Posté le 31 octobre 2020 - par dbclosc
Lille, 1935 : la Ligue du Nord affronte le FC Clyde of Glasgow
Le 31 mars 1935, au stade Victor-Boucquey de Lille, la sélection de la « Ligue du Nord », principalement composée de Lillois et de Roubaisiens, affronte amicalement le club écossais de Clyde of Glasgow. Cette sélection nordiste était considérée comme la vitrine footballistique de la région.
Nous avons évoqué dans un précédent article l’importance et le prestige de ces rencontres internationales qui, loin de relever du seul divertissement ou même du folklore, ont une importance considérable : d’une part par la sélection des joueurs nordistes, car les sélections régionales constituent à l’époque un tremplin officieux vers la sélection nationale ; d’autre part ces matches sont considérés comme étant d’un meilleur niveau que ceux du championnat national, même professionnel (à partir de 1932), et permettent en outre de présenter au public un football considéré comme très marqué par des spécificités nationales. Signe de leur réussite, ces oppositions bénéficient d’une importante couverture médiatique et font venir au stade un public nombreux.
Depuis les années 1900, le Nord de la France a connu diverses sélections pour le représenter, la plus connue étant la redoutable équipe des « Lions de Flandres » dont les victoires avant-guerre contre la sélection parisienne marquaient la domination du football nordiste en France (avec, bien entendu, les succès de l’Olympique Lillois). Mais la guerre a coupé cet élan sportif et, sur le plan institutionnel, le football s’est « nationalisé », en s’organisant sous l’égide de la seule FFF.
15 février 1920 : la toute nouvelle équipe du Nord affronte Paris. Debout, 3e en partant de la droite, José Fonte est déjà déterminé
Via la Ligue du Nord, créée, en 1919, cette sélection vise à regrouper les meilleurs joueurs du Nord et du Pas-de-Calais (voire de Picardie puisqu’on y trouve des Amiénois), là où les Lions de Flandres n’ont longtemps sélectionné que des joueurs de Lille, Roubaix et Tourcoing (ce qui correspondait au rapport des forces sportives de l’époque). La « Ligue des Flandres », en outre, semble favoriser des garçons du cru, Français nés dans le Nord, là où on a vu que « l’Entente » de 1934, sélectionnait pour moitié des Français et pour moitié des étrangers, le critère de sélection étant qu’ils jouent effectivement dans le Nord. Cela faisait regretter à une partie de la presse qu’on ne puisse pas réellement évaluer le niveau du football « nordiste » (en supposant que de telles considérations ne soient que d’ordre sportif…). La sélection du Nord n’est toutefois pas dépourvue complètement de joueurs étrangers ; mais on y trouve bien moins d’Anglais ! On y trouve en revanche quelques joueurs de l’Est (qui souvent, seront ensuite naturalisés), comme si cette sélection devait aussi refléter les mouvements migratoires du Nord, là où les Anglais n’étaient que de passage.
À intervalles réguliers, cette « équipe du Nord » affronte donc d’autres sélections françaises du même type ; cependant, les affrontements interrégionaux (qui étaient aussi des affrontement interligues) ont perdu de leur conflictualité. En revanche, les rencontres internationales n’ont rien perdu de leur saveur et de leur intérêt. Ainsi, dans le Nord, les plus grands succès concernent des matches opposant l’équipe du Nord à des équipes étrangères, voire à des sélections nationales.
L’équipe du Nord, le 20 février 1927 au stade Buffalo à Montrouge. Debout, à côté du gardien, un type qui ressemble à Arnaud Duncker, mais ça doit pas être lui
Faisons un saut temporel et retrouvons-nous à la fin des années 1920. Pour la première fois, l’équipe de la Ligue du Nord joue au stade Victor-Boucquey (ex-stade de l’avenue de Dunkerque et futur stade Henri-Jooris). En novembre 1929, le Nord a battu l’équipe du Kent 6-1 au stade Jean-Dubrulle de Roubaix. Un mois plus tard, elle tient en échec les Diables Rouges (3-3). La presse nordiste, bien que toujours emballée par ces rencontres, regrette que le football nordiste n’ait plus son lustre d’avant-guerre : « nous ne pouvons oublier que le football nordiste occupait, en 1914, le premier rang du football régional et nous caressons toujours l’espoir de reconquérir une suprématie que seule la guerre nous enleva” (Le Grand écho, 9 décembre 1929). Allons ! L’OL remporte le premier championnat professionnel, tandis que Fives y fait excellente figure ! Mais si les performances des clubs nordistes en première division (jusque 6 en 1937/1938 !) offrent un fil rouge bienvenu, l’emballement autour de la sélection régionale est incomparable.
Intéressons-nous donc particulièrement à un match joué le 31 mars 1935 à Victor-Boucquey, à Lille. Les Nordistes affrontent un club écossais, de Glasgow : le FC Clyde, venu sans Bonnie. Après les venues du Celtic en 1921 et 1934, il s’agit de la troisième venue d’un club de Glasgow dans le Nord. La presse tant nationale que régionale souligne que le FC Clyde n’a pas le prestige du Celtic, des Rangers ou de Motherwell ; il n’empêche : Clyde, en championnat, vient de battre le leader St Johnstone, le Celtic, les Rangers, et Motherwell ! Et il a tenu en échec Aberdeen, finaliste de la coupe d’Ecosse. Surtout, en tant qu’ambassadeurs du football écossais, les joueurs du FC Clyde représentent ce qui se fait de mieux en football. L’Auto souligne ainsi que « le football écossais est généralement considéré comme le plus complet et le plus beau, surtout en ce qui concerne le jeu offensif » (28 mars 1935) ; pour le Grand Echo, « les pros de Grande Bretagne, quand ils le veulent, sont des footballeurs de tout premier plan (…) Ce qui fait la caractéristique du jeu écossais en regard du football d’Angleterre, du pays de Galles et de l’Irlande : une plus grande habileté sur la balle et un dribbling plus poussé ; de la technique,de la fantaisie, du brio » (31 mars). En outre, les Ecossais sont pionniers puisque « le fameux système en W fut innové par Motherwell et non pas, comme on l’a déclaré, par Arsenal » (L’Auto, 28 mars).
Pour ce match, la Ligue du Nord a pris l’initiative de placarder dans Lille des affiches qui assurent que cette confrontation est « le clou de la saison ». En novembre, l’AIK Stockholm était également venu affronter le Nord à Lille (le Nord s’est imposé 1-0), mais c’était une équipe d’amateurs. De plus, la date est ici plus favorable et on peut espérer un « temps printanier » avant que le public ne se démobilise : il paraît qu’après le 15 avril, « les champs de football sont un peu désertés par les spectateurs » (Le Grand Echo, 28 mars). Ah bon.
Au-delà de cette confrontation, bon nombre de matches en France permettent à des sélections nationales ou à des clubs de se frotter à des adversaires étrangers. En effet, la FFFA1 a laissé aux ligues la journée de ce dimanche. Lesdites ligues se sont alors empressées de mettre sur pied ces « grands matches internationaux de football » comme l’indique L’Auto : outre Nord/FC Clyde, on aura Paris/Vienne, Marseille/Allemagne du Sud, Belgique B/Normandie, Differdange/Lens ou Red Star/Motherwell, avec pas moins de 10 internationaux écossais. Dans le Nord, les matches des divisions amateurs et de promotion d’honneur ont été remis « afin de permettre aux centaines d’équipes amateurs de la Ligue du Nord de venir prendre une excellente leçon de football au terrain de l’Olympique Lillois » (Le Grand Echo, 28 mars). À 3 jours du match, les places, de 6 à 25 francs, s’arrachent et le « record de location par correspondance est battu ». La compagnie des chemins de fer du Nord annonce des trajets à prix réduit, et la mise à disposition d’autocars car on attend des spectateurs venant « des mines et de Valenciennes ». Alors qu’au même moment, Les Cigares du pharaon viennent de paraître, et qu’on aurait pu croire que la présence d’Ecossais à Lille inspire à Hergé le scénario de l’Île Noire, c’est finalement le sceptre d’autocars qui se présente.
Autre illustration de l’ampleur du match : on y trouvera quelques-unes des grosses légumes du coin, comme « le plus haut fonctionnaire de l’éducation physique en France, le directeur de cabinet de M. le ministre Queuille », M. Pierre Leroi, le sénateur Delesalle, ancien sous-secrétaire d’Etat et président d’honneur de la ligue du Nord.
Les Ecossais arrivent d’abord par la mer, à Calais, où ils sont accueillis entre autres par Henri Jooris (fils). Ils arrivent à Lille samedi 30 mars à 16h19 où les attend une délégation de la Ligue du Nord : « les Ecossais, que l’on croyait voir surgir en tenue sportive et casquette à carreaux et qui arboraient de vénérables pardessus très longs et des chapeaux ronds, laissèrent à leur manager le soin de rompre la glace. Ils s’acheminèrent, très dignes, vers l’autocar qui les guettait à la sortie, pour les amener à l’hôtel où, selon l’usage, ils se mirent en devoir de secouer la poussière du voyage avant de prendre un repos réparateur, en écrivant des cartes postales » (Le Grand Echo, 31 mars).
Une première large sélection nordiste a été annoncée dans Paris Soir daté du 22 mars, de laquelle seront finalement retirés après une dernière réunion le 27 dans le local de la Ligue tous les joueurs Fivois, qui ont une demi-finale de coupe de France à jouer la semaine suivante : on craint une blessure, et les dirigeants du SCF privilégient un match amical au Mans. Dès lors, Joseph Gonzalès, Karl Dalheimer, Ernest Liberati et Robert Saint-Pé, initialement sélectionnés, et André Cheuva, pressenti, ne sont pas de la partie ; Marcel Desrousseaux (Excelsior Roubaix) disparaît également de cette première sélection. Seul le gardien remplaçant (Dalheimer) est remplacé, par François Encontre, le gardien du Racing Club de Roubaix. Voici donc la composition des équipes :
Si ce n’est pas bien lisible, voici quelques précisions côté nordiste : dans les buts, Robert Defossé ; derrière : Jules Vandooren et Georges Beaucourt. Ces trois hommes forment habituellement la défense de l’Olympique Lillois. Au milieu, une ligne Paul Delassus (OL), Georges Verriest (Racing Club Roubaix), Noël Liétaer (Excelsior Roubaix) ; devant, « le prestigieux [Edmond] Novicki à qui Lens doit beaucoup de ses succès de la présente saison », Henri Hiltl « la coqueluche des roubaisiens » (Excelsior), André Simonyi « le manieur de balles prestigieux » (OL), Ignace Kowalczyk dit « Ignace » (Valenciennes) et Georges Winckelmans (OL), qui était blessé depuis quelques semaines mais « qui a fait savoir spontanément qu’il serait complètement remis pour le match » !
Remplaçants : Ernest Payne (Excelsior Roubaix), François Encontre (Racing Club Roubaix), Célestin Delmer (Excelsior Roubaix), Beeringer (OL), Marcel Ourdouillié (Association Sportive de Raismes)
Le coup d’envoi est fixé à 15h et, dès 14h, le Grand Echo rapporte que le stade se remplit. Il faut dire que, pour patienter, un concert est donné par « la brillante harmonie Excelsior, sous la direction de M. Pruvost ».
Le quotidien régional précise que ce n’est « pas la même cohue » que lorsque l’Allemagne de l’Ouest (en février 1934) ou Sunderland (en avril 1934) sont venues à Victor-Boucquey, mais on compte tout de même près de 8 000 personnes, tandis que L’Auto table même sur 10 000. Peut-être que la concurrence avec le concours carnavalesque de l’Union des commerçants pour la mi-carême en centre-ville a joué. Les joueurs sont présentés à M. Delessalle, Leroi, et Jooris (père cette fois, président de la Ligue). En tribune, tous les membres du conseil de La ligue sont présents, ainsi que les dirigeants de nombreux clubs de la région : Caullet (OL), Henno (SCF), Marquilly (RCL), Boulton (RCR) Flenniau et Van de Vegaete (UST). Officiellement, l’Ecosse n’a pas d’hymne national2 : on joue donc l’hymne anglais, puis La Marseillaise. Après un échange de fleurs et de fanion, l’arbitre roubaisien Jules Baert donne le coup d’envoi.
Dès la 2e minute, les Ecossais marquent grâce à une reprise de volée de Johnstone, « un but dû plutôt à la mésentente des éléments nordistes qu’à une descente irrésistible, et encore faut-il dire que Vandooren venait de recevoir un coup de pied à la figure l’empêchant de se lancer à la poursuite de l’attaquant possesseur de la balle » (L’Auto, 1er avril). Durant la première période, les visiteurs dominent : « les Ecossais pratiquèrent un jeu sobre et direct, dépouillé de toute fioriture », tandis que « les Français sont lents ». Toutefois, du côté nordiste, « les exploits d’un Hiltl et d’un Simonyi soulevaient maints applaudissements ». En seconde période, les Nordistes dominent cette fois largement (« la seconde mi-temps est celle des Nordistes dont l’équipe, bien soudée, donne à fond ») et égalisent à la 65e grâce à Ignace « malgré un plongeon desespéré de Stevenson » (Le Grand Echo, 1er avril), après un relais entre Novicki et Simonyi : « le but fut follement acclamé » (L’Auto). Le Nord pousse mais plus rien ne sera marqué, et ce match s’achève sur un « match nul flatteur pour les visiteurs », qui auraient dû repartir défaits si l’équipe du Nord n’avait pas mis du temps à trouver ses marques.
Tout le monde s’accorde pour souligner la qualité du spectacle proposé, notamment parce qu’il était équilibré. Ainsi, le Grand Echo insiste sur un adversaire « d’une classe assez voisine » à celle des Nordistes : « devant des artistes comme Sunderland ou le Celtic, le spectateur ressent rapidement une impression de malaise qui est provoquée par l’écrasante supériorité d’un adversaire qui nous ménage et qui se ménage, ce qui est correct pour les relations entre les deux équipes, mais qui est humiliant pour les débutants professionnels que sont les Français ». L’Auto embraye : « si la pureté du football pratiqué fut moins grande , la lutte fut plus égale, plus vite, et l’équilibre des forces en présence donna à la rencontre un piment qui fait défaut quand l’écart de classe est par trop considérable ». Ouest-Eclair voit en Hiltl « l’âme de l’équipe du Nord » : Henri Hiltl, né Heinrich, Autrichien naturalisé Français, a même compté une sélection en équipe d’Autriche avant de jouer pour la France. La performance de Simonyi, le Hongrois, est également saluée.
Bref, « le public se retira enchanté et les dirigeants de la ligue du Nord, disons-le, furent bien inspirés en invitant cette belle formation » (L’Auto). Et comme un étalon de la valeur du football français, les victoires des ligues françaises sur la plupart de leurs adversaires étrangers semble refléter un football national en excellente santé, qui sait organiser de grands événements : un argument de poids, notamment pour la ville de Lille, au moment où la France envisage de déposer sa candidature pour accueillir la coupe du monde 1938.
FC Notes :
1 C’est dans les années 1970 qu’au cours de compétitions internationales en rugby et en football Flower of Scotland s’est imposé, mais sans être l’hymne officiel.
2 « A » pour « Association ».
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