Posté le 19 juillet 2020 - par dbclosc
Djezon Boutoille (3/3) : « Le football doit d’abord apporter du plaisir »
Première partie de l’entretien : « Il fallait faire un choix, j’ai choisi le LOSC »
Deuxième partie de l’entretien : « On avait une équipe qui ne renonçait pas »
Tu pars en cours de saison 2003-2004, au mercato hivernal. Qu’est-ce qui a motivé ton départ ?
Après la première année avec Puel, pendant la préparation, il me dit qu’il veut faire confiance aux jeunes. Je n’ai que 27 ans, donc je ne suis pas très vieux. Mais je peux comprendre. C’était une fin de cycle, il fallait redémarrer, et des joueurs de qualité arrivaient en-dessous : Moussilou, Cabaye, Debuchy… Il y a un cycle, c’est normal. Il y a la relève. Moi, quand je suis arrivé, j’en ai fait partir quelques-uns. La manière dont on a échangé a été très correcte. C’était au mois de juillet ; je lui ai dit que c’était un peu tard, parce que j’aurais préféré savoir à la fin du championnat précédent, et pas la reprise. Après, il me dit que si je souhaitais rester, je ferais partie du groupe, et qu’il y aurait pas de souci. Et que si je méritais de jouer, je jouerai. Et ça a été le cas : j’ai encore fait quelques matchs avec lui. Après, j’ai eu l’opportunité de signer deux ans à Amiens. Et comme je voulais davantage de temps de jeu, je me suis dit « pourquoi pas »…
« Je n’aurais pas dû partir du LOSC. C’est mon seul regret »
Comment ça s’est passé à Amiens ?
Je n’ai fait qu’un an et demi à Amiens, je ne m’y suis pas plu. Durant la première année, les six premiers mois se passent super bien avec Denis Troch. La deuxième année, moins avec Alex Dupont. On retrouvait un peu Thierry Froger dans Alex Dupont. Ça s’est dégradé. Il me restait un an de contrat : le président voulait me garder, mais je n’avais plus envie de rester. Ça reste un bon club, mais la mentalité était différente, l’entraîneur aussi. C’était compliqué de passer d’Halilhodzic/Puel à… ça. Donc j’ai préféré rentrer chez moi.
Est-ce que ça veut dire que tu aurais vécu ça dans n’importe quel autre club, parce que ça n’était plus Lille ?
Oui, je pense ! Je pense que je suis parti à contre-cœur parce qu’il fallait que je joue. J’étais un compétiteur, donc avec des difficultés à accepter de moins jouer, à partager mon temps de jeu avec quelqu’un d’autre. L’orgueil fait que je voulais avoir du temps de jeu, parce que c’est ce que j’aime : être sur un terrain. Quelques années après, avec la réflexion, c’est un choix que je regrette d’avoir fait. Je n’aurais pas dû partir. C’est le seul regret que j’ai aujourd’hui, c’est d’être parti. Je ne dénigre pas Amiens, ça reste un club de qualité avec des hommes de qualité et de valeur, mais partout où je serais allé, ça ne se serait pas bien passé. Donc autant rentrer chez soi à Calais, et c’est ce que j’ai fait.
« L’épopée de Calais 2000 a été difficile à digérer »
Tu as participé à la deuxième épopée de Calais et tu as joué avec des joueurs de la première épopée …
On est arrivés en quarts de finale en 2006. On en a fait des tours de Coupe de France ! On médiatise beaucoup à partir des 32èmes, mais il y a les 3ème, 4ème, 5ème, 6ème, 7ème tours … On fait ce quart de finale, et pour en arriver là, on s’en est sortis de justesse face à des équipes de niveau inférieur, grâce à notre gardien. C’est là qu’on voit la qualité du gardien de but, Cédric Schille. Et à l’inverse, on peut faire des exploits. La coupe, c’est vraiment ça, à un moment donné, il n’y a que le résultat qui compte, la manière quelque part on s’en fout un peu. On se fait éliminer par Nantes, 1-0, en fin de match. Le bourreau de Calais, c’est Nantes.
L’année suivante, tu marques contre Lorient, Ligue 1 !
Un doublé ! Contre Troyes ensuite… Il y avait beaucoup de qualité dans le groupe, et beaucoup de joueurs venant des centres de formation de Lille et de Lens. Il y avait Sébastien Pennacchio d’ailleurs.
Tu passes ensuite de l’autre côté, en devenant coach du CRUFC. Comment s’est faite la transition ?
On a d’abord retrouvé le National, avec une structure semi-professionnelle, mais avec un esprit amateur. Mais le club descend, avec des soucis administratifs, une première fois en CFA2. Là, mon ami Pascal Joly, qui est président, me demande de reprendre le club. J’ai 33-34 ans, je n’ai plus les cannes, ça commence à peser. Alors je me dis « pourquoi pas ? ». Et donc je demande à Didier Popieul de m’accompagner et ça marche. Ça démarre comme ça, sur une idée lancée comme ça. Ça s’est mal terminé parce qu’il y a le dépôt de bilan. Les parcours en Coupe de France, pour les clubs amateurs, c’est difficile à gérer. Parce que les clubs n’ont pas forcément les structures adaptées pour gérer les sommes d’argent qui sont gérées par la fédé, comment les gérer sur les joueurs. Les après-Coupe de France sont difficiles à gérer sur l’aspect humain, financier, à Calais mais aussi à Quevilly ou aux Herbiers. Sur l’instant T, c’est vraiment génial sur le plan humain. Mais financièrement c’est compliqué, et Calais l’a payé.
Pourquoi ?
En fait, sur la première année, en National, la présidence change. Le déficit est annoncé à 200 ou 300 000 €. Sauf que quand les nouveaux présidents font un état des lieux des comptes, on se rend compte que le déficit est de 1M€ ! Une SASP doit se créer pour avoir des fonds propres, pour avoir des sponsors privés et non plus vivre sur des fonds publics. Un remboursement est mis en place par l’association, via les moyens donnés par la mairie. Ça dure 8-9 ans. Et quasiment quand le remboursement est terminé, on descend, on est punis par la DNCG, apparemment parce qu’on est négligents dans nos documents. Ils nous enlèvent 11 points en CFA et on est rétrogradés en CFA, puis R3. Parce qu’en fait, les CFA2 sont gérées par les Ligues, et les Ligues ne reconnaissent pas les SASP, elles ne reconnaissent que les associations. Il n’y avait donc aucun moyen juridique de pouvoir se défendre. Donc pour eux, l’équipe première n’existe pas, alors on repart au niveau de l’équipe B, qui était en R3 à l’époque. Et le club dépose le bilan en 2017 plutôt que de payer les 200 ou 300 000 € qui restent. C’est vraiment un problème juridique. C’est dommage parce que c’est une identité qui se perd. C’est aussi Calais 2000 qui se perd à travers ce dépôt de bilan. Malheureusement, le sportif a très peu d’influence sur ça.
« Julien-Denis, c’était l’âme du parcours de 2000, mais aussi l’âme de Calais »
Parce que sportivement, ça s’était plutôt bien passé, avec des montées refusées !
On fait 4 ou 5 ans de CFA2. On est champion la première année, mais on nous interdit de monter parce que ça ne suffit pas de rembourser. La 3e et la 4e année, on se dit qu’on va continuer à payer tout en restant là, et une fois que les comptes redeviennent acceptables (toujours en déficit, mais acceptables pour la fédé), on remonte la 5e année. Donc une 3e fois en 5 ans. On est en CFA. Les deux premières années se passent bien. On termine 4 ou 5e la première année, 5e ou 6e la deuxième. Après, c’est la débandade. Pour les clubs amateurs, c’est compliqué.
C’est à cause de l’exigence du cahier des charges, d’un stade démesuré ?
Les clubs amateurs fonctionnent beaucoup avec les recettes de billetterie ou avec la buvette. C’est un peu de black, mais c’est ce qui permet aussi de les faire vivre. On a quitté le stade Julien-Denis, qui était quand même l’âme du parcours de Calais 2000, mais aussi l’âme de Calais. On part dans un stade qui coûte 30M€, 12 000 places. Vous vous retrouvez à 200 dans un stade de 12 000 places. Vous perdez votre âme. Sur l’aspect financier, à Julien-Denis, vous faisiez entre 1200 et 1500 spectateurs tous les quinze jours. Donc entre la buvette, les entrées à 5€, c’est cette manne financière qui disparaît. Et puis la CFA coûte cher. Les joueurs de CFA, ce sont des joueurs quasiment pro : ils ont des contrats fédéraux. Un contrat fédéral de 1200 € sur la fiche de paie, ça coûte 1800 ou 2000€ pour le club. Les clubs aujourd’hui, pour exister en CFA, ont besoin d’un budget d’environ 1M€. C’est énorme ! Il y a des charges, il y a tout à payer… Les joueurs sont de plus en plus chers, et donc c’est compliqué de continuer à exister. A partir de là, certains vivent au-dessus de leurs moyens pour continuer à exister. Et puis à un moment donné, vous le payez. Il y a de la mauvaise gestion aussi hein ! Mais c’est compliqué pour les clubs de CFA.
« On veut du football qui vit, du mouvement ! »
Et sur ton expérience d’entraîneur : tu as dit à deux reprises durant cet entretien, à propos de Laurent Peyrelade, qu’il avait une « sensibilité jeu ». Toi qui es passé entraîneur, de l’autre côté, qu’est-ce que tu entends par là ?
Quand je parle de sensibilité jeu sur le terrain, c’était être en capacité de jouer juste. Laurent Peyrelade savait se déplacer dans le bon tempo. Même si la méthode nantaise s’est très mal exportée ! Il y en a très peu qui ont réussi ailleurs qu’à Nantes. Aujourd’hui, c’est une compétence qui s’est généralisée au haut niveau : les extérieurs rentrent à l’intérieur. Mais à l’époque, on était assez figés dans notre zone. Laurent avait cette capacité intellectuelle d’analyser très vite la situation et de se déplacer dans le bon tempo. C’était facile de jouer avec lui. Mais pourquoi c’était facile ? On se rendait compte qu’il était constamment en train d’anticiper. Il avait une lecture du jeu qui était au-dessus de la moyenne, et donc il avait une sensibilité jeu avec Nantes qui était poussée à l’extrême. Parfois trop ! La répétition des passes, tout le temps… Lui avait cette capacité à se déplacer en fonction des autres. Il prenait l’information avant de recevoir. Quand j’étais dans une zone, si je la quittais, il allait dedans. Et tout le temps durant lequel je restais dans ma zone, il ne venait pas. À Lille, on n’était pas formés de cette manière-là. Il avait cette sensibilité qui était bien supérieure à celle que nous pouvions avoir.
D’accord ! Et du coup, avec les différents entraîneurs que tu as eus ou les équipiers que tu as côtoyés, ce sont des expériences qui te servent aujourd’hui, ou c’est totalement dépassé ?
Ça sert ! Même si les méthodes ont évolué. On est davantage sur l’aspect du jeu aujourd’hui. Avant, c’était beaucoup plus sur des blocs bas, c’est-à-dire que l’important était d’abord de bien défendre… et ensuite on verra ! Aujourd’hui, c’est « d’abord on attaque bien, et ensuite on verra ». Aujourd’hui, on est contents de gagner un match 5-4. Avant, on voulait 1-0, en se disant que prendre 4 buts était une catastrophe. On aurait travaillé que l’aspect défensif, alors qu’on en avait mis 5 ! Aujourd’hui, tout le monde trouve ça génial ! Les spectateurs sont contents.
La méthode physique est aussi totalement différente ! A l’époque, on vous dit que quand vous jouez le samedi soir, il faut impérativement faire un décrassage le dimanche. Aujourd’hui, on vous dit que ça ne sert à rien. Aller courir le lendemain du match, ça ne sert strictement à rien ! Ça évolue, c’est normal. Il y a quelques années, on était sur le jeu qu’avaient modélisé les Espagnols, un jeu de possession qui pouvait être extrêmement ennuyant. Mais tant qu’on gagnait, on le faisait. Aujourd’hui, on bascule sur du jeu de transition, comme le font Liverpool ou le Real.
Ma carrière de joueur m’a servi pour me construire comme entraîneur. J’ai mes idées, mais les bases viennent de mon vécu. Après, quand vous avez Halilhodzic et Puel, je pense que vous avez de bonnes bases ! Même sur la préparation athlétique, avec Philippe Lambert. Même si chaque année, c’est une remise en cause, parce que le foot va vite et il y a des règles qui n’existaient pas à l’époque et dont il faut tenir compte. Les gens veulent voir des buts, pas des 1-0. On le voit avec René Girard, quand il était à Lille et que le LOSC gagnait 1-0… C’était compliqué. Aujourd’hui, Lille, ça vole, ça court, ça va vite. Les gens se prennent de sympathie. Ça vit car il y a du mouvement ! On veut du football qui vit, pas qui ronronne ! Parce qu’en plus, j’imagine qu’au stade Pierre-Mauroy, ça caille en hiver ! (rires)
Moins qu’au Stadium !
Oui (rires) ! Mais en tout cas, ça m’a servi. J’ai eu la chance d’avoir de bons entraîneurs. Je pense que Vahid aurait mérité d’avoir un parcours plus important que ce qu’il a fait. Il a fait un bon parcours, avec Rennes, le PSG aussi. Mais il aurait mérité d’entraîner un grand club européen, parce qu’il en avait les capacités. C’est aussi une question d’image. Comme il a une image rigide, ça a dû lui desservir.
Aujourd’hui, tu entraînes Gravelines, en R1. Comment se passe ton intersaison et comment as-tu vécu cette saison tronquée ?
C’est comme chez les pros : je travaille pour avoir des accords avec les garçons ! Avec les deux mois de confinement, on a pu avancer extrêmement vite. Tout est bouclé, et on reprend aux alentours du 20 juillet. Donc on œuvre à convaincre les garçons de rester, à les empêcher d’aller dans les clubs à côté, à discuter du projet qu’on a mis en place depuis quelques années, à les convaincre de travailler. Et puis je m’occupe du recrutement, sur la base des besoins qu’on a pu établir durant la saison. Le but n’est pas de ramener 15 joueurs, mais simplement ceux capables de nous apporter une plus-value. Discuter avec ces garçons-là et les convaincre de nous rejoindre et de faire un bout de chemin avec nous. Et ensuite, c’est du classique : la planification de la reprise, des matchs amicaux. Sur les dernières semaines, on aurait préféré jouer que traverser cette période, mais il y aura encore plus de plaisir à se retrouver.
Quelles sont les ambitions pour Gravelines ?
C’est un club qui a connu la N3 il y a 7-8 ans, qui est descendu en R2. Le projet est, en 2-3 ans, de former un groupe de joueurs de qualité. Mais encore une fois, c’est toujours une question de moyens. On est parti sur un projet « jeunes », avec beaucoup de jeunes. Comme à Lille, avec des jeunes issus de la région, voire local… Il en manque toujours un ou deux, mais on essaie toujours d’avoir une identité forte du secteur géographique dans lequel on se trouve. Le projet est d’être ambitieux. C’est ce que je dis à mes garçons : « je peux vous vendre du rêve, vous faire venir chez moi et vous proposer de la merde ». Donc je suis le plus honnête avec eux : on ne sera pas les meilleurs, mais on sera toujours exemplaires. La notion de plaisir est importante, surtout dans le monde amateur : le plaisir en match, le plaisir à l’entraînement. Après ce qu’on a vécu, encore plus ! Il faut profiter, parce que demain on ne sait pas ce qui peut nous tomber dessus. Même si les joueurs commencent à gagner leur vie et que ça peut arrondir les fins de mois. Mais la notion de plaisir doit être la notion numéro 1. Sur un tableau noir, je n’ai jamais perdu un match : donc il y a certes un projet sur le papier, mais le plus important est d’être présent sur le terrain.
Est-ce que tu as gardé des contacts avec des joueurs du LOSC que tu as connus pendant ta carrière ?
Pas vraiment. Le seul avec qui j’ai gardé contact, ça a duré plusieurs années, c’est Jérémy Denquin, quand il jouait à Clermont, et aussi à Feignies. Mais on commence à se retrouver un peu. Je n’aime pas trop les réseaux sociaux mais je commence à m’y mettre. Là, j’ai retrouvé Stéphane Pichot, on a commencé à discuter un peu, ça fait du bien. Chacun balance quelques photos ou vidéos ! Je croisais régulièrement Dagui Bakari quand il était à Lambersart avec ses jeunes. Je croise souvent Greg Wimbée sur Lille. Quand le LOSC a perdu son entraîneur des gardiens il y a quelques mois, j’aurais aimé qu’il soit promu. C’est un mec de qualité, qui a donné beaucoup pour le club, et il est diplômé ! Finalement, il a fait un match et est retourné en réserve.
Ça n’a pas l’air d’être la politique des dirigeants de mettre en valeur les anciens ou ceux qui se sont investis de longue date pour le club.
Non. Quand on voit Pat’ Collot, qui a fait un peu tout au club, ou Jean-Michel Vandamme ! Pascal Cygan a entraîné des jeunes à Lille, avec Stéphane Adam, puis avec Rachid Chihab. Puis le LOSC ne lui a rien proposé. C’est dommage. On est désormais sur un projet qu’a initié Monaco, en prenant des jeunes et en faisant des plus-values. Tout le monde se dit que c’est un moyen de gagner rapidement de l’argent, et beaucoup ! Le jour où ça se casse la gueule, qu’est-ce que tu as ? Le LOSC a toujours été un club formateur, mais en ce moment, ça ne sort pas beaucoup. Le souci qui guette, c’est la perte d’identité.
Un grand merci à Djezon Boutoille pour sa disponibilité et son accueil
Un commentaire
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19 juillet 2020
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leleu dominique a dit:
merci encore pour ce reportage svp et accompagné d’une jolie photo et désolé de vous dire ceci ce fut très émouvant à lire ! Amicalement à vous .