Posté le 20 décembre 2020 - par dbclosc
Santini ouvre l’ère des vaches maigres
Cet article constitue le troisième d’une série de trois consacrée au tumultueux changement d’entraîneur de l’intersaison 1989.
Le premier est ici : Comment Gérard Houllier n’a pas signé à Lille
Le deuxième est là : À la recherche du coach perdu
Résumé des épisodes précédents : début mai 1989, le LOSC se met d’accord avec Gérard Houllier pour remplacer Georges Heylens, coach depuis 1984. Sûrs de leur fait, les dirigeants du club prient Heylens de s’en aller et font fuiter la nouvelle dans la presse. Mais Houllier est engagé avec la fédération, qui s’oppose à son départ. Houllier renonce. La queue entre les jambes, la direction du LOSC apparaît divisée et sans orientation claire. Un temps pressenti pour reprendre son poste, Heylens refuse et s’engage avec le Berschoot. Nous sommes à quelques jours de la reprise de la saison 1989/1990, et le LOSC n’a pas d’entraîneur.
Début juin 1989, les rumeurs vont bon train du côté du LOSC. Deux noms semblent se détacher : celui de Jacques Santini, qui a joué à Saint-Etienne avec Bernard Gardon, et qui est libre après avoir entraîné Toulouse durant 4 années ; et celui de Gérard Gili, l’entraîneur de Marseille. C’est ce dernier qui, à un moment, semble tenir la corde, mais il ne donnerait sa réponse qu’après la finale de coupe de France qu’il doit jouer le 11 juin. En l’occurrence, si l’OM la remportait, il y a fort à parier que Gili serait reconduit par Tapie. Le LOSC se retrouverait le bec encore dans l’eau à une semaine de la reprise. Mais la VDN des 4 et 5 juin relate qu’Henri Michel a été aperçu à Lille « en compagnie de l’une des têtes pensantes loscistes ». Alors… ? Finalement, il n’en est plus question après, tandis que Gili va plutôt vers une prolongation à Marseille. Alors, Santini ? « Santini ou un autre… Il est grand temps de mettre fin à ce feuilleton, dont on savait au départ qu’il ne serait pas très bon » constate, dépitée, la VDN ( 6 juin). Et on apprend même le lendemain qu’on envisage l’éventualité de reprendre sans entraîneur : auquel cas, c’est Georges Honoré, le nouveau préparateur physique, qui prendrait en charge le groupe.
3615 LOSC à la rescousse
On reste ensuite une semaine sans nouvelles officielles. Les supporters et les journalistes ont alors, pour se rabattre, le site « 3615 LOSC » : le LOSC est en effet un des rares club qui dispose d’un « service télématique », c’est-à-dire un serveur minitel, lancé au début de l’année civile. Et on y trouve une rubrique Questions/Réponses qui permet un autre rapport aux supporters et à la transparence au sein du club. En ces temps troublés, la VDN rebaptise d’ailleurs le site « 3615 Glasnost », en référence à la politique dite de « transparence » en URSS depuis 1986. Selon la VDN, les questions posées reflètent une grande inquiétude quant au choix de l’entraîneur, aux contours de l’effectif, et à l’état de santé du club. On trouve quelques rigolos qui, sous les pseudos « Filip », « Dédé de l’Oise », « Pelé » « et d’autres peu recommandables » suggèrent de confier à Bernard Gardon le poste de « entraîneur-président-directeur sportif-recruteur et, éventuellement, kiné ». Du côté du LOSC, on s’efforce de répondre poliment, aussi bien aux questions sérieuses que farfelues. Mais on sent aussi parfois poindre une grande lassitude, en témoigne cet échange :
Question : « selon moi, vous allez vendre quelques joueurs encore côtés pour éponger votre déficit et racheter des joueurs moyens pas trop chers, en espérant un classement entre la 12e et la 20e place »
Réponse : « franchement, l’idée est dans l’air. Aujourd’hui, nous espérons aller dans le sens d’un maintien du groupe… amélioré ».
« L’interloscuteur », comme l’appelle la VDN, est fatigué. Et en l’occurrence, il s’agit de Patrick Robert qui, dans un de ses ouvrages1, évoque cet épisode : « côté positif : j’ai eu raison de faire le forcing pour lancer ce moyen de communication qui met le supporter en prise directe avec « son » club. Côté négatif : je dois arriver au bureau tôt le matin et en repartir tard le soir pour répondre tranquillement aux interlocuteurs inquiets, anxieux, furieux, corrects ou injurieux… Je réponds à tous et je mets un point d’honneur à répondre vite. Il en va de la crédibilité du service et du club, mais aussi ce dialogue est terriblement révélateur et prenant. Je quitte souvent le bureau, tard, fatigué, et découragé. « À quoi bon essayer d’expliquer et de justifier ? » m’arrive-t-il de penser quand un sentiment de mauvaise foi transparait sur l’écran ou quand une injure m’atteint… Mais aujourd’hui, cette période demeure un souvenir particulièrement riche et précieux dans un coin de ma mémoire » (p. 234).
Les caisses sont vides
Dans le même ouvrage, Patrick Robert écrit que « sur le plan des moyens, c’est aussi le flou le plus complet, voire l’impossibilité totale de débourser le moindre franc (…) L’équilibre des départs et des arrivées n’est pas de nature à améliorer sensiblement les finances loscistes ». Du côté des joueurs, seules deux recrues ont été confirmées pour le moment : Jean-Claude Nadon et Frédéric Lafond. Il faut tirer la sonnette d’alarme : « le 12, le directeur général est pensif et soucieux : « cette fois-ci, c’est sérieux dit-il. Je ne sais plus quoi faire : impossible de boucler la paie du mois de mai ! La mairie reste immobile. Il y a un blocage au crédit municipal. Que faire ? » ». In extremis, Claude Ghidalia, en discussion pour le renouvellement de la régie publicitaire décroche son téléphone et parvient à trouver un chèque d’1,5 MF. Ouf ! Le LOSC est sauvé… jusqu’à quand ?
Santini débarque
Une bonne nouvelle arrive en fin le 13 : le LOSC a trouvé un entraîneur : ce sera Jacques Santini.
Jacques Santini est un nom surtout associé à Saint-Etienne : milieu offensif arrivé au centre de formation de l’ASSE à 17 ans, il y a été pro à 20 ans. En pleine ascension, il s’arrache le ligament des genoux en septembre 1973, ce qui l’éloigne des terrains pendant de longs mois. À son retour, il peine dans un premier temps à retrouver une place de titulaire et joue surtout en D3. Il demande alors à être transféré, et lors de l’intersaison 1974, il est même annoncé par la VDN comme étant prêté à Lille.
Finalement, le prêt ne se fait pas ; Santini reste à l’ASSE et regagne une place de titulaire. Il est l’auteur d’un des fameux poteaux contre le Bayern en 1976 (de la tête, 39e). Par la suite, il devient même capitaine des Verts après le retrait de Jean-Michel Larqué. En 1981, il file à Montpellier, qui débute en D1, après avoir été de nouveau en contact avancés avec le LOSC d’Arnaud Dos Santos. Embêté par des problèmes récurrents aux genoux, il met un terme à sa carrière professionnelle en 1983 et devient entraîneur-joueur à Lisieux (D3) pendant deux saisons.
Il prend ensuite la direction de Toulouse en tant qu’entraîneur à part entière, en D1, en 1985. Son bilan y est mitigé. Le 19 juin, la VDN rappelle qu’« à ses débuts, il participa aux heures glorieuses du TFC avec la participation de ce dernier à deux coupes d’Europe » grâce à une 4e (1986) puis une 3e (1987) place. Le TFC élimine notamment le Naples de Diego Maradona (0-1 ; 1-0 ; 4-3 tab). Mais, par la suite, les deux dernières saisons de Santini ont été marquées par un recul au classement et, semble-t-il, des tensions avec certains de ses joueurs (Tarantini, Stopyra, Marcico) ; « aujourd’hui, les brillants résultats de ses débuts sont oubliés, tout un chacun mettant en exergue la saison réalisée en demi-teinte, Jacques Santini n’a été ni plus ni moins – et le phénomène est général dans les sports collectifs – que la tête de Turc qui a focalisé les résultat contradictoires et les malheurs du club » : cette phrase n’est pas très claire mais on croit comprendre que ça s’est moins bien passé et que, dans ces cas-là, quelle que soit la complexité des causes de performances en berne, l’entraîneur cristallise les mécontentements sur sa personne.
La mairie serre la vis
L’entraîneur signe un contrat de 3 ans le 13 juin et est officiellement présenté au cours d’une conférence de presse le 14. Son organisation est assez révélatrice de la reprise en main plus ou moins officielle du club par la mairie : Paul Besson, l’adjoint aux sports, est présent, aux côtés de Bernard Gardon, de Jacques Amyot et, bien entendu, de Jacques Santini.
Paul Besson, Jacques Amyot, Jacques Santini, Bernard Gardon
Selon la VDN, le LOSC s’engage désormais sur « la voie abrupte » : « le LOSC n’a pas ses aises sur le plan financier. Les chiffres, qui circulent sous le manteau, ne laissent planer aucun doute à ce sujet. Doucement mais sûrement, la situation a empiré (on parle de plusieurs milliards de centimes) ». Face à cette situation, la mairie ne souhaite pas mettre la main au portefeuille à chaque fois : le LOSC, oui, mais pas à n’importe quel prix. Le quotidien régional fait part de cette tendance récente où le politique met son nez dans le football, avec réussite quand les subventions sont à la hauteur (Strasbourg, Mulhouse, Montpellier) ou au risque de la relégation sportive quand la collectivité municipale se désengage (Sète, Lorient) : « d’aides annuelles en subventions exceptionnelles, de garanties d’emprunts en avantages matériels, les municipalités et les collectivités territoriales sont souvent devenues maîtresses du jeu. Et elles misent l’argent public avec plus ou moins d’entrain. Or, à Lille, le moins a désormais pris le pas sur le plus ! ».
Au cours de la conférence de presse, Paul Besson lance quelques phrases bien senties (« je ne suis ni Tapie, ni Bez. Simplement un homme de dossiers et de chiffres qui aime ce qui est équilibré ») qui donnent un éclairage suffisamment précis sur ce que sera la politique du LOSC dans les années à venir. Celle-ci tient en quelques mots : rigueur, économie, travail. Ceux qui attendaient des Dogues conquérants lancés à l’assaut de l’Europe devront encore patienter : « demain, on ne rasera plus gratis et il faudra se satisfaire d’objectifs à long terme, en s’appuyant sur des jeunes à défaut de vedettes hors de prix » (VDN, 15 juin). Commencé il y a un mois dans l’enthousiasme de la venue d’un « grand nom », cet intersaison se poursuit avec un atterrissage brutal et une reprise en main du club par la ville : « la situation financière catastrophique a été le catalyseur de cette mise sous surveillance déguisée ». S’appuyant sur des chiffres dont on ne sait pas comment ils ont été produits, Paul Besson avance que les Lillois ne représenteraient que 15 ou 16% des entrées à Grimonprez ; d’où un appel aux autres collectivités (communauté urbaine, département, région) pour aider le club que la mairie, seule, ne peut plus soutenir : « le LOSC est l’affaire de tous. Il coûte cher et il est grand temps que chacun ouvre son porte-monnaie » conclut l’adjoint aux sports.
Santini ambitieux
Dans ce qui peut sembler comme allant à rebours de cette austérité annoncée, Jacques Santini se montre assez ambitieux en évoquant une place « entre 5e et 8e » pour les deux prochaines saisons. Voici l’entretien complet accordé à la VDN, publié le 15 juin :
Comment jugez-vous l’effectif mis à votre disposition ?
Je dirais qu’il offre les sécurités nécessaires pour ne pas se précipiter. J’ai accepté de travailler sur un plan de 3 ans et la base qui m’est offerte me permet de voir venir. Il y aura forcément des améliorations à apporter, mais pressons-nous doucement.
Quel objectif vous fixez-vous ?
Il est difficile de se prononcer car la nouvelle politique prend en compte le moyen terme. Il importe, avant tout, de construire du solide, de renforcer les fondations de l’équipe. Cela dit, j’aimerais éviter les grosses cassures dans les résultats. Une fourchette comprise entre la 5e et la 8e place me semble une base intéressante pendant 1 ou 2 ans. Cela permettra aux jeunes de s’aguerrir, avant de passer à l’étape supérieure.
À quels grands principes obéissez-vous ?
En priorité, je fais confiance l’homme au-delà du joueur. Au travers des choix de l’entraîneur, il doit toujours retrouver la ligne tracée en commun. Je crois à l’honnêteté. À Toulouse, personne n’a jamais pu me soupçonner d’avoir dit blanc et fait noir.
Parlons de Toulouse justement. Avez-vous une revanche à prendre ?
Même si certains, en qui j’avais confiance, m’ont tourné le dos, je n’ai pas de compte personnel à régler. Mon seul véritable regret est d’avoir quitté le Téfécé sans avoir vu la progression des jeunes en qui je croyais.
Vous êtes donc un entraîneur qui a l’oeil un peu partout dans un club ?
Je m’intéresse à un maximum d’équipes. Un club, c’est une entité et pas seulement un groupe professionnel. Je sais déjà que les cadets du LOSC vont disputer, samedi, la finale du championnat de France. Eh bien sachez que les cadets toulousains la jouaient aussi lorsque je suis arrivé dans la cité des Violettes.
Êtes-vous quelqu’un de ferme ou d’arrangeant, de gai ou de torturé ?
De torturé, sûrement pas, même si d’aucuns le pensent. J’ai une idée précise de mon travail, de la politique à mettre en œuvre et j’essaie de m’y tenir, voilà tout.
Croyez-vous que le discours d’un entraîneur s’use vite ?
Beaucoup plus qu’à l’époque où j’étais joueur. Il faut essayer de ne pas se tromper dans le rapport avec les hommes. De ne pas prêter le flanc à des divergences ensuite insurmontables. Mais il est évident qu’au bout du compte, c’est toujours l’entraîneur qui prend les responsabilités. Et qu’il ne le fait pas forcément dans la facilité.
Êtes-vous préoccupé par votre image de marque ?
Oui et non. Qui dit football dit impact publicitaire, sponsoring, retombées : on ne peut l’ignorer. Il est donc utile de se forger une image puisqu’on appartient au produit. Mais je reste persuadé que le plus important est de ne pas changer au gré des événements. Vis-à-vis des gens avec qui l’on travaille, il ne doit y avoir qu’un profil.
Vous classez-vous dans la liste des entraîneurs prudents ?
Si pour remplacer Filip Desmet, dont on annonce le départ, je réclame un stoppeur, vous pourrez dire que je suis prudent…
De nouvelles secousses
Le groupe reprend le 19 juin. Et Jacques Santini doit avoir l’impression d’arriver en terrain miné : l’été est successivement marqué par le forfait de l’OM en dernière minute au tournoi du Stadium Nord, par le coup de pression de Bernard Tapie pour récupérer Pelé, par la bouderie de Vandenbergh, qui souhaite quitter le LOSC. Mi-juillet, répondant à la VDN qui lui demande s’il est « assailli de problèmes », Jacques Santini déclare : « ce n’est pas une situation facile, c’est vrai. Mais je suis là pour travailler. Dès lors, il ne faut pas baisser les bras (…) Je dis simplement que c’est dommage. Erwin Vandenbergh et Abedi Pelé sont deux éléments sur qui je comptais au départ pour respecter le plan de travail défini par la direction du club et la mairie de Lille. Or, aujourd’hui, le premier est là sans être là. Quant au second, il a plein de choses en tête qui doivent lui compliquer l’existence ». Quelques jours après, pas mécontent d’avoir gagné son bras de fer avec Tapie et retrouvant un peu de sérénité, Jacques Amyot revient avec un peu de recul sur ce drôle d’épisode.
Quel bilan tirez-vous de l’expérience belge ces dernières années ?
Je suis désolé qu’elle se termine comme cela. Je regrette, aussi, que le club n’ait pas parlé d’une seule voix dans l’affaire Heylens car la décision avait été prise à l’unanimité, quelques jours après Mulhouse. Cela dit, la Belgique est une bonne formule pour une région frontalière
La deuxième voix, c’est celle de Jacques Dewailly ?
Il n’y a pas deux directions au LOSC. M. Dewailly est le président directeur général et je suis le directeur général. Je sais jusqu’où je peux aller. J’avais dit clairement qu’il n’était pas question de renouveler le contrat Heylens pour 3 ans. Jacques Dewailly a, ensuite, adopté une attitude plus en retrait. C’est peut-être dû à une mauvaise information.
Vous voulez dire que sur un problème aussi important qu’un changement d’entraîneur, le président est mal informé ?
Inutile de faire rebondir le problème ! Je sais simplement qu’il nous faut, nous aussi, balayer devant notre porte.
Bon… Une éclaircie : les cadets sont champions de France, et le club entrevoit dès lors l’espoir de s’appuyer à court terme sur un réservoir de jeunes formés au club, ce qui peut être affiché comme étant une politique officielle, mais qui correspond surtout aux réalités économiques du moment : « la ville nous garantit un certain nombre d’emprunts et elle serait fortement endetté seulement si le LOSC stoppait son activité. Nous espérons éteindre cette dette par la nouvelle politique mise en place » rappelle Amyot.
Juste avant la reprise du championnat, Paul Besson monte de nouveau au créneau, comme un ultime rappel qu’il faudra se serrer la ceinture : « un total de 8 millions de francs est versé à l’ensemble des clubs sportifs de la ville ; environ 3 vont au LOSC. Il faut y ajouter l’entretien des installations de Grimonprez-Jooris qui est entièrement à notre charge. Ce n’est pas extraordinaire mais nous ne pouvons pas aller plus loin. Pour les prêts, nous sommes engagés à 50% depuis 1986.
Le LOSC est à un certain niveau. Si l’on veut qu’il grimpe quelques échelons, il faut que d’autres nous aident. La région et le département mais aussi les entreprises privées, car Lille est au carrefour de l’Europe. À nous de soigner les retombées et d’améliorer la communication.
Nous nous sommes donné 3 ans pour réussir. C’est peut être long pour les supporters mais cela correspond à 1992 ».
Un refrain bien connu, qu’on entendra bien au-delà de 1992.
Note :
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