en équipe de France, et donc ne pas faire le « choix du club ».
Je me rappelle en avoir discuté avec quelques équipiers de l’équipe nationale comme Vieira, ou Henry et Trezeguet. Eux étaient un peu plus jeunes que nous (de deux ans je crois) et commençaient à jouer avec Monaco. Et donc la discussion est là : des clubs se renseignaient sur nous, on en parle, et donc à un moment : quelle carrière on souhaite faire ? Sincèrement, je n’ai jamais regretté.
« La communication avec Thierry Froger était très difficile »
Donc la carrière lilloise se poursuit, le LOSC est désormais en D2. Arrive Thierry Froger : en juillet 1997, un de ses premiers actes forts est de te virer du groupe pour « comportement non professionnel ». Que s’est-il passé ?
J’ai refusé de faire le 14e à l’entraînement. L’anecdote est simple : veille de match, coups de pied arrêtés. Donc l’équipe qui démarre frappe les coups de pied arrêtés, et ceux qui jouent pas font les larbins. Et moi j’ai dit que je ne faisais pas le larbin. Je ne voulais pas faire le défenseur pour que les autres puissent marquer des buts ; moi je fais 1,10 m, donc ça me faisait chier, il me dit « si t’es pas content, tu rentres chez toi ». Bon ben je rentre chez moi.
C’était significatif du management durant son passage à Lille, ou c’était un acte d’autorité pour marquer le coup au début ?
Je pense qu’il avait un souci avec moi, c’est que l’année d’avant, je marque 7 ou 8 buts en D1, on me dit qu’il y a deux propositions pour moi que la direction sportive ne va pas accepter. Lui, je ne le rencontre pas : autant j’ai vu Pierre Dréossi, autant avec lui, à aucun moment, je n’ai un entretien, je ne le vois pas. Et comme il avait fait venir deux attaquants, Lolo Peyrelade et Samuel Lobé, et que le club avait décidé de me faire jouer devant et pas sur un côté, je me retrouvais en concurrence avec des deux joueurs-là, deux joueurs de qualité ! Samuel Lobé, un buteur de L2 ; Lolo, un joueur fantastique, qui avait une sensibilité jeu, passé par Nantes et Le Mans.
Toutefois, je suis réintégré à la préparation, les matches amicaux se passent bien, et sur le premier match à Saint-Etienne, je suis remplaçant. Et derrière le deuxième match, je joue contre Martigues, je marque même, on gagne 7-3, et après je ne joue plus. Mais j’ai pas d’explication avec lui et.. ça passe pas quoi. Ça passe pas du tout, dans les rapports humains, y a pas d’échange, donc on se fâche très vite.
Mais sur cette saison, tu marques pas mal finalement, 10 buts en championnat.
Oui oui ! Après, les choses s’atténuent, il me réintègre dans le groupe, mais je suis capable de jouer 2-3 matches, de marquer, puis de ne plus jouer pendant 2-3 matches, et sans explications, donc après c’est tout hein, on va fonctionner de cette manière-là ! Mais ça se passe pas forcément très bien. La preuve c’est que, si on enchaîne avec la saison suivante (98/99), on repart avec lui, et là je ne joue pas, je suis remplaçant dès le départ. Et malheureusement, quand il se fait virer, c’est moi qui met la main et qui concède le pénalty.
Tu l’as fait exprès, non ? Tu voulais le virer (rires) !
J’ai une anecdote sur ce match : le match d’avant on joue Cannes chez nous. On perd contre Cannes, et je rentre en jeu. Je fais une bonne rentrée, et il me voit dans la semaine : il me dit qu’il est content, que je ne l’ai pas lâché, et que je vais démarrer à Beauvais. On se rend donc là-bas, je suis titulaire, et en seconde période on obtient un corner : tout le monde monte, et je me dis « c’est pas possible, ils vont où ? 0-0 à l’extérieur, c’est pas mal ». Et sur le contre, tout le monde revient en marchant ! Moi je sprinte comme un fou, le mec élimine Greg Wimbée, il frappe et je mets les mains. Donc pénalty et carton rouge. Et la Voix des Sports le lundi titre « Boutoille – pénalty – carton rouge – limogeage ». Bon ben c’est clair ! Le lundi, Halilhodzic est déjà là et la première chose qu’il dit, c’est : « il y en a un seul qui s’est battu sur le terrain, c’est le p’tit blond là ».
Ah oui, parce qu’il était en tribunes ce soir-là.
Oui. Il dit « tout le reste, hop, c’est à dégager ! ». Donc je me suis dit « au moins j’ai fait bonne impression… ». Mais oui, je mets les mains parce que c’est un réflexe. Donc avec cet entraîneur, ça s’est pas bien passé. Dans les relations, c’était très compliqué. C’est dommage car il a très bien réussi au Mans et faisait bien jouer son équipe.
« En 1998, le groupe ne tenait plus que par la valeur individuelle de ses joueurs »
Et ces problèmes de relation expliquent la fin de saison 97/98 où on a pas mal d’avance, on est pas loin de retrouver la D1, et la fin de saison est catastrophique ?
Ah oui, je me rappelle un match en fin de saison à Nice. On est encore dans la course à la D1, à la lutte avec Sochaux. Et on prend un but improbable : notre gardien [Bruno Clément] veut dribbler et on lui pique la balle. C’était vraiment des buts-casquette. Et sur le dernier match, on bat quand même Saint-Etienne, mais Sochaux bat Martigues. Je pense qu’on avait un groupe de qualité : il y avait vraiment des joueurs de qualité, des bons joueurs de foot, mais par contre avec le coach…
Et donc le groupe craque malgré les bons résultats pendant les 3/4 de la saison.
Oui, on s’est complètement effondrés. Je pense qu’il aurait fallu mettre de côté les difficultés de communication qu’on avait avec l’entraîneur et se concentrer sur l’objectif club. On avait un groupe qui, déjà depuis plusieurs semaines, ne tenait plus que par la valeur individuelle de ses joueurs, qui en division 2 étaient capables de faire des différences et de marquer des buts, et non plus à son esprit collectif. En fin de saison, les valeurs individuelles ne suffisaient plus pour gagner des matches. Et en plus, on commettait des erreurs. Une fragilité s’était installée et le groupe le payait. Cette année-là, y avait eu un conflit Froger/Aubry, c’est pour ça que c’était le deuxième gardien qui avait joué ! Quand Sochaux nous est passé devant, on savait que c’était fini.
De notre point de vue de spectateurs, même quand Lille était en positon de monter, il n’y avait pas vraiment d’adhésion au jeu. On avait des joueurs de qualité, mais pas une équipe de qualité. Il y avait souvent des sifflets.
J’ai revu il y a quelques jours la vidéo des 7 buts qui ont été marqués contre Martigues. Quand on regarde bien, ce ne sont pas des buts qui sont construits : ce sont des buts sur des valeurs individuelles, sur des exploits individuels ! Non, cette année a été très compliquée. Alors la suite nous fait dire qu’il fallait peut-être passer par là pour retrouver la D1 dans de bonnes conditions, mais on peut dire quand même que c’est une année de gâchis, parce qu’avec l’équipe qu’on avait, on aurait dû remonter tout de suite. Alors est-ce que ça aurait rendu service au club ? Est-ce qu’on aurait connu ça après ? On ne le saura jamais.