Posté le 24 novembre 2020 - par dbclosc
1919 : Milan, une si longue attente
En septembre 1919, après plus de 5 ans sans match officiel, l’Olympique Lillois, champion de France 1914, est en pleine préparation de la saison 1919/1920. Encore tout auréolé de son aura acquise avant-guerre, l’OL organise une série de rencontres amicales contre de prestigieux adversaires. Parmi eux, le Milan FC.
Après sa création en 1902, L’Olympique Lillois (OL) monte progressivement en puissance à partir de 1906 sous l’impulsion de son président André Billy, raflant quelques titres régionaux et obtenant des succès de prestige lors de rencontres amicales contre des clubs Belges et parisiens. L’année 1914 apparaît comme l’aboutissement du travail des années précédentes : c’est le triomphe du football lillois d’avant-guerre. L’Olympique Lillois (désormais dirigé par Henri Jooris), après avoir remporté le championnat du Nord, puis le championnat de France USFSA (fédération à laquelle le championnat du Nord est rattaché), remporte le Trophée de France, qui met aux prises les vainqueurs des 4 fédérations. Ce 26 avril 1914, Lille est au sommet, et rien ne semblait devoir résister à la domination lilloise sur le football français : « il est à craindre que le trophée national ne revienne de sitôt à Paris », écrit l’Auto au lendemain du triomphe de l’OL, une crainte « parisienne » qui sonne comme la promesse d’un avenir radieux pour le football nordiste. Et au-delà des succès de l’OL, l’équipe du Nord, à travers ses « Lions de Flandres », a largement triomphé de la sélection parisienne en janvier 1914 ; durant ce même mois, l’équipe de France s’est pour la première fois déplacée hors de Paris : au stade de l’avenue de Dunkerque, la France a battu la Belgique 4-3. Le football nordiste, représenté par Henri Jooris, est au faîte de sa gloire nationale.
26 avril 1914 : l’équipe lilloise vainqueur du Trophée de France
Mais la guerre met un coup d’arrêt à cette domination durable annoncée. Dès le mois d’août 1914, les jeunes hommes, parmi lesquels bon nombre de footballeurs, sont mobilisés, et les compétitions sont arrêtées. Sur les différents champs de bataille, de nombreux footballeurs trouvent la mort, parmi lesquels les Lillois Alphonse Six, redoutable avant-centre Belge, le gardien Elie Carpentier, ou le milieu Jacques Mollet ; d’autres, comme le défenseur Jean Degouve, ont été amputés et sont donc désormais inaptes au football.
Durant la période de conflit, dans le Nord (constamment occupé), on note seulement l’organisation du « challenge Deffrennes » en 1917, avec notamment le RC Roubaix, et ce même RC Roubaix parvient à organiser un tournoi à Pâques 1917. Du côté maritime, à Boulogne, le « challenge de l’Entente cordiale » permet de voir triompher durant 4 ans des équipes composées de militaires britanniques. Alors que d’autres régions françaises sont parvenues à faire revenir le football dès 1916, ce n’est qu’après la Libération du Nord en octobre 1918 que l’Olympique Lillois retrouve les terrains. L’OL n’a ainsi pas pu participer (de même que les clubs d’Alsace-lorraine) à la nouvelle « coupe Charles Simon » dite « coupe de France », dont la première édition en 1917/1918 a vu la victoire de Pantin. En raison de la libération tardive de la région, les nordistes n’y sont pas davantage présents en 1918/1919, et le championnat du Nord n’a pas non plus repris. Les principales équipes nordistes (OL, Roubaix, Tourcoing) organisent quelques rencontres amicales contre les garnisons militaires britanniques encore présentes.
Mais cette fois, la reprise est proche ! Le football français est en cours d’unification, avec la création de la Fédération Française de Football Association en avril 1919, et la nouvelle Ligue du Nord s’est réunie pour la première fois en juillet. Le 9 août, un éditorial de la Vie Sportive du Nord et du Pas-de-Calais se réjouit du retour imminent des compétitions : « comme les dimanches nous semblent vides et ennuyeux sans notre régal hebdomadaire : la bonne partie de football disputée avec un acharnement courtois par des équipes de presque égale force! Que d’heures émouvantes vécues autour des divers terrains de la région ! Quand les revivrons-nous ? Bientôt, mes amis ! Bientôt, mes amies ! (…) L’impatience de retourner aux matchs de football est d’autant plus vive que la saison prochaine s’annonce particulièrement brillante. Tous nos grands clubs de Lille, Roubaix, Tourcoing, Boulogne, Calais et Dunkerque se préparent avec fièvre. Des équipes plus formidables les unes que les autres sont constituées. Des Parisiens, des Belges, et des Anglais viennent les renforcer ». Bien entendu, l’ombre des disparus plane : « Hélas ! Il y a des trous à boucher : nous ne reverrons plus les Dujardin, Carpentier, Deffrennes. Matisse, Denis, Six, Mollet, Morin, Chassaing, François Dussart, et tant d’autres dont les noms m’échappent, morts au terrain d’honneur. Les glorieux mutilés (sic) tels que Moigneu et Degouve devront rester sur la touche ».
Le football nordiste d’après-guerre tente donc de se reconstruire, et fait même du lourd tribut qu’il a payé un argument pour souligner son rôle social, ce à quoi Henri Jooris, notamment, s’emploiera, en cherchant à obtenir des réparation pour les veuves des sportifs, et en arguant de la contribution du football nordiste à la victoire de 1918. Sur le terrain, les inconnues restent nombreuses : l’OL parviendra-t-il à maintenir son rang ? Comment remplacer les joueurs disparus ? Le football nordiste a-t-il pris un retard difficilement rattrapable sur les autres régions qui ont repris le football plus précocement ? Comment se comporteront les Lions de Flandres ?
L’OL remet son titre en jeu
« À tout seigneur, tout honneur », la Vie Sportive débute sa « revue des clubs » le 16 août par la présentation de l’OL, « champion de France en titre » : en effet, les quelques compétitions organisées durant le conflit, y compris la nouvelle coupe de France, censée remplacer le « Trophée de France », sont des compétitions dites « de guerre » : elles ne sauraient donc ravir à l’OL son titre acquis avant-guerre dans des circonstances « régulières ». Même si les formats ont changé, l’OL remet donc officiellement son titre en jeu en cette saison 1919/1920. Quelques nouveautés en cette rentrée : d’abord, l’OL a absorbé le Club Lillois ; dès lors, selon l’hebdomadaire sportif régional, « l’Olympique Lillois prenait déjà les allures d’un grand club avant la guerre. Sa fusion avec le club lillois lui permet maintenant d’avoir quelques prétentions (…) D’abord, il prétend rester champion de France » ; ensuite, le terrain de l’avenue de Dunkerque est officieusement rebaptisé « terrain d’honneur », tandis que le terrain du Club Lillois, à la Laiterie (aujourd’hui stade Guy-Lefort à Lambersart), accueillera les équipes de jeunes de l’OL ; enfin, au niveau de l’effectif, Chandelier, Jonvel, Graveline, Montagne, H. Vignoli, Douchet et Lebrun sont toujours là. Loir, qui était déjà au club, est intégré à l’équipe première, tandis que des jeunes tels que Courquin, Betrencourt, Marcel Vignoli, Delneste, Duponchelle sont appelés à avoir un rôle grandissant dans l’équipe première. Eloy, lui, s’estime trop âgé et arrête le foot : il s’installe en tant que médecin à Anor. Le club a par ailleurs recruté le Britannique Buzza (dont l’amateurisme marron fera tomber Henri Jooris dans les années 1920), Duvilier, Favart. Même si « jamais l’issue de la lutte n’a paru moins certaine », sur le papier, cet OL a fière allure : « vous concevrez que l’OL peut défendre son titre dans la coupe de France et en tout cas représenter honorablement le Nord dans toutes les compétitions ».
En l’occurrence, ces compétitions sont les suivantes : le championnat du Nord, bien entendu ; la coupe de France ; et quelques rencontres amicales interligues et internationales. Les matches amicaux d’avant-saison vont bien refléter cette diversité d’oppositions.
D’ici la reprise du championnat, le 12 octobre 1919 contre Roubaix, 6 rencontres sont prévues car « ce serait mal connaître les dirigeants de l’Olympique Lillois que de croire qu’ils vont s’endormir sur leurs lauriers. Ils travaillent en silence à l‘élaboration d’un magnifique calendrier » (La Vie Sportive, 5 septembre) : le 7 septembre contre la base anglaise de Calais, une équipe de militaires écossais ; le 14 septembre contre le Daring de Bruxelles, champion de Belgique ; le 18 septembre contre le Milan FC ; le 21 septembre à Paris contre le Cercle Athlétique ; le 28 septembre contre la base anglaise de Dunkerque, une équipe de militaires anglais ; et enfin le 5 octobre contre le Club Athlétique de la Société Générale de Paris, vainqueur de la coupe de France 1919. Ce dernier match sera finalement remplacé par un match au Havre, champion de guerre 1918, le championnat parisien reprenant finalement le même jour que la date initialement fixée pour le match contre Lille.
Milan, le Tourcoing de Lombardie
Après deux défaites initiales (victoires de la base anglaise de Calais 3-1 et du Daring 2-0), l’OL reçoit une troisième équipe : le Milan FC. Le club italien vient de changer de nom : il s’appelait jusqu’alors le Milan Football and Cricket Club, puis se transformera en Milan Associazione Sportiva (1936) avant de prendre son nom actuel Associazione Calcio Milano en 1939. La Vie sportive se réjouit de la venue des Italiens : « pour la première fois, nous verrons dans le Nord une grande équipe d’Italie ». À cette époque, comme en France, le championnat d’Italie est amateur et n’est pas unifié. Lors du dernier championnat, interrompu en 1915, le Milan, champion de Lombardie centrale et d’Emilie, était en train de disputer la finale du tournoi principal, équivalent italien du Trophée de France, avec Le Torino, l’Inter Milan et le Genoa. En outre, le Milan a participé à la Coppa Federale en 1915, qui concernait les villes italiennes « non directement touchées par la guerre », tournoi que Milan a remporté. Avec ces données et le palmarès italien des années 1910, on peut raisonnablement estimer que le Milan FC, s’il n’a pas le prestige de l’Inter, du Genoa ou de Pro Vercelli, est en déclin (après des titres en 1901, 1906 et 1907) mais constitue encore en effet une des meilleures équipes italiennes. C’est en quelque sorte l’US Tourcoing d’Italie. Mais les mêmes questions que pour l’OL se posent : quel est désormais le niveau du Milan après ces années d’inactivité ? Les Italiens reviennent d’une tournée en Belgique où ils ne se sont inclinés que d’un but contre l’Union Saint-Gilloise, ce qui semble là aussi situer une bonne équipe.
Le match OL/FC Milan, comme tous les matches de préparation de Lille à domicile, est joué au profit « du monument à édifier aux athlètes lilllois morts pour la France ». Symbole de l’union des pays vainqueurs de la guerre – et raison toute pratique au moment où les effectifs ne sont pas constitués -, les Milanais alignent dans leur équipe Louis Van Hege, qui vient de resigner à l’Union Saint-Gilloise après 9 ans au Milan1. Contre les Ecossais, les Lillois comptaient dans leur rang le capitaine Bell, avant-centre de Woolwich Arsenal. Pour ce match contre Milan, l’OL aura le concours du Roubaisien Raymond Dubly présenté comme « notre petit prodige nordiste » (La Vie Sportive, 29 août)
Les Italiens ont été accueillis en mairie où la bienvenue a été lancée à « nos amis latins ». Signe de la domination du football belge et britannique à l’époque, le match contre le Milan ne suscite pas autant d’enthousiasme et de couverture dans la presse régionale que les confrontations contre le Daring ou les militaires. On trouve cependant un bref compte-rendu du match dans le quotidien national L’Auto. Voici la composition de l’OL :
Lebrun ; Duvillier, Leclercq ; Montagne, Duponchelle, Douchet ; Dubly, Chandelier, H Vignoli, Delnest, Petit.
Contre une « équipe italienne de première force », « les joueurs [lillois] se montrèrent surtout vifs et très adroits sur la balle » (La Vie Sportive, 19 septembre). À la pause, l’OL mène 2-0, grâce à des buts de Maurice Douchet, reprenant un corner de Dubly, puis de ce même Dubly : « comme toujours notre phénomène fut très brillant ». En seconde période, les Lillois reculent progressivement : « dans les dernières 20 minutes, la défense lilloise, très à l’ouvrage, faiblit » (L’Auto, 20 septembre) et finit par encaisser un but de la tête sur corner. À l’issue d’une « superbe partie » (L’Auto), l’OL bat Milan 2-1. Le Grand Echo du Nord de la France souligne que « en dépit du score, les Milanais ont assurément été à la hauteur de l’équipe que nous leur opposions (…) on peut seulement leur reprocher un manque de « finish » devant les buts. Sans cela, ils eussent marqué à plusieurs reprises surtout à la fin ». La Vie Sportive concède qu ‘« un match nul aurait plus fidèlement rendu la physionomie de la partie ». Le Grand Echo fait enfin part d’une action qui nous paraît bien mystérieuse sans explication supplémentaire, mais ça a l’air très gentil : « soulignons en outre un beau geste de la part [des Italiens] : ils n’ont pas voulu profiter d’un pénalty dans la première mi-temps ».
L’équipe de l’Olympique Lillois le 1er février 1920 à Paris pour son 8e de finale de coupe de France contre l’Olympique de Paris (2-1)
Alors, où en est l’OL ?
Cette première victoire en match de préparation, la première depuis tant d’années dans un contexte « normal » semble convaincante : le Grand Echo souligne que « le onze lillois fut homogène » ; la Vie Sportive note que « l’Olympique Lillois se met progressivement en forme et a opposé une belle résistance », et l’Auto prédit que Lille « s’annonce redoutable cette saison ». Cette victoire prend d’autant plus de valeur après que les Italiens, 3 jours plus tard, battent l’Association Sportive Française à Paris (1-0). La suite des matches amicaux de l’OL laisse une impression incertaine : si le nul obtenu contre le CA Paris (1-1) fait « excellente impression » pour le Grand Echo, si Lille bat facilement les Britanniques de Dunkerque (4-0) puis obtient le nul face au Havre (1-1), se plaçant ainsi dans les meilleures conditions avant le début du championnat, l’équipe ne semble pas avoir l’éclat qu’elle s’était construit avant-guerre : « les champions de France ont à présent une défense capable de sauvegarder le trophée. On ne saurait en dire autant de la ligne d’attaque » (La Vie Sportive)
Et en effet, même si l’OL cartonne pour la reprise du championnat contre Roubaix (victoire 6-2 ; « un score très flatteur qu’ils doivent à la faiblesse du goalkeeper roubaisien Messien, lequel aurait dû parer 3 des buts rentrés contre son équipe », Le Grand Echo, 14 septembre), le club termine deuxième et ne parvient donc pas à conserver son titre nordiste, en dépit de deux victoires contre le champion du Nord (US Tourcoing). Sur le plan national, la période marque également le déclin du football nordiste en général : la coupe de France, qui permet désormais d’évaluer les rapports de force nationaux, sourit peu aux Nordistes : Roubaix et Boulogne sont éliminés en 16e, et l’OL, dernier survivant, en quart.
Dans le Nord, en football aussi, l’heure est à la reconstruction.
L’équipe de l’Olympique Lillois le 7 mars 1920 à Paris pour son quart de finale de coupe de France contre Cannes (1-2)
Note :
1 Ce retour en Belgique est un soulagement pour Louis Van Hege. En effet, ses compatriotes cesseront désormais de lui faire la blague :
_ « Alors, t’habites à Milan ?
_Oui !
_Eh bien, bon anniversaire ! »
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10 octobre 2021
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Aljeremy a dit:
Bonjour,
Avez-vous des photos du monument des anciens joueurs de l’olympique lillois mort pour la France inauguré en 1923 ?
Merci
Cordialement
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25 novembre 2020
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Ducrocq andre a dit:
C’est une période de la vie du LOSC que nous connaissons peu ,je dis LOSC car pour moi ,OL, SC Fives, Club Lillois , sont de la famille et comme pour certaines activités ou l’on parle de plusieurs générations, je dirai que le club lillois actuel est plus que centenaire et non pas 75 ans ,
anniversaire fêté il y a peu.
J’ai eu la chance, grâce à mon père, d’assister à des matchs du LOSC au stade JOORIS en 1952 et depuis je suis toujours supporter.
Allez le LOSC