Posté le 29 mai 2021 - par dbclosc
A qui profite le trading ? L’illusion Gérard Lopez
« Si tu t’assieds à une table et qu’au bout d’une demi-heure t’as pas repéré le pigeon, c’est que le pigeon : c’est toi… »
Les joueurs, Mike McDermott
Selon Mickaël Terrien, maître de conférences en économie à l’Université de Lille, la stratégie de Gérard Lopez a bénéficié d’un soutien des supporters parce qu’ils « ont pensé qu’à force de faire des plus-values sur les transferts, elles allaient bénéficier au club ». Cette perception du modèle économique ignorait alors que cette manne « partait bien plus dans les commissions d’agent et dans les autres charges comme des commissions déguisées sous des frais de scouting. ». L’universitaire souligne également le manque de transparence de ce projet, soulignant par exemple qu’ « on ne sait pas qui est actionnaire de Scoutly [la société de scouting de Campos] donc on ne sait pas qui en a bénéficié » (1).
Ce manque de transparence constitue en effet bien une caractéristique de la gestion financière du LOSC de Gérard Lopez, puisque l’on constate à la fois une opacité certaine sur qui sont les bénéficiaires de ce projet mais aussi à propos de la réalité de la situation financière du club. Cela tient notamment au fait que, si les comptes étaient bien publiés annuellement au registre du commerce sous l’ère Seydoux, ils ne l’ont plus été tout au long du règne Lopez. Il n’empêche, en dépit de ce flou qui entoure la réalité des finances loscistes, les quelques informations qu’on peut trouver ici et là permettent d’étayer la thèse d’une stratégie extrêmement risquée et dont le succès semble peu compatible avec l’aléa sportif.
Une stratégie risquée de « trading »
Quatre ans et demi après l’arrivée de Gérard Lopez (qui a quitté ses fonctions il y a quelques mois), quel bilan de sa présidence peut-on faire de son quadriennat à la tête de notre club ? Sportivement, le bilan peut être considéré comme satisfaisant, puisque Lille a accroché la deuxième place du championnat en 2019, la quatrième l’année suivante, pour enfin aboutir au titre de champion de France en 2021 ! Certes, ce dernier titre a été obtenu sous la direction du président Létang, mais il est certain que ce résultat sportif est largement le produit des années précédentes et avec les joueurs de l’effectif construit sous l’ère Lopez. Si le LOSC s’est péniblement maintenu en 2018, il semble compliqué d’en faire Gérard Lopez le principal responsable ou, en tout cas, le seul. Et le jeu déployé a été des plus satisfaisants, pour ne pas dire qu’il a souvent été emballant.
D’un point de vue économique, la situation est plus complexe à évaluer. Schématiquement, sur la fin de l’ère Seydoux, le club a des recettes hors transferts (2) d’un peu moins de 60 millions d’euros par an et des dépenses d’environ 80 millions. Le club est alors structurellement déficitaire et est tenu de vendre chaque année pour 20 millions d’euros de plus qu’il n’achète pour rester à l’équilibre. Quand Gérard Lopez reprend le club au début de l’année 2017, il projette une stratégie de trading qui consiste à des investissements importants dans les transferts de joueurs qu’on espère pouvoir revendre ensuite avec une importante plus-value.
Si, comme avec Seydoux, cette stratégie implique in fine de faire davantage de ventes que d’achats, elle s’en distingue sur le fait qu’elle implique d’importants investissements au départ et, parallèlement, de faire de nombreuses ventes chaque année pour des sommes très conséquentes. Le problème d’une telle stratégie est qu’il est extrêmement dépendant de faits particulièrement aléatoires comme le fait qu’un joueur voit ou non sa valeur exploser sur le marché des transferts. Avec le LOSC, il est donc nécessaire pour Lopez de dépenser beaucoup en transfert (250 millions de transferts sous sa présidence) et de trouver des sources de revenus permettant de compenser ces investissements ainsi que le déficit structurel (qui dépasse donc les 20 millions par an).
C’est aussi une stratégie qui implique un accroissement des charges hors-mutations, notamment pour rémunérer différents prestataires qui permettent cette forte activité sur les marchés des transferts et notamment Scoutly dans le cas du LOSC. Comme on le voit sur le graphique suivant, alors que les charges hors-mutations étaient en baisse sur la fin de la présidence Seydoux, elles ont brusquement augmenté avec l’arrivée de Gérard Lopez, dépassant les 138 millions en 2018/2019.
Entre 2015/2016 et 2018/2019, ce sont d’abord les « autres charges » qui ont connu la plus forte croissance (+112%), même si les charges salariales ont également nettement cru (+45%). Toutefois, on imagine a priori qu’un gars capable de revendre 80 millions d’euros un joueur qui n’est plus coté que 38 millions deux ans plus tard est capable de faire des miracles pour trouver de nouvelles ressources pour le LOSC.
Toutefois, les bilan financiers publiés par la DNCG ne montrent pas d’augmentation significative des « produits hors-mutations ». Ainsi, la tendance à la baisse des produits constatée lors des dernières années de la présidence Seydoux n’a pas pu être pleinement enrayée avec l’arrivée de Gérard Lopez.
On constate ainsi un frémissement du côté des produits hors droits télé, mais une dépendance encore forte à ces droits dont on sait qu’ils sont déjà ordinairement incertains (car liés aux performances sportives et aux participations aux compétitions européennes). L’affaire du désengagement de Mediapro, qui semblait offrir de nouvelles ressources considérables aux clubs professionnels, n’a bien sûr pas arrangé l’affaire.
Et si le LOSC avait perdu de l’argent avec Osimhen ?
Le cas du transfert de Victor Osimhen à Naples illustre bien les différentes dimensions de la stratégie de Gérard Lopez à la tête du club. Fin juillet 2020, on apprend ainsi par la presse que l’attaquant nigérian est transféré chez les Napolitains pour un montant affiché de 81,3 millions d’euros. Sur le papier, la culbute peut apparaître en première lecture monstrueuse puisque il était arrivé à Lille un an plus tôt pour la somme de 12 millions d’euros, soit près de 70 millions d’euros de différence !
Pour autant, le bénéfice réel est bien moindre. La première raison tient au fait que le montant du transfert serait en réalité de 70 millions d’euros complétés par d’éventuels bonus dont on ne sait s’ils sont atteignables. Ensuite, il s’avère que Charleroi, le précédent club d’Osimhen avait négocié un pourcentage à la revente du joueur (15 % à la revente semble-t-il), ce qui fait que le coût réel du transfert du Nigérian a au final été bien plus coûteux que ce qui avait été annoncé initialement : selon Transfermarkt, Charleroi aurait reçu en définitive 22,4 millions pour ce transfert.
Il apparaît ensuite que l’accord sur ce transfert a été artificiellement gonflé, puisque Naples a négocié en contrepartie que Lille achète quatre de ses joueurs pour une somme totale de 20 millions d’euros. Parmi eux, Lille a recruté Orestis Karnezis, devenu la doublure de Mike Maignan. Dans son cas, s’il y a une logique sportive, on peut souligner que Lille n’aurait eu aucune difficulté à trouver un joueur de cet âge (35 ans) ou plus jeune à un niveau équivalent sans payer la moindre indemnité de transfert et qu’il était déjà très bien pourvu en potentielles doublures avec Jardim, Koffi et Chevalier. Dans le cas des trois autres, si certains ont cru y voir un nouveau bon coup de Campos qui aurait déniché de nouvelles « pépites », il est plus probable qu’il ne s’agisse que de transferts « de papier », les trois jeunes achetés par le club n’ayant que des perspectives médiocres de percer un jour au plus haut niveau (3) : le plus probable est que leur avenir footballistique se situe en Serie D ou dans les divisions régionales italiennes plutôt que dans l’élite française.
Le pourcentage à la revente ainsi que l’arrangement avec les Napolitains réduit donc déjà à 27,6 millions le bénéfice réalisé sur le transferts d’Osimhen. Cela reste une excellente affaire ? C’est peut-être l’une des meilleures du club, mais le profit est en réalité bien moindre que ce que pourrait laisser croire a priori de tels chiffres. Cette interprétation s’appuie sur les différentes coûts supplémentaires induits par la stratégie déployée, lesquels doivent être in fine intégrés à l’équation. A combien doit-on estimer ces coûts supplémentaires ? Il est plus difficile de répondre à cette question, mais on peut toutefois apporter des éléments de réflexion à ce propos.
Comme nous l’avons indiqué plus haut, les charges hors-mutation ont fortement augmenté sous Lopez passant de 80 millions d’euros en 2015/2016 à 136 millions en 2017/2018 puis 138 la saison suivante. Si l’on n’a pas les chiffres des deux saisons suivantes – les bilans n’ayant pas été publiés par la DNCG – on peut toutefois faire l’hypothèse qu’ils n’ont pas baissé, le plus probable étant même qu’ils soient plus élevés puisque les joueurs recrutés depuis ont vraisemblablement des salaires au moins aussi élevés que ceux qui sont partis et que l’importante activité sur le marché des transferts se soient en partie répercutée sur les charges. Sur quatre ans, le système mis en place a coûté environ 250 millions d’euros supplémentaires. Si on fait le rapport entre les 349 millions d’euros rapportés par les transferts et les 250 millions de charges supplémentaires, on peut calculer que chaque euro supplémentaire dans les charges équivaut à 1,40 euros de revenus issus des transferts. Bref, pour 70 millions euros de vente, le club a, en moyenne, dépensé … 51 millions d’euros sans même que soient compris dans ce calcul les investissements faits dans les transferts !
Ne serait-on pas un peu dans la merde ?
Le bilan de 350 millions d’euros de ventes peut apparaître colossal, mais il apparaît de suite bien moins reluisant mis en balance avec les 500 millions de dépenses nécessaires (4) pour l’atteindre. Certes, ce dernier constat doit également être nuancé, dans la mesure où l’effectif actuel du LOSC reste valorisé à un niveau élevé (297 millions selon Transfermarkt), mais il faut avoir en tête que cette valeur nous dit finalement peu de choses des sommes que le club récupérera réellement pour les transferts de ces joueurs et de la capacité du club à se pérenniser à un haut niveau malgré ces ventes. Un premier enjeu pour le club sera de réaliser de bonnes ventes tout en conservant un effectif suffisamment qualitatif pour maintenir des performances suffisantes au niveau national pour obtenir le plus régulièrement possibles des qualifications européennes, si possible en C1.
Le deuxième enjeu pour pouvoir équilibrer les finances du club tient aux marges de manœuvre qu’aura Létang pour réduire les charges du club qui ont atteint un niveau particulièrement élevé sous l’ère Lopez. Il est probable qu’une partie conséquente de ces charges soient variables et directement liées à la stratégie de trading et qu’elles pourront alors être supprimées dès lors que le club aura décidé de changer de stratégie. Toutefois, nous ne pouvons même pas l’affirmer : est-il certain que les arrangements contractuels relatifs aux joueurs transférés sous l’ère Lopez n’aient pas déjà scellé les conditions des rémunérations des prestataires qui on travaillé sur ces dossiers ? Autrement dit, n’est-il pas déjà contractuellement défini qu’un forfait ou un pourcentage doive être reversé à certains « intermédiaires » à la revente des joueurs actuellement sous contrat à Lille ? Si c’était le cas, la marge de manœuvre des dirigeants lillois pour réorienter la stratégie en faisant baisser les charges serait extrêmement réduite.
Par ailleurs, et comme nous l’avons souligné plus haut, une autre partie de l’augmentation de ces charges tient à l’inflation salariale, essentiellement due aux contrats des joueurs, laquelle est plus difficile à gérer à court terme. L’une des interrogations à ce propos tient à la capacité qu’aura la direction à réduire l’effectif professionnel de la manière la moins coûteuse possible. La question se pose notamment pour les joueurs sous contrat mais dont les perspectives de percer en équipe première sont faibles : Létang parviendra-t-il à les transférer contre des indemnités de transfert ? Ou faudra-t-il se contenter de les libérer gratuitement ? Ou encore, faudra-t-il les conserver dans l’effectif avec les charges salariales que cela implique ?
De ce point de vue, la stratégie la plus efficace pour renflouer les caisses consisterait à vendre en priorité les joueurs qui ont à la fois un salaire élevé et une cote importante sur le marché des transferts. Renato Sanches, dont le salaire est d’environ 300.000 euros bruts (soit un coût, cotisations comprises, de 5 millions par an) et dont la valeur est estimée à 28 millions d’euros constitue à ce titre l’exemple-type du joueur dont il faudrait se séparer vite pour équilibrer les comptes. Mais un tel choix pourrait se heurter à d’autres contraintes : Boubakary Soumaré qui joue au même poste que Sanches est sur le point de rejoindre Leicester. En se séparant des deux, Lille pourrait espérer 50 millions d’euros et économiser 6 millions de salaires mais n’aurait plus aucun de ses numéro 8 de métier. C’est toute la difficulté des dirigeants lillois pour les années à venir : maintenir un effectif qualitatif, tout en vendant relativement massivement.
Quelles perspectives pour les années à venir ?
Le plus probable – si l’on abandonne bien la stratégie de trading – est donc que les charges hors mutations du LOSC baissent dans les saisons à venir mais qu’elles restent à un niveau au moins aussi élevé – et sans doute supérieur – que celui qu’on connaissait dans les dernière années de la présidence de Michel Seydoux. Le plus probable est aussi que le club s’appuie largement, au moins dans un premier temps, sur les transferts des joueurs pour chercher à atteindre l’équilibre économique et qu’il ne trouve pas immédiatement de nouvelles sources de revenus pérennes. Là est pourtant tout l’enjeu si le LOSC souhaite se maintenir durablement parmi les principaux clubs du pays.
En effet, l’ « échec » de Michel Seydoux, sur ces dernières années a tenu au fait que les produits hors mutations étaient systématiquement inférieurs aux charges : schématiquement, il fallait vendre chaque année pour une vingtaine de millions d’euros de plus qu’il n’était investi dans les transferts de joueurs. La question qui se posait alors était de savoir si Gérard Lopez allait se montrer capable de diversifier les sources de revenus ou s’il n’allait se reposer que sur le trading. Plus de quatre ans plus tard, la réponse semble sans équivoque : il a été presque entièrement dépendant de ce trading et le LOSC fait sur ce point moins bien que des clubs qui pourraient nous sembler plus modestes (comme Rennes et Saint-Etienne) et reste à des années lumières de ses concurrents directs (comme Marseille et Monaco).
En supposant que le LOSC parvienne à un niveau de charges moyen de 100 millions d’euros sur les prochaines années (ce qui nous semble une hypothèse optimiste) tout en restant à un niveau équivalent de produits, il manquerait d’emblée 36 millions chaque année pour équilibrer les comptes, et ce sans même tenir compte des transferts de joueurs lissés sur la durée du contrat (5). Or, ces amortissements de joueurs pèsent déjà lourds dans les bilans à venir puisqu’ils représentent près de 120 millions d’euros de 2021 à 2025 selon nos estimations.
Dès lors, avec 36 millions de produits hors mutations de moins que les recettes par an, soit 144 millions sur quatre saisons, le LOSC devrait trouver plus de 260 millions de recettes par le biais des compétitions européennes et des ventes des joueurs pour parvenir à l’équilibre, soit 65 millions par an en moyenne. Et tout cela sans investir le moindre euro sur le marché des transferts. Et il n’apparaît pas que la stratégie soit de ne pas investir du tout sur le marché des transferts, notamment si l’on considère que Lille envisage de recruter Paul Bernardoni, coté à 10 millions d’euros, pour remplacer Mike Maignan qui vient de rejoindre Milan.
Etait-il réaliste d’imaginer une efficacité du trading sur le long terme ?
Parmi les raisons avancées aux difficultés financières actuelles du LOSC, on voit parfois avancer l’argument du caractère imprévisible du désistement de Mediapro et de la « crise du covid ». Dans le cas de Mediapro, on pourrait au contraire retourner l’argument : était-il prévisible, en janvier 2017, quand Gérard Lopez a repris le club, qu’un diffuseur mette autant d’argent sur la table que n’allait le faire Mediapro pour les droits de diffusion de la Ligue 1 ? Tout au moins, il faut bien admettre que si l’explosion de ces droits télé avait pu être envisagée, elle relevait tout au plus de la spéculation quand Lopez décide d’investir dans le LOSC. Quant à la crise du covid, soulignons qu’elle a d’abord eu un impact sur les recettes de billetterie qui, fort heureusement pour nous, ne constitue qu’une part relativement modeste des produits du club.
Surtout, là où l’argument pèche, c’est que, à défaut d’informations sur les bilans financiers des clubs depuis 2019 (donc avant les évènements précités), les seules analyses que l’on peut réaliser sont des estimations construites sur la base des années précédentes et des transferts réalisés ensuite. Or, on se rend compte que même en s’appuyant sur des estimations « si tout va bien », les perspectives s’avèrent loin d’être rassurantes. D’une certaine manière, on pourrait presque avancer la thèse selon laquelle ces « crises » apparaissent comme une bénédiction pour Gérard Lopez dans la mesure où elles lui fournissent des arguments pour justifier l’échec d’un projet qui y était déjà voué.
En effet, nous avons essayer d’estimer plus haut les produits nécessaires pour atteindre l’équilibre financier dans l’hypothèse où les dirigeants parviendraient à réduire les charges hors-mutations aux alentours des 100 millions par an. De plus, nous avons également mené nos raisonnements dans l’hypothèse selon laquelle le club n’investirait plus que marginalement sur le marché des transferts. Dès lors, si l’on veut estimer les produits nécessaires dans le cas où Lopez serait resté, il faut ajouter une quarantaine de millions de charges hors-mutations à laquelle on doit ajouter environ 50 à 60 millions d’euros en moyenne d’investissements dans les transferts. En estimant les produits hors-mutations à 60 à 70 millions par an, cela signifie que le LOSC aurait dû trouver chaque année 130 millions d’euros par le biais des transferts et des qualifications européennes.
En tablant sur 25 millions de rentrées liées aux compétitions européennes en moyenne par an (ce qui est en réalité très ambitieux), Lille aurait dû encore vendre pour plus de 100 millions par an pour atteindre cet équilibre. Surtout, cette stratégie implique de faire tenir conjointement ces deux objectifs dans la mesure où les bons résultats soutiennent à la hausse la valeur marchande des joueurs : il faut donc vendre suffisamment peu pour que les résultats n’en pâtissent pas, mais tout de même assez pour ne pas être déficitaire.
C’est là toute la difficulté de l’équation. Le titre de champions acquis cette saison peut laisser penser que le schéma est réaliste, le LOSC réalisant là un résultat inespéré. Mais il l’a réalisé sans parvenir à l’équilibre financier, échouant à répondre à l’une des exigences qu’implique cette stratégie. Et encore, ces estimations ne correspondent qu’à une situation dans laquelle le club n’augmente pas son déficit sans qu’il ait encore remboursé ses dettes. Il n’est donc pas abusif de dire que, si cette stratégie a permis au LOSC de devenir champion cette saison, il s’agit d’une « victoire à crédit ».
La faute au « système » ?
Face à ces observations, beaucoup affirment que la stratégie mise en place par le LOSC est la seule viable pour pouvoir espérer pouvoir concurrencer les plus grands clubs français. C’est sans doute exact. Il n’empêche, si tout supporter espère voir son club triompher, on peut toutefois s’interroger sur la conception qui semble réduire l’intérêt du football à cette seule finalité. On peut se demander si il n’y a pas une forme de cécité partagée y compris par certains supporters quand, face à la stratégie des dirigeants actuels (en tout cas ce qu’on peut en voir), certains se demandent s’il n’y aurait pas mieux valu « prendre le risque » de maintenir la stratégie de Lopez plutôt que de changer de cap vers un futur qui apparaît moins grisant. Qu’un club puisse mourir est une chose. Prendre un risque mortel pour ce club dans l’espoir – sans doute vain – de pouvoir aller encore plus haut est encore autre chose.
Pourtant, le constat de cette cécité partagée par nombre de supporters traduit à notre sens une réelle perversité d’un système qui amène ses perdants à en devenir les principaux défenseurs. Car, oui, les supporters sont de toute évidence les perdants de ce système. Ils sont d’abord les perdants dans la mesure où l’accroissement considérable des budgets des clubs au cours des 40 dernières années a été largement financé par eux-mêmes ou par le contribuable (donc en partie encore eux!) sans même qu’ils s’en rendent tout à fait compte. Le supporter devient la vache à lait consentante d’une armée de parasites qui s’est petit à petit greffée au milieu du football. Ils sont ensuite les perdants car il semble que jamais les supporters n’ont été autant expropriés de leur influence sur leurs propres clubs de cœur. Il est important que les clubs restent d’abord la « propriété » – ne serait-ce que symbolique – des supporters. Cela n’a sans doute jamais été aussi peu le cas qu’aujourd’hui.
Crédit: Goodmorninglille.org
Il pourrait nous apparaître risible de voir certain des nôtres défendre bec et ongle la stratégie de trading de Gérard Lopez tout en se plaignant régulièrement des ventes de nos meilleurs joueurs en pointant benoîtement que « l’argent pourrit le foot ». C’est en réalité assez inquiétant, puisque cela traduit la réussite des parasites du football à faire croire aux supporters au mythe selon lequel ils pourraient espérer avoir le beurre et l’argent du beurre. Succès d’une vision libérale valorisant la réussite individuelle sans jamais s’interroger sur les conséquences réelles des réussites de ces soi-disant self-made men : dans ce monde merveilleux, il n’y aurait pas de lien entre l’enrichissement des uns et l’appauvrissement des autres. L’évidence voudrait que l’on constate combien cette vision peut apparaître naïve tant la réalité des faits ne cesse de la contredire. Éblouis que nous sommes par les promesses jamais tenues d’un avenir footballistique luxueux, nous ne voyons même plus les risques réels que font prendre pour le football une poignée de parasites engoncés dans leurs certitudes.
FC Notes
(2) Quand nous parlons « hors-transferts », nous nous appuyons sur chiffres issu des rapports de la DNCG publiés par la LFP desquels nous déduisons les frais de mutation.
(3) Nous nous sommes demandés au départ si les transferts de ces trois joueurs ne relevaient pas davantage de la rumeur que de la réalité tant cela semblait gros. Mais avec Gérard, tout est possible, surtout si cela paraît absurde, les transferts ayant bien été officialisés comme le confirme Le Petit Lillois:https://www.lepetitlillois.com/2020/09/10/manzi-liguori-et-palmieri-sur-le-site-de-la-ligue-et-de-la-fff/. Pour la petite histoire, à peine transférées à Lille, les trois pépites ont été prêtées à Naples qui les a prêtées à Fermana en Serie C. A eux trois, les Napolito-lillois ont été titularisés à 13 reprises au cours de la saison 2020/2021.
(4) 250 Millions de charges supplémentaires auxquels il faut ajouter environ 250 millions d’investissements dans les transferts.
(5) Par exemple, quand Renato Sanches signe un contrat de 5 ans à l’été 2019 pour une somme de 20 millions d’euros, cette somme est étalée sur les budgets des cinq saisons suivantes pour 4 millions par saison.
7 commentaires
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12 août 2021
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Jo a dit:
Article extrêmement intéressant, merci à vous
Depuis la publication de l’article la DNCG a publié les comptes 2019-2020 des clubs de Ligue 1 (et donc du LOSC). Ce qu’on aperçoit, c’est que le club arrive quand même à enregistrer un total produits hors-mutation de 95 M, évidement dopé par l’effet LDC mais pénalisé aussi par le Covid et l’arrêt des matchs. Ça prouve quand même qu’on peut aller tâter les 100 M les années de LDC. Cette année, il pourrait même y avoir un effet titre de champion + retour dans les stades + LDC. L’idéal étant de réaliser un bon parcours en Europe (un huitièmes de LDC rapporte 10 M, sans compter les millions glanés pour chaque victoire/nul en phase de poule).
Le top, ce serait de stabiliser ce chiffre aux alentours de minimum 80 M, surtout quand tu vois qu’un club comme Sainté atteint les 70 M même en année de Covid et en sortant du top 5. Létang avait réussi à développer ça à Rennes (+9 M de sponsors, billeterie et autres produits sous sa présidence il me semble).
Dans trois ans, être quatrième permettra justement d’accéder à la LDC grâce à la réforme, qui devrait aussi engranger plus de droits TV. Le LOSC est cinquième budget de Ligue 1, régulièrement dans le top 4 au classement : je me demande fortement si la direction n’a pas cet horizon 2024-2025 pour revendre le club et en le valorisant à fond d’ici là. Et qui dit plus de droits TV dit augmentation des produits hors-mutation.
Côté charges, on apprend qu’elles atteignent plus de 190 M d’euros. Il faudra nécessairement les réduire et ce ne sera pas une mince affaire. Mais la fin de l’externalisation de la cellule de recrutement et la (si possible) forte réduction des commissions d’agents (en 2019-2020, Lille est à plus de 23 M, alors qu’à budget quasi équivalent, Nice est à 8 M) devrait déjà permettre d’atteindre des chiffres un peu plus raisonnables. L’autre principal axe de travail pour les réduire concerne (comme vous le dîtes dans l’article) la masse salariale. La réduction du nombre de contrats pros va déjà en ce sens, et les quelques départs majeurs feront aussi surement du bien aux finances.
Ce qui va vraiment faire mal, en plus de la dette déjà bien présente et du déficit chaque année, ce sont les amortissements de transferts. A l’inverse, on peut espérer que le club touche encore de l’argent sur les transferts des dernières années (Pépé, Gabriel, Leao, Mendes…). Difficile en tout cas dans l’immédiat de miser uniquement sur les revenus hors-mutations pour arriver à rembourser la dette. Je pense qu’on vendra, dans un premier temps, un peu comme à l’époque Lopez, et qu’on cherchera uniquement à recruter malin ou à remplacer en interne. On voit d’ailleurs que le club continue de prendre certains risques sur le marché (et c’est essentiel, même en abandonnant le modèle de trading). N’oublions pas également qu’on a pas mal de pépites formées ou post-formées au club, avec dans l’immédiat Lihadji, Gomes, Djalo et Weah qui n’ont pas encore exprimé leur plein potentiel, puis Niasse, Ascone, Chevalier, Bica, Kapi et Pizzuto plus tard. Jean-Michel Vandamme parlait aussi de la génération 2004 dans L’Équipe. Ça mettrait du temps mais d’ici là, rester dans la continuité du titre parait être la meilleure solution, et c’est le tournant que semble avoir pris le club.
Peut-être qu’avec le temps, le club arrivera enfin à être à l’équilibre avant transferts. Je me répète mais l’horizon 2024 me paraît crédible : la réforme de la LDC va être avantageuse aux clubs français comme le LOSC, et à ce moment-là le club pourra peut-être viser le positif. D’ailleurs Alessandro Barnaba, l’un des deux patrons de Merlyn, avait annoncé dans une interview à un média romain (LaRoma 24 si je ne m’abuse) que l’objectif était de passer à 130 M de CA d’ici cinq ans. Ça paraît ambitieux mais avec les différents événements (Ligue 1 à 18, réforme de la LDC, potentiel effet Messi ? (ça j’y crois moyen mais qui sait)) qui vont donner un coup de boost aux finances des clubs français, ils pourraient y arriver.
En tout cas super article, très agréable à lire
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31 mai 2021
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dbclosc a dit:
@classe2 Nous vous remercions d’éviter l’agressivité. Une démarche constructive pourrait consister à nous expliciter les énormités que vous identifiez ce qui pourrait permettre à chacun de juger. D’expérience, quand quelqu’un se contente de l insulte ou de l’agressivité, c’est qu’il n’a en réalité pas grand chose à opposer rationnellement. Mais peut-être êtes vous l’exception.
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31 mai 2021
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Classe2 a dit:
Si tu n es pas capable de voir les saucisses que tu écris, ça fait peur ! Je te enverrai par la poste un plan comptable guignol
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30 mai 2021
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Fredo a dit:
Il va falloir à la fois réduire drastiquement les coûts de fonctionnement – et développer en interne/local les compétences nécessaires et identifiées par Galtier (coucou le staff parti avec Mourinho, est ce qu’on peut espérer que des nordistes seraient restés ?) et réduire à presque rien les dépenses de transferts – un Puel serait d’une grande aide quand on voit le nombre de jeunes (17) lancés cette saison – et à ce titre l’arrivée d’un Bernardoni me semble délirante, pourquoi s’intéresser à un gardien dont le contrat se termine en juin 2024 quand on a un Karnezis ? Il va falloir investir au milieu, donner ponctuellement leur chance aux jeunes du groupe pro à commencer par Ascone, Kapi et Bica tout en maintenant un bon niveau, ça va être difficile mais c’est indispensable et sans doute bénéfique pour l’identité du club et sa proximité avec son environnement. En parlant d’environnement une fois la dette soldée il sera urgent d’investir dans le stade, je ne sais pas si prendre des parts dans Elisa est possible ?
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30 mai 2021
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Fredo a dit:
Au passage j’espère que Létang ne touchera aucune commission sur les transferts effectués et qu’il ne fera que défendre les intérêts du club comme il le dit…
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30 mai 2021
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Classe2 a dit:
Un petit tour en BTS compta pourrait vous faire du bien
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30 mai 2021
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dbclosc a dit:
Nous serions ravis de pouvoir bénéficier de votre expertise sur le sujet. Pour l’instant, difficile de vous répondre davantage.