Archiver pour mars 2021
Posté le 31 mars 2021 - par dbclosc
Un retour en D1 sans ambivalence
L’issue de la saison ne faisait guère de doute depuis un moment mais, le 31 mars 2000, en battant Valence 4-1, le LOSC rejoint officiellement la D1. Et loin de l’image du club claudiquant, boitillant, ou franchement sur le point de se casser la gueule des années 1990, le promu est en excellente santé. La victoire contre Valence signe donc un retour en D1 sans ambivalence.
Après deux échecs dans ses tentatives de remonter en première division, le LOSC repart lors de l’été 1999 pour une troisième saison consécutive en D2. Très rapidement, l’équipe trouve ses marques et le championnat ressemble à un cavalier seul pour le LOSC. On a parlé de cette saison dans cet article, et nos entretiens avec Fernando D’Amico, Grégory Wimbée, Patrick Collot ou Djezon Boutoille y sont également largement revenus. Intéressons-nous spécifiquement au match qui confirme officiellement la remontée du LOSC : Lille/Valence, le 31 mars 2000.
Deuxième fête à venir
Avant le précédent match à Grimonprez (contre Caen le 10 mars), Vahid Halilhodzic avait déclaré qu’en cas de victoire, la montée serait acquise. Ça n’aurait pas encore été vrai mathématiquement mais, sauf catastrophe, 3 points contre les Normands rendaient cette hypothèse tout à fait raisonnable. Et à vrai dire, cette hypothèse est crédible depuis des mois. Depuis la fin de l’été, quand Lille caracolait déjà en tête du championnat ; et, pourquoi pas, depuis la fin du championnat précédent, que le LOSC avait terminé en trombe (deuxième équipe sur les matches retour, derrière Sedan), même s’il avait échoué à la différence de buts.
Le LOSC a battu Caen (3-2) ; et, puisque le coach l’avait décrété et avait donc autorisé la fête – ou peut-être voulait-il subtilement que le public fête son président pour sa dernière -, le LOSC était en D1 et le public avait envahi la pelouse. Fêter une remontée alors que l’hiver n’est pas terminé, voilà qui est probablement inédit. Mais il est annoncé qu’il y aura une autre fête : après un nul à Cannes (2-2), il ne manque désormais que 2 points aux Dogues pour assurer mathématiquement leur retour dans l’élite (voire 1 seul si on considère que la différence de buts entre Lille et Ajaccio, 4e, – + 25 contre 0 – vaut 1 point). Autrement dit, une victoire face à Valence, et c’est réglé.
Motivés jusqu’au bout
Les Lillois ne risquent-ils pas de terminer la saison en roue libre, avec une telle avance, et donc de laisser filer leurs derniers matches ? Pour Frédérik Viseux, il en est hors de question : « il reste huit rencontres et nous allons les jouer à fond. C’est une question d’éthique vis-à-vis de nos adversaires ». Rappelons au passage que la saison précédente, Saint-Etienne, largement en tête, avait battu Lille lors de la 30e journée (3-2), et avait ensuite signé 4 défaites et 4 nuls sur les 8 dernières journées. Autrement dit, les Verts n’avaient pas franchement joué le jeu jusqu’au bout, et avaient même « offert » 3 points à Sedan (qui a terminé 2 points devant Lille). Évitons donc de renouveler ce lamentable exemple. Fred poursuit : « pour le match contre Valence, la motivation vient d’elle-même, car nous avons un petit sentiment de rachat après le match nul à Cannes. Nous nous devons de réagir. Pour les dirigeants, pour les supporters, pour nous-mêmes, ce serait très bien de faire la fête dès vendredi. Pour l’instant, entre les joueurs, rien n’est prévu. Nous improviserons. Ensuite, il restera ce titre de champion de D2. Sur une carte de visite, c’est autre chose qu’une simple montée avec Sochaux1. Nous avons à cœur de prouver que nous n’avons rien volé. Les retrouvailles avec le public se sont scellées en fin de saison dernière, lors de l’ultime match à domicile, contre Sedan. Cette année, il y a eu encore quelques ratés, comme lors de notre défaite contre Sochaux ou du match difficile contre Niort. Ce serait bien de réussir une vraie fête ensemble. ». Un joueur qui s’excuse presque pour un nul à l’extérieur et pour une laborieuse victoire à domicile : quelque chose a changé dans ce club.
Une formalité
Lors du match aller, drômois et nordistes se sont séparés sur un score nul (2-2). Pour cette 31e journée de championnat, 13 582 personnes ont pris place à Grimonprez-Jooris. Les Valentinois, que l’on percevait comme devant faire une saison tranquille dans cette D2, sont très mal en point : ils ont 19e, à 8 points de la place de premier non-relégable. Autant dire que, dans ces conditions, on se demande si la Drôme adhère à un boss (Denis Zanko, l’entraîneur).
Sur le terrain, le LOSC n’est pas du tout inquiété, et ouvre logiquement le score juste avant la pause par Bakari (43e), qui coupe au premier poteau un centre de Momo Camara, de nouveau prêté par Le Havre au mercato d’hiver.
La présence d’Alain Raguel en face n’y fait rien : le LOSC double la mise grâce à une affreuse sortie du gardien de Valence qui, pressé par Bakari, renvoie sur Boutoille, qui marque de loin mais dans le but vide (2-0, 61e).
Devant une faible opposition, Viseux s’amuse à droite et sert Boutoille : à l’angle de la surface, il envoie un extérieur du pied droit qui termine dans le filet opposé, quel beau but, quel homme (3-0 68e) !
Dans la minute suivante, un petit relâchement qui a dû gâcher la soirée d’Halilhodzic permet à Valence de marquer par Correia (3-1, 69e). « Et on s’en fout ! Et on s’en fout ! » chante le public lillois. Pour l’égayer davantage, Eric Assadourian entre en jeu et est encore, toujours, chaleureusement applaudi (75e). à quelques minutes du terme, l’envahissement du terrain se prépare : quelques dizaines, centaines (?) des supporters, notamment du côté des DVE, sont déjà sur le bord de la pelouse, prêts à bondir pour fêter leurs héros. C’est ce qu’ils finissent par faire, mais un peu prématurément : à la 90e, Jean-Louis Valois se trouve côté gauche et envoie une frappe en angle fermé qui termine dans la lucarne (4-1). C’en est trop pour les impatients qui se jettent sur le buteur et interrompent le match quelques minutes (car ce n’est pas fini). Tout revient vite dans l’ordre.
Un match interrompu pour envahissement festif, on n’avait pas vu ça à Lille depuis 1985 et un match de coupe contre Bordeaux. En revanche, un match interrompu pour envahissement « hostile », c’était 11 mois auparavant, contre Amiens : « tout va très vite dans le football ».
Y a de la joie
Cette fois, c’est bon ! Lille retrouve officiellement la première division. La pelouse de Grimonprez est envahie. Quelques joueurs sont portés en triomphe, puis toute l’équipe salue le public depuis le bas de la tribune « Officielle ». Halilhodzic et Dréossi terminent dans la piscine du vestiaire, qui n’avait pas dû servir de lieu de fête depuis un Lille-Lyon de 1996. Pour quelques 300 supporters, la fête se poursuit sur la Grand’Place, où on retrouve « Nicolas, de Marquette » , qui estime que, comme le LOSC est trop fort, la fête manque de spontanéité : « la saison a été tellement exceptionnelle que le suspense a été tué trop vite. Cette accession n’a été une surprise pour personne et du coup il n’y a pas l’euphorie qu’il y aurait pu y avoir si tout s’était joué le dernier soir ».
Il y a de la joie chez les Lillois. Que l’on regarde les propos rapportés par la Voix du Nord ou par le Magazine du LOSC de mars 2000, on souligne, outre les excellents résultats – un record à l’époque – le lien retrouvé entre le LOSC et son public : « on a gagné une grande bataille, on a nos supporters ! Auparavant on se moquait du club. C’était un éternel sujet de rigolade. Aujourd’hui, on le respecte. On retrouve du plaisir à son contact. Notre plus belle victoire est là » (Halilhodzic) ; « s’il ne fallait retenir que deux choses de cette saison, c’est d’abord que nous avons un groupe fantastique et ensuite que le club a réussi à se réconcilier avec son public » (Dréossi) ; « une vraie amitié nous unit » (Wimbée) ; « cette saison est fantastique » (Viseux).
Sur de bons rails
« Je souhaite de tout cœur bon vent au futur LOSC » déclare le désormais ex-président Lecomte. Sous la présidence Lecomte, il s’est fortement professionnalisé et a, semble-t-il, placé les bonnes personnes aux bons endroits. Outre Pierre Dréossi, citons :
Jean-Charles Canonne, président de l’association LOSC, qui définit et met en oeuvre la politique de pré-formation et de formation, la politique sociale ainsi que le partenariat avec les clubs de la métropole et de la région.
Philippe Lambert, préparateur physique ;
Jean-Michel Vandamme, responsable de la pré-formation et de la formation ;
Jean-Noël Dusé, entraîneur des moins de 17 ans et, avec son épouse, en charge du centre de formation ;
Rachid Chihab, entraineur des moins de 15 ans ;
Eric Guérit, entraîneur de la CFA ;
Michel Robillard, entraîneur de la PH ;
Jean Paul Delporte, chargé des relations avec les clubs partenaires.
Notons aussi que, cette saison-là, le LOSC atteint la finale de la coupe Gambardella, un an après en avoir été éliminé en demi-finale ; Maton et Delpierre sont sélectionnés équipe de France des moins de 18 ; Coque et Moussilou en moins de 17.
En outre, depuis quelques années, le LOSC s’est rendu visible, sous l’action notamment de Michèle Lecomte : on se rappelle les campagnes d’affichage en ville inaugurés dès la saison 1997/1998 avec le portrait de Jean-Marie Aubry, la mise en place d’une boutique à Euralille (jusque janvier 2000) avec la venue régulière de joueurs ; ou cette année, le retour d’un mensuel – de qualité – distribué gratuitement au stade, en plus de l’habituelle feuille de match. En D2, le LOSC a, à chaque saison, battu son record d’abonnés, pour arriver à 3 600 en cette saison 1999/2000.
Derrière Vahid
Sur le terrain de l’équipe première, le travail d’Halilhodzic est unanimement reconnu. Ce LOSC-ci a le luxe de pouvoir préparer la saison prochaine de façon très précoce. L’entraîneur dresse donc une feuille de route et prévoit quelques ajustements au niveau de l’effectif : « le cycle de la Division 2 se termine plus tôt que prévu. Il faut se préparer à en aborder un autre qui n’a rien à voir avec le précédent. Mis à part Sedan, qui évolue dans un contexte particulier -une petite ville et un petit stade – et dont on ne sait pas si la spirale de succès assez extraordinaire va durer, les deux autres promus de l’an dernier, Troyes et Saint-Etienne, sont à la peine. De même que Nancy, monté l’année précédente. Si l’on revient un peu plus loin en arrière, Lorient et Sochaux ne sont pas restés longtemps en D1. C’est pourquoi je dis que notre objectif, après la montée, sera d’abord le maintien (…) La D1, c’est plus ma spécialité. Pour ma part, en tant qu’entraîneur, je sais que l’équipe doit se renforcer. Dans toutes les lignes, il nous faut un apport d’expérience et de qualité technique. Je suis conscient que notre volume de jeu actuel est insuffisant pour la 1e division. Et il faut savoir que ceux qui peuvent nous donner un plus dans ce domaine coûtent cher. À mon sens, pour la saison prochaine, un groupe de 23 ou 24 joueurs professionnels est nécessaire, auquel il convient d’ajouter 3 gardiens. Dans cet effectif, chacun doit pouvoir apporter à tout moment sa contribution ».
Vahid en profite aussi pour mettre la pression aux nouveaux dirigeants : « je ne suis pas le Père Noël, ni le représentant d’une œuvre sociale. Quotidiennement, je dois faire des choix. Exigeant, je le suis. À ce niveau, l’improvisation se paie cash. Je l’ai dit aux nouveaux propriétaires. J’ai une vision sur 4 ans avec des étapes de transition visant à réinstaller le club en D1, à lui éviter les dégâts d’une nouvelle dégringolade ; puis à le faire évoluer. L’argent devra suivre. L’amélioration de nos installations aussi car le stade fait partie de nos ambitions. Jusqu’ici, rien de concret n’est vraiment conclu. Pour voir plus haut et avoir d’autres ambitions, il faudra attendre et prendre les moyens appropriés. On ne devient pas un grand club du jour au lendemain ».
Pendant que ça bosse en coulisses, les joueurs se réjouissent d’avoir encore 7 matches à jouer pour le plaisir. Et, pour ceux qui ont connu la D1 avant la descente, comme Pascal Cygan, la satisfaction est d’autant plus grande : « voilà, j’ai remis le club où je l’avais laissé en arrivant. C’est bien. Mais ce n’est pas un exploit… Le plus dur, ce sera la saison prochaine, et l’exploit, ce serait de se qualifier pour une coupe d’Europe ! ».
Un résumé de Lille/Valence, et bien plus :
1 Ce n’est pas une attaque gratuite contre Sochaux : Fred Viseux était l’arrière droit du FCSM en 97/98, l’année où les Doubistes ont fini troisièmes, un point devant Lille. Que de souvenirs !
Posté le 27 mars 2021 - par dbclosc
1946, Lille coiffe ses adversaires pour une première coupe
Quelques semaines avant de remporter son premier championnat en 1946, le LOSC avait enlevé la coupe de France, à l’issue d’un parcours semé d’embûches, et ponctué par une victoire en finale contre le Red Star. Un grand club est né !
Pour le côté championnat de l’année 1946, auquel nous faisons quelques références ici, nous vous conseillons de lire cet article.
Si le championnat 1944/1945 était encore un championnat « de guerre », la coupe de France de cette saison est, elle, tout à fait officielle. Le jeune LOSC s’y est hissé en finale, concédant la défaite contre le RC Paris (miraculeusement renforcé par des militaires rapatriés d’Algérie en dernière minute). Cette nouvelle édition de la compétition est donc la deuxième depuis la Libération : 884 clubs s’y engagent au départ. Pour le LOSC, la coupe de France 1945/1946 commence en janvier, au moment où il ne reste que 64 clubs, autrement dit au moment des 32e de finale.
Les affiches des 32e déterminées par la fédération
Il reste 38 clubs professionnels et, donc, 26 amateurs. Pour ces 32e, apparaissent notamment les clubs de Division Nationale (la D1), ainsi que deux clubs amateurs, « récompensés » de leur beau parcours la saison précédente (Arago d’Orléans et Cazères).
Pour son entrée en lice, le LOSC se déplacera à Raismes. Un match a priori facile… et voulu comme tel, puisque c’est la fédération elle-même qui a déterminé les matches. Officiellement, cette manière de faire vise à limiter la longueur des déplacements, et donc à réduire les frais. Mais la lecture du tableau des matches fait vite apparaitre que dans la grande majorité des cas, la fédération a fait en sorte d’opposer les clubs amateurs à des clubs professionnels : on compte ainsi 23 matches pros/amateurs, seulement 8 matches entre pros, et un seul entre amateurs. La Voix du Nord relaie une protestation des clubs amateurs qui souhaitent un tirage au sort dès les 32e (c’est prévu pour le tour suivant), sans quoi ils sont « jetés en pâture à l’appétit des professionnels qui trouveront en eux une proie facile ».
La région Nord-Pas-de-Calais compte encore 11 clubs engagés dans la compétition : 6 amateurs (Raismes, Aniche, US Tourcoing, Auchel, Bully, Carvin) + 5 professionnels (Lille, Amiens, Lens, Valenciennes, le CORT).
Comme attendu, lors de ce premier week-end de janvier 1946, « la FFF a maintenant atteint le but qu’elle poursuivait en établissant avec un soin méticuleux le calendrier des 32e de finale de la coupe » : les amateurs sont décimés puisque 20 d’entre eux passent à la trappe ! Parmi eux, Raismes, battu chez lui 3-0 par le LOSC. Devant 3 000 personnes, les Dogues n’ont pas vraiment souffert, hormis du « froid vif » et du terrain « très gelé », et la Voix du Nord souligne un état d’esprit exemplaire entre les deux équipes : « en général, les professionnels ont une mauvaise opinion des amateurs. Ils ne se cachent pas pour les qualifier de démolisseurs. Ce match s’est déroulé dans une correction exemplaire de part et d’autre. L’arbitre n’eut à intervenir que 5 fois pour sanctionner des fautes bénignes ». il faut dire que l’affaire est vite réglée : Vandooren, d’entrée de jeu, puis Lechantre (21e), et Bihel (28e), dessinent précocement une qualification sans anicroche. Il semble cependant que quelques joueurs du LOSC se soient laissés aller à la facilité, ce qui aurait pour fâcheuse conséquence, à une époque où le foot n’est pas télévisée, de donner une vision biaisée de ce sport à celles et ceux qui n’y ont pas régulièrement accès : « nous aurions aimé voir de longues passes dans le trou à l’homme démarqué. Les inters lillois firent l’inverse, dribblant, feintant, faisant des arabesques inutiles. C’est regrettable, car ils laissent au public de l’Escaut une fausse conception du football moderne. Baratte et Tempowski auraient pu mieux servir la cause du football s’ils avaient fait abstraction de leur personnalité ».
Bref, Lille, après avoir assuré l’essentiel, se fait plaisir. En seconde période, « le jeu est plus égal », « chaque équipe donne l’impression de jouer en dessous de ses moyens ».
Nancy, de justesse
Le tirage au sort accouche d’un Lille/Nancy pour les 16e de finale. A priori, c’est un tirage favorable car Nancy est en deuxième division. Mais Nancy est leader de sa division (groupe Nord). Le match se déroule à Reims le 3 février et les Dogues se présentent avec la composition suivante :
Hatz ;
Jadrejak, Sommerlynck ;
Bourbotte, Prévost, Carré ;
Baratte, Tessier, Bihel, Tempowski, Lechantre.
Sur un « sol détrempé », le LOSC réalise une première période de haute volée, même si ce sont les Lorrains qui marquent les premiers par Telepski. Mais une minute plus tard, Lechantre égalise ; la VDN observe une « supériorité tactique et technique absolue des Lillois », qui marquent encore par Bihel, puis Baratte. « De tous côtés fusaient des approbations enthousiastes, tant les spectateurs étaient ravis par le spectacle que leur offraient les joueurs lillois » ; est particulièrement saluée la prestation de François Bourbotte qui « renvoyait la balle vers ses avants avec une régularité de machine ». A la pause, les Dogues mènent 3-1 : « « quelle différence entre le football de première et de deuxième division » disait-on autour de nous ».
Mais ça va moins rigoler en seconde période : « Nancy attaque avec fougue, de toutes les manières à la fois. Les Lillois, décontenancés, ne parviennent plus à assurer leur jeu ». Nancy revient à 2-3 à la 79e minute. « La fin du match, dans la boue, se fait un peu à l’arrachée », mais Lille parvient à garder son avantage et à se qualifier pour les 8e. Les Dogues sont les derniers survivants nordistes de la compétition. Même si l’équipe a montré deux visages, la VDN parie que « nos Lillois, s’ils veulent vraiment s’en donner la peine, iront en finale cette année encore ».
Rouen, service minimum
Le jeudi 14 mars, pour les 8e de finale, le LOSC se rend de nouveau à Reims, cette fois pour y affronter Rouen, une équipe de D1 contre qui Lille a perdu en championnat (1-2). Le match aurait initialement dû se jouer le 3, au moment où Lille était en pleine bourre (après sa série de 5 victoires et 21 buts marqués). Mais la défaite à domicile face à Rennes (2-5) a refroidi l’enthousiasme. Le LOSC aligne l’équipe suivante :
Hatz ;
Méresse, Sommerlynck ;
Bourbotte, Prévost, Carré ;
Baratte, Tessier, Bihel, Tempowski, Lechantre.
Dans un match fermé, « la ligne d’avants lilloise ne parvint jamais à organiser son jeu comme elle sait si bien le faire en certaines occasions. Mais elle s’est heurtée à la plus rude défense qu’il soit possible de concevoir (…) Duhamel demeure un adversaire déloyal et brutal ». Mais à la 33e minute, Baratte parvient à déjouer l’attention du fameux Duhamel et à marquer le seul but du match : « Baratte, qui hésite à se lancer contre Duhamel, qui l’a déjà heurté durement, parvient à dribler Wicart et trouve, subitement, le champ libre devant lui. Il se rabat tandis que Duhamel le poursuit. L’arrière rouennais a une chance de parer au danger, mais il lui faut pour cela « jouer » la balle et non l’homme. C’est ce dernier parti qu’il prend. Baratte esquive le coup, se déplace légèrement, garde le contrôle de la balle et, de près, du pied gauche, il bat le portier Dambach. Ainsi donc, Rouen doit sa défaite à l’action mauvaise de son arrière ».
En seconde période, le match est toujours aussi fermé est équilibré ; Hatz réalise quelques arrêts rassurants, et Lille passe l’obstacle ! « Un grand match de football, cette rencontre de coupe ? Non. Mais une lutte ardente, farouche, impitoyable, qui ramena tous les hommes, indistinctement, Nordistes et Normands, littéralement fourbus dans les vestiaires ». La VDN salue la performance de tous les joueurs Lillois (« il faut les associer tous dans les mêmes éloges ») mais souligne en particulier celle de Hatz, « remarquable », et de Bourbotte qui « fut incontestablement l’homme de coupe le plus fort des 22 joueurs ».
Ainsi, Lille avance vers la finale. Mais, on l’a vu, en cette mi-mars, le LOSC a un gros coup de mou en championnat (3 défaites consécutives), et se pose la question de la condition physique des joueurs, sollicités pour le championnat, la coupe, et les sélections (Bihel avec les A, Baratte avec la Flandre) : « qu’on y prenne garde, Lille peut remporter la coupe et il se trouve sur la bonne voie pour gagner le championnat : mais les dirigeants du LOSC devront ménager leurs meilleurs éléments s’ils veulent parvenir à un tel résultat ».
Le Racing, au bout du suspense
« Le sort ne ménage pas les joueurs du LOSC : il met en travers de leur route ses concurrents les plus redoutables » déplore la Voix du Nord. Se dresse en effet sur la route des Dogues le Racing Club de France, pour un remake de la finale de coupe 1945. Surtout, une semaine avant ce quart de finale, les deux équipes se sont affrontées en championnat, et le Racing l’a emporté (2-1), confirmant sa victoire du match aller (1-0). Dès lors, « seuls sont optimistes, quant à l’issue du match, les joueurs du LOSC et leur entraineur Georges Berry. Partout ailleurs, la défaite du LOSC est envisagée avec certitude ».
Le match se joue à Bordeaux, là où Lille, un mois auparavant, a réussi une démonstration face aux Girondins (5-1). Le public bordelais semble alors prendre fait et cause pour les Dogues, très applaudis lors de leur apparition sur le terrain. Au niveau de la composition, Berry innove en plaçant Sommerlynck parmi les cinq avants, tandis que Tempowski est relégué sur la touche.
Et cela semble une bonne idée : à la 25e minute, Sommerlynck intercepte une passe en retrait de Fleurian vers Jordan et ouvre le score pour Lille ! La VDN relate un match serré, ouvert, dont l’issue est incertaine. Un but de Baratte est refusé pour, semble-t-il, une charge ; en seconde période, Bihel trouve la barre puis, à la 72e, les Parisiens égalisent par Vaast, de la tête. Il faut jouer une prolongation. Au cours de celle-ci, les Dogues semblent prendre l’ascendant, et cela se concrétise à la 107e quand René Bihel, d’un retourné, marque le but de la victoire. « J’ai dansé de joie sur la touche quand Bibi marqua, de manière incomparable, le but de la victoire » se réjouit Tempowski. « Il n’y a plus de signe indien » déclare le capitaine Bourbotte : Lille bat enfin le Racing et s’ouvre la route des demi-finales ! « Nous avons eu la première mi-temps pour nous, déclare Berry. Le Racing a eu légèrement l’avantage en deuxième mi-temps. Mais durant les prolongations, notre supériorité fut évidente et les réactions du Racing furent nulles après le but de Bihel (…) Cette victoire efface notre échec en finale de coupe l’an dernier ». Bon, pas complètement car la coupe 1945 est définitivement perdue, mais l’horizon se dégage pour une victoire cette année.
Le carton des demies
L’horizon se dégage d’autant plus que, cette fois, le tirage au sort est favorable aux Lillois. Ils affronteront à Colombes, Clermont, club de D2, qui a battu de manière aussi nette qu’inattendue Bordeaux (4-1) en quarts. L’autre demi-finale oppose le Red Star au Stade Français (D2, qui a éliminé Marseille, D1). Et ce match aura lieu… à Fives ! Une petite récompense de la FFF à la ville de Lille, mais c’est la dernière fois car, à l’avenir, « les rencontres comptant pour les quarts ou les demi-finales de coupe seront attribuées à des villes possédant un stade ayant des aménagements dignes de l’importance de ces rencontres ». Autrement dit, ça reviendra à Paris, Marseille, Reims, Bordeaux ou Lyon. La Voix du Nord espère donc que la municipalité règlera ce problème dans les plus brefs délais.
30 000 personnes assistent à ce LOSC/Clermont à Colombes. Voici les compositions :
Le LOSC propose une « éblouissante démonstration de football », en marquant dès la 40e seconde par Bihel, puis en doublant la mise à la 6e par Tempowski. Par la suite, les Clermontois « réagissent vigoureusement » : ils dominent pendant un quart d’heure et réduisent l’écart par Gévaudan (16e). C’est bête. Le jeu est alors « assez équilibré » jusqu’à la pause, sifflée sur le score de 2-1 pour Lille. « Mais les Auvergnats ne sont pas de taille à tenir longtemps cette cadence » ils s’effondrent en seconde période et les Dogues s’en donnent à cœur joie : Tempowski (50e), Vandooren (60e), Bihel (70e), Tempowski encore (74e), puis Lechantre (85e) portent la marque à 7 à 1. Le LOSC est en finale, contre le Red Star ! « Deux années de suite, avec le même entrain, les hommes de Louis Henno ont lutté vaillamment en vue de ramener dans notre région la fameux trophée. Une première fois, ils en ont été empêchés par un Racing qu’ils ont eux-même éliminé, cette année. De nouveau, la grande finale va mettre aux prises Parisiens et Nordistes. La région du Nord et celle de la capitale sont bien les deux grands centres du football français ».
La bonne blague de la Voix du Nord
Le LOSC s’est remis dans la course au titre en championnat, en écrasant les Verts (8-0). Cependant, ses quelques matches en retard le placent en position de poursuivant. En ce dimanche 26 mai, les Dogues vont donc encore prendre du retard en D1, mais à court terme l’objectif est de remporter la coupe qui avait échappé au club l’an dernier. Forts de leur expérience, les dirigeants lillois basent leur entraînement sur la condition physique. Le stade Jules-Lemaire se transforme alors en « saute-moutondrome » :
Les Lillois se réunissent au siège du club, l’Aubette, le jeudi 23 mai à 13h, juste avant leur départ en train pour Paris. C’est l’occasion de recueillir quelques confidences. On apprend ainsi que Bolek Tempowski est content, car sa mère et son frère assisteront à la rencontre :
« Elle est folle de joie, la mère. Ce n’est pas le match qui l’intéresse le plus, c’est la perspective d’aller dans la tribune présidentielle, où elle verra le chef du gouvernement. Aussi va-t-elle faire toilette. Mon frère lui a offert un beau chapeau, et moi un foulard de soie. Elle n’a jamais vu un match de football. Elle dit que c’est trop brutal.
_Et ton père n’en sera pas ?
_Non. Il gardera la ferme. Son tour viendra la prochaine fois.
_La prochaine fois ?
_Oui, l’an prochain, car nous serons de nouveau finalistes. Il m’a dit bon courage, mon garçon, et tâche de gagner : ta prime nous permettra d’acheter une vache de plus ».
Il paraît que cette séquence fait hurler de rire les coéquipiers qui en sont témoins.
Joueurs et dirigeants se rendent ensuite en gare Lille-Flandres, acclamés par quelques dizaines de supporters. Louis Henno refuse de dire où séjournera le LOSC : « l’an dernier, à Paris, des centaines d’admirateurs ont assailli notre cantonnement la veille du match. Nos hommes en ont souffert. Cette fois, nous irons « dans le bled », à 30 km de Paris ». La VDN relate que des journalistes parisiens se disent prêts à prendre en chasse l’autocar qui emmènera les joueurs du LOSC à leur arrivée à Paris, puis indique : « peut-être savent-ils déjà que l’équipe se rend à Vert-le-Grand, petite localité des environs de Corbeil ! ». Bah merci la Voix du Nord, à la solde du complot !
Mais, dans son édition du lendemain, la VDN titre :
Maisons-Lafitte, et non Vert-le-Grand alors ? « Il fallait attendre le départ des joueurs avant de révéler leur lieu de séjour « et, au besoin, avait dit Marcel Dassonville1, d’aiguiller les importuns sur une fausse piste… ». C’est ce que nous avons fait ». Voilà donc comment le club et la presse locale travaillent main dans la main pour le triomphe final. Apprenant le subterfuge, Baratte, Prévost et Carré « éclatent de rire quand Dassonville leur apprend qu’ils ont joué à cache-cache avec les journalistes parisiens ». Décidément, entre les parties de saute-mouton, de cache-cache, et les aventures fermières de Tempowski, le groupe vit bien.
En route vers le doublé
En ce 26 mai, au stade de Colombes, madame Tempowski a de quoi être satisfaite : dans les tribunes, pleines (tout comme les 10 000 supporters lillois), on note la présence de, prénom de chat et nom de cochon, Félix Gouin, président du gouvernement provisoire ; Gaston Roux, commissaire général à l’EPS ; et un tas de grosses légumes comme des parlementaires du Nord et du Pas-de-Calais. Boucquey et Thellier de Poncheville, présidents d’honneur du LOSC, Huet, président actif, Henno, président de la section football, sont présents, de même que d’anciennes gloires du foot nordiste comme Raymond Dubly et Maurice Gravelines.
François Bourbotte présente à Félix Gouin, très impressionné, Bihel, Baratte, Vandooren, Prévost et Carré
15h : c’est parti pour la finale Lille/Red Star ! Supérieur, le LOSC marque par Tempowski (12e), puis par Bihel, qui suit une frappe détournée de Vandooren. 2-0 à la pause : ça sent bon !
Mais Aston marque dès la reprise pour les Parisiens ; qu’à cela ne tienne, Vandooren marque un troisième but juste après (3-1, 50e). Le LOSC maîtrise mais encaisse un but à la 70e, malgré les protestations des Dogues qui ont vu un but de la main de Leduc. 3-2, « le moment est critique : une envolée, un shoot heureux, et le Red Star peut obtenir l’égalisation ». Mais en fin de match, Lechantre trouve Vandooren (4-2, 87e). Le LOSC remporte sa première coupe de France !
Les Lillois sont de retour en gare de Lille-Flandres le lundi 27. Initialement attendus à 17h53, ils arrivent en fait à 17h21. Près de 10 000 personnes les attendent et l’équipe : « immédiatement chargés de gerbes de fleurs, tirés à hue et à dia, interviewés par Augustin Charlet, au micro de Lille, fêtés par des délégations d’anciens internationaux, de postiers, de policiers sportifs, les vainqueurs de la coupe parvinrent, enfin, sur la place de la Gare, noire de monde. Alors, ce fut du délire. Derrière la clique des gardiens de la paix, un cortège s’improvisa, défila entre des haies compactes d’admirateurs qui applaudissaient ».
De gauche à droite : Joseph Jadrejak, Roger Vandooren (qui masque François Bourbotte), George Berry, Jean Baratte, Jean-Marie Prévost, Marceau Sommerlynck, René Bihel, et le petit gars qui se déplace à tous les matches avec son écriteau qui permet de légender plus facilement les photos d’archives.
Remontant d’abord la rue Faidherbe, l’équipe de LOSC se rend ensuite au monument aux morts de la place Rihour.
Le mardi 28, les joueurs sont accueillis au siège de la Voix du Nord.
Le 29 mai, un nouveau défilé est improvisé en ville à l’occasion d’une réception à la mairie : « tout au long du parcours, rue Faidherbe, place du théâtre, rue de la Bourse, place du général De Gaulle, rue des Manneliers, de Paris, Gustave Delory et Saint-Sauveur, les sportifs lillois témoignent leur allégresse par des hourras frénétiques, des acclamations et des « Bravo Lille ! Vive le LOSC ! » fusent de toutes parts ».
En mairie, Louis Henno attribue la victoire à la fusion OL/SCF, qui a doté la ville d’un club puissant qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : dès demain, le 30, le LOSC, en quête du titre et donc, du doublé, reçoit Rouen. Il est donc temps de se disperser sur l’air du « P’tit Quinquin » : les prochaines occasions de faire la fête ne manqueront pas.
Un résumé de la finale Lille/Red Star :
Posté le 26 mars 2021 - par dbclosc
1946 : Lille, champion du calendrier
Si le premier titre de champion du LOSC en 1946 ne souffre aucune contestation tant les Dogues ont montré leur supériorité, notamment contre leurs rivaux stéphannois, il a été obtenu dans des conditions où le LOSC s’est retrouvé le plus souvent en position de « chasseur », la faute à un calendrier mal foutu.
Le championnat 1945/1946 est le premier championnat « officiel », après quelques saisons marquées par des championnats dits « de guerre » (pour rappel, il y a eu une guerre mondiale entre 1939 et 1945). Lors de la saison précédente (1944/1945), le LOSC, issu de la fusion entre l’Olympique Lillois et le SC Fivois, s’est classé 5e du groupe « Nord » et a atteint la finale de la coupe de France. Le LOSC a pourtant tenu tête durant les trois quarts de la saison à ses principaux concurrents, le Red Star et Rouen, avant de s’effondrer dans le sprint final. L’équipe montre en tout cas de belles promesses et, dans une configuration de championnat « normale », on se dit que le LOSC est bien placé pour faire bonne figure. Lors de l’intersaison, on note notamment un changement de gardien : Georges Hatz, venu du Red Star, remplace Julien Da Rui, parti à Roubaix-Tourcoing. Emmenés par leur capitaine, François Bourbotte, ancien capitaine de Fives, les Dogues se positionnent très rapidement parmi les premières places.
Au début de l’année 1946, nous sommes à la moitié de la saison (17 matches joués), le LOSC est deuxième, avec 23 points (la victoire vaut 2 points). Devant, Saint-Etienne a pris une bonne avance (27 points) : Les Verts ont le plus grand nombre de victoires (13), la meilleure attaque (55 buts marqués). Ils sont poursuivis par le gang des Nordistes : les Lillois, d’abord, s’appuient notamment sur une excellente défense, la meilleure du championnat (22 buts encaissés), et sur une attaque au sein de laquelle brillent particulièrement René Bihel et Jean Baratte ; à la troisième place, on trouve Lens (qui a battu Saint-Etienne 6-1) ; et Roubaix-Tourcoing (qui a aussi battu les Verts) se place quatrième.
On le voit, Saint-Etienne possède une avance assez importante. Sur la phase retour, le LOSC recevra tous ses concurrents directs et aura ainsi la possibilité de prendre sa revanche sur le leader, chez qui les Dogues avaient pourtant mené avant de s’incliner 1-2 : « l’ambiance contraire du stade stéphanois avait été un handicap très rude » souligne la Voix du Nord. La première journée de l’année civile 1946 voit la défaite des deux premiers (Lille perd 1-2 à Cannes, et Saint-Etienne perd 2-3 à Roubaix-Tourcoing). Les Dogues vont ensuite appuyer sur l’accélérateur.
Les problèmes de calendrier
La Voix du Nord voit désormais chaque journée de championnat comme un « nouvel assaut contre Saint-Etienne ». Mi-janvier, à Henri-Jooris, le LOSC bat Montpellier 4-0, et profite de la défaite de Saint-Etienne à Marseille (2-4) pour revenir à 2 points des Verts (25 points contre 27).
La semaine suivante, le LOSC est censé recevoir Metz, mais l’arbitre considère, deux jours avant la date prévue, que ni Henri-Jooris, ni Jules-Lemaire, ne sont praticables. Cette décision est jugée « regrettable » par la Voix du Nord, sur son principe même, le quotidien rappelant que le football est un « sport d’hiver » ; le journal note ensuite qu’« il est étonnant qu’une telle mesure soit prise le vendredi alors que la couche de neige recouvrant les terrains de jeu s’amenuise de plus en plus et que la météorologie prévoit une amélioration des conditions atmosphériques ; elle ne nous annonce, tout au moins, ni gel ni chute de neige » ; enfin, le report du match, au moment où les enjeux se précisent et où Lille semble en mesure de chasser Saint-Etienne fait que « les Stéphanois, même battus, demeureront premiers (…) Le championnat coupé en deux tronçons perdrait son attrait » : mieux vaut donc jouer ce Lille/Metz au plus vite « ce qui nous évitera d’avoir un championnat boiteux »
Ce report est en tout cas le premier, et pas le dernier. Et ceci va nous offrir une fin de saison assez curieuse, dont la plupart des lectures a posteriori ne rendent pas compte précisément. Nous y reviendrons. En attendant, la bonne nouvelle, c’est que Saint-Etienne perd de nouveau, à Rouen.
21 buts en 5 matches
De retour sur les terrains, le LOSC s’impose face au Havre (2-1) lors de la 21e journée. Et comme Saint-Etienne ne gagne plus (0-0), Lille revient à un point du leader et est, avec ce match en retard à jouer, même virtuellement en tête.
Le LOSC enchaîne ensuite contre Lens (3-1) dans un match dont nous avons relaté les circonstances. Et, cette fois, les Dogues prennent la tête, profitant d’un nouveau point perdu par les Verts. Cette victoire contre le voisin écarte les Sang & Or, qui progressivement ne seront plus en mesure de concurrencer le LOSC. Allez, salut hein !
Le match en retard contre Metz est fixé le 21 février à Jules-Lemaire, où se joueront d’ailleurs tous les matches à domicile jusqu’à la fin de saison, puisqu’Henri-Jooris est désormais en phase de rénovation. Lille gagne 7-0, avec notamment un quadruplé de Bihel, et confirme ainsi « de manière éclatante ses droits à la première place du classement de la division nationale », selon le quotidien régional. Ignace, joueur du FC Metz, a été impressionné par la qualité des Lillois : « il n’y avait rien à faire. Telle qu’elle est formée, l’équipe du LOSC est, de très loin, la meilleure de France. Elle est comparable au meilleur Sochaux d’avant-guerre ». Puis Lille s’impose encore largement à Bordeaux (5-1) à la grande joie de son entraîneur, George Berry : « notre équipe a fourni une démonstration de football que les bordelais ne sont pas près d’oublier ». Avec cette superbe série de 5 victoires consécutives au cœur de l’hiver, avec 21 buts marqués, tout en profitant de la baisse de régime de l’ASSE, le LOSC compte désormais 4 points d’avance sur ses premiers poursuivants. Il reste 11 matches.
La crainte de l’effondrement
Mais les Dogues connaissent ensuite trois revers consécutifs. Le premier, surprenant, à domicile contre Rennes, sur un score sévère (2-5). On craint que cette défaite ne soit le symptôme d’un baisse de vigilance des Lillois. La Voix du Nord souligne qu’« « on avait tellement pris l’habitude de voir les Lillois triompher qu’on en était arrivés à ne plus craindre aucun de leurs adversaires. Des succès répétés contre Lens, Metz, Bordeaux, l’aisance avec laquelle les hommes du LOSC jouaient devant nous, les mettaient à l’abri du doute (…) Il est mauvais de vivre dans la facilité, dans l’aisance. C’est la crainte de l’échec qui donne, le plus souvent, force et prudence aux hommes ». Par bonheur, Saint-Etienne a aussi perdu, mais ensuite Lille s’incline encore au Racing (1-2), puis contre Roubaix-Tourcoing (0-2). Même si le LOSC garde la tête, devant Saint-Etienne, à la différence de buts, est-il en train de s’effondrer ?
Dans cette configuration, le match Lille/Saint-Etienne est évidemment très attendu : or, il aurait dû avoir lieu début avril, entre les deux défaites au Racing puis face au CORT, mais il a été reporté en raison de l’organisation du match France/Tchécoslovaquie, au cours duquel un joueur de chaque équipe a été sélectionné (Antoine Cuissard pour les Verts, René Bihel chez les Dogues). En outre, le match du LOSC à Sochaux a également été reporté en raison de l’engagement des Dogues dans la coupe de France ; et enfin, le match ASSE/Metz a lui aussi été reporté. Voilà donc quelle est la situation fin avril : en championnat, Lille et Saint-Etienne sont en tête avec 33 points, mais le LOSC est devant à la différence de buts. Ces deux équipes comptent deux matches en retard, parmi lesquels une confrontation entre elles. Logiquement, le classement s’en trouve resserré, et Lens et Reims pointent leur nez.
Le LOSC est par ailleurs qualifié pour la finale de la coupe de France. Cette réussite a ses inconvénients : les joueurs sont très sollicités. Si le LOSC accepte volontiers de répondre à l’invitation de la fédération belge pour affronter l’équipe nationale B à Saint-Gilles, on note aussi, écrivions-nous plus haut, la sélection de Bihel en équipe de France, ainsi que celle de Baratte dans l’équipe du Nord qui bat l’équipe du Sud-Ouest en avril (7-1). Cela peut-il influencer la fin de saison des Dogues ?
Le carton contre Saint-Etienne
Le mercredi 1er mai 1946, le stade Jules-Lemaire de Fives accueille – enfin – l’un des sommets de la saison : Lille/Saint-Etienne. Les Verts sont repassés premiers après avoir gagné leur autre match en retard : ils se présentent donc à Lille avec deux points d’avance sur leurs hôtes. Comme depuis quelques semaines, Lille joue à domicile à guichets fermés, soit environ 16 000 spectateurs pour le stade de Fives. Alors qu’on s’attend à une bataille serrée, on assiste en fait au plus gros score de la saison : 8-0 pour Lille ! Les buts sont signés Bihel (5e), Baratte (17e), Bihel (23e), Tempowski (37e, 38e) Baratte (47e), Bihel (55e), et Vandooren (79e). Une telle démonstration de force place évidemment les Lillois dans la peau des favoris : « l’équipe de Lille a prouvé qu’elle était tout à fait digne d’obtenir le titre de champion de France que son malheureux adversaire visait lui aussi (…) Maîtrisant leurs adversaires d’une manière incomparable, condamnant leurs adversaires à une sorte d’immobilité qui surprenait tous les spectateurs, les avants lillois ont vraiment réalisé une des plus belles prouesses du football français » s’emballe la Voix du Nord. René Llense, le gardien stéphanois, s’incline : « le LOSC, plus que nous-mêmes, est digne de remporter cette année le titre de champion de France. Nous nous effaçons volontiers devant lui (…) Nous ne saurons expliquer à nos supporters comment s’est passé ce match. Nous leur dirons ceci : qu’il suffirait de remplacer quelques hommes seulement dans l’équipe de Lille pour avoir la meilleure équipe de France qu’il soit possible d’aligner ».
Si vous avez bien suivi, le LOSC, avec deux matches en retard, reprend la tête du championnat (35 points), à égalité de points avec Saint-Etienne qui ne compte qu’un match en retard (donc les Verts ont joué un match de plus que les Lillois). Bref, ça commence à bien se dessiner cette affaire, mais attention à l’excès de confiance, qui se manifesterait par exemple dans le fait de chambrer les Stéphanois en ch’ti à la radio.
De nouveau, le merdier du calendrier
Lors de la journée suivante, le 8 mai, Lille concède un nul à Sochaux (0-0) pendant que Saint-Etienne retrouve la victoire. Logiquement, les Verts repassent devant, avec un point d’avance sur les Dogues. La Voix du Nord craint que le LOSC « ne soit coiffé au poteau » : même s’il reste 6 matches à jouer pour Lille (et 5 pour Sainté), et donc qu’il y a davantage de points à prendre, le quotidien estime que le calendrier lillois est plus compliqué (réceptions de Rouen, Sète et du Red Star ; déplacements à Strasbourg, Marseille et Reims) que celui des Verts (réceptions de Metz, Reims et Sochaux ; déplacements au RC Paris et à Lyon). En fait, la VDN attribue aux matches à venir le même résultat que le résultat des matches aller, et en arrive à la conclusion suivante : Lille va terminer avec 44 points, et Saint-Etiene avec.. 45 points.
Sur le terrain, Lille gagne à Strasbourg, mais Saint-Etienne gagne encore. Statu-quo : Saint-Etienne est premier avec 39 points ; Lille deuxième avec 38 points.
Le problème est que Bihel s’est blessé. La Voix du Nord s’emporte contre un calendrier trop chargé : « au début de la saison, on a établi un championnat s’étendant sur plus de 8 mois. Puis il y eut la coupe. Et par-dessus tout cela, on a multiplié les matches internationaux qu’on a, parfois, doublés1, comme France-Autriche. Aujourd’hui, les joueurs sont fourbus. Le LOSC, après Sochaux et Strasbourg, doit aller à Marseille. Tout cela en huit jours. Ce n’est plus du sport mais du hard-labour ». Admettons que la critique vaille pour des matches internationaux non initialement prévus, mais la qualification en coupe implique nécessairement des matches supplémentaires qu’il semble difficile de remettre en question. En attendant, la VDN espère que Baratte ne sera pas sélectionné pour le prochain France/Angleterre. Deux jours après avoir gagné à Strasbourg, Lille ramène un point de Marseille (2-2), dans son match en retard. Les Lillois menaient pourtant 2-0… Cette fois, avec le même nombre de matches que Saint-Etienne (30), Lille reprend la place de leader, à la différence de buts.
Il reste donc 4 matches à jouer pour tout le monde, mais ces matches ne vont pas du tout se jouer en même temps, du moins ceux qui aboutiront à désigner le probable champion : ceux de Lille et de Saint-Etienne.
Le 23 mai, Lille/Sète, « pour une raison qui nous échappe », est reporté. Saint-Etienne joue.. et gagne (contre Metz, 3-1) Le week-end suivant, Lille joue la finale de coupe de France, tandis que Saint-Etienne poursuit son championnat et prend un point à Lyon (3-3). le 26 mai, le LOSC remporte la coupe de France mais, en championnat, se retrouve à 3 points du leader, qui compte deux matches de plus.
Le 30 mai, on joue la 33e journée de championnat (en fait, c’est la 31e pour Lille) : Lille et Rouen font 2-2, et Saint-Etienne est battu 1-4 au RC Paris. Lille revient donc à 2 points de Saint-Etienne.
Le 2 juin, date initiale de la fin de la saison avant que les matches évoqués précédemment ne viennent le modifier, Saint-Etienne reçoit Sochaux et Lille reçoit le Red Star. Saint-Etienne bat Sochaux… et Lille ne joue pas « en raison des élections ». Ah bon. Il s’agit de l’élection chargé d’élire l’assemblée constituante qui doit rédiger la Constitution de la IVe République. Soit, mais pourquoi joue-t-on à Saint-Etienne et pas à Lille ? Nous n’en avons aucune idée. Peut-être parce que Saint-Etienne est une région minière et que les mineurs ne votent pas.
En attendant, voilà la situation : Saint-Etienne a terminé sa saison (44 points). Lille, qui compte 40 points, est passé troisième (le CORT est deuxième) et il lui reste 3 matches à jouer ! Les Verts n’ont plus qu’à croiser les doigts, pendant que Lille est dans l’obligation de marquer au moins 4 points pour ravir le titre de champion.
Le sort du LOSC va donc se jouer les 9 (contre Sète), 13 (contre le Red Star) et 16 juin (à Reims). Contre Sète, le LOSC déroule : à la pause , le score est déjà de 4-0. à l’arrivée, les Dogues s’imposent 5-2. Il leur manque désormais 2 points pour être sacrés champions !
Ces deux points arrivent le 13 juin : le LOSC retrouve son adversaire de la finale de coupe, le Red Star, et le bat sur le même score : 3-1. Les buts lillois sont signés Baratte, Bihel et Tempowski, tandis que les audoniens avaient égalisé juste avant la pause : « l’homme auquel le LOSC doit le plus aujourd’hui est notre jeune ami Jean Baratte. D’un bout à l’autre du match, Baratte a fait preuve d’une résistance physique à toute épreuve et il a maintes fois corrigé certaines lenteurs de Bihel par la promptitude de ses mouvements, l’inlassable cohésion de son jeu ».
Les trois buteurs du jour sont les meilleurs buteurs du club : René Bihel termine avec 28 buts, Jean Baratte avec 19 et Bolek Tempowski avec 17. Et le LOSC termine finalement avec la meilleure attaque du championnat (89 buts marqués), la meilleure défense revenant à Roubaix-Tourcoing : « il est hors de doute que l’équipe lilloise, tout au long de la saison qui s’achève, a dû son prestige à la valeur de ses cinq avants. En maintes circonstances, ils ont allégé la tâche de leur ligne intermédiaire et condamné leurs adversaires à la prudence. Au cours de la première mi-temps du match de Fives, ils ont été, sans cesse, les maîtres de la situation, emprisonnant les Parisiens dans leur zone défensive comme s’ils les avaient tenus dans un filet ».
Le 16 juin, le LOSC acquiert un dernier point à Reims (1-1).
Le schéma ci-dessus est issu de la page wikipédia de la saison 1945/1946. il indique, à chaque journée de championnat, qui en est le leader. Si l’on s’y fie, Lille aurait donc été leader de la 20e à la 30e journée, puis de la 32e à la 34e. Ce schéma est « vrai » si on considère que toutes les équipes ont joué en même temps. Si l’on tient compte du calendrier « réel », le LOSC n’est pas en tête au soir de la 20e journée (match de Metz remis), et ne l’est de nouveau plus au soir de la 28e journée (car Saint-Etienne reprend des matches d’avance), l’obligeant à être dans un rôle de poursuivant dans le sprint final.
En résumé, le titre acquis en 1946 résulte d’un parcours un peu plus complexe que ce que les restitutions faites a posteriori ne laissent penser : en effet, celles-ci se basent sur le calendrier initial, qui ne tient pas compte des nombreux reports dont les matches du LOSC ont été l’objet. Par exemple, la large victoire acquise Metz est datée du 27 janvier (date initiale) alors que la match a eu lieu le 21 février ; la victoire contre Saint-Etienne est datée du 7 avril (date initiale) alors que le match a eu lieu le 1er mai ; ou encore, la victoire contre Sète est datée du 19 mai (date initiale) alors que le match s’est joué le 9 juin. Autrement dit, cette lecture de la saison à travers le prisme du calendrier initial attribue trop précocement au LOSC des points qu’il n’a obtenus que plus tard. Cela donne l’illusion que les Dogues ont eu une saison assez tranquille et régulière alors que, hormis une période entre la 22e et la 27e journée où, à même nombre de matches que leurs adversaires, ils étaient en tête, ils ont souvent dû courir après des adversaires qui avaient plus de points qu’eux, car ces derniers avaient joué plus de matches ! Avec, en point d’orgue, ce final étonnant où le LOSC joue seul ses 3 derniers matches pendant que les Stéphanois se demandent s’ils doivent partir en vacances en tant que champions ou vice-champions.
Cet épisode confirme l’adage : rien ne sert de partir à point, il faut courir.
1 On suppose que cela signifie que le match a aussi concerné des sélections de jeunes.