Posté le 19 décembre 2020 - par dbclosc
À la recherche du coach perdu
Cet article constitue le deuxième d’une série de trois consacrée au tumultueux changement d’entraîneur de l’intersaison 1989.
Le premier est ici : Comment Gérard Houllier n’a pas signé à Lille
Le troisième est ici : Santini ouvre l’ère des vaches maigres
Résumons l’épisode précédent : en mai 1989, le LOSC est persuadé de pouvoir attirer Gérard Houllier, alors entraîneur adjoint des Bleus. Sûrs de leur coup, les dirigeants lillois font savoir à leur entraîneur actuel, Georges Heylens, en poste depuis 5 ans, que son contrat n’est pas renouvelé. Alors qu’un accord avait été trouvé avec Houllier, son employeur, la fédération française de football, oppose un veto catégorique. La direction du LOSC fulmine : contre Houllier, et contre elle-même et sa précipitation ? En attendant, le club n’a plus d’entraîneur.
Le week-end des 13 et 14 mai a donc confirmé ce qui se pressentait à mesure que les heures passaient : la FFF ne lâche pas Houllier qui, prudent et ne souhaitant pas insulter l’avenir et ses relations avec la fédé, renonce à venir à Lille. Sur le terrain, le soir même du renoncement de Houllier, les Dogues ont joué et ont partagé les points avec Strasbourg (1-1, but lillois de Roger Boli). Mais bien évidemment, les regards étaient surtout tournés vers Georges Helyens, dont le nom a été scandé à plusieurs reprises par le public lillois avant et après le match. Peu avant le coup d’envoi, il confiait à la VDN : « la pilule commence à passer, doucement, même si je n’ai rien oublié. J’ai appris le renoncement de Gérard Houllier. Je suis malheureux pour le club. Quant au reste, je ne tiens pas à m’épancher ». Le 15 mai, la Voix des Sports lance un « avis de recherche » pour trouver un coach, et indique que la recherche pourrait aller « jusqu’en Belgique ». Sous-entendu : aux yeux des dirigeants lillois, Heylens pourrait très bien succéder à Heylens.
C’est donc un nouveau rebondissement : le retour en grâce de Georges Heylens, « crucifié le mercredi et ressuscité trois jours plus tard ». La tendance est la proposition d’un nouveau contrat à l’entraîneur belge, qui doit rencontrer sa direction mardi 16 mai. Il devrait donc poser ses conditions, mais nul doute que cet épisode foireux « risque de passer aux yeux de beaucoup pour un replâtrage sans réelle garantie. Ce come-back est-il envisageable si les hommes qui ont poussé l’entraîneur belge vers la sortie restent en place ? ». Après avoir été invité à partir par ses dirigeants quand ces derniers pensaient avoir trouvé mieux, on imagine mal la même équipe repartir main dans la main sans qu’au moins une tête ne tombe. Heylens avait dit qu’il savait d’où étaient partis les coups : le principal visé est probablement Bernard Gardon, le directeur sportif du club.
Et la mairie là-dedans ? Paul Besson, nouvel adjoint aux sports depuis les élections de mars, est passé dans le vestiaire lillois après LOSC/Strasbourg. Il a qualifié la question de l’entraîneur d’« épiphénomène » (ce qui laisse penser que ça ne le regarde pas), tout en rappelant que Georges Heylens figurait sur la liste de soutien à Pierre Mauroy aux municipales (ce qui laisse penser que ça le regarde et qu’on pourrait très bien renvoyer l’ascenseur). La VDN résume la situation par une devinette en référence à un célèbre slogan : « quelle différence y-a-t-il entre le LOSC et les galeries Lafayette ? Aucune depuis deux semaines, puisqu’il se passe sans arrêt quelque chose au sein du club lillois » (16 mai).
Bernard Gardon, Georges Heylens, Jacques Amyot
Heylens tient la corde
Pas grand chose ne filtre de la (des ?) rencontre(s) entre l’entraîneur et son président. Le 17 mai, la VDN évoque des négociations « particulièrement serrées » ; le même jour, le LOSC communique : « le président de la SAEM, Jacques Dewailly, a eu un entretien positif pour le club avec Georges Heylens. La décision qui sera prise tiendra compte, principalement, de deux éléments : la stabilité du LOSC, l’amélioration de ses ambitions ». Cela ne nous dit pas grand chose, mais selon la VDN du 18 mai, « le principe du maintien de l’entraîneur belge semble donc acquis, même si la décision définitive n’interviendra que dans quelques jours », probablement après que Jacques Dewailly aura consulté les autres membres de la SAEM, et la mairie. Si l’épisode semble touche à sa fin, il risque tout de même de laisser de traces : « l’affaire de l’ancien, quasiment futur entraîneur, a fissuré la maison losciste. Il va falloir replâtrer le plus rapidement possible, recoller les morceaux qui peuvent encore être assemblés. Si « l’entretien positif » aboutit à une prolongation du contrat de Georges Heylens, comme tout le laisse croire, l’entraîneur belge sera l’homme de la remise en ordre. Il a eu le loisir de compter ses amis, d’inventorier ceux qui ne lui étaient pas, ou plus, favorables. Un joueur sous contrat se trouve, par exemple, dans sa ligne de mire ». La VDN est sévère à l’égard d’un « feuilleton qui oscille entre le pitoyable et le risible » et qui ébranle tout le club en donnant le sentiment qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion : « les forts donnent l’impression de s’affaiblir, de vaciller, les menacés se rebiffent, regimbent, et le LOSC vit une de ses plus sérieuses crises internes après un parcours sportif qui est pourtant le meilleur de la décennie ».
La mairie toujours présente
En attendant la confirmation du retour de Heylens, le football s’invite au conseil municipal de la ville de Lille jeudi 18 mai. L’opposition municipale de droite (RPR) menée par Jacques Donnay se dit « excédée » par « les tergiversations sur le choix de l’entraîneur » et se prétend le relais de supporters « inquiets » et de joueurs « perplexes » ; mais au-delà de l’épisode actuel, Jacques Donnay conteste le soutien de la ville au club. En effet, la ville va garantir pour moitié un emprunt que la SAEM va contracter pour « disposer des fonds nécessaires au renforcement de la structure de son équipe professionnelle » : Donnay dénonce « l’anarchie et la désinvolture dans les dépassements de budget qui règnent au LOSC où tout est occulté. On ne sait rien, sinon que cette année encore, il y aura du déficit et qu’il faudra le combler. C’est la fuite en avant permanente. Nous ne pouvons plus nous le permettre ». Une scène et un débat assez réguliers dans la vie politique lilloise depuis plusieurs années, comme ça avait par exemple été le cas en 1977, où l’opposition, alors menée par Norbert Ségard, faisait bien comprendre que les contribuables lillois finançaient une équipe médiocre qui n’attirait personne. Le maire de Lille, Pierre Mauroy, réafirme son soutien qu’il justifie par sa croyance en un avenir européen du LOSC : « quoi, vous ne voulez pas contribuer – par une garantie d’emprunt, ce n’est pas une subvention – à faire entrer un jour le LOSC dans le cercle magique européen ? Il y a beaucoup de désordre ailleurs dans le football professionnel, il y en a un peu moins chez nous. C’est là toute la question. Nous nous en voulons. Le LOSC continuera sa carrière parce que nous l’aiderons » (VDN, 19 mai).
Heylens s’en va : la « chienlit » au LOSC
Le vendredi 19 mai au matin, Georges Heylens annonce à Jacques Dewailly qu’il quitte le club. Alors que la tendance des derniers jours tendait vers un maintien du Belge, il semble que ce dernier n’ait pas obtenu satisfaction, et en l’occurrence on peut imaginer qu’il n’a pas pu obtenir la tête de Bernard Gardon. Le LOSC officialise la nouvelle par un vague communiqué évoquant la « stabilité » et « l’ambition » du club, ce que la VDN, décidément très en verve, qualifie d’ « habituelle guimauve ». Le quotidien voit dans cette période un nouveau symptôme d’une instabilité qui empêche le LOSC de jouer les premiers rôles et d’en être réduit à faire de la figuration en D1. Tout est alors remis en question : la politique sportive, la compétence des dirigeants, le modèle économique : « plus de 15 jours pour en arriver à cette farce, née dans la mesquinerie et achevée dans le ridicule (…) Au-delà des querelles de personnes, cette crise a mis en lumière les carences chroniques du LOSC. Et l’on comprend mieux pourquoi celui-ci va de déception amère en échec cuisant depuis un quart de siècle : pourquoi il figure avec Cannes, Toulon, le Matra et Caen parmi les cinq orphelins de coupe d’Europe en division 1. Pour bâtir une grande équipe, il ne faut pas seulement de bons joueurs et un entraîneur de premier plan. Il est aussi indispensable de s’appuyer sur des dirigeants dignes de ce nom, des gens capables de faire des choix et de s’y tenir (…) Cette crise aura également cerné les limites de la société d’économie mixte. Un nom pompeux et rien d’autre. La cohabitation entre le pouvoir politique et le pouvoir économique peut être pernicieuse. On ne sait plus qui fait quoi, on ne distingue plus les intérêts des uns et des autres… Bref, c’est la chienlit (…) Nonobstant la médiocrité des hommes, nous persistons à croire en l’avenir du LOSC » (VDN, 20 mai). Sur le terrain, le 20 mai, pour la 37e journée, le LOSC s’incline sur le terrain du Racing Club de France (0-1).
Pierre Mauroy aimerait une direction au LOSC
Caricature de Honoré Bonnet dans la Voix du Nord. Au-dessus, le titre de l’article consacré à la situation du club.
Le LOSC entre alors dans une période d’autant plus floue que la direction, se retrouvant sans entraîneur, semble abasourdie et est aux abonnés absents. La VDN rapporte un Jacques Dewailly trop pris par ses occupations professionnelles et un Jacques Amyot qui « vit dans sa bulle », tandis qu’on n’a pas de nouvelles de Bernard Gardon. Il faut attendre quelques jours pour avoir le sentiment que le trio reprend la main, avec le retour des rumeurs pour trouver un successeur à Georges Heylens : on évoque Daniel Jeandupeux et, de façon plus chaude, le Néerlandais Henk Houwaart, champion avec le FC Bruges en 1988, mais qui a l’inconvénient de ne pas parler français – du moins, c’est un inconvénient quand on veut travailler en France. Ses bons résultats lors de la saison écoulée n’ont toutefois pas empêché les dirigeants brugeois d’aller chercher Georges Leekens. Houwaart semble intéressé par le LOSC, au point qu’il ralentit des négociations pourtant bien entamées avec Courtrai.
Georges Heylens, de son côté, ne change rien au programme : entre le match au Racing (le 20 mai) et la dernière journée de championnat (contre Laval, le 31 mai), le groupe part faire un stage… au Niger. Et juste avant de prendre l’avion, Heylens s’engage avec le Berschoot. En voilà un qui n’aura pas tergiversé.
Au Niger, où il fait 46° degrés dans la journée, le LOSC joue 3 matches amicaux (mais en soirée : la VDN nous rassure en disant qu’il n’y fait plus « que » 36°) : contre la sélection nationale des Espoirs (5-1), contre la sélection nationale A (2-2), puis contre le club portugais du Boavista Porto (1-2). Georges Heylens en profite pour saluer un football nigérien en progrès en exportant ses plus beaux clichés coloniaux : « un football nigérien en plein renouveau, lequel, sous la férule d’un entraîneur allemand, pratique désormais un jeu basé sur la rigueur, la discipline, et où le mot engagement prend toute sa signification »
Bouquet final pour Heylens
Pendant le séjour au Niger, en coulisses, le nom de Jacques Santini a fuité, tandis qu’on n’entend plus parler de la piste Houwaart. Amyot et Dewailly auraient même prévu de rencontrer l’ancien stéphanois, à Roissy, le lundi 5 juin.
Le groupe lillois, lui, est de retour dans le Nord juste avant le dernier match de la saison contre Laval. « J’aimerais que l’équipe termine sur une bonne note » espère Heylens. Il ne va pas être déçu : les Dogues écrasent des Lavallois déjà relégués 8-0.
La VDN rapporte que, lors de sa causerie d’avant-match, Georges Heylens en a appelé au professionnalisme de ses joueurs (sous entendu : ne faites pas comme vos dirigeants) : « on a tendance à vous oublier ces derniers temps. Comportez-vous en hommes et en gentlemen ! ». Le LOSC termine 7e, son meilleur classement depuis 1979 : « j’espérais secrètement que les garçons soient consciencieux jusqu’à la fin de la saison. C’est ce qui est arrivé et ce match a plu au public. Je crois qu’ils se sont fait plaisir pour eux-mêmes, mais aussi un petit peu pour moi. C’est avec beaucoup de regrets que je quitte le club, mais cela fait partie du jeu ». De l’avis général, le stage au Niger a été une réussite en ce sens qu’il aurait montré l’attachement de la grande majorité des joueurs à leur entraîneur. Pelé déclare : « c’était la fête à tout le monde. On a fait cela pour Georges. Dommage qu’il s’en aille. Personnellement, je regrette son départ car il me faisait beaucoup confiance. C’est un entraîneur qui voit immédiatement les qualités des joueurs. À Lille, on n’a pas de supers joueurs mais il tirait toujours le maximum de nous et apportait ce petit plus qui fait la différence ».
La reprise de l’entraînement pour la saison 1989/1990 est fixée au 19 juin. Et le LOSC n’a toujours pas d’entraîneur. Ses joueurs partent en vacances dans l’incertitude, ainsi que le déplorent Victor Da Silva : « on voulait bien terminer pour notre entraîneur et pour le public. Mais ce qui est un peu dommage, c’est qu’on part en vacances dans le flou », ou Alain Fiard : « dommage qu’on nous laisse dans l’inconnu. Où est le respect des joueurs ? ».
De retour au stade Grimonprez-Jooris en 2000, où il a participé à la « fête de la remontée » organisée par le club, Georges Heylens est revenu sur cette malheureuse fin avec le LOSC : « j’ai connu deux grands clubs, Seraing, où par deux fois nous avons fait un parcours extraordinaire, et Lille. Si je suis parti, c’est uniquement parce que je ne m’entendais pas avec Bernard Gardon. J’ai vécu 5 bonnes années ici mais ce n’était plus possible ».
La quête d’un entraîneur se poursuit.
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